Article

Cour d'appel Liège, 17/01/2011, R.D.C.-T.B.H., 2011/5

Cour d'appel de Liège 17 janvier 2011

SA Abfin / SPRL Ets Rod Heinen, SA Intellectual Trade CY, SA Electrabel et SA Suez Tractebel

SA Electrabel et SA Suez Tractebel / SPRL Ets Rod Heinen, Intellectual Trade Company SA, Metal Construction Malmedy SA et SA Abfin

SA Abfin / SPRL Ets Rod Heinen, Intellectual Trade Company SA, Metal Construction Malmedy SA, SA Electrabel et SA Suez Tractebel

SA Electrabel et SA Suez Tractebel / SA Intellectual Trade CY, Metal Construction Malmedy SA, SPRL Ets Rod Heinen et SA Abfin

Sièg.: R. de Franquen et M. Ligot (présidents), A. Manka (conseiller)
Pl.: L. Van Bunnen, B. Dauwe, L. De Gryse, A. Vranckx, B. Van Caillie

Vu les feuilles d'audiences des 04/09/2003, 06/04/2006, 15/11/2010, 18/11/2010, 17/12/2010, 07/01/2011 et de ce jour.

Après en avoir délibéré

La procédure qui oppose les parties depuis la citation signifiée les 13 et 17 octobre 1978 à la requête de la SPRL 'Etablissements Rod Heinen, Constructions métalliques' et de la SA de droit luxembourgeois Intellectual Trade Cy a donné lieu à plusieurs jugements du tribunal de première instance de Huy et à plusieurs appels, ces derniers étant répertoriés, après réinscription, sous les numéros 2003/835, 2004/1482, 2004/1483 et 2006/175.

De l'accord unanime des parties, les différents dossiers sont connexes et doivent être joints. Dans le cadre de la mise en état des causes, les parties ont déposé des conclusions couvrant l'ensemble des appels et leurs conseils respectifs ont été entendus aux audiences des 15 et 18 novembre 2010.

Inventaire des différents appels

1.- Le 18 juillet 1994, la SA Electrabel, anciennement dénommée Intercom, et la SA Tractebel, cette dernière venant aux droits et obligations de la SA Electrabel, l'ingénieur conseil d'Intercom, dont elle a repris l'instance (conclusions du 26.10.1992 - pièce 57 dossier d'instance) interjettent appel du jugement rendu le 28 mars 1994 par le tribunal de première instance de Huy, ce jugement leur ayant été signifié le 20 juin 1994 (voir leurs conclusions, p. 14).

2.- Le 19 juillet 1994, la SA Abfin qui vient aux droits et obligations de la SA Abay, précédemment ETS (Electricité et Travaux Spéciaux), frappe d'appel le même jugement.

3.- La SA Abfin dépose le 2 juin 2003 une requête d'appel visant le jugement du tribunal de première instance de Huy du 6 mai 1981.

4.- Par conclusions du 6 décembre 2004 (page 6, pt 12 ), la SA Electrabel et la SA Suez-Tractebel, cette dernière étant la continuation de la SA Tractebel, interjettent également appel du même jugement du 6 mai l981.

5.- Les mêmes sociétés Electrabel et Suez-Tractebel forment le 6 février 2006 un appel qui vise le jugement du tribunal de première instance de Huy du 23 novembre 1992 mais elles y renoncent par conclusions du 22 juillet 2008, confirmées les 15 mai 2009 et 18 novembre 2010 (conclusions, pp. 16, 43 et 52). Les autres parties constatent ce désistement sans s'y opposer (conclusions intimées, p. 4).

6.- Un appel incident est contenu dans les conclusions déposées le 14 mars 2003 par la société anonyme de droit luxembourgeois Intellectual Trade Cy, par la SA Metal Construction Malmedy, en abrégé MCM, et par la SA Ets R. Heinen, anciennement SPRL Etablissements Rod Heinen Constructions Métalliques. Cet appel incident se retrouve dans les conclusions déposées pour ces parties ou les deux premières les 17 décembre 2003, 22 avril 2005, 23 février 2007, 16 juin 2009 et 18 novembre 2010.

A noter que MCM, anciennement SA Engineering, avait repris l'instance de la SA Ets R. Heinen et fait acte d'intervention volontaire le 18 octobre 1991 (pièce 48, dossier d'instance) et que ces parties intimées ont introduit une demande incidente du chef d'appel téméraire et vexatoire.

Recevabilité des appels
A.- Appel de la SA Ets R. Heinen

Il est acquis que la SA Ets R. Heinen qui, le 1er janvier 1981 (voir acte du 30.12.1980, annexe MB 21.2.1981 - pièce I, 7, dossier Me De Gryse), a succédé à la SPRL Etablissements Rod Heinen Constructions Métalliques à la suite d'une transformation de forme juridique avec modification de la dénomination et de l'objet social, a été dissoute le 7 décembre 1989 (pièce I, 8) et que sa mise en liquidation a été clôturée le 8 mai 1990, la société cessant d'exister (pièce I, 13). Des la clôture de la liquidation d'une société commerciale, toute action intentée par la société disparue est irrecevable (Fettweis, Manuel de procédure civile, 1987, p. 52, n° 43 b).

La SA Ets R. Heinen avait cessé d'exister au moment où, par conclusions du 14 mars 2003, elle a introduit un appel incident, de concert avec la SA Intellectual Trade Cy et la SA MCM.

L'appel est dans son chef irrecevable, ce qui est admis dans les conclusions des intimées elles-mêmes (p. 27, pt. 40), la SA Ets R. Heinen n'étant plus à la cause à défaut de personnalité juridique.

En ce que le jugement du 28 mars 1994 reprend encore en tant que partie demanderesse la SPRL, Etablissements Rod Heinen Constructions Métalliques, au profit de laquelle il prononce la condamnation provisionnelle, il y a lieu à émendation, par la suppression de ladite partie.

B.- Appels de la SA Abfin et des SA Electrabel et Suez-Tractebel

Le 6 mai 1981, le tribunal de première instance de Huy décide, d'une part, de joindre l'action principale (citation des 13 et 17.10.1978 de la SPRL Etablissements Rod Heinen Constructions Métalliques) et l'action en intervention et garantie (citation du 9 mai 1979 des SA Intercom et Electrobel contre la SA ETS), d'autre part, déclare notamment que, pour les faits antérieurs à la cession du brevet intervenue le 17 mars 1978 de Intellectual Trade Cy à la SPRL Etablissements Rod Heinen Constructions Métalliques, la SA de droit luxembourgeois Intellectual Trade Cy reste recevable à agir.

Tout en ordonnant me surséance à propos de la mise à la cause de la SA Reforme et Nizet, il désigne un collège de trois experts chargés de donner un avis sur la validité du brevet invoqué et sur l'existence éventuelle d'une contrefaçon ainsi que sur l'exception de possession personnelle invoquée par les appelantes actuelles.

Ce n'est que par requête du 2 juin 2003 que la SA Abfin interjette appel de ce jugement, principalement pour critiquer l'accueil de la demande de la SA Intellectual Trade Cy et que par conclusions du 6 décembre 2004 les SA Electrabel et Suez-Tractebel se joignent à la démarche, ce qui conduit les intimées à contester la recevabilité desdits appels en raison d'un acquiescement qu'elles qualifient de tacite à défaut de pouvoir apporter la preuve d'une volonté expresse de s'incliner devant la décision.

Lorsqu'un appel limité est formé contre un jugement, l'appelant peut former un appel subséquent par conclusions contre les autres décisions contre lesquelles il n'avait pas interjeté appel, à condition que le délai d'appel ne soit pas expiré et dans la mesure où il n'a pas acquiescé à ces décisions (Cass. 2.3.2006, C.2004.00567.N).

