Cour d'appel de Bruxelles 28 mai 2009
DROIT FINANCIER
Institutions et intermédiaires financiers - Gestion collective de portefeuilles de placement - Compte-titres mis en gage - Responsabilité du conseiller en investissements - Refus d'exécution de l'ordre de bourse - Sortie d'un organisme de placement collectif
DROIT FINANCIER
Institutions et intermédiaires financiers - Gestion de fortune et conseillers en placements
Un investisseur a obtenu un crédit de sa banque en vue de composer, sur conseil de cette banque, un portefeuille-titres avec des droits de participation dans des fonds-maison de cette banque, et elle a mis en gage ce portefeuille pour garantir le crédit contracté auprès de la banque. A l'occasion d'une forte baisse des cours de bourse, le client souhaite vendre, mais la banque lui conseille de ne pas le faire parce que la situation peut encore se redresser. Un tel conseil n'est pas nécessairement constitutif d'une faute par le simple et unique fait qu'il est apparu a posteriori que les cours ne se sont pas redressés.
Lorsque le client donne l'ordre de vendre les droits de participation, on lui répond que la banque bénéficiaire du gage s'y oppose dès lors que la valeur vénale du portefeuille est devenue inférieure au montant du crédit encore ouvert. Le client ne peut cependant pas reprocher à la banque de lui avoir causé un préjudice alors qu'après un entretien avec le gestionnaire de crédit, le client a retiré son ordre de vente et qu'il a donc choisi lui-même de patienter plutôt que d'encaisser la perte intervenue à ce moment.
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FINANCIEEL RECHT
Financiële instellingen en tussenpersonen - Collectief beheer beleggingsportefeuilles - Pand effectenrekening - Aansprakelijkheid beleggingsadviseur - Weigering uitvoering beursorder - Uittreding uit instelling voor collectieve belegging
FINANCIEEL RECHT
Financiële instellingen en tussenpersonen - Vermogensbeheer en beleggingsadviseurs
Een belegger heeft bij zijn bank een krediet verkregen om op advies van deze bank een effectenportefeuille met deelnemingsrechten in huisfondsen van deze bank samen te stellen, en heeft deze portefeuille als zekerheid voor het krediet aan de bank verpand. Bij ernstig dalende beurskoersen wenst de cliënt te verkopen, maar de bank adviseert dit niet te doen omdat de situatie zich volgens haar nog kan keren. Dergelijk advies is niet noodzakelijk foutief louter en alleen omdat achteraf is gebleken dat de koersen zich niet hebben hersteld.
Wanneer de cliënt de opdracht geeft de deelnemingsrechten te verkopen krijgt hij te horen dat de pandhoudende bank zich hiertegen verzet omdat de marktwaarde van de portefeuille op dat ogenblik lager is dan het nog uitstaande kredietbedrag. De cliënt kan de bank echter niet verwijten hem hierdoor schade te hebben berokkend wanneer blijkt dat de cliënt na een onderhoud met de kredietdossierbeheerder het verkooporder heeft ingetrokken en dus zelf ervoor heeft gekozen te wachten in plaats van het op dat ogenblik bestaande verlies te incasseren.
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N.A. et Artpège, société civile ayant pris la forme d'une SPRL / Dexia Banque Belgique, T. & C°
Siég.: H. Mackelbert (conseiller) |
I. | Décision entreprise |
L'appel est dirigé contre le jugement prononcé contradictoirement le 15 juillet 2004 par le tribunal de commerce de Bruxelles. […]
III. | Faits et antécédents de la procédure |
1. M.N. est un client de l'agence de Gilly du Crédit communal (actuellement Dexia), gérée par un agent indépendant, la SNC T. & C°, qui agit comme mandataire.
Le 2 décembre 1999, il ouvre un compte auprès de cette agence (compte direct, carnet de dépôts et dossier titres).
Le 14 décembre 1999, Dexia accorde à M.N. un straight loan de 30.000.000 FB d'une durée d'un an, remboursable le 13 décembre 2000, moyennant le paiement d'un intérêt de 4,04%.
