Article

Tribunal de commerce Bruxelles, 03/11/2010, R.D.C.-T.B.H., 2011/5

Tribunal de commerce Bruxelles 3 novembre 2010

SA Glaxosmithkline Biologicals / Novartis Vaccines And Diagnostics Srl et Novartis AG

Sièg.: Van Vyve (juge, président de la Chambre), François et Mollet (juges consulaires)
Pl.: Mes. B. Strowel, S. Cattoor et C. Ronse, S. Lens loco O. Vrins

Vu les dispositions de la loi du 15-6-35;

Vu les pièces de la procédure et notamment la citation enregistrée du 24-12-2008 (RG 1188/09), la citation enregistrée du 3-8-2009 (RG 7427/09), la requête en intervention volontaire contenue en conclusions déposées le 26-6-2009, les conclusions des parties;

Contexte du litige
Présentation des parties

La SA Glaxosmithkline Biologicals (ci-après GSK) se présente, en citation qu'elle a fait signifier le 24-12-2008, comme étant le premier producteur de vaccins au monde, faisant partie du groupe pharmaceutique multinational GlaxoSmithKline;

Elle est spécialisée dans la découverte de nouveaux vaccins et le développement de produits combinés pour prévenir diverses infections à l'origine de problèmes médicaux graves;

Certains vaccins développés par GSK sont appelés vaccins conjugués: c'est-à-dire des vaccins avec lesquels la réponse immunitaire à un agent infectieux est améliorée par liaison ou 'conjugaison' d'un antigène sous forme de polysaccharide a une protéine porteuse; la technique de la conjugaison s'est montrée particulièrement utile dans le développement de vaccins efficaces pour des enfants de moins de deux ans;

Novartis AG se présente comme l'une des plus importantes sociétés pharmaceutiques au monde; elle est présente dans plus de 140 pays et emploie plus de 99.000 personnes;

Elle est active dans le développement de traitements médicaux préventifs et la conception de vaccins;

Elle est l'un des producteurs principaux de vaccins dans le monde: elle est le second producteur mondial de vaccins pour la grippe et elle a développé un réseau de franchises incluant plusieurs vaccins pédiatriques, des vaccins contre le méningocoque et contre certaines maladies exotiques;

Le brevet EP 1 401 489 B1 (ci-après le brevet)

Novartis est titulaire du brevet intitulé 'solubilisation de polysaccharides capsulaires' délivré le 5-4-2006, dont la demande a été introduite le 20-6-2002;

Le brevet revendique la date de priorité du 20-6-2001 afférente à un brevet GB 0 115 176;

Le brevet délivré le 5-4-2006 compte 27 revendications de procédés;

Novartis précise que les revendications 1 et 24 sont indépendantes, les autres étant dépendantes;

Le 5-1-2007, GSK a formé opposition contre le brevet devant l'Office Européen des Brevets (OEB) et elle a sollicité la révocation du brevet dans son ensemble;

Le 24-10-2008, la Division d'Opposition (DO) a décidé que le brevet était valide moyennant quelques amendements restrictifs proposés par Novartis;

GSK a interjeté appel de cette décision le 22-12-2008, suivie par Novartis le 16-3-2009;

Au terme des audiences du 22 et 23-12-2009, la chambre de recours a maintenu le brevet sous une forme plus limitée telle que reprise dans une requête auxiliaire déposée par Novartis;

Procédures nationales

Le 24-12-2008, GSK a lancé citation devant le tribunal de céans contre la société de droit italien Sr1 Novartis Vaccines and Diagnostics, pour entendre déclarer que la partie belge du brevet de Novartis est invalide dans son ensemble, en invoquant le fait que l'invention revendiquée n'était pas nouvelle et n'impliquait pas d'activité inventive;

La société de droit suisse Novartis AG est intervenue volontairement le 26-6-2009;

Au vu de la décision de la chambre de recours, les arguments relatifs a cette action n'ont plus de raison à être développés;

GSK poursuit actuellement le règlement de la question de la responsabilité de Novartis pour avoir mené la procédure de saisie-description;

Par citation du 3-8-2009, Novartis demande de dire pour droit que GSK a contrefait et continue de contrefaire son brevet, elle demande de lui interdire cette pratique sous peine d'astreinte et elle postule la condamnation de celle-ci au paiement d'une indemnité évaluée sous toutes réserves a 50 millions euro;

Suite a la décision de la chambre de recours de maintenir le brevet sous une forme limitée, ces prétentions sont abandonnées;

Les demandes actuelles

GSK demande au tribunal d'ordonner à Novartis diverses mesures, notamment:

- retourner a GSK le rapport de l'expert et toute copie et détruire toute copie électronique;

- détruire tout document contenant des informations confidentielles de GSK;

- écrire à l'expert pour lui demander le renvoi des originaux des annexes a GSK;

- communiquer a GSK les noms de toute personne ayant eu accès au rapport et décrire leur rôle et à quel titre ils sont intervenus ainsi que la raison de leur intervention;

- confirmer qu'aucune de ces personnes ne sera impliqué à tout stade d'un brevet;

- confirmer qu'elle n'utilisera pas l'information confidentielle de GSK.