Le jugement du 6 mai 1981 n'ayant pas fait l'objet d'une signification, les parties pouvaient en relever appel à moins que l'on ne démontre l'existence d'un acquiescement.

L'acquiescement à une décision est un acte par lequel une partie renonce à la faculté d'exercer une voie de recours contre une décision judiciaire (article 1044 CJ; Cass. 8.11.2004, Larcier Cass 2005, p. 3). Il peut être tacite et n'est soumis à aucune forme particulière mais ne peut se déduire que de faits précis et concordants révélant l'intention certaine et non équivoque de la partie de donner son adhésion au jugement (article 1045, alinéa 3, CJ; Cass. 26.1.1984, Pas. 1984, I: 578 ; Liège 18.5.2004, JLMB 2004, p. 1503 ), l'interprétation des faits fondant l'acquiescement s'opérant avec la plus grande prudence (Closset-Marchal et alii, “Examen de jurisprudence, droit judiciaire privé, les voies de recours”, RCJB 2006, p. 111, n° 36).

En effet, toute renonciation à un droit ne se présume pas et est de stricte interprétation. Elle ne peut se déduire que de faits non susceptibles d'une autre interprétation (Cass. 20.4.1989, Pas. 1989, I: 861; Cass. 19.9.1997, Pas. 1997, I, 362; Cass. 23.1.2006, S 2005.0088.N; F. Georges, “Développements récents relatifs aux voies de recours ordinaires”, CUP décembre 2010, vol. 122, p. 197, citant Cass. 18.9.2009, C.08.0333.F).

Pour démontrer l'existence d'un acquiescement tacite, les intimées font valoir (conclusions, pp. 10-11) le délai de 22 et 23 ans séparant la décision de l'acte par lequel celle-ci est entreprise (1), l'absence de recours à l'encontre d'une décision ayant autorité de chose jugée et rejetant l'exception d'irrecevabilité soulevée (2), l'absence de critique dans des conclusions ultérieures après expertise (3), la poursuite de la procédure dans le cadre de l'expertise (4), l'absence de remise en cause du jugement de 1981 lors de l'appel interjeté contre la décision du 28 mars 1994 (5-6), l'absence d'argument propre de Electrabel, et de Suez-Tractebel (7), ces dernières “estimant ne pas pouvoir se départir d'un appel introduit par leur appelé en garantie” mais se référant à justice (leurs conclusions, p. 14, pt. 10 et 52 a/).

Dès le prononcé du jugement du 6 mai 1981, les parties se sont focalisées sur l'expertise que cette décision ordonne.

Le 17 novembre 1981, le conseil des intimées a fait parvenir la copie du jugement aux experts désignés pour leur demander s'ils acceptaient leur mission (voir rapport préliminaire, p. 1), ce qui a provoqué des réticences de la part de Abfin (alors ETS) et de Reforme et Nizet qui, le 7 janvier 1982, ont déposé une requête en récusation à l'encontre des deux experts intervenus dans le cadre de la saisie-description (voir sous-farde 21, dossier d'instance) avant qu'un accord intervienne (voir conclusions d'accord du 12.5.1982, même sous-farde) confirmant la désignation du professeur Baus, remplaçant le professeur Minne par le professeur Vandevelde et monsieur Dotreppe par un spécialiste en brevets, P. Dellicour (jugement non entrepris du 26.5.1982), les parties acceptant expressément que le collège des experts soit assisté de monsieur Dotreppe pour assurer une fonction de secrétaire technique, sans voix délibérative (PV de la réunion d'expertise du 7.9.1982, annexes du rapport, 3ème farde, VIII-1; voir aussi lettre Me Han Kenne 28.4.1982, pièce I, 4b dossier intimées).

Les appelantes, une fois l'expertise mise en route, ont concentré leurs efforts sur la mesure d'instruction et ont perdu de vue que la décision ordonnant l'expertise comporte d'autres décisions leur causant grief. Ce n'est pas pour autant qu'un acquiescement puisse se déduire des circonstances invoquées par les intimées.

Tout comme 'le juge ne peut déduire un acquiescement à la décision ordonnant l'expertise de ce qu'une partie n'a formulé aucune réserve au cours de l'expertise mais y a collaboré et a demandé un collège d'experts (Cass. 10.6.1991, Pas. 1991, I, 878 ) ou une renonciation à une demande lorsque cette demande formée dans des conclusions principales n'a pas été reproduite dans le dispositif de conclusions ultérieures (voir Cass. 14.6.1995, Pas. 1995, I, 630; contra toutefois le nouvel article 748bis CJ), il ne peut avoir la conviction que la partie a certainement renoncé à critiquer une décision collatérale a celle qui ordonne l'expertise au motif que ladite partie a suivi activement l'expertise et critiqué les conclusions tirées de celle-ci sans, parallèlement émettre des réserves ou reproduire dans chaque acte de procédure qu'elle se réserve de revenir sur cette autre décision. Au surplus, l'appel étant une voie d'achèvement, une partie peut décider de développer à nouveau en appel des moyens qu'elle aurait négligés ou abandonnés en instance sans pour autant que son attitude soit abusive (voir F. Georges, o.c., p. 207 et références citées). Même si l'oubli du moyen soulevé en instance s'est prolongé pendant des années au cours desquelles les efforts de la partie se sont concentrés sur d'autres questions, la partie ne peut être privée du droit de l'invoquer à nouveau des lors qu'on ne peut croire à une renonciation certaine de sa part. Par ailleurs, en se référant à justice, ce qui doit s'analyser comme une contestation et non un acquiescement (Cass. 7.1.1983, Pas. 1983, I, 532; Mons 13.9.1988, Pas. 1989, II, 31; Mons 9.1.1991, Pas. 1991, II, 96 et JT 1992, p. 457; Liège 14ème ch. 30.4.2007, JLMB 2007, p. 1665), les appelantes Electrabel et Suez-Tractebel ne renoncent pas h l'appel mais s'abstiennent simplement de critiquer précisément la décision.

L'appel du jugement du 6 mai 1981 est donc recevable.

La loi applicable

L'action des intimées met en cause l'activité des appelantes à propos d'un brevet d'invention déposé en Belgique le 4 octobre 1977 avec priorité d'un brevet français au 1er février 1977.

Seule la loi du 24 mai 1854 est d'application puisqu'elle continue à s'appliquer aux brevets déposés avant le 1er janvier 1987 (Van Bunnen, “Examen de jurisprudence, brevets d'invention”, RCJB 1992, p. 145, n° 1; Braun et Van Reepinghen, “Chronique de jurisprudence, droits intellectuels”, JT 1992, p. 505, n° 2 ). Les parties en conviennent.

Validité du brevet

Selon l'article 1er de la loi du 24 mai 1854, une protection est accordée à toute découverte ou tout perfectionnement susceptible d'être exploité comme objet d'industrie ou de commerce (voir RPDB, t. Ier, V° Brevet d'invention, p. 743, n° 33).

“La découverte formule une loi, l'invention résout un problème” (P. Mathély, cité par Van Bunnen, “Examen de jurisprudence”, RCJB 2001, p. 220, n° 13). L'une, comme l'autre, procèdent d'une activité intellectuelle dont l'auteur mérite récompense pour le trait de génie et les recherches ayant permis le progrès technique apportant une solution nouvelle à un problème particulier.

“La Cour de cassation de Belgique pose en principe que pour qu'un procédé technique soit brevetable, il ne suffit pas qu'il constitue une application nouvelle d'un produit connu dont les effets sont eux-mêmes connus, mais il faut qu'il y ait eu découverte de quelque chose de neuf d'inconnu jusqu'alors qui soit dû au génie inventif de l'auteur” (Dassesse, “Examen de jurisprudence, Brevets d'invention”, RCJB 1972, p. 555, n° 1).

