Article

Cour constitutionnelle, 27/05/2010, R.D.C.-T.B.H., 2011/8, p. 774-777

Cour constitutionnelle 27 mai 2010

BAIL COMMERCIAL
Cession et sous-location - Solidarité du preneur cédant - Faillite du preneur cessionnaire - Excusabilité du preneur cessionnaire - Décharge du preneur cédant (non)
L'article 11, III de la loi du 30 avril 1951 sur les baux commerciaux prévoit qu'en cas de cession de bail, le preneur originaire demeure solidairement tenu de toutes les obligations qui dérivent du bail initial. L'objectif de cette solidarité est de fournir au bailleur une compensation du droit du preneur commercial de céder son bail.
En vertu de l'article 82, 1er alinéa de la loi du 8 août 1997 sur les faillites, les créanciers d'un failli déclaré excusable ne peuvent plus le poursuivre.
La combinaison des deux articles précités peut aboutir à ce qu'un preneur cédant soit tenu des dettes découlant du bail alors même que le preneur cessionnaire, tombé en faillite et déclaré excusable, en est déchargé.
Cette circonstance n'ôte toutefois pas sa justification à l'article 11, III de la loi du 30 avril 1951 sur les baux commerciaux. Dès lors, cet article ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution.
HANDELSHUUR
Overdracht en onderhuur - Hoofdelijkheid van de overdragende huurder - Faillissement van de overnemende huurder - Verschoonbaarheid van de overnemende huurder - Vrijstelling van de overdragende huurder (niet)
Artikel 11, III van de handelshuurwet van 30 april 1951 voorziet dat in het geval van overdracht van huur, de oorspronkelijke huurder hoofdelijk gehouden blijft tot alle uit de aanvankelijke huur voortvloeiende verplichtingen. Het doel van deze hoofdelijkheid is het voorzien in een compensatie aan de verhuurder voor het recht van de handelshuurder om zijn huur over te dragen.
Op grond van artikel 82, 1ste alinea van de faillissementswet van 8 augustus 1997, kunnen de schuldeisers van een gefailleerde die verschoonbaar is verklaard, hem niet meer vervolgen.
De combinatie van de twee voornoemde artikelen kan ertoe leiden dat de overdragende huurder gehouden is tot de schulden die voortvloeien uit de huur, terwijl de overnemende huurder zelf, die failliet is gegaan en verschoonbaar is verklaard, hiervan vrijgesteld is.
Deze omstandigheid ontneemt echter niet de rechtvaardiging van artikel 11, III van de handelshuurwet van 30 april 1951. Bijgevolg schendt dit artikel de artikelen 10 en 11 van de Grondwet niet.

SA InBev Belgium / J.E. e.a.

Siég.: M. Melchior et M. Bossuyt (présidents), E. De Groot, A. Alen, J.-P. Snappe, J. Spreutels et T. Merckx-Van Goey (juges)
Pl.: Mes P. Tassin et P. Cuvelier et F. Belleflamme loco J. Bourtembourg

En cause: la question préjudicielle relative à l'article 11, III de la section IIbis (“Des règles particulières aux baux commerciaux”) du livre III, titre VIII, chapitre II du Code civil, posée par le juge de paix du 1er canton de Charleroi.

La Cour constitutionnelle,

composée des présidents M. Melchior et M. Bossuyt, et des juges E. De Groot, A. Alen, J.-P. Snappe, J. Spreutels et T. Merckx-Van Goey, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président M. Melchior,

après avoir délibéré, rend l'arrêt suivant:

I. Objet de la question préjudicielle et procédure

Par jugement du 28 mai 2009 en cause de la SA 'InBev Belgium' contre J.E. et autres, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 4 juin 2009, le juge de paix du 1er canton de Charleroi a posé la question préjudicielle suivante:

“L'article 11, III de la loi sur les baux commerciaux ne viole-t-il pas les articles 10 et 11 de la Constitution en ce que le cédant d'un bail commercial peut être tenu de la totalité des obligations découlant de la convention de location alors que le cessionnaire qui n'a pas rempli ses obligations, ne serait tenu à rien lorsque, étant failli, il est déclaré excusable par le tribunal de commerce?”