GSK demande que toutes ces mesures soient assorties d'astreintes;

Elle postule également la condamnation de Novartis au paiement de 52.489,67 EUR a titre de dommages et intérêts pour la mobilisation de ses employés suite a l'exécution de l'ordonnance de saisie, et au paiement d'un euro provisionnel pour le dommage subi par suite de l'obtention illégitime d'informations confidentielles par Novartis;

État de la procédure

Novartis a déposé une requête unilatérale en matière de contrefaçon le 2-3-2009 devant le Président du tribunal de céans;

Elle plaidait qu'elle avait de sérieuses raisons de penser que plusieurs de ses vaccins étaient produits selon des procédés protégés par son brevet, tant dans sa formulation initiale que dans sa version amendée devant la Division d'Opposition, et que ces vaccins portaient atteinte a tout ou partie des revendications de ce brevet;

Elle a fait valoir que ses soupçons étaient aussi éveillés par les propos tenus par GSK dans sa citation du 24-12-2008 dans laquelle celle-ci révélait qu'elle utilisait le procédé de purification et de conjugaison revendiqué par le brevet de Novartis;

L'ordonnance du 3-3-2009 a fait entièrement droit a la demande de Novartis;

GSK a formé tierce-opposition par exploit du 3-4-2009;

Par ordonnance prononcée le 7-5-2009, le Président a maintenu la mesure de saisie-description mais l'a entourée d'autres mesures de sécurisation de l'utilisation des informations confidentielles communiquées par GSK;

Il a ainsi été ordonné a Novartis de n'utiliser l'information communiquée par GSK a l'expert et/ou se retrouvant dans le rapport de l'expert qu'afin d'évaluer et d'établir s'il y a atteinte son brevet européen ou a tout autre brevet appartenant a la même famille et il a été précisé que le rapport et tout autre information confidentielle divulguée par GSK ne pourraient être communiqués qu'a un nombre limité de personnes représentant Novartis, comprenant les conseils juridiques externes et les conseillers techniques, en ce compris tout agent en brevet, pour autant que ces représentants de Novartis ne soient pas impliqués dans les procédures de dépôt, examen et défense de brevets dans le domaine des vaccins conjugués avec polysaccharides bactériens et pour autant qu'ils ne participent pas à la rédaction, la poursuite, la modification et la défense du brevet EP'489 devant 1'OEB ou l'un des offices nationaux de brevets, cette restriction ne s'appliquant pas aux avocats de Novartis qui sont impliqués dans les procédures en nullité des brevets EP'489 et les éventuelles procédures en contrefaçon;

Les parties ont ensuite échangé de nombreux courriers relatifs aux modalités de l'utilisation par l'expert des données confidentielles émanant de GSK, celles-ci donnant chacune une interprétation différente du contenu de l'ordonnance du 7-5-2009;

L'expert a déposé son rapport le 5-6-2009;

GSK a fait valoir qu'il contenait en annexe la quasi-totalité des documents communiqués par elle au cours des opérations de description, contenant une quantité importante d'informations hautement confidentielles et selon elle non pertinentes pour évaluer la contrefaçon invoquée;

GSK a cite Novartis et l'expert devant le Président du tribunal de céans, par exploit du 24-6-2009; en conclusions, GSK a demandé d'ordonner à l'expert, soit de supprimer les annexes a son rapport, soit de supprimer les informations non pertinentes pour le débat au fond; elle a demandé également d'ordonner à Novartis de restituer toutes les annexes a l'expert ainsi que les copies de celles-ci;

Par ordonnance du 3-9-2009, les demandes ont été rejetées pour des motifs de procédure; en degré d'appel, la Cour a ordonné a l'expert, par arrêt du 4-12-2009, de ne communiquer que les informations décrites dans son rapport en supprimant toutes les pièces annexées et elle a interdit à Novartis d'utiliser de quelque manière que ce soit les informations reprises dans les pièces énumérées sous l'annexe 1 du rapport, sauf celles reprises dans la partie descriptive de ce rapport;