Nouveauté et originalité sont donc deux caractéristiques permettant à l'invention d'un procédé ou d'un résultat d'être protégée par un brevet, ce que rappelle judicieusement le premier juge (jugement 28.3.1994, p. 5 et référence à Braun et Van Reepinghen, JT 1987, p, 242).

Le brevet litigieux, déposé le 4 octobre 1977, décrit en 25 revendications un “procédé de réalisation d'une traversée résistant au feu (...)” pour “la traversée d'une paroi ou d'un plafond par des éléments tels que des câbles électriques, des conduits, des tuyaux, etc.” et permettant de lutter “contre la propagation du feu d'un espace ou local vers un espace ou local voisin” (pièce I, 1, dossier des intimées). Même si le brevet belge contient “dans la partie descriptive des indications non comprises dans le brevet français”, (3ème rapport d'expertise préliminaire du 24.2.1987, p. 3), éléments dont le collège d'experts ne tiendra pas compte “pour couper court à toute contestation” (même rapport, p. 8, pt. 3 et rapport final, p. 55), les 25 revendications des 2 brevets sont en tous points identiques (1er rapport préliminaire du 26.11.1984, p. 29; 3ème rapport du 24.2.1987, p. 3).

Le système coupe-feu décrit dans ce brevet a également été breveté dans d'autres pays, notamment aux Etats Unis “après un examen officiel considéré par tous les spécialistes en propriété industrielle, comme très sérieux et très sévère” (3ème rapport, p. 20 ) et en Allemagne où l'examen est effectué par un organisme “qui est un des plus sévères au monde” (4ème rapport, p. 19).

Le tribunal de commerce d'Anvers en a reconnu la validité dans une décision du 21 mars 1989, en relevant notamment (voir dossier Me Van Bunnen, dernière pièce de la sous-farde III doctrine et jurisprudence) que “en l'espèce, l'originalité de l'invention réside dans la combinaison des deux caractéristiques précitées: le matelas appliqué contre le panneau et la collerette appliquée contre le matelas. Cette technique ne fut pas évidente en comparaison de l'état de la technique au moment du dépôt du brevet. L'invention litigieuse a abouti à des avantages inconnus, notamment l'augmentation de l'isolation thermique et de la protection contre la chaleur dans la proximité immédiate des câbles ou tuyaux ...”. L'allusion de l'appelante Abfin à l'annulation d'un brevet Heinen par la Cour d'appel de Gand du 29 mai 1987 (2èmes conclusions de synthèse, p. 8) est donc sans pertinente puisqu'il s'agissait d'un brevet relatif à tout autre chose, soit une porte anti-feu (voir Van Bunnen, RCJB 1992, pp. 162-163).

Le collège d'experts a également donné un avis très clair à ce sujet. Dès le rapport préliminaire du 26 novembre 1984, il est affirmé que “la caractéristique originale faisant l'objet du brevet peut s'énoncer de façon générale comme suit: utilisation d'une collerette en matière ignifuge pour entourer un élément ou un groupe d'éléments (câbles, ...) posée en applique contre la paroi traversée par les éléments” (page 30). Le caractère inventif nouveau et original sera confirmé dans le 2ème rapport préliminaire (“il y a bien idée inventive et originalité dans le brevet belge n° 859.343”, p. 5 ), dans le 3ème rapport, pp. 16-17 ) “la combinaison des 2 facteurs (collerette et panneau sandwich) présent(ant) aussi un caractère original”. La conclusion du rapport final (p. 55) n'est pas moins claire: “l'objet du brevet belge Heinen doit être considéré comme nouveau, original et de caractère inventif suffisant”, cette appréciation écartant les objections tenant à l'existence d'antériorités dans des prospectus ou revues (1er rapport préliminaire, pp. 12 et 17) ou autres brevets (préliminaire, p. 31).

Le juge apprécie en fait la valeur probante des constatations faites par les experts et le fondement des griefs formulés contre celles-ci par une des parties (Cass. 7.5.2009, C.2008.027.F ). La cour, comme le premier juge et le tribunal anversois, se réfère aux conclusions des experts et reconnaît la validité du brevet. Les objections de l'appelante Abfin à propos de l'impartialité des experts ne sont pas reprises dans les dernières conclusions et avaient trait à la présence de monsieur Dotreppe comme secrétaire rémunéré du collège d'experts. Tout d'abord, il importe de retenir que le maintien de celui-ci avait été accepté comme tel et que, l'intéressé n'ayant pas voix délibérative, l'avis contenu dans le rapport est exclusivement celui des 3 experts dont la désignation a été entérinée dans le jugement du 26 mai 1982. Le rapport final, déposé au greffe du tribunal de première instance de Huy le 22 mars 1988, est accompagné d'un 4ème rapport préliminaire (24 pages) dans lequel les experts répondent aux dernières et volumineuses notes reçues des conseils des parties les 20 mai et 7 juillet 1987. La SA Abfin affirme (conclusions, p. 12) qu'il n'aurait pas été répondu à sa note du 24 février 1986 à propos d'équivalents entre les barrières coupe-feu de ETS et celles du brevet Heinen mais il se constate toutefois que tant dans le rapport final que dans le 4ème rapport préliminaire une analyse comparative systématique des deux procédés est effectuée et commentée d'une manière précise permettant la cour de se rallier aux conséquences que les spécialistes en ont tirées en rencontrant les objections des appelantes. Dans le 3ème rapport préliminaire déjà (24.2.1987) les experts avaient répondu aux arguments relatifs aux équivalents techniques (pp, 23-25 et p. 34).

La conclusion du rapport final clôt de longues discussions, menées de manière à respecter parfaitement le caractère contradictoire de l'expertise. La première réunion d'expertise du 7 septembre 1982 (rapport final, p. 7 et annexe VIII, 1) a été suivie d'une seconde réunion le 1er juillet 1986 (rapport, p. 10) au cours de laquelle les notions de nouveauté et d'originalité ont été discutées (PV du 1.7.1986, voir Annexe VIII, 2, p. 2 ). A la demande des appelantes, une visite de la centrale nucléaire de Tihange II a été organisée le 12 août 1986 (annexe VIII, 3), les experts ayant pu se rendre compte plus précisément des exigences à satisfaire. Ils ont clairement indiqué (3ème rapport préliminaire, p. 15 ) que “le nombre d'essais sur passage de câbles répertoriés au cours de la période litigieuse (fin 1976 et début 1977) montre qu'il y avait un problème technique important à résoudre, lié à la construction de la centrale nucléaire de Tihange II” et donc que la technique utilisée par ETS à la centrale de Tihange I n'était plus considérée comme suffisante. A travers l'examen des essais de laboratoire réalisés en vue de l'élaboration d'un procédé n'apparaissant pas évident aux hommes de métier et dont ils ont pu prendre connaissance à la suite du jugement du tribunal de première instance du 26 octobre 1983, les experts ont pu suivre l'évolution des recherches et constater qu'il y avait non seulement un progrès technique mais l'utilisation de procédés originaux.

Titularité du brevet
A. A la date de la citation

Au moment où l'action en contrefaçon est intentée (octobre 1978), la SPRL Etablissements Rod Heinen Contructions Métalliques est le titulaire du brevet. Ce brevet, déposé en Belgique le 4 octobre 1977 par la SA de droit luxembourgeois Intellectual Trade Cy a été cédé à la SPRL Heinen par un acte du 17 mars 1978 (pièce I. 5a dossier intimées) et la cession a été dénoncée le 21 mars 1978 à l'Office de la propriété industrielle (pièce I, 5b).

