Cour d'appel de Bruxelles 5 mai 2011
DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ
Code DIP - Biens - Droit applicable - Droit applicable à la propriété intellectuelle - Convention de Berne - Règlement Bruxelles II
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Google Inc. / Copiepresse SC e.a.
Aff.: n° 2007/AR/173 |
Dans un arrêt du 5 mai 2011, la cour d'appel de Bruxelles a tranché un litige opposant Google Inc. (appelante) aux trois sociétés belges de gestion collective des droits intellectuels (i) des éditeurs de la presse francophone et germanophone (Copiepresse), (ii) des journalistes (Société de droit d'auteur des journalistes) et (iii) des auteurs scolaires, scientifiques et universitaires (Assucopie), au sujet, d'une part, de la reproduction des articles de presse et des articles scientifiques, disponibles par ailleurs sur les sites belges, par les services 'Google News' et, d'autre part, de l'enregistrement d'une copie de ces articles dans la mémoire dite 'cache' du moteur de recherche Google. Par cet arrêt la cour de Bruxelles confirme, en substance, le jugement du président du tribunal de première instance de Bruxelles du 13 février 2007 constatant que les activités de 'Google News' et l'utilisation de la fonction 'cache' de Google violent la loi belge relative au droit d'auteur et condamnant Google à retirer les articles en cause de ses sites.
Compte tenu de l'objet de la présente colonne, nous allons nous concentrer uniquement sur un aspect de cet arrêt, à savoir l'analyse des règles des conflits de lois effectuée par la cour de Bruxelles et le raisonnement qu'elle a suivi pour conclure à l'applicabilité du droit belge à l'infraction alléguée. En effet, le litige concernant une infraction aux droits d'auteur des titulaires belges commise par une société américaine dans le contexte de l'Internet, la cour de Bruxelles était confrontée à la question de savoir quelle loi devait être identifiée en tant que lex loci delicti - la loi du délit - selon la règle de conflit traditionnellement appliquée dans le domaine délictuel. C'était, pour la cour de Bruxelles, un exercice ardu, étant donné que l'ubiquité de l'Internet met à mal l'application de cette règle de conflit, dans la mesure où celle-ci peut être interprétée comme indiquant tant la loi du lieu où le dommage est subi, que la loi du pays où se sont produits les agissements délictueux.
Pour comprendre l'enjeu de l'exercice, il convient d'observer, que l'application du copyright américain et de l'exception de 'fair use' qu'il instaure, pourrait donner le gain de cause à Google. C'est pourquoi, Google a soutenu dans son appel que le fonctionnement de ses services, et une éventuelle infraction aux droits d'auteur auquel il donnerait lieu, devaient être appréciés à la lumière de la loi américaine. à cet égard, Google a invoqué notamment l'arrêt du 30 janvier 2007 de la Cour de cassation française (en cause Lamore, n° 03-12354), relatif à la diffusion en France d'un roman et d'un film qui constituaient un plagiat d'un roman écrit par un auteur américain. Dans cet arrêt, la juridiction suprême française s'est fondée sur l'article 5, paragraphe 2, de la Convention de Berne pour la protection des oeuvres littéraires et artistiques du 9 septembre 1886, selon lequel l'étendue de la protection ainsi que les moyens de recours garantis à l'auteur pour sauvegarder ses droits se règlent exclusivement d'après la législation du pays où la protection est réclamée. La Cour de cassation a interprété cette disposition en tant qu'une règle de conflit de lois traditionnelle lex loci delicti et a considéré que la loi du pays où la protection est réclamée (la loi du lieu de délit) n'est pas celle du pays où le dommage est subi mais celle de l'Etat sur le territoire duquel se sont produits les agissements délictueux. En s'appuyant sur cette jurisprudence, Google faisait valoir que la loi applicable à l'infraction alléguée en cause devait être celle du pays où les agissement délictueux - en l'espèce, l'insertion sur les serveurs de Google localisés aux Etats-Unis des articles et documents publiés sur les sites belges des éditeurs de journaux - se sont produits, c'est-à-dire, la loi américaine.
La cour de Bruxelles répond aux arguments de l'appelante à deux temps, en se focalisant d'abord sur la Convention de Berne et, ensuite, sur le règlement (CE) n° 864/2007 du Parlement européen et du Conseil du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles ('Rome II').