En suite de cet arrêt, GSK a demandé à Novartis:

- de lui communiquer les noms des personnes ayant eu accès au rapport et aux informations y contenues;

- de confirmer que les annexes du rapport ont été restituées à l'expert;

- de prendre les mesures pour s'assurer que personne ayant eu accès aux annexes, y compris les conseils, ne soit impliqué, directement ou indirectement dans une procédure autre que celle tendant a évaluer la contrefaçon du brevet;

- de confirmer que les conseils de Novartis n'ont pas contribué aux amendements des revendications a l'examen devant 1'OEB sur base des connaissances acquises dans le rapport et ses annexes.

Novartis a répondu le 18-12-2009 en confirmant qu'elle s'était strictement conformée aux dispositions des ordonnances et de l'arrêt;

Elle a précisé avoir demandé a l'expert s'il était disposé a se constituer gardien de l'ensemble des annexes dans l'attente d'un accord des parties ou d'une décision judiciaire;

Par lettre du 1-3-2010, Novartis a fait valoir que GSK n'avait aucun droit a réclamer que le rapport lui soit remis; elle a par contre rappelé sa proposition de remettre à l'expert les documents originaux constituant les annexes; elle a enfin confirmé qu'elle se conformait strictement aux décisions judiciaires rendues dans cette affaire;

Novartis a informé GSK le 29-3-2010 qu'elle avait communiqué les documents constituant l'annexe 1 du rapport à l'expert et qu'elle allait par conséquent procéder a la destruction de toutes les copies de ces documents encore en sa possession;

Discussion
Quant à la recevabilité

(i) Novartis conclut à l'irrecevabilité de plusieurs chefs de la demande de GSK, en se fondant sur l'autorité de la chose jugée et des dispositions des articles 23 et suivants du Code judiciaire;

Elle soutient que les chefs de demande 1, 2, 4 à 8 sont manifestement identiques à ceux que GSK a formules devant le Président du tribunal de céans et devant la Cour d'appel dans le cadre de la procédure concernant la confidentialité des annexes au rapport d'expertise;

GSK conteste cette exception; elle fait valoir, à juste titre, que les faits actuels sont différents puisque le brevet a été limité par 1'OEB a un champ de protection qui ne couvre pas ses activités, et que c'est précisément sur base de cette décision (postérieure à la procédure de saisie-description) et de son effet ex tunc qu'elle met en cause, dans la présente procédure, la légitimité des mesures de saisie-description exécutées par Novartis et la responsabilité de celle-ci;

De plus, la règle de droit invoquée dans la présente procédure, relative à l'indemnisation de la partie saisie, était inapplicable dans les procédures antérieures;

(ii) Novartis soutient que GSK n'a aucun droit subjectif à formuler plusieurs demandes reprises en conclusions;

Elle plaide également qu'elle n'a aucun intérêt légitime à demander les mesures sollicitées;

GSK rétorque qu'elle a intérêt à agir en paiement de dommages et intérêts en application des articles 1369bis/7, § 2 et 1369bis/4 du CJ et en protection du savoir-faire et des secrets de fabrication;

Aux termes de l'article 17 CJ, l'action ne peut être admise si le demandeur n'a pas qualité et intérêt pour la former; la partie au procès qui se prétend titulaire d'un droit subjectif a, ce droit fut-il contesté, l'intérêt requis pour que sa demande puisse être reçue; l'examen de l'existence et de la portée du droit subjectif que cette partie invoque ne relève pas de la recevabilité mais du fondement de la demande (Cass. 28-9-2007, Pas. 2007, 1658);

Les exceptions d'irrecevabilité de la demande doivent par conséquent être rejetées;

Fondement
(i) L'effet ex tunc de la décision de 1'OEB.