Ce prêt est destiné à permettre à M.N. de composer un portefeuille de titres, constitué principalement de SICAV's Dexia.
Le 14 février 2000, Dexia accorde à M.N. et Artpège une ouverture de crédit de 75.000.000 FB incluant le straight loan du 14 décembre 1999.
Le 23 février 2000, M.N. obtient un second straight loan de 30.000.000 FB, traité dans le cadre de l'ouverture de crédit de 75.000.000 FB.
M.N. met en gage le portefeuille de valeurs mobilières acquis au moyen de cette ouverture de crédit, ainsi qu'une somme de 2.000.000 FB.
Le 29 mars 2000, le portefeuille de M.N. est évalué à 83.863.264 FB.
2. Subissant les effets de la crise boursière qui a débuté au cours du second semestre 2000, le portefeuille de M.N. diminue de jours en jours, pour atteindre 65.142.869 FB, le 4 décembre 2000. M.N. s'en inquiète auprès de Mme T. qui lui répond, le 15 décembre 2000:
“Je suis en contact avec Bruxelles pour vérifier ma stratégie.
Ma personne de contact préférée n'est malheureusement pas au siège ce vendredi.
Je verrai donc en premier temps si l'avis des autres gestionnaires me suit. De toute façon, j'aimerais tout confirmer lundi.
Pas de panique! Tu avais toi-même dit au départ que ta vue était à plus de 3 ans et que tu croyais ferme aux sectorielles.”
Elle joint un résumé de la réunion du comité Asset Allocation de Dexia du 15 décembre 2000, intitulé 'Conseils en placement' qui donne des appréciations sur les différents secteurs:
le secteur pharmaceutique voit sa pondération légèrement revue à la baisse, la prudence est de mise pour celui des technologiques européennes et, en ce qui concerne les télécommunications, la prudence est également recommandée, bien que les analystes considèrent que les mauvais moments semblent déjà passés.
Le 22 décembre 2000, M.N. écrit à Mme T. qu'il ne peut assumer personnellement la politique du 'wait and see' ou du 'pas de panique' et qu'il en reparlera plus longuement le prochain mercredi.
A l'occasion d'un entretien du 4 janvier 2001, Dexia propose la conclusion d'un contrat de gestion discrétionnaire. Par courrier du 5 janvier 2001, M.N. déclare qu'il pourrait accepter cette proposition si Mme T. confirme son engagement moral d'être partie prenante à cette gestion et qu'il puisse revoir sa position s'il ne parvenait pas à récupérer son capital. Il ne sera pas donné suite à cette proposition de contrat.
3. Le 9 janvier 2001, M.N. demande à Dexia de prendre toutes les dispositions, le jour même, pour revendre toutes les SICAV's reprises sur son dossier titres et de vendre les actions à partir des seuils suivants: Dexia: 185 EUR, Omega Pharma: 42 EUR et Network Appliance: 60 USD.
Cet ordre de bourse n'est pas effectué par Dexia parce que le gestionnaire du dossier crédits à Mons, M. Diacre, s'y oppose, dès lors que le montant du portefeuille mis en gage est devenu inférieur au total des prêts accordés à M.N. et à Artpège.
Suite à un entretien téléphonique avec M. Diacre, M.N. annule, le 11 janvier 2001, son ordre du 9 janvier 2001, précisant par ailleurs que les SICAV's d'actions ne peuvent en aucun cas être vendues en dessous d'un chiffre global de 58.500.000 FB.
Le 15 janvier 2001, M.N. s'étonne que les actions Dexia n'ont pas été vendues, alors qu'elles ont été à plus de 185 EUR pendant 2 jours. Il lui est répondu, le 24 janvier 2001, que M. Diacre n'avait pas donné l'autorisation de lever la garantie.
Le 22 février 2001, M.N. demande à M. Diacre, vu l'évolution de la bourse et malgré le niveau actuel du compte, de revendre, le même jour, l'ensemble du portefeuille, à l'exception des actions.
Cet ordre est exécuté et la vente rapporte 51.612.146 FB.
Tout en réservant ses droits, M.N. remboursera, par des versements successifs, le solde restant dû des crédits qui ont été consentis.