La cour de Bruxelles rejette l'approche proposée par l'appelante et constate d'emblée que, à supposer que la localisation physique de l'insertion des pages éditées par les membres de sociétés de gestion collective belges dans le moteur de recherche Google soit pertinente pour déterminer la loi applicable, Google n'a déposé aucune pièce tendant à démontrer que cette insertion a effectivement eu lieu aux Etats-Unis et que donc elle est susceptible d'intervenir dans différents pays du monde. La vraie raison du rejet de l'approche de l'appelante ne tient cependant pas à l'insuffisance des preuves produites par Google, mais au fait que, comme le souligne la cour de Bruxelles, “privilégier la loi de l'injection peut conduire à décerner un brevet d'impunité au contrefacteur puisqu'il lui suffirait de localiser ses serveurs dans des pays à faible protection en matière de droits d'auteur, ce qui est manifestement contraire au but recherché par la Convention de Berne”. S'agissant de l'argument tiré de l'arrêt Lamore, la cour de Bruxelles l'écarte comme dépourvu de pertinence, en observant que celui-ci concernait un auteur américain qui réclamait en France la protection d'une oeuvre conçue et publiée aux Etats-Unis. En revanche, le litige en cause implique les titulaires de droits belges qui réclament la protection de leurs oeuvres initialement publiées en Belgique contre leur diffusion illégale en Belgique. Pour cette raison, la disposition de la Convention de Berne qui doit régir la question de la loi applicable en l'espèce n'est pas l'article 5, paragraphe 2, qui selon la cour de Bruxelles, régit la protection des droits garantis aux auteurs en dehors du pays d'origine, mais l'article 5, paragraphe 3, applicable à la protection des droits garantis dans le pays d'origine. Or, ce dernier dispose que la “protection dans le pays d'origine est réglée par la législation nationale” de l'auteur, en l'espèce, la loi belge.
Pour étayer son raisonnement, la cour de Bruxelles se réfère à la jurisprudence des juridictions françaises, notamment, à l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 26 janvier 2011, en cause de S.A.I.F. n° 08/13423, et à la doctrine (une note de J.-C. Ginsburg sous TGI Paris du 20 mai 2008) qui, tout en plaçant la question de la loi applicable à une contrefaçon de droit d'auteur dans le contexte de l'Internet dans le cadre de l'article 5, paragraphe 2 de la Convention de Berne, s'éloignent de la solution retenue dans l'arrêt Lamore et proposent d'interpréter cette disposition en ce sens qu'elle doit donner lieu à l'application de la loi du 'pays de réception' par le consommateur local d'une copie ou d'une représentation d'une oeuvre contrefaite. Il est important de noter que l'analyse proposée par la cour d'appel de Paris et par la Prof. Ginsburg, auquel la cour de Bruxelles se réfère, est fondée sur l'approche mettant en valeur la recherche de la loi qui présente des liens étroits avec le litige et privilégiant le critère de la destination du site vers un public le plus susceptible d'être concerné par le contenu des pages faisant l'objet de la contrefaçon alléguée. C'est, en effet, cette approche qui soutient le raisonnement que la cour de Bruxelles expose dans un second temps, en examinant les dispositions du Règlement Rome II.
La cour de Bruxelles observe, tout d'abord, que “à supposer que la Convention de Berne ne contiendrait pas de références suffisamment claires pour résoudre le conflit de lois dans le cadre d'une situation complexe où le lieu de la faute et du dommage seraient situés dans deux pays différents, il s'imposerait à la cour d'appliquer sa loi nationale”. A cet égard, elle invoque l'article 4, paragraphe 1 et 3 du Règlement Rome II, et écarte l'article 8 de ce règlement, ainsi que l'article 93 du Code de droit international privé, relatifs, tous les deux à la loi applicable à l'atteinte aux droits de propriété intellectuelle, au motif qu'ils reprennent en substance les termes de l'article 5, paragraphe 2 de la Convention de Berne. Ensuite, la cour de Bruxelles observe que le paragraphe 1 de l'article 4 du Règlement Rome II impose l'application, à une obligation non contractuelle résultant d'un fait dommageable, de la loi du pays où le dommage survient mais, sans analyser la question de savoir où le dommage survient en l'espèce, elle constate que le délit en cause est formé par un ensemble de faits complexes situés dans des pays différents (les Etats-Unis pour l'injection et la Belgique pour la diffusion) et qu'il y a, dès lors, lieu de se référer à la loi du pays avec lequel le fait dommageable présente des liens manifestement plus étroits, conformément à l'article 4, paragraphe 3 du Règlement Rome II. Ce pays, selon la Cour, est la Belgique, pays vers lequel les oeuvres protégées sont diffusées sur le site Google.be. Enfin, la cour de Bruxelles écarte l'argument traditionnellement opposé à la théorie 'de réception', à savoir le fait qu'elle mène potentiellement à l'application de la loi de chaque pays où un site peut être consulté, en observant que même si une page diffusée sur un site ayant un nom de domaine se terminant par '.be' peut être lue dans le monde entier, elle n'est susceptible que d'intéresser des belges résidant à l'étranger ou des étrangers souhaitant être informés de ce qui se passe en Belgique. Or, leur nombre est dérisoire par rapport à tous les internautes résidant en Belgique qui sont les destinataires principaux de sites ayant le nom de domaine '.be'.