Des mémoires ont été introduits par:

- la SA 'InBev Belgium', dont le siège social est établi à 1070 Bruxelles, boulevard Industriel 21;

- Nunzia Tomaselli, demeurant à 6000 Charleroi, rue de la Garenne 1/00/RC;

- le Conseil des ministres.

A l'audience publique du 21 avril 2010:

- ont comparu:

° Me P. Tassin, avocat au barreau de Charleroi, pour la SA 'InBev Belgium';

° Me P. Cuvelier, avocat au barreau de Charleroi, pour Nunzia Tomaselli;

° Me F. Belleflamme loco Me J. Bourtembourg, avocats au barreau de Bruxelles, pour le Conseil des ministres;

- les juges-rapporteurs J. Spreutels et E. De Groot ont fait rapport;

- les avocats précités ont été entendus;

- l'affaire a été mise en délibéré.

Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l'emploi des langues ont été appliquées.

II. Les faits et la procédure antérieure

Le 22 février 1993, la SA 'Interbrew Belgium' procède au second renouvellement du bail commercial conclu le 22 février 1973 avec Nunzia Tomaselli. Le 10 décembre 1993, cette dernière cède ce bail avec l'accord exprès d''Interbrew Belgium'.

Le 18 novembre 2002, le tribunal de commerce de Charleroi déclare le cessionnaire du bail en faillite. Par jugement du 16 juin 2004, il clôt cette faillite pour insuffisance d'actif et déclare la cessionnaire excusable, de sorte qu'en vertu de l'article 82, 1er alinéa de la loi du 8 août 1997 sur les faillites, elle ne peut plus être poursuivie par ses créanciers.

Par citation du 3 juin 2002, 'Interbrew Belgium' avait demandé au juge de paix du 1er canton de Charleroi de condamner la cessionnaire du bail et Nunzia Tomaselli à lui payer plusieurs sommes d'argent dues en raison de la mauvaise exécution du bail par la première. Constatant que, compte tenu de l'excusabilité de la cessionnaire, la SA 'InBev Belgium' - qui a entre-temps succédé aux droits d''Interbrew Belgium' - ne demande plus que la condamnation de Nunzia Tomaselli, le juge a quo pose à la Cour la question préjudicielle reproduite plus haut, suggérée par la cédante du bail.

III. En droit
- A -

A.1. Nunzia Tomaselli soutient que la question préjudicielle appelle une réponse positive.

Elle affirme que la différence de traitement visée par cette question ne peut être justifiée par le souci de protéger le bailleur contre d'intempestives cessions du bail commercial qui ne viseraient que la maximalisation du profit et ne tiendraient pas compte de l'aptitude du cessionnaire à remplir ses obligations locatives. Elle estime que ce souci est déjà rencontré par le droit d'opposition du bailleur reconnu par l'article 10, 3ème alinéa de la section IIbis du livre III, titre VIII, chapitre II du Code civil, inséré par l'article 1er de la loi du 30 avril 1951 “sur les baux commerciaux, en vue de la protection du fonds de commerce”.

A.2. La SA 'InBev Belgium' soutient que la question préjudicielle appelle une réponse négative.

Elle commence par relever que la cession d'un bail commercial est, en principe, libre et que le bailleur ne peut s'opposer à l'exercice du droit de cession reconnu au preneur par l'article 10, 1er alinéa de la section IIbis du livre III, titre VIII, chapitre II du Code civil que pour de justes motifs. Elle en déduit qu'en pratique, le bailleur ne peut s'opposer à la cession du bail commercial concomitante à la cession par le preneur de son fonds de commerce.

La SA 'InBev Belgium' estime que l'article 11, III de la section IIbis du livre III, titre VIII, chapitre II du Code civil, inséré par l'article 1er de la loi du 30 avril 1951, a pour but d'éviter qu'une telle cession du bail ne soit motivée que par l'attrait du prix de la cession du fonds de commerce et ne tienne pas compte de l'aptitude du cessionnaire à respecter les obligations du bail. La partie demanderesse devant le juge a quo considère que la disposition en cause est le fruit d'un équilibre entre le droit de cession du bail reconnu au preneur et les intérêts du bailleur.