En décembre 2009, la chambre de recours de 1'OEB a rejeté comme invalide le brevet EP 489 de Novartis dans sa forme telle que délivrée et dans sa forme telle qu'acceptée par la Division d' Opposition;

L'OEC a uniquement accepté la validité de revendications étroites ne couvrant aucunement les vaccins de GSK;

Les parties reconnaissent en conclusions que cette décision a un effet rétroactif; La révocation d'un brevet européen produit les mêmes effets que l'annulation; ce qui la distingue de la nullité, c'est que celle-ci est prononcée par une juridiction de l'ordre judiciaire alors que la révocation est prononcée par une autorité administrative, en l'occurrence l'OEB (v° L. Van Bunnen, in Revue de droit intellectuel 2007, p. 11-12);

Lorsqu'un brevet est annulé, il disparaît pour l'avenir et est censé n'avoir jamais existé;

Cela résulte du texte de l'article 68 de la Convention de Munich qui stipule comme suit:

La demande de brevet européen ainsi que le brevet européen auquel elle a donné lieu sont réputés n'avoir pas eu dès l'origine les effets prévus aux articles 64 et 67, dans toute la mesure ou le brevet a été révoqué ou limité au cours d'une procédure d'opposition, de limitation ou de nullité;

Il n'existe pas dans la Convention de Munich de restriction à cet anéantissement rétroactif, a la différence de ce qui est prévu à l'article 50, § 2 de la loi belge du 28-3-1984 sur les brevets d'invention;

Dès lors, la décision de 1'OEB a un effet rétroactif et le brevet EP 489 est censé avoir, depuis la date de dépôt de la demande de brevet, un champ de protection qui ne couvre pas les vaccins de GSK;

(ii) Le régime de responsabilité de l'article 1369bis/3, § 2 CJ

Cet article dispose comme suit:

Dans les cas où les mesures de description ou de saisie sont abrogées ou cessent d'être applicables en raison de toute action ou omission du requérant, ou dans les cas où il est constaté ultérieurement qu'il n'y a pas eu atteinte ou menace d'atteinte au droit de propriété intellectuelle en cause, le tribunal peut condamner le requérant, sur demande du défendeur, à verser à ce dernier un dédommagement approprié en réparation de tout dommage causé par ces mesures;

Cette disposition, insérée dans le code judiciaire par la loi du 10-5-2007, constitue la transposition de l'article 7, 4) de la Directive européenne 2004/48 relative au respect des droits de propriété intellectuelle;

Il résulte des dispositions de 1'Accord ADPIC (accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce) et de la Directive 2004/48 que les États ont veillé à assurer la protection effective des droits de propriété intellectuelle tout en empêchant les obstacles au commerce et à offrir des garanties efficaces contre l'usage abusif des mesures de mise en oeuvre de ces droits;

Les travaux préparatoires du projet de loi relatif aux aspects de droit judiciaire de la protection des droits de propriété intellectuelle, aux termes duquel a été adopté l'article 1369bis/3, § 2 CJ, précisent ce qui suit:

Cette disposition vise à transposer l'article 7.4 de la directive 2004/48/CE. La jurisprudence estime d'ores et déjà que la saisie en matière de contrefaçon est exécutée au risque du saisissant comme c'est le cas de toute exécution provisoire du jugement. S'il est jugé qu'il n'y a pas atteinte au droit de propriété intellectuelle en cause, le saisissant peut être condamné a payer un dédommagement pour l'exécution des mesures de saisies qui ont perturbé profondément l'organisation et le fonctionnement de l'entreprise du saisi;

GSK relève que le législateur fait ainsi référence à l'article 1398 CJ qui consacre une responsabilité objective de celui qui poursuit l'exécution provisoire du jugement, et qui est tenu, en cas de réformation ou d'annulation totale ou partielle du jugement, d'indemniser le dommage né de la seule exécution, sans qu'il soit requis qu'il y ait eu mauvaise foi ou faute au sens des articles 1382 et 1383 Cc;

GSK reprend encore l'extrait suivant:

Il convient ici de rappeler que la saisie en matière de contrefaçon peut être source d'un dommage considérable lorsqu'elle est exécutée de manière abusive ou lorsque l'action au fond ne permet pas d'établir l'existence d'une atteinte au droit de propriété intellectuelle en cause. Cette saisie est pratiquée au risque du saisissant, lequel peut être condamné a payer un dédommagement si l'exécution des mesures de saisie a perturbé l'organisation et le fonctionnement de l'entreprise du saisi (Chambre des Représentants, 2006-07, DOC 51,2493/001, p. 64 cité par GSK);

GSK déduit de ces diverses considérations que la responsabilité du saisissant est objective;

Novartis conteste cette conclusion;

Elle soutient que rien ne permet d'inférer qu'en adoptant l'article 1396bis/3, § 2 CJ, le législateur ait entendu déroger au régime de droit commun de la responsabilité pour faute;

Elle reprend l'extrait des travaux préparatoires cité par GSK en le complétant:

Cette disposition vise à transposer l'article 7.4 de la directive 2004/48/CE. La jurisprudence estime d'ores et déjà que la saisie en matière de contrefaçon est exécutée au risque du saisissant comme c'est le cas de toute exécution provisoire du jugement. S'il est jugé qu'il n'y a pas atteinte au droit de propriété intellectuelle en cause, le saisissant peut être condamné à payer un dédommagement pour l'exécution des mesures de saisies qui ont perturbé profondément l'organisation et le fonctionnement de l'entreprise du saisi. Le cautionnement, consigné par le saisissant pour la saisie-description, est accordé au saisi et déduit du dédommagement (voy. civ. Gand 12 juin 2002, IR DI 2003, p.122 et s.; Cass. 10 septembre 2004; Cass. 11 mars 2005);

Novartis retient ainsi l'arrêt de la Cour de cassation du 11-3-2005 auquel le législateur a expressément fait référence et aux termes duquel la Cour a déclaré que le seul fait qu'un titre invoqué a l'appui d'une requête en saisie-description ait, par la suite, été déclaré non valable, n'impliquait pas ipso facto l'illicéité de la saisie-description considérée;

Elle conclut que le seul fait de l'invalidation du brevet ne suffit pas, et que la partie saisie devra en outre prouver que la requérante a commis une faute, ou tout au moins qu'elle a manqué à son devoir général de prudence;

Elle rappelle que l'article 1398 al 2 CJ ne trouve à s'appliquer que lorsque la décision provisoire est réformée dans le cadre d'une procédure d'opposition ou d'appel subséquente, et elle soutient qu'il ne s'applique pas dans l'hypothèse où la décision provisoire est seulement contredite dans le cadre d'une procédure au fond (ses concl. p. 108);

Pour appuyer sa thèse, Novartis fait état de la jurisprudence et de la doctrine qu'elle reprend en conclusions, et elle cite in extenso Dirix & Broeckx (Beslag, APR 2010, p. 184 -185, n° 263 et 265), dont le texte traduit en français est le suivant:

Une distinction fondamentale doit être faite entre l'effet que sera susceptible d'avoir sur l'exécution d'une décision rendue en référé, d'une part un jugement différent rendu dans le cadre d'une procédure en opposition ou en appel contre cette décision, et d'autre part une décision différente prononcée au fond (E Krings, concl. devant la Cour Benelux 14-4-1983, RW 1983-84, (223) 226)

Quand le juge, saisi d'un appel contre une décision en référé qui a accordé des mesures provisoires, annule cette première décision au motif qu'il n'y avait pour lui aucune raison d'accorder ces mesures, celles-ci sont annulées avec effet rétroactif.

Quand au contraire, le juge du fond rejette la demande principale au fond, il ne décide pas que le juge des référés s'est trompé. Le titre exécutoire que le juge des référés a accordé demeure valable et continue d'avoir ses effets jusqu'a ce que le jugement au fond devienne définitif. (…)

Une application analogue de l'article 1398 al 2 CJ à l'exécution d'un jugement au fond exécutoire est exclue (Van Oevelen & Lindemans, in TPR 1985, p. 1079, n° 39). Cette disposition vise l'exécution d'un jugement exécutoire qui est encore susceptible d'être réformée en appel.

Il s'agit en l'espèce, d'une part de l'exécution d'une décision en référé autonome, et d'autre part d'une décision au fond différente. La décision de reformation annule en outre le premier jugement et ses effets. Le titre antérieur disparait.

Dans le cas d'une décision différente du juge du fond, l'ordonnance en référé n'est pas annulée;

Novartis cite encore K. Roox, in IR DI 2008, p. 16, traduit comme suit:

Dans le cas où il est constaté, postérieurement, dans le cadre d'une procédure au fond, qu'aucune infraction n'a été commise ou qu'aucun droit intellectuel valable n'existait, il est correct que seule une possibilité d'indemnisation peut être prévue des lors que l'illégitimité d'une saisie ne peut pas être déduite automatiquement du seul fait que la demande dans le cadre de la procédure au fond est déclarée non fondée. (l'auteur se réfère ainsi à l'arrêt de cassation du 11-3-2005 cité ci-avant).

Il s'agit d'une responsabilité pour faute pour laquelle il doit être établi que celui qui a procédé a l'exécution provisoire a agi fautivement.