4. Par exploit du 21 novembre 2001, M.N. et Artpège font citer Dexia et T. & C° devant le tribunal de commerce de Bruxelles.
Ils sollicitent leur condamnation solidaire à leur payer la somme de 16.527.554 FB, soit la différence entre les 75.000.000 FB investis et la valeur du portefeuille au 8 janvier 2001, soit 58.472.446 FB, et la condamnation de T. & C° à lui payer la somme de 6.860.300 FB, étant la différence entre la valeur du portefeuille au 8 janvier 2001 (58.472.446 FB) et le produit de la vente celui-ci (51.612.146 FB).
Le tribunal les déboute de leurs demandes.
5. M.N. et Artpège interjettent appel de cette décision.
Aux termes de leurs dernières conclusions ils demandent à la cour:
- à titre principal de prononcer la nullité du contrat de conseil en placements et de condamner solidairement Dexia et T. & C° à leur payer la somme de 595.922,39 EUR en principal, étant l'investissement personnel de 15.000.000 FB pour l'acquisition du portefeuille d'actions, la perte enregistrée sur ce portefeuille, soit 8.387.854 FB et 571.319 FB + 80.277 FB d'intérêts payés sur les crédits qui ont été consentis;
- à titre subsidiaire de constater que Dexia et T. & C° ont commis des fautes à l'occasion des conseils qu'elles ont donnés et de les condamner à payer la somme de 351.305,13 EUR de dommages et intérêts, étant la différence entre la valeur du portefeuille à la date du 14 décembre 2000 et du 23 février 2001, ainsi que 170.062,39 EUR, étant le dommage spécifique causé par Dexia qui a refusé de vendre le portefeuille le 9 février 2001 (différence entre la valeur à cette date et au 23 février 2001); […]
IV. | Discussion |
1. | Sur le contrat de conseil en placement |
6. La loi du 6 avril 1995 relative au statut des entreprises d'investissement et à leur contrôle, aux intermédiaires et conseillers en placement dispose en son article 119 qu'il y a lieu d'entendre par conseillers en placement, les personnes qui, à titre professionnel, principal ou accessoire, prestent ou offrent de prester au public, moyennant rémunération, des services de conseil en matière de placements, portant sur un ou plusieurs instruments financiers.
En l'espèce, ni Dexia ni T. & C° n'ont jamais été rémunérés pour d'éventuels conseils en placement qu'ils auraient prodigués à M.N.
A défaut de rémunération, les éventuels conseils prodigués par T. & C°, mandataire de Dexia, en vue de la souscription d'instruments financiers n'ont pas pour effet de créer un contrat de conseil en placement au sens de la loi. Tout banquier est en effet libre de donner des conseils d'ordre commercial à ses clients.
Il s'en déduit que c'est à tort que M.N. soutient que la convention qu'il a conclue avec Dexia et T. & C° est nulle, en exécution de l'article 8, § 2 de l'arrêté royal du 5 août 1991 relatif à la gestion de fortune et au conseil en placements, tel qu'il était en vigueur à l'époque des faits, et qui imposait la rédaction d'une convention écrite.
Au demeurant, M.N. ne peut soutenir qu'il serait lié par un quelconque contrat de gestion de fortune ou de conseils en placement puisqu'il a refusé de signer ceux qui lui avaient été proposés.
2. | Sur la responsabilité de Dexia et de son agent |
a. Sur la stratégie adoptée par Dexia |
7. M.N. ne reproche pas à Dexia et T. & C° de l'avoir incité à conclure des straights loans et d'investir dans un portefeuille de SICAV's. Il ne conteste pas non plus qu'il avait une certaine expérience en matière boursière (cf. p. 19 de ses conclusions).
Il met en cause le fait que Dexia n'a pas été sensible aux inquiétudes qu'il a exprimées à partir du mois de novembre 2000, lorsqu'il a constaté une baisse sensible des cours boursiers et qu'elle l'a incité à maintenir ses investissements, contre son sentiment profond. Il estime qu'elle a ainsi manqué à son devoir de conseil.