La SA 'InBev Belgium' justifie l'effet de la disposition en cause pour le preneur originaire d'un bail commercial qui l'a cédé à une personne ultérieurement déclarée en faillite mais déclarée excusable par la circonstance que la cession d'un bail commercial n'est pas un acte à titre gratuit. Après avoir cité les motifs de l'arrêt n° 114/2004, elle relève que le preneur d'un bail commercial retire un avantage économique direct de la cession de celui-ci, même lorsqu'elle ne s'accompagne pas de la cession du fonds de commerce, parce qu'il peut, dans ce dernier cas de figure, obtenir un pas de porte ou plus simplement se libérer des obligations liées audit bail.

A.3. Selon le Conseil des ministres, le grief formulé par Nunzia Tomaselli provient de l'application simultanée de la disposition en cause, de l'article 80, 2ème et 3ème alinéas de la loi du 8 août 1997 sur les faillites et de l'article 82 de la même loi. Le Conseil des ministres demande, dès lors, que la question préjudicielle soit reformulée, de manière à ce que la disposition en cause devienne l'article 11, III de la section IIbis du livre III, titre VIII, chapitre II du Code civil, lu en combinaison avec les articles 80, 3ème alinéa et 82 de la loi du 8 août 1997. Il soutient qu'ainsi reformulée, la question appelle une réponse négative.

Le Conseil des ministres déduit ensuite de l'objectif poursuivi par une déclaration d'excusabilité d'un failli que la situation d'un failli qui a été déclaré excusable n'est pas suffisamment comparable à celle d'un commerçant qui n'a pas été déclaré en faillite et qui est solidairement tenu de l'obligation dont était tenu ledit failli avant d'être déclaré excusable.

Le Conseil des ministres soutient aussi que, par l'arrêt n° 91/2005, la Cour a déjà reconnu la constitutionnalité de la différence de traitement précitée.

Il expose, enfin, que cette différence de traitement est objectivement et raisonnablement justifiée. Evoquant les arrêts nos 69/2002, 113/2002 et 114/2004, le Conseil des ministres commence par souligner que l'article 82 de la loi du 8 août 1997 a pour but essentiel de créer un juste équilibre entre les intérêts du débiteur et ceux du créancier. Citant un extrait des travaux préparatoires de la loi du 30 avril 1951, il estime, en outre, que la disposition en cause a, quant à elle, pour but de contrebalancer la grande liberté économique du preneur de céder son fonds de commerce à un tiers. Il observe que, par dérogation à l'article 1717 du Code civil, l'article 10, 1er alinéa de la section IIbis du livre III, titre VIII, chapitre II du Code civil offre au preneur le droit de céder son bail à un tiers et d'en retirer un avantage économique. Il note que, en contrepartie de ce droit, le bailleur tire de l'article 10, 3ème alinéa de la section IIbis précitée le droit de s'opposer à cette cession et trouve, dans la disposition en cause, une garantie de solidarité pesant sur le preneur principal. Le Conseil des ministres soutient que cette mesure est d'autant plus raisonnable que, d'une part, le bailleur et le preneur peuvent convenir que le premier renonce au bénéfice de cette solidarité et que, d'autre part, le bailleur peut être privé de ce bénéfice en cas d'abus de droit. Le Conseil des ministres fait, sur ce dernier point, référence à un arrêt de la Cour de cassation du 18 février 1988.

- B -

B.1. L'article 10 de la section IIbis (“Des règles particulières aux baux commerciaux”) du livre III, titre VIII, chapitre II du Code civil, inséré par l'article 1er de la loi du 30 avril 1951 “sur les baux commerciaux, en vue de la protection du fonds de commerce” et modifié par l'article 48, § 4 de la loi du 5 juillet 1963 réglant le statut des huissiers de justice, dispose:

“L'interdiction de céder le bail [...] ne peut faire obstacle à la cession [...] faite ensemble avec la cession [...] du fonds de commerce et portant sur l'intégralité des droits du locataire principal.

Toutefois, lorsque le bailleur ou sa famille habite une partie de l'immeuble, l'interdiction de céder le bail [...] reste valable.