Le tribunal fait sienne la thèse soutenue par Novartis;

Les travaux préparatoires ne permettent pas de dire que le législateur ait voulu déroger aux conditions d'application de la responsabilité objective mise en place dans l'article 1398 al 2 CJ précisées par la doctrine citée ci-avant;

Le législateur a au contraire fait référence a l'enseignement de la cour de cassation qui a clairement précisé que la saisie ne pouvait pas être considérée comme illicite par le seul fait que le titre invoqué n'a pas été reconnu postérieurement par le juge du fond;

Cet enseignement a été rappelé par la Cour d'appel de Gand dans un arrêt du 8-6-2010 cité par Novartis;

En l'espèce, l'ordonnance du 3-3-2009 a fait droit à la requête en saisie-description et elle a été confirmée par l'ordonnance du 7-5-2009 avec diverses mesures d'aménagements;

Cette seconde ordonnance a été signifiée et est devenue définitive;

L'article 1398 al 2 CJ ne trouve pas à s'appliquer;

C'est des lors à tort que GSK soutient que la responsabilité du saisissant est objective;

(iii) Examen du comportement de Novartis et des reproches émis par GSK

GSK soutient, à titre subsidiaire, que Novartis a mené la procédure de manière abusive, constitutive d'une faute engageant sa responsabilité;

Bref rappel des principes.

Il appartient à GSK d'établir la preuve de l'existence de la faute au sens de l'article 1382 Cc qu'elle invoque dans le chef de Novartis;

Pour apprécier cette faute éventuelle, il importe de se placer dans les circonstances de temps et de lieu où les faits se sont produits, sans tenir compte d'éléments inconnus au moment des faits;

a) - GSK soutient que Novartis ne pouvait pas ignorer la faiblesse du titre qu'elle invoquait, et qu'elle a ainsi commis une faute en faisant valoir un titre nul en tant que titre exécutable contre GSK;

Elle précise que Novartis doutait sérieusement de la validité de son titre qu'elle n'a même pas défendu devant le tribunal OU dans la procédure en opposition devant 1'OEB;

Elle reproche en toute hypothèse à Novartis un comportement léger dans l'exécution de la mesure de saisie-description, et elle estime que Novartis aurait dû attendre l'issue de la procédure devant 1'OEB pour être fixée sur l'étendue de protection de son titre avant de solliciter les mesures de saisie;

- Novartis écarte ces reproches

En application de l'article 1369bis/3, § 12 CJ, la procédure en saisie-description n'est susceptible de perdre sa légitimité que dans l'hypothèse où il apparaît qu'au moment de l'introduction de la requête, il n'était pas porté atteinte au brevet invoqué;

Or, il est établi que plusieurs vaccins produits par GSK visés en termes de la requête unilatérale tombaient sous le champ de protection du brevet de Novartis;

Le président du Tribunal de céans, dans ses ordonnances du 3-3-2009 et du 7-5-2009, a reconnu que les mesures de description étaient justifiées et que le titre invoqué était prima facie valable;

L'ordonnance du 7-5-2009 précise (point 10 - p. 4) que GSK ne conteste pas que le brevet est valable, selon toutes apparences, et qu'il existe des indices selon lesquelles il a été porté atteinte au droit de propriété intellectuelle ou une menace d'atteinte au droit de propriété intellectuelle invoqué, qui n'est pas contestée par GSK (point 11 -p. 5);

GSK n'a d'ailleurs pas contesté la légitimité des mesures de description &s lors qu'elle a expressément fait valoir, dans le cadre de la procédure en tierce-opposition, qu'elle considérait qu'une description utile de ses activités était de nature à éclairer le tribunal saisi du fond quant a l'absence de contrefaçon (ses concl. produites par Novartis - pièce 19bis - p. 10);

Novartis conteste l'affirmation de GSK selon laquelle elle connaissait la faiblesse de son brevet et doutait sérieusement de sa validité;

Au jour de l'introduction de la requête en saisie-description, Novartis était titulaire d'un brevet valable, selon toutes les apparences, ayant fait l'objet d'un examen de validité par la division d'examens de 1'OEB, et le fait qu'il faisait l'objet d'une procédure en opposition n'y changeait rien, dès lors que jusqu'à ce qu'une décision définitive ait limité/révoqué le brevet tel que délivré, cette seule version sera considérée comme valable (v° la jurisprudence et la doctrine citées par Novartis en p. 123 de ses conclusions);

GSK soutient que Novartis aurait dû attendre l'issue de la procédure devant l'OEB; Novartis rétorque qu'il ne peut être reproché au titulaire d'un brevet de supporter sans réagir qu'il soit porté atteinte aux droits revendiqués pendant toute la durée d'une procédure devant 1'OEB;