Avant cette convention de cession, la société luxembourgeoise était titulaire du brevet (pièce I, 1 intimées), ayant été constituée le 14 juillet 1976 (pièce I, 6 intimées) notamment pour en assurer les formalités de dépôt, la SPRL Heinen que l'on peut considérer comme l'inventeur du système se voyant concéder une licence. Certes les conditions des accords intervenus entre les deux sociétés ne sont pas dévoilés mais la cession par l'inventeur du fruit de son travail étant licite (voir RPDB, V° Brevet d'invention, p. 740, n° 7, p. 763, n° 257 citant Cass. 10.7.1890, Pas., I, 259 ), il ne fait aucun doute, d'une part, que Hans-Dieter Heinen, la cheville ouvrière de la SPRL Etablissements R. Heinen Constructions Métalliques, est celui qui, à travers la SPRL, a mis en place les essais de laboratoire permettant la mise au point d'un procédé original, d'autre part, que le brevet déposé par la SA Intellectual Trade Cy porte sur l'invention mise au point par la SPRL Heinen. Dès le dépôt du brevet, la société luxembourgeoise était la seule à pouvoir se plaindre d'une contrefaçon (article 4.B de la loi du 24.5.1854; RPDB, cité, p. 759, n° 213)

Par le fait de la cession, le cédant devient étranger au brevet. Il ne peut plus l'exploiter mais conserve le droit de poursuivre la contrefaçon antérieure à la cession (Braun et Struye, Précis des brevets d'invention et de la contrefaçon industrielle, 1935, p. 98, n° 267; RPDB, V° Brevet d'invention, p. 764, n° 267; Novelles, Droits intellectuels, p. 465, n° 457). Ainsi donc la recevabilité de la demande n'est pas discutable dans le chef des deux parties à l'origine de la demande, la société luxembourgeoise étant seule à pouvoir poursuivre les actes de contrefaçon antérieurs à la cession, la SPRL Heinen étant fondée à poursuivre seule pour les actes postérieurs au 17 mars 1978. La circonstance que la saisie-description ait été demandée au juge des saisies de Huy le 7 avril 1978 par la seule SPRL Heinen ne prive pas la société luxembourgeoise de ses droits et notamment de la possibilité d'utiliser les constatations faites par les experts Baus et Dotreppe dans le rapport qu'ils ont déposé en septembre 1978 (annexe XI).

B. Evolution de la titularité dans le chef de Heinen

L'examen de la recevabilité de l'appel de la SA Ets R. Heinen a déjà permis de vérifier que la SPRL Etablissements Rod Heinen Constructions Métalliques a vu sa forme commerciale transformée en SA et sa dénomination sociale modifiée. Il s'agissait néanmoins de la même société, l'article 775 du Code des sociétés (ancien article 165 LCSC) disposant que l'adoption d'une autre forme juridique n'entraîne aucun changement dans la personnalité juridique de la société qui subsiste sous la nouvelle forme. La société ne doit pas reprendre l'instance et ni ses contrats, ni ses créances et dettes ne sont affectés par la transformation (P. Hainaut-Hamaide, “La société anonyme, Opérations sur le capital, émissions publiques, transformation, fusion - scission”, Répertoire Notarial, t. XII, livre 3/2, titre V, p. 364-365, n° 789-790).

La SA Ets R. Heinen va ensuite subir une transformation plus radicale en 1989 puisque sa dissolution et sa mise en liquidation est décidée, la société faisant l'objet d'une scission pour faire place jeux nouvelles entités: d'une part, la SA Engineering, d'autre part, la SA Ets R. Heinen (voir pièce I, 8 intimées).

Constituée le 7 décembre 1989, la SA Engineering (pièces I, 9), à été dotée de tous les biens de la SA Ets R. Heinen sauf ceux qui étaient apportés à une autre SA Ets R Heinen créée le même jour, l'attribution de valeurs à cette dernière étant donc limitative (pièce I, 24 intimées). La SA Engineering est devenue l'ayant-droit à titre universel de l'ancienne société dissoute (voir P. Hainaut-Hamaide, in Rép. Not., déjà cité, pp. 389-390, n° 815) et s'est vu apporter notamment les “brevets et licences détenus” par la société dissoute (rapport du réviseur Grignard du 19.6.1989, p. 7 et p. 12 - pièce I, 10 intimées; pièce 62 dossier d'instance) ainsi que les “droits et engagements liés aux biens apportés”, ce qui comprend aussi les dommages et intérêts à obtenir éventuellement dans le cadre du litige, le réviseur confirmant que “la transmission des créances et contrats se fait conformément au projet de scission sans qu'une notification, selon l'article 1690 C.C. soit nécessaire” (pièce I, 10bis intimées; Keutgen, Le nouveau régime des directives européennes en matière de fusion et opérations assimilées, p. 93 et 110).

La scission d'une société commerciale avec répartition des avoirs entre les deux sociétés nouvelles n'emporte pas cession de branches d'activité. La scission d'une société anonyme a pour effet, ipso jure, d'entraîner tant entre la société scindée et les sociétés bénéficiaires qu'à l'égard des tiers la transmission de l'ensemble du patrimoine actif et passif de la société aux sociétés bénéficiaires, la transmission s'opérant conformément à la répartition prévue au projet de scission (Cass. 2.12.1996, JLMB 1997, p. 620).

L'Office de la propriété industrielle sera avisé du transfert du brevet litigieux à la SA Engineering (confirmation 24.7.1991 - pièce I, 12) qui verra sa raison sociale transformée le 8 mai 1990 en 'Metal Construction Malmedy SA' en abrégé MCM (pièce I, 11), cette dernière ayant fait acte de reprise d'instance et d'intervention volontaire le 18 octobre 1991 (pièce 48, dossier d'instance).

Il est donc certain que MCM est actuellement titulaire des droits dérivant du brevet pour ce qui concerne la période postérieure à l'acte de cession du 17 mars 1978.

Au vu des pièces décrivant la succession des sociétés devenues titulaires du brevet, les appelantes Electrabel et Suez-Tractebel ont vérifié que la SA Engineering avait recueilli le brevet litigieux et venait aux droits et actions de la SA Ets R. Heinen. En conséquence, elles se désistent de l'appel qu'elles avaient formé contre le jugement du 23 novembre 1992 par lequel le premier juge ordonnait une réouverture des débats aux fins d'une vérification portant sur ce point (conclusions Me van Caillie, pp. 15- 16).

La contrefaçon
A.- Les recherches

Pour être en mesure de répondre le plus adéquatement possible aux exigences du cahier des charges relatif à la construction de la centrale nucléaire de Tihange 2, émis le 7 avril 1976, et qui posait des exigences très strictes à propos des mesures de sécurité contre l'incendie (annexe II. 2), ETS qui avait réalisé les travaux à Tihange I et la SPRL Etablissements Rod Heinen Constructions Métalliques qui avait une certaine expérience pour les portes coupe-feu se sont trouvées en compétition. Le cahier des charges exigeait que la résistance au feu des traversées de murs et planchers soit égale à celle des parois traversées, que pendant les opérations de montage de la centrale, une résistance provisoire de 1 heure au moins soit assurée tandis que pour le compartimentage de la centrale, destiné à diminuer le risque d'extension d'un incendie et de propagation des gaz corrosifs, des fumées ou des substances radioactives, les traversées aient une résistance de 3 heures minimum, cette dernière exigence ayant été ramenée à 2 heures après accord des assureurs (rapport, annexe I, pages 8 à 10bis et annexe II, 4 - fax 15.2.1977; 4ème rapport préliminaire, p. 6 ).