Le preneur qui veut user du droit qui lui est reconnu à l'alinéa 1er [...] de céder son bail, doit signifier au bailleur le projet d'acte de cession [...] et ce par lettre recommandée à la poste ou par exploit d'huissier de justice. Le bailleur qui croit avoir de justes motifs de s'opposer à la cession [...] est tenu de notifier, par les mêmes voies, son opposition motivée, dans les trente jours de la signification, à défaut de quoi il est réputé y donner son agrément.

L'opposition est notamment justifiée si le preneur n'a exercé le commerce dans les lieux loués que depuis moins de deux ans ou si le bail lui a été renouvelé depuis moins de deux ans, sauf le cas de décès du preneur ou autres circonstances exceptionnelles à apprécier par le juge.

Le preneur peut, à peine de forclusion, se pourvoir dans les quinze jours de l'opposition.”

Inséré par l'article 1er de la loi du 30 avril 1951, l'article 11 de la section IIbis du livre III, titre VIII, chapitre II du Code civil règle entre autres les effets de la cession d'un bail commercial autorisée par l'article 10 précité. Tel qu'il a été remplacé par l'article 1er, 3° de la loi du 29 juin 1955 “modifiant la loi du 30 avril 1951 sur les baux commerciaux en vue de la protection du fonds de commerce”, cet article 11 dispose:

“I. En cas de cession portant sur l'intégralité des droits du locataire principal, le cessionnaire devient le locataire direct du bailleur.

[...]

III. Le preneur originaire demeure solidairement tenu de toutes les obligations qui dérivent du bail initial.”

B.2. La Cour est invitée à statuer sur la compatibilité de l'article 11, III de la section IIbis du livre III, titre VIII, chapitre II du Code civil avec les articles 10 et 11 de la Constitution en ce que cette disposition introduirait une différence de traitement entre, d'une part, le cédant d'un bail commercial et, d'autre part, le cessionnaire de ce même bail qui est déclaré excusable à la suite de sa faillite.

Seul le premier pourrait être tenu par les obligations dérivant de ce bail.

B.3. La solidarité prévue par la disposition en cause signifie que le cédant du bail commercial est, comme le cessionnaire, tenu des obligations découlant de ce bail et que, comme le cessionnaire, il peut être invité par le créancier à exécuter celles-ci (art. 1200 et 1203 C.civ.).

La disposition en cause reproduit l'article 11, III de la section IIbis du livre III, titre VIII, chapitre II du Code civil, tel qu'il avait été inséré par l'article 1er de la loi du 30 avril 1951.

Lors des travaux préparatoires de cette loi, cette solidarité a été présentée comme une compensation de la reconnaissance, par l'article 10 de la même section, du droit du preneur d'un bail commercial à la cession de celui-ci:

“[...] la substitution au preneur originaire d'un nouveau locataire imposé au bailleur, justifie le maintien de la responsabilité solidaire du cédant. Le bailleur a en effet traité avec le preneur qui avait sa confiance. S'il peut être contraint à en supporter un autre, il est juste qu'en retour le cédant le garantisse contre les effets des manquements de son successeur aux obligations dérivant du bail cédé” (Doc.parl. Chambre 1947-48, n° 20, p. 26).

B.4. L'article 82, 1er alinéa de la loi du 8 août 1997 sur les faillites, tel qu'il était libellé avant son remplacement par l'article 9 de la loi du 20 juillet 2005 “modifiant la loi du 8 août 1997 sur les faillites, et portant des dispositions fiscales diverses” disposait:

“L'excusabilité éteint les dettes du failli et décharge les personnes physiques qui, à titre gratuit, se sont rendues caution de ses obligations.”

B.5. La différence de traitement visée par la question préjudicielle découle de la combinaison de cette disposition avec la disposition en cause.

La circonstance que le bailleur ne peut plus exercer de recours contre le cessionnaire du bail en raison de son excusabilité n'ôte pas à la disposition en cause sa justification.

B.6. La question préjudicielle appelle une réponse négative.

Par ces motifs,

LA COUR

dit pour droit:

L'article 11, III de la section IIbis (“Des règles particulières aux baux commerciaux”) du livre III, titre VIII, chapitre II du Code civil ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution.

(…)