Un titulaire de brevet raisonnablement prudent et diligent ne restera pas inactif devant les pertes de marchés et du bénéfice du monopole que lui confère son brevet;

b) - GSK reproche a Novartis d'avoir sollicité une communication intégrale des documents qu'elle avait transmis a l'expert et elle estime que Novartis a ainsi poussé l'expert à ne pas s'en tenir à ce qui était pertinent pour le débat au fond;

- Novartis s'en défend;

Elle précise que GSK a demandé à l'expert, par sa lettre du 7-5-2009, de ne joindre aucune annexe à son rapport ou a tout le moins de lui envoyer unilatéralement une version provisoire de son rapport pour qu'elle puisse y enlever toute information confidentielle non pertinente;

L'expert a clairement fait connaitre sa position quant à la communication des annexes confidentielles, dans les conclusions qu'il a prises devant le président du tribunal de céans dans la procédure initiée par GSK par citation du 23-7-2009 (p. 15 et s.)

Il a fait valoir qu'il n'appartenait pas à GSK de déterminer ce qu'elle estimait pertinent pour l'exécution de sa mission;

La Cour d'appel a ensuite précisé dans son arrêt du 4-12-2009 les limites de sa mission et les modalités de l'utilisation des informations confidentielles;

Il ne résulte d'aucun élément que Novartis aurait adopté h un quelconque moment une attitude considérée comme fautive ou abusive à l'égard de l'expert;

Ce reproche n'est pas fondé;

c) - GSK fustige l'attitude abusive de Novartis de s'obstiner à conserver le rapport de l'expert malgré la forte limitation de son brevet par 1'OEB;

Elle reproche a Novartis de refuser de se dessaisir du rapport;

- Novartis rétorque a juste titre qu'il n'existe aucune obligation légale dans son chef de restituer a la partie saisie le rapport d'expertise en sa possession;

Elle précise qu'elle a cependant décidé de détruire toutes les copies et de n'en confier qu'une seule à ses avocats, qu'elle utilisera uniquement, le cas échéant, dans le cadre des procédures concernant le brevet EP 489;

Ce reproche est des lors devenu sans objet;

d) - GSK conclut a un usage abusif des informations confidentielles contenues dans le rapport d'expertise;

- Novartis rejette toute critique et confirme qu'elle a toujours veillé à respecter scrupuleusement le prescrit de l'ordonnance du 7-5-2009 et de l'arrêt du 4-12-2009, qu'aucune personne responsable de la procédure devant 1'OEB n'a eu un quelconque accès au rapport ou aux annexes;

Elle se réfère a ses courriers officiels du 18-12-2009 et a des déclarations des personnes en charge de la défense du brevet reproduites dans ses conclusions (p. 129 et s.);

La doctrine précisait déjà, avant l'entrée en vigueur des dispositions légales des articles 1369bis/1 a 10 du Code judiciaire, que dans le cadre d'une saisie-description, le juge doit s'efforcer d'éviter que, sous le couvert d'une telle mesure, le titulaire d'un droit prétendument violé ne prenne indûment connaissance des secrets d'affaires de ses concurrents.

Toutefois, l'existence d'un secret, prétendu ou réel, ne constitue aucune excuse ou exception à la contrefaçon: la description peut et doit donc comprendre ce que la partie visée prétendrait être confidentiel à condition qu'il s'agisse d'éléments relevant bien de la contrefaçon reprochée. L'expert doit passer outre cette objection et décrire tous les éléments pertinents, même ceux qualifiés de secrets. C'est donc en se limitant a des éléments pertinents que sera respecté le juste équilibre entre le but de la loi, qui est de fournir au titulaire du droit la preuve recherchée de tous les actes de contrefaçon, et le respect légitime des secrets d'affaires (F. de Visscher, “La saisie-description en Belgique: état des lieux et quelques réflexions pour l'avenir”, in Combattre les atteintes à la propriété intellectuelle, CIR, Bruylant, 2004, p.39);

Novartis invoque en conclusions (p. 136) les travaux préparatoires de la loi du 10-5- 2007 insérant les articles 1369bis/1 à 10 du CJ, selon lesquels la circonstance que la description risque de permettre au requérant de prendre connaissance de secrets ne peut constituer en tant que tel un obstacle à la mission de l'expert (commentaire de l'article 1369bis/6);

Les travaux parlementaires rappellent qu'en vertu de l'article 1382 Cc et de la loyauté commerciale, le demandeur engagerait sa responsabilité en faisant usage d'éléments confidentiels venus à sa connaissance grâce à la description à d'autres fins que la preuve de l'atteinte à ses droits;

