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Champ d'application de la loi du 27 juillet 1961 et risques supportés par le distributeur, R.D.C.-T.B.H., 2011/8, p. 806-807

INTERMEDIAIRES COMMERCIAUX
Concession - Concession exclusive de vente - Loi du 27 juillet 1961 - Champ d'application - Contrat de concession - Droit pour le concessionnaire de vendre en son nom et pour son compte - Pas de nécessité que le concessionnaire supporte l'ensemble des risques économiques liés à son activité
La condition selon laquelle le concessionnaire doit, au sens de la loi du 27 juillet 1961, vendre les produits en son nom et pour son propre compte est remplie si le distributeur supporte certains risques liés à la distribution des produits. Il n'est donc pas nécessaire qu'il supporte tous les risques de son activité.
TUSSENPERSONEN (HANDEL)
Concessie - Exclusieve verkoopconcessie - Wet van 27 juli 1961 - Toepassingsgebied - Concessieovereenkomst - Recht van de concessiehouder om in eigen naam en voor eigen rekening te verkopen - Geen noodzaak dat de concessiehouder het geheel van economische risico's draagt dat verbonden is aan zijn activiteit
De voorwaarde volgens dewelke de concessiehouder zijn producten in eigen naam en voor eigen rekening moet verkopen, in de zin van de wet van 27 juli 1961, wordt vervuld wanneer de verdeler bepaalde risico's draagt die verbonden zijn aan de verdeling van zijn producten. Het is dus niet noodzakelijk dat hij alle risico's draagt van zijn activiteit.
Champ d'application de la loi du 27 juillet 1961 et risques supportés par le distributeur
Patrick Kileste , Cécile Staudt  [1]

Dans son arrêt du 30 avril 2010, la Cour de cassation s'est prononcée sur le champ d'application de la loi du 27 juillet 1961 sur la résiliation unilatérale des concessions de vente exclusive à durée indéterminée.

Cette loi définit la concession comme étant “toute convention en vertu de laquelle un concédant réserve, à un ou plusieurs concessionnaires, le droit de vendre en leur nom et pour leur propre compte des produits qu'il fabrique ou distribue” [2]. Deux conditions sont donc requises par la loi: la réservation par un fabricant à des distributeurs du droit de revendre ses produits et la revente de ces produits par les distributeurs en leur nom et pour leur compte.

Dans l'arrêt annoté, la Cour de cassation a examiné cette seconde condition selon laquelle les concessionnaires doivent vendre “en leur nom et pour leur propre compte”.

En l'espèce, si le fabricant reconnaissait l'existence d'un contrat de distribution exclusive, il contestait cependant la qualification de concession au sens de la loi de 1961 en invoquant le fait que le distributeur n'assumait pas seul tous les risques économiques liés à la distribution des produits de telle sorte que, selon son argumentation, il ne vendait pas pour son propre compte.

Dans son arrêt, la cour d'appel de Bruxelles [3] avait suivi l'argumentation développée par le fabricant et avait décidé que ce n'est que s'il assume seul l'ensemble des risques liés à la propriété des marchandises ou à leur distribution, tels que les risques d'une mévente ou d'une baisse des prix, que le distributeur pourrait être qualifié de concessionnaire vendant pour son propre compte.

Rappelons les circonstances de fait particulières. Il s'agissait d'un distributeur qui vendait les produits du fabricant dans les magasins du secteur de la grande distribution.

D'un point de vue financier, la marge brute de ce distributeur était négative pour deux raisons. D'une part, à l'instar des autres acteurs dans ce secteur, il subissait la 'loi' des entreprises du secteur de la grande distribution qui imposent à leurs fournisseurs des conditions financières particulièrement sévères (sous la forme notamment de ristournes et remises plus ou moins importantes par rapport au tarif officiel).

D'autre part, ce distributeur était également victime de la politique de prix de son propre fabricant qui lui vendait ses produits à des prix non négociables afin de préserver l'homogénéité de son réseau européen.

Ainsi 'pris entre le marteau et l'enclume', ce distributeur en était réduit à acheter les produits à un prix plus élevé que les prix de revente qu'il pouvait pratiquer vis-à-vis de ses propres clients de la grande distribution.