8. En sa qualité d'investisseur avisé, M.N. ne pouvait ignorer qu'un placement en actions n'est rentable que sur une période assez longue et que les cours de la Bourse peuvent enregistrer des hausses comme des baisses sensibles.
Il faut donc analyser le résultat d'un investissement de cette nature à l'issue d'une période qui est directement proportionnelle avec le risque encouru. Or, en l'espèce, M.N. n'a souscrit que des SICAV's d'actions, ce qui constitue la stratégie la plus agressive et implique qu'un résultat positif ne peut être attendu qu'après plusieurs années, le temps d'amortir éventuellement des pertes inévitables pour ce type d'investissement. Le fait que M.N. finançait celui-ci par un emprunt ne change rien puisque l'intérêt qu'il devait payer était largement inférieur aux gains espérés.
Lorsqu'en mars 2000, son portefeuille a culminé à 83.863.264 FB, M.N. n'a pas donné ordre de vendre pour encaisser l'importante plus-value réalisée en quelques mois. C'est donc bien qu'il n'envisageait pas de faire du trading à court terme. Il n'a d'ailleurs donné aucun ordre significatif d'achat et de vente de titres pendant toute la période en cause, comme aurait pu le faire un spéculateur à court terme.
Il ne peut donc reprocher la stratégie de Dexia de ne pas céder à la panique lorsqu'une tendance baissière se manifeste.
De plus, il ne résulte d'aucune pièce soumise à la cour qu'il était devenu évident pour tout analyste financier, en décembre 2000, que les cours allaient encore baisser et qu'une véritable crise s'installerait dans les mois suivants. Or, en cette matière, le juge ne peut procéder qu'à une appréciation marginale du comportement du banquier mis en cause ni substituer son propre jugement de valeur ou encore prendre en considération des faits postérieurs.
Il s'en déduit qu'il n'est pas établi que Dexia a commis une faute en ne conseillant pas à M.N. de réaliser son portefeuille et d'enregistrer définitivement une perte. Sur la base de l'opinion émise par son Comité Asset Allocation, elle pouvait espérer un redressement de la situation.
A titre surabondant, il convient d'ailleurs d'observer que la Bourse s'est redressée dans le délai de 5 ans qui avait été indiqué dans le descriptif des SICAV's remises à M.N. Si celui-ci n'avait pas vendu avant l'expiration de ce délai, il n'aurait pas subi de perte.
b. Sur le refus de Dexia d'exécuter l'ordre de bourse |
9. M.N. a immédiatement été avisé que le service Crédit de Dexia s'opposait à la vente des titres ordonnée le 9 janvier 2001, au motif que leur valeur était devenue inférieure au portefeuille mis en gage.
A peine 2 jours plus tard, M.N. annulait son ordre de vente, après avoir eu un entretien avec le responsable de ce service, M. Diacre.
Il s'en déduit que M.N. a, en toute connaissance de cause, préféré opter pour un attentisme prudent en espérant une reprise des cours plutôt que d'assumer la perte en comblant la différence entre le produit de la réalisation des titres et le solde à rembourser. Qui plus est, il a stipulé lui-même un seuil en dessous duquel aucune opération ne pouvait avoir lieu, ce qui démontre, une fois de plus, sa volonté de tenter de récupérer une partie de la moins-value.
Ce n'est que le 22 février 2001, que M.N. s'est résolu à revoir sa position.
Quant aux actions, M.N. a demandé par son courrier du 15 janvier 2001 de ne rien faire pour le moment avant [son] entrevue avec M. Diacre.
10. Il se déduit de ce qui précède qu'il ne peut être reproché à Dexia d'avoir refusé d'exécuter l'ordre de bourse du 9 janvier 2001, dès lors qu'aucune proposition de combler le déficit du gage n'avait été formulée et d'avoir ensuite satisfait au revirement de M.N., qui est seul responsable de la baisse de ses actifs entre le 9 janvier et le 22 février 2001.
[…]
V. | Dispositif |
Pour ces motifs, LA COUR,
1. Dit l'appel recevable mais non fondé.
2. Met les dépens d'appel à charge des appelants.
[…]
Zie doctrineartikel Marc Kruithof in dit nummer, p. 747.