Novartis rappelle que le législateur a adopté de nombreuses garanties légales visant à garantir la confidentialité des informations communiquées tout en permettant a la partie saisissante de procéder a la saisie-description (ses conclusions p. 137-138);

GSK affirme avoir subi un préjudice du fait que Novartis, entreprise concurrente, a eu accès à des informations extrêmement confidentielles, qui ont pu être communiquées aux scientifiques travaillant pour Novartis, ce qui constitue, dans le secteur pharmaceutique, un dommage au moins potentiel donnant droit à réparation;

GSK sollicite une série de mesures destinées, selon elle, à estimer correctement l'indemnisation du préjudice subi en conséquence de la saisie et a éviter une aggravation de ce dommage:

Il appartient à GSK de démontrer que Novartis a abusé de ces informations si elle entend fonder une action en responsabilité à son encontre;

Il n'existe cependant aucun indice de ce que Novartis aurait manqué au respect des mesures de prudence et de sauvegarde imposées et aurait abusé des informations recueillies;

GSK n'établit pas le fondement de ses craintes quant a l'utilisation par Novartis des informations à des fins autres que celles d'évaluer une éventuelle contrefaçon;

Elle reste en défaut d'apporter le moindre début de preuve d'un usage abusif ou d'un comportement suspect de Novartis;

Aucune faute n'est par conséquent prouvée dans le chef de Novartis;

Les demandes de GSK doivent dès lors être rejetées;

Les dépens

L'article 14 de la Directive 2004/48 dispose que les états membres veillent à ce que les frais de justice raisonnables et proportionnés et les autres frais exposés par la partie ayant obtenu gain de cause soient, en règle générale, supportés par la partie qui succombe, à moins que l'équité ne le permette pas;

Cette question a été réglée en Belgique par la modification de l'article 1022 CJ;

Les termes 'raisonnables et proportionnés' et la référence au principe de l'équité ont été respectés par le législateur, qui a veillé à garantir le caractère raisonnable et proportionné des indemnités en respectant les principes fondamentaux de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme;

Novartis fait valoir à juste titre que le fait que l'indemnité de procédure soit limitée ne la prive pas du caractère raisonnable et proportionné requis par l'article 14 de la Directive 2004/48;

L'indemnité de procédure est déterminée sur base de la demande telle que formulée dans les dernières conclusions;

GSK avait lancé citation en annulation du brevet de Novartis;

En dernières conclusions, elle demande que soit ordonnée une série de mesures de protection, et elle poursuit également la condamnation de Novartis au paiement d'une indemnité évaluée a 52.489,67 EUR et à 1,00 EUR provisionnel;

Novartis avait lancé citation en contrefaçon, avait poursuivi l'interdiction d'enfreindre son brevet sous peine d'astreinte, et sollicitait des dommages et intérêts évalués à 50 millions d'euros;

En dernières conclusions, elle conclut uniquement au débouté des demandes de GSK;

En l'espèce, les causes ont été jointes pour cause de connexité et elles traitent de questions intimement liées, même si les objets sont différents;

Le principe de l'unicité d'indemnité trouve des lors à s'appliquer;

Les divers chefs de demandes sont mixtes, évaluables et non évaluables en argent; il faut allouer l'indemnité la plus élevée des deux (van Drooghenbroeck & De Coninck, “La loi du 21 avril 2007 sur la répétibilité des frais et honoraires d'avocat”, JT 2008, p 41, n° 14);

Pour les affaires évaluables en argent, l'indemnité de base est de 2.500 EUR, pour celles non évaluables en argent, elle est fixée à 1.200 EUR;

Il y a donc lieu de retenir le montant de 2.500 EUR;

GSK succombe dans son action; l'indemnité de procédure de base est des lors portée a sa charge;

Par ces motifs, LE TRIBUNAL,

Statuant contradictoirement,

Joint les causes;

Reçoit les demandes introduites par citations du 24-12-2008 (RG 1188/09) et du 3-8-2009 (7427/09) et la demande en intervention volontaire du 26-6-2009;

Déclare la demande de la SA Glaxosmithkline Biologicals (RG 1188/09) non fondée et l'en déboute;

Constate que la demande de la société de droit suisse Novartis AG est devenue sans objet;

Condamne la SA Glaxosmithkline Biologicals aux dépens, liquidés pour elle-même à 643,83 EUR, et 2.500 EUR et pour la société de droit italien Novartis Vaccines And Diagnostics et la société de droit suisse Novartis AG ensemble à 2.500 EUR.