Les parties étaient donc convenues de fixer la rémunération du distributeur par rapport à un taux de rentabilité fixé chaque année et correspondant à un pourcentage du montant brut théorique des ventes. Pour que ce taux de rentabilité soit atteint, le fabricant acceptait dès lors de prendre en charge certains frais de commercialisation de ses produits et versait également au distributeur une intervention financière. Le taux convenu était perçu par le distributeur quel que soit le prix de revente au client final de telle sorte qu'il ne supportait pas une baisse du prix de revente à la clientèle. Les ristournes consenties par le distributeur à ses clients (qui étaient susceptibles d'affecter le montant de l'intervention financière du fabricant) faisaient partie d'une enveloppe globale discutée par les parties. Le risque de baisse des prix de revente paraissait donc être, en l'espèce, limité et contrôlé.

La cour d'appel de Bruxelles avait considéré que, dans la mesure où le distributeur avait la certitude de récupérer l'équivalent de sa marge brute auprès de son fournisseur, le 'bénéfice' qu'il retirait de la vente des produits s'apparentait plus à une commission qu'à un véritable profit obtenu en faisant la différence entre le prix de vente et le prix d'achat. La cour d'appel en avait alors conclu que le distributeur ne supportait pas tous les risques de son activité et ne pouvait donc être considéré comme agissant 'pour son propre compte' de telle sorte que la loi de 1961 ne s'appliquait pas.

Nous avions critiqué cet arrêt [4] notamment parce que, s'il ne supportait pas seul tous les risques liés à la distribution des produits, le distributeur en supportait plusieurs. Nous avions également souligné que le fait que le distributeur ne supporte pas tous les risques liés à la distribution des produits n'affecte pas la réalité de ce qu'il achète et revend bien ceux-ci en son nom et pour son propre compte, cette notion devant être appréhendée sous un angle purement juridique. L'analyse faite par la cour d'appel nous paraissait en outre difficilement compatible avec le caractère impératif de la loi, par ailleurs généralement considérée comme protectrice des intérêts du concessionnaire.

Ces critiques se situaient dans la lignée des critiques antérieurement émises à l'encontre du recours à la notion de risques économiques que devrait supporter le distributeur pour que sa relation avec le fabricant puisse être qualifiée de concession exclusive de vente [5].

Dans son arrêt du 30 avril 2010 [6], la Cour de cassation a, à juste titre selon nous, cassé l'arrêt rendu par la cour d'appel. Elle a très clairement considéré que la condition selon laquelle le concessionnaire doit, au sens de la loi du 27 juillet 1961, vendre les produits en son nom et pour son propre compte était remplie si le distributeur supportait certains risques liés à la distribution des produits. Tel est le cas du distributeur qui achète pour revendre, finance l'achat de son stock et supporte le risque d'insolvabilité de ses clients (même si celui-ci est pratiquement nul s'agissant de la grande distribution).

Ces éléments suffisent à qualifier le contrat de concession au sens de la loi de 1961 et il n'est donc pas nécessaire que le concessionnaire supporte tous les risques de son activité.

Peu importe que la marge bénéficiaire du concessionnaire ne soit pas égale à la différence entre le prix d'achat et le prix de revente mais soit, de l'accord des parties, forfaitaire. Ceci nous semble logique dans la mesure où la loi ne contient aucune exigence au sujet du mode de rémunération du concessionnaire.

Nous approuvons donc cet arrêt de la Cour de cassation tant sur le plan des principes juridiques que sur celui de l'équité qui doit guider les juges dans l'application de la loi du 27 juillet 1961.

[1] Avocats au barreau de Bruxelles, B&KPartners.
[2] Art. 2.
[3] Bruxelles 21 mars 2008, JLMB 2008, p. 1616 et note de P. Kileste et C. Staudt, “Application de la loi du 27 juillet 1961 à un contrat de distribution exclusive dans lequel le distributeur ne supporte pas tous les risques liés à la distribution des produits”, p. 1621, RDC, 2008/8, p. 738 et note A. De Schoutheete et A. Meulder, p. 740.
[4] P. Kileste et C. Staudt, “Application de la loi du 27 juillet 1961 à un contrat de distribution exclusive dans lequel le distributeur ne supporte pas tous les risques liés à la distribution des produits”, JLMB 2008, p. 1621.
[5] P. Kileste et P. Hollander, “Examen de jurisprudence. La loi du 27 juillet 1961 sur la résiliation unilatérale des concessions de vente exclusive à durée indéterminée (1992 à 1997)”, RDC 1998, n° 17.
[6] Egalement publié in DAOR, 2010/96, p. 426 et note D. Mertens, “Een kwestie van kwalificatie. Een gewaarborgde winstmarge en een beperkt economisch risico beletten de toepassing van alleenverkoopwet niet”, p. 430.