Heinen, qui n'a pas soumissionné (voir lettre 10.1.1995 à l'expert Cludts, annexe 5/1 de son rapport) mais espère une collaboration, prévoit de mettre au point un système répondant aux normes exigées et de réaliser des essais le 8 novembre 1976 dans le laboratoire de l'université de Gand, le seul laboratoire belge à l'époque équipé à cette fin. Elle prend contact avec Electrobel pour proposer que cet ingénieur-conseil du maître d'oeuvre vienne se rendre compte des progrès techniques attendus du nouveau procédé (voir lettre 27.9.1976 - annexe VI, 1) non sans prendre la précaution de voir conserver pour elle le bénéfice des essais et donc de soumettre à ses interlocuteurs le 26 octobre 1976 (annexe VI, 2) un contrat de secret. Le montage des éléments soumis & épreuve étant réalisé les 21 et 22 octobre 1976 (lettre professeur Minne du 13.6.1985 - annexe IV), l'essai au feu est réalisé le 8 novembre 1976 en présence d'un représentant d'Electrobel, monsieur Grade (voir lettre 19.11.1976 - annexe VI, 2). Sa préparation s'était poursuivie pendant plusieurs jours dès lors que “les enduits, mastiques ou mortiers sont appliqués en plusieurs couches” (lettre 13.6.1985 déjà citée) et le montage est resté visible un certain temps, les éléments étant “conservés dans le laboratoire pendant plusieurs semaines pour des questions de séchage” (lettre Professeur Baus du 30.4.1985 - annexe IV).

Il est acquis, suivant l'avis des experts qui ont pu examiner les résultats de tous les tests réalisés à Gand que les caractéristiques significatives de l'invention sont déjà présentes lors du premier essai du 8 novembre 1976 (rapport préliminaire, p. 31), le second essai de laboratoire réalisé par Heinen le 10 janvier 1977 n'apportant que des détails complémentaires (3ème rapport préliminaire, p. 59). Ces essais, nécessairement préalables au dépôt du brevet puisqu'ils sont destinés à en confirmer les potentialités, ne peuvent être considérés comme reflétant l'état de la technique avant le brevet et constituer une cause de nullité du brevet. Ils ne constituent pas une antériorité et ne détruisent ni la nouveauté ni l'originalité (4ème rapport préliminaire, p. 16). Les propositions formulées par Heinen de vendre du matériel pour lequel elle doit encore élaborer le prix de base (lettre 19.11.1976 - pièce III, 4 intimées et lettre 30.11.1976, pièce III, 6) ne constituent pas une exploitation antérieure au brevet, ces propositions, au demeurant non abouties, se plaçant dans le cadre des efforts réalisés en vue de la mise au point concrète du brevet. “De simples essais qui n'ont pas présenté de caractère industriel (...) des propositions de vente non suivies d'effet ne constituent pas l'exploitation” destructrice de la nouveauté (L. André, Traité des brevets d'invention et de la contrefaçon industrielle, p. 258, n° 290; RPDB, V° Brevet d'invention, p. 749, n° 93).

De son côté, ETS effectue des recherches et mises au point, ce qui confirme que les solutions retenues pour la centrale de Tihange I et appliquées par elle n'étaient plus adaptées aux normes belges, plus exigeantes qu'à l'étranger ( 3ème rapport, p. 16). En effet, elle a été désignée comme adjudicataire le 13 décembre 1976 avec effet au 1er novembre 1976, le chantier portant sur 400.979.192 BEF (conclusions Me van Caillie, p. 18, pt. 3).

Alors que les 22 et 23 décembre 1976, Heinen a déjà déposé les éléments nécessaires au second essai qui sera réalisé le 10 janvier 1977 (lettre Pr Minne 13.6.1985 déjà citée - Annexe IV), ETS procède avant le 11 janvier 1977 au montage préalable à l'essai qu'elle effectue le 17 janvier 1977 dans le même hall du laboratoire gantois. Si de l'avis des experts, une des caractéristiques du brevet qui sera pris le 1er février 1977 par Industrial Trade Cy est présente dans cet essai, c'est essentiellement lors de l'essai réalisé par ETS le 7 février 1977 que l'on retrouvera les deux caractéristiques considérées comme originales, soit le matelas et la collerette qui chez ETS prend la forme d'une boite, le montage de ce second essai étant terminé le 27 et 28 janvier 1977 (même pièce). Les experts sont d'avis “que 'collerette' et 'boite coupe-feu' remplissent la même fonction et constituent des équivalents techniques” (3ème rapport préliminaire, p. 25 et p. 80).

Les experts ont également examiné les essais réalisés à Gand en septembre et novembre 1976 à l'initiative de la firme Laborelec et pour lesquels ETS a participé au montage des pièces, mais ils ne découvrent pas de rapprochement significatifs avec le système mis au point par Heinen (annexe I, pp. 13 à 97; 2ème rapport préliminaire, p. 14).

En revanche, ils relèvent “qu'au cours du mois de janvier 1977, on observe une évolution rapide du système ETS. (...) Dans (le) dernier montage (27-28.1.1977 ), on identifie deux composantes principales dont l'aspect extérieur est semblable à celui caractérisant le système Heinen” (3ème rapport, p. 61).

B.- Le projet de collaboration

Alors que l'essai Heinen du 8 novembre 1976 se prépare et contient déjà toutes les caractéristiques de l'invention qui sera brevetée le 1er février 1977 et le 4 octobre 1977, des contacts ont eu lieu entre la SPRL qui affine la mise au point et Electrobel. Un projet de contrat de secret a été envoyé à celle-ci le 26 octobre 1976, prévoyant que “Electrobel s'engage à garder le secret de toutes les informations qui lui auront été données (...) et s'engage à ne pas exploiter directement ou indirectement en tout ou en partie, par elle-même, intermédiaire, sous-traitant ou par société affiliée, la technologie et le système qui lui seront exposés”.

Ce projet ne sera pas renvoyé signé mais un représentant d'Electrobel assiste a l'essai du 8 novembre 1976, ce qui ne l'autorise pas pour autant à divulguer le détail de ce qu'il a pu constater.

Forte des résultats de l'essai qu'elle prévoit de breveter, la SPRL Heinen prend aussi contact avec sa concurrente qu'elle rencontre le 15 novembre 1976 (annexe IV. 3.; 3ème rapport préliminaire, p. 46), les experts concluant que “le 25/11/76, ETS a connaissance de l'établissement d'un brevet” (eo. loc.) car dans son courrier de réponse (annexe IV.4), ETS y fait allusion se disant “vivement intéressé(e) par votre solution” et laissant Heinen, alors que dans l'intervalle elle a été désignée comme adjudicataire, annoncer le 23 décembre 1976 (annexe VI. 8) une “visite courant du mois de janvier afin de vous donner toutes les informations complémentaires relatives à ces passages coupe-feu” et même proposer le 25 janvier 1977 (eo. loc.) la communication des “procès-verbaux dans lesquels sera montré clairement par photographie, toutes les étapes du montage” et l'ouverture de ses ateliers (lettre 18.2.1977, annexe VI. 9).

Confiante dans la possibilité qu'elle conserve malgré tout de fabriquer et fournir à ETS les barrières coupe-feu nécessaires à Tihange II, Heinen ignore que ETS continue des essais mais subodore néanmoins une tentative de doublage (courriers mars-avril 1977), contrée par des propos rassurants, le conseil de ETS “confirm(ant) l'accord de la direction de (sa) cliente concernant le principe de la collaboration entre ETS et Heinen” (lettre Me Han Kenne 18.5.1977 - annexe VI, 11, g) et faisant la “toilette du texte (d'une convention ) ainsi que des conditions générales” (lettre Han Kenne 7.7.1977) où il est reconnu que “Heinen est titulaire de technologie (pour lesquelles des) demandes de brevets ont été déposées (...) en France le 1er février 1977 (... ) au nom de Intellectual Trade company” et “qu'il semble toutefois préférable dans le cas de Tihange II, d'utiliser la 'technologie Heinen' qui semble offrir certains avantages, tels facilité et simplicité de pose et résistance au feu”, avant que ETS, le 3 août 1977, rejette toute forme de collaboration en invoquant que “depuis plusieurs mois (elle a) mis au point des systèmes de barrières coupe-feu (... qui) répondent davantage aux normes imposées par Electrobel”. Ce n'est cependant que le 29 août 1977 que ETS effectue dans les laboratoires de l'université de Gand les essais dont les résultats lui permettront de justifier vis-à-vis d'Electrobel qu'elle dispose de procédés répondant aux normes exigées, cet essai présentant “un montage similaire à celui réalisé par ETS à Tihange II” (annexe I, p. 2). Un brevet sera déposé par ETS le 28 juillet 1977 (annexe XII, 3), des dessins corrigés y ayant été annexés (lettre bureau Vander Haegen 1er décembre 1978 - eo. loc.) mais “le seul dessin accompagnant la description lors du dépôt le 28 juillet 1977 ne correspond pas au texte de la description” (rapport final, p. 40).

C. La faute

Dans le rapport de saisie-description établi à la suite d'une visite effectuée A Tihange II le 9 juin 1978 (annexe XI) les experts Baus et Dotreppe ont décrit, photos à l'appui, les installations fabriquées par ETS, fournies à Electrobel et placées par Réforme et Nizet (voir p. 4: description des installations coupe-feu). Une visite de la centrale a également été organisée dans le cadre de l'expertise contradictoire le 12 août 1986 par les experts Baus, Vandevelde et Dellicour dont le rapport final conclut de la manière la plus affirmative que “la réalisation effectuée à Tihange II par ETS est une contrefaçon du brevet Heinen n° 859 343 ...” (rapport, p. 55), même si, dans le 3ème rapport préliminaire, ils avaient considéré que “le système ETS de Tihange II constitue un perfectionnement par rapport au système Heinen testé à l'université de Gand” (p. 82).

Les experts ont effectué des comparaisons et relevé quelques différences entre la réalisation sur place et le brevet Heinen mais ils considèrent, ce qui répond aux objections de la SA Abfin, que ETS s'est emparée des revendications 1 à 4, 6, 7, 9, 11 à 15, 18, 19 et 24 du brevet Heinen et donc que les quelques avantages présentés par les perfectionnements de ETS ne suppriment pas la contrefaçon. “Il y a contrefaçon par l'emploi de moyens qui, bien que différents, remplissent la même fonction dans la même structure ou une structure de même fonction technique” (D. Kaesmacher, Rép. Not., t. II, livre 5, p. 274, n° 255). C'est une application du principe des équivalents (RPDB, V° brevet d'invention, p. 776, n° 418), “le fait d'utiliser un autre moyen remplissant la même fonction avec le même résultat (moyen équivalent) constitu(ant) une contrefaçon de l'invention” (M. Buydens, Droits des brevets d'invention, 1999, p. 200, n° 387). Tel est bien le cas, en l'espèce.

La faute de ETS est donc avérée. Les experts ont montré la brusque évolution des éléments testés par ETS entre les essais du 17 janvier et du 7 février 1977 à l'université de Gand et ont suggéré que, comme cela était possible vu les conditions d'organisation des essais (même hall, présence prolongée des montages en raison des temps de séchage), ETS avait observé par indiscrétion ce que Heinen avait déjà testé avec succès le 8 novembre 1976 et que cette dernière entendait confirmer par un second essai le 10 janvier 1977.

De plus, ETS a obtenu de Heinen des informations en laissant croire à la possibilité d'une collaboration et elle reconnaissait dans le projet de convention (7.7.1977) toiletté par son conseil, Me Han Kenne, que la technologie mise au point par Heinen est protégée et présente des avantages, son revirement quant à une collaboration (lettre 3.8.1977, pièce III, 28 intimées) ne s'expliquant que parce qu'elle avait réussi, grâce aux informations glanées à Gand et obtenues de Heinen, à maîtriser les exigences du cahier des charges. Il n'est au surplus pas audacieux de croire que Electrobel, dont un représentant a assisté à l'essai déterminant du 8 novembre 1976 a livré à ETS certaines informations importantes. Comment expliquer en effet qu'alors que ETS n'a pas encore réalisé d'essai pertinent confirmant le respect des prescriptions techniques de résistance au feu, elle obtienne le marché d'Intercom le 13 décembre l976 (conclusions Me Van Caillie, p. 4, pt 2), si ce n'est parce que cette dernière a déjà la certitude que cette firme pourra satisfaire aux exigences, ce qui n'est possible qu'à l'intervention d'Electrobel qui sait comment y parvenir?

Dès le 16 mars 1977, ETS était mise en garde par le bureau d'ingénieurs-conseils consulté par Heinen (bureau Gevers) contre le risque de contrefaçon (lettre à Me Han Kenne, pièce III, 17 intimées ) et c'est pour éviter d'être taxée de mauvaise foi que son conseil envisage une collaboration par la suite rejetée sans explication, sinon de manière embarrassée (“certaines affaires aboutissent, d'autres pas! C'est la vie des affaires ...” - lettre Han Kenne 8.8.1977, pièce III, 29 intimées). C'est donc sciemment, après avoir observé le premier essai de sa concurrente, visité ses ateliers, proposé une collaboration passant par la vente par Heinen d'éléments brevetés (lettre Gevers 26.5.1977, pièce III, 23 intimées) ou par l'octroi d'une licence (projet de convention du 7.7.1977, pièce III, 24 intimées), que ETS a appliqué dans la centrale de Tihange II le système copié sur celui, protégé, des intimées.

L'article 4.B de la loi du 24 mai 1854 dispose que peuvent être poursuivis comme contrefacteurs “ceux qui porteraient atteinte (aux droits du breveté) soit par la fabrication de produits, soit par l'emploi de moyens compris dans le brevet, soit en détenant, vendant, exposant en vente ou en introduisant sur le territoire belge un ou plusieurs objets contrefaits”.

En tant que maître d'oeuvre, exploitant la centrale nucléaire où est produite l'électricité qu'elle vend, Electrabel, alias Intercom, détient les objets contrefaits, c'est-à-dire les passages de cloisons résistant au feu, et ce dans un but industriel. Pour que la contrefaçon ne soit pas punissable, il faut que les actes soient accomplis dans un cadre privé et à des fins non commerciales, les deux conditions étant cumulatives (Braun et van Reepinghen, JT 1992, p. 507, n° 9). Electrabel ne peut se revendiquer d'aucune des deux conditions. Certes, Electrabel ne commercialise pas directement l'application du brevet mais elle utilise certains éléments contrefaits dans le cadre de sa production d'électricité qui est l'objet de son commerce, la protection des passages coupe-feu étant essentielle dès lors qu'elle retarde la propagation d'un possible incendie qui peut entraîner des mois d'inactivité et des pertes considérables (2ème rapport préliminaire, p. 11) “S'il faut se montrer strict pour l'appréciation des conditions mises par la loi à la concession du brevet, par contre, lorsque ces conditions sont réunies, le breveté ne peut voir son monopole restreint par une interprétation des actes interdits qui, sous prétexte d'emploi ou de détention 'à usage commercial' des objets brevetés, rendrait licite pour des tiers commerçants ou non, de se servir d'appareils brevetés ou de les détenir en en tirant un profit ou un avantage quelconque” (Dassesse et Demeur, RCJB 1984, p. 322, n° 18).

Suez-Tractebel, antérieurement Electrobel, est également contrefacteur pour avoir donné des informations à ETS alors qu'il lui avait été demandé de souscrire un engagement de secret montrant que la SPRL Heinen entendait bien se préserver le bénéfice du nouveau procédé mis au point le 8 novembre 1976. En effet, une personne qui intervient pour donner des instructions techniques au constructeurs est également considérée comme contrefacteur (Braun et Struye: Précis des brevets d'invention et de la contrefaçon industrielle, p. 153). Ceux qui coopèrent directement à l'exécution de la contrefaçon peuvent être assignés comme co-auteurs (RPDB, o.c., p. 780, n° 455 ). Il se voit aussi que Electrobel a servi d'intermédiaire entre ETS et Intercom et a persuadé cette dernière que la première allait pouvoir maîtriser la technologie nécessaire, grâce à ce qui avait été copié chez Heinen, ce qui permettait alors de la désigner en tant qu'adjudicataire du chantier de Tihange II.

Les 3 appelantes peuvent être considérées comme ayant agi sciemment et donc de mauvaise foi, cette appréciation développée ci-avant sur base des courriers produits relevant du pouvoir souverain du juge (RPDB, p. 789, n° 558). Sur ce point, l'opinion du premier juge ne peut être partagée lorsqu'il retient que la mauvaise foi des appelantes Electrabel et Suez-Tractebel n'est pas rapportée de manière décisive. Atteste aussi de la mauvaise foi d'Electrabel la clause par laquelle elle s'est garantie à l'égard de ETS, dans le contrat pour lequel elle a nécessairement reçu les recommandations de son ingénieur, contre “toutes les conséquences pécuniaires ou autres pouvant résulter (...) de ces poursuites (... notamment) tous les dommages et intérêts qui pourraient être dus aux titulaires des brevets...” (pièce numérotée 51 se trouvant en tête du dossier des intimées et du dossier de Me van Caillie). Les renonciations ne se présumant pas, il ne peut être affirmé que les intimées auraient renoncé à invoquer la mauvaise foi d'Electrabel et de Suez-Tractebel. La circonstance que l'appel incident, formé à ce propos, soit intervenu seulement le 14 mars 2003, comme aussi qu'en instance seule la mauvaise foi d'Abfin aurait plus spécialement été épinglée, n'implique pas une renonciation tacite à faire valoir le moyen. Dans leurs conclusions déposées le 31 août 1992 devant le premier juge, les intimées mentionnaient la mauvaise foi des 3 défenderesses (voir p. 65 et p. 69), même si elles insistaient plus spécialement sur celle de ETS.

Exception de possession personnelle

Dans la loi du 1854, l'exception de possession antérieure et personnelle est une construction doctrinale accueillie par la jurisprudence dans un souci d'équité (Van Bunnen, RCJB 1992, p. 165, n° 13; Novelles, droits intellectuels, T. I, p. 331, n° 245bis). Elle permet à celui qui, de bonne foi, possédait l'invention avant le dépôt du brevet, d'utiliser à titre personnel la technique malgré 1'existence du brevet. Elle peut être démontrée par tous moyens de preuve mais elle doit être certaine et non équivoque (RPDB, p. 776, n° 414). Elle requiert que celui qui l'invoque fournisse la preuve qu'avant la demande de brevet il avait une connaissance complète et pratique de l'invention, de sorte qu'il était en mesure de l'appliquer à l'époque où le brevet a été pris et que cet usage était légitime et de bonne foi, spécialement que celui qui soulève l'exception n'a pas usurpé l'invention du brevet (Cass. 14.11.1980, Pas. 1981, I, 322).

I1 est suffisamment démontré dans les considérations qui précèdent que les installations présentes dans la centrale de Tihange I, réalisées par ETS, ne sont pas une exploitation antérieure de la technique brevetée par les intimées. Les recherches menées en 1976 et 1977 confirment que pour répondre aux normes de sécurité imposées par le cahier des charges de Tihange II, il était nécessaire de mettre au point un système nouveau et plus performant dont Heinen a terminé la mise au point en premier lieu et a permis qu'il soit breveté par Industrial Trade Cy à qui elle a cédé le fruit de ses recherches en se réservant une licence. Les vérifications des experts relatives aux différents essais réalisés à l'université de Gand montrent que ETS n'a pu véritablement approcher les résultats du système Heinen qu'après le dépôt du brevet les 1er février et 4 octobre 1977, 1'intention de Heinen de faire breveter son système étant connue de ETS dès la réunion du 15 novembre 1976 (voir courrier des 19.11.1 976 et 25.11.1976, pièce III, 4 et 5 intimées). Au demeurant, la mauvaise foi avérée des appelantes est un obstacle à l'invocation de la possession personnelle qui, en l'espèce, n'est pas légitime.

Effet dévolutif de l'appel

Le jugement du 28 mars 1994 étant réformé sur le point relatif à la bonne ou mauvaise foi des appelantes Electrabel, et Suez-Tractebel, il y a lieu que la cour poursuive sans renvoi le jugement de la cause, même si la fixation des dommages et intérêts passe aussi par une mesure d'expertise que le premier juge avait déjà ordonnée et qui a été exécutée.

Le juge d'appel qui, après avoir déclaré l'appel fondé, réforme le jugement dont appel et statue sur le fond du litige, n'est pas tenu de renvoyer la cause au premier juge s'il ordonne lui-même une mesure d'instruction, fût-elle identique ou en grande partie semblable à celle qui a été ordonnée par le jugement dont appel (Cass. 14.10.2005, C.04.0408.F; Cass. 26.1.2007, C.06.0077.N; Cass. 12.6.2008, Pas. 2008, I, 1484; Cass. 18.3.2010, C.08.0463.N). Les juges d'appel qui modifient le jugement dont appel, statuent eux-mêmes sur le litige et adaptent la mesure d'instruction sur ce point ne peuvent renvoyer la cause au premier juge (F. Georges, CUP décembre 2010 déjà citée, p. 222 et références). Le simple fait que la mesure d'instruction apparue nécessaire aux juges d'appel soit identique ou similaire à celle du premier juge ne permet pas aux juges d'appel qui modifient la décision entreprise de renvoyer la cause au premier degré. Ils ont l'obligation de conserver le dossier (voir Decroës, “L'effet dévolutif de l'appel et le jugement ordonnant une mesure d'instruction”, JT 2010, p. 462, n° 6 c).

Les dommages et intérêts

Estimant que les parties “ne produisent pas d'élément précis susceptible (…) d'apprécier le montant exact du préjudice”, le premier juge avait ordonné une expertise confiée à l'expert Cludts, lequel a terminé son travail et déposé son rapport. Les parties ont donc conclu sur la question des dommages et intérêts.

Le premier juge avait déjà fixé les contours possibles du préjudice: manque à gagner, défaut d'obtention d'autres marchés, perte subie, équivalente au prix de toute l'installation contrefaisante. Il avait condamné la SA Abfin à payer à titre provisionnel 24.789,35 EUR (1.000.000 BEF) et les dépens liquidés à 51.119,61 EUR (2.062.160 BEF). Ce jugement n'a cependant pas été exécuté (conclusions Me van Caillie, p. 49).

L'expert Cludts n'a pu compter sur la collaboration de la SA Abfin qui “n'a transmis aucun des documents demandés, alors que la partie Abfin venant au droits de (...) ETS s'indiquait comme la source la plus directe d'information sur le chiffre d'affaires relatif au produit contrefait” (rapport, p. 6), les archives de Tractebel n'ayant pas pu être exploitées. La SA Abfin n'a pas plus fait d'observations a la suite du 1er rapport de l'expert Cludts (rapport, p. 14) qui conclut que “le bénéfice perdu peut être estimé à dix millions de francs (247.893,52 EUR)” la perte subie comprenant les honoraires payés à l'ingénieur conseil Debetencourt et la valorisation du temps consacré au procès par H. Heinen pouvant être estimée respectivement (rapport, p. 15) à 1.500.000 BEF (37.184,03 EUR) et 400.000 BEF (9.915,74 EUR) tandis que le prix de l'installation contrefaisante est évalué à 40 millions de francs (991.574,09 EUR).

Bien que les intimées aient avancé des chiffres supérieurs à ceux qui sont proposés par l'expert (leurs conclusions, p. 56-57, pt 65-67), elles déclarent être “disposées, pour faire bref procès, et sous toutes réserves, à admettre l'estimation de l 'expert” (conclusions, p. 59, pt 68), soit au total 1.286.567,39 EUR, ce chiffre couvrant à la fois le préjudice confondu de la première intimée et celui de la seconde, sans qu'il soit possible de déterminer plus précisément ce qui reviendrait à l'une et à l'autre. Il est toutefois certain que la première intimée, Industrial Trade CY, a subi un dommage puisqu'elle était titulaire du brevet depuis le 1er février 1977 et en Belgique depuis le 4 octobre 1977 et que les faits de contrefaçon ont commencé avant qu'elle ne cède le brevet à Heinen (MCM) le 17 mars 1978. Suivant le courrier de Tractebel à l'expert Cludts le 28 février 1985 (annexe 9/1 du rapport), “ces installations (ont été) réalisées entre 1977 et 1983”. Le constat réalisé lors de la saisie description du 9 juin 1978 montre la présence des contrefaçons réalisées dont la mise en place a commencé plus tôt, soit vraisemblablement dès la réussite du dernier essai de laboratoire effectué par ETS a Gand le 29 août 1977.

Le dommage résulte de la seule contrefaçon et, en raison de la mauvaise foi des appelantes, il est permis d'ordonner la confiscation “qui constitue une véritable peine civile” sans rapport avec le préjudice réellement subi par le breveté et qui “ne peut être prononcée que contre le contrefacteur qui a agi sciemment (art. 5, al. 1er), c'est-à-dire de mauvaise foi” (RPDB, p. 788, n° 552). Cette confiscation frappe les objets confectionnés en contravention du brevet (o.c., p. 789, n° 559 ) et “peut être demandée et prononcée même après l'expiration du brevet” (o.c., p. 790, n° 574), la confiscation pouvant s'entendre par équivalent, c'est-à-dire de la “somme égale au prix des objets qui seraient déjà vendus” (art. 5, al. 1er de la loi du 24.5.1854).

A défaut d'autres informations plus précises, il y a lieu d'entériner la conclusion de l'expert.

Les réticences de la SA Abfin qui n'a pas collaboré à la mesure d'instruction sont volontaires car, s'il est vrai que cette société est le résultat de plusieurs transformations (voir lettre Me Han Kenne 24.10.1994 à l'expert, annexe 411 du rapport ) et si elle ne peut plus compter, 32 ans plus tard, sur un des acteurs ayant suivi la situation en 1978, il reste que le litige s'étant engagé dès la citation des 13 et 17 octobre 1978, il était imprudent de se défaire de tous documents intéressant l'affaire dont l'importance ne pouvait, dès le départ, échapper. En refusant de payer le droit de réinscription au rôle pour les dossiers à joindre à l'appel principal et omis du rôle, ce droit ayant été pris en charge par les intimées le 29 novembre 2004, cette partie, comme les autres appelantes, faisait preuve d'une désinvolture retardatrice dont elles ne peuvent tirer parti en voyant limiter la réparation de leurs fautes à “une somme modérée incluant tous intérêts compensatoires” (conclusions Me Van Bunnen, p. 17). Les intérêts, calculés au taux civil (RPDB, o.c., p. 787, n° 546 ) courent à dater de la citation qui vaut mise en demeure et interrompt la prescription.

Solidarité

Les dommages et intérêts sont dus solidairement par les contrefacteurs s'ils sont plusieurs et ont participé aux mêmes faits de contrefaçon (RPDB, eo. loc.; Novelles, droits intellectuels, p. 356, n° 399). En l'espèce, il a été suffisamment démontré que les appelantes avaient participé sciemment, lors de la construction de la centrale de Tihange II, à la contrefaçon du brevet dont les intimées ont été successivement titulaires. Sur ce point également, la décision du premier juge doit être corrigée puisqu'il ne prononçait une condamnation provisionnelle qu'à l'encontre de la SA Abfin.

Demande de garantie

A titre subsidiaire et pour le cas où elles feraient l'objet d'une condamnation, les appelantes Electrabel et Suez-Tractebel font appel à la garantie qui leur a été accordée contractuellement par la SA Abfin. Cette prétention, introduite par citation du 9 mai 1979, est fondée pour le principal, les intérêts et les dépens.

Publication

La demande de publication de la décision à intervenir contenue dans la citation introductive d'instance et dans les conclusions prises devant le premier juge ne se retrouve pas dans les quatrièmes conclusions additionnelles et de synthèse prises devant la cour au nom des intimées, les seules auxquelles il y a lieu d'avoir égard (article 748bis CJ). Les intimées sont donc censées avoir renoncé à cette demande qui, en toute hypothèse, vu le temps écoulé et la péremption du brevet 20 ans après son admission (article 3 de la loi du 24.5.1854), n'aurait plus de réelle signification.

L'expiration du brevet justifie aussi que l'ordre de cesser toute contrefaçon, prononcé à bon droit par le premier juge, ne soit pas prolongé dans le temps.

Appel téméraire et vexatoire

La demande des intimées du chef d'appel téméraire et vexatoire vise les appels dirigés contre le jugement du 6 mai 1981 parce que ces appels ont été formés seulement une vingtaine d'années plus tard. Comme la recevabilité desdits appels, contestée par les intimées, a été admise, la demande d'indemnité de ces dernières n'est pas fondée.

Dépens

Les 3 appelantes doivent supporter la totalité des dépens des deux instances et ce solidairement. Dans la mesure où les intimées se trompent dans le compte des dépens d'instance qu'elles réclament en signalant dans leurs dernières conclusions qu'ils ont été “liquidés par le tribunal de Huy (jugement du 28 mars 1994) (à) 26.330,26 EUR” (ou 1.062.160 BEF), alors qu'en réalité le tribunal les a liquidés à 2.062.160 BEF (ou 51.119,61 EUR), il y a lieu de rectifier d'office l'erreur matérielle et d'adapter l'addition. Le total des dépens des deux instances revenant aux intimées s'élève à 66.305,61 EUR.

Par ces motifs,

LA COUR, statuant contradictoirement,

Joint les dossiers répertoriés sous les numéros de rôle 2003/835, 2004/1482,2004/1483 et 2006/175.

Reçoit les appels, sauf celui de la SA Ets R. Heinen, ainsi que la demande incidente des SA Intellectual Trade CY et MCM.

Décrète le désistement d'appel des SA Electrabel et Suez-Tractebel en ce qu'il vise le jugement du 23 novembre 1992.

Confirme les jugements entrepris sous les émendations, relatives au jugement du 28 mars 1994, que la SPRL Etablissements Rod Heinen Constructions Métalliques n'est plus à la cause, que les SA Electrabel et Tractebel, actuellement Suez-Tractebel, ont agi sciemment et de mauvaise foi.

Statuant en vertu de l'effet dévolutif de l'appel,

Constate qu'eu égard à l'expiration du brevet belge litigieux n° 859.343 intervenue le 4 octobre 1997, l'ordre de cessation prononcé par le jugement du 28 mars 1994 ne peut plus produire d'effet à partir de cette date du 4 octobre 1997.

Condamne solidairement la SA Abfin, la SA Electrabel et la SA Suez-Tractebel à payer au intimées, la SA de droit luxembourgeois Industrial Trade Cy et à la SA Metal Construction Malmedy, en abrégé MCM, 1.286.567,39 EUR, cette somme incluant la condamnation provisionnelle prononcée par le premier juge, étendue solidairement aux autres appelantes, et étant majorée des intérêts judiciaires aux taux légaux successifs depuis le 17 octobre 1978 ainsi que des dépens d'appel, ces derniers étant liquidés en totalité avec les dépens d'instance à 66.305,61 EUR.

Dit la demande incidente des intimées du chef d'appel téméraire non fondée et leur délaisse les dépens de cette demande s'il en est.

Condamne la SA Abfin à garantir les SA Electrabel et Suez-Tractebel des condamnations prononcées en principal, intérêts et frais.