Cour d'appel de Bruxelles 24 mars 2010
Eumedica SA / Sanofi Aventis SA
Sièg.: H. Mackelbert (conseiller, président f.f. de la chambre), M.-F. Carlier et M. Morris (conseillers) |
Pl.: Mes. I. Vernimme, M. Campolini et J.-C. Troussel, J. Willème, M. Martens |
l.- | Décision entreprise |
L'appel est dirigé contre l'ordonnance prononcée contradictoirement le 7 janvier 2010 par le président du tribunal de commerce de Bruxelles.
Les parties ne produisent aucun acte de signification de cette décision.
II.- | Procédure devant la cour |
L'appel est formé par acte d'huissier signifié le l9 janvier 2010 à la requête d'Eumedica et déposé au greffe de la cour, le 20 janvier 2010.
La procédure est contradictoire.
Il est fait application de l'article 24 de la loi du 15 juin 1935 sur l'emploi des langues en matière judiciaire.
III.- Faits et antécédents de la procédure |
Le 25 mai 1961, la société de droit français Le Laboratoire Choay, aux droits et aux obligations de laquelle succède la société Sanofi-Aventis (dénommée ci-après 'Sanofi'), conclut un contrat avec la société belge Etablissements de Bournonville & Fils, ancienne dénomination d'Eumedica (dénommée ci-après 'Eumedica'), aux termes duquel elle lui concède:
la licence d 'exploitation de ses produits, comprenant: la mise en forme pharmaceutique et/ou le conditionnement, d'une part, la distribution, la promotion, la publicité et la vente, d'autre part, pour la Belgique, la Hollande et le Grand Duché de Luxembourg (article 1).
Il est également convenu que:
La mise en forme pharmaceutique et/ou le conditionnement des spécialités du Laboratoire Choay seront effectués selon les procédés et indications du Laboratoire Choay. Aucune modification ne pourra y être apportée sans son accord (article 2, 1er alinéa).
(…)
La (...) concession ne portant que sur l'usage des marques formules et techniques de fabrication, celles-ci restent la propriété exclusive de la société propriétaire (article 6, 1er alinéa).
Le contrat ne porte plus aujourd'hui que sur les spécialités pharmaceutiques suivantes:
- EXACYL comprimés 250 et 500 mg, dont Eumedica assure la production à partir du principe actif fourni par Sanofi, ainsi que la distribution en Belgique;
- EXACYL ampoules buvables et injectables, produits fabriqués directement par Sanofi (ampoules injectables) ou pour son compte par l'un de ses façonniers (ampoules buvables), et distribués par Eumedica en Belgique.
2. Le 9 mars 2007, Sanofi résilie le contrat de licence du 25 mai 1961, moyennant un préavis expirant le 25 mai 2010.
Le 15 octobre 2007, Eumedica fait citer Sanofi devant le tribunal de commerce de Bruxelles. Elle y réclame d'importantes indemnités sur la base de la loi du 27 juillet 1961 relative à la résiliation unilatérale des concessions de vente exclusive à durée indéterminée.
Par jugement du 17 novembre 2008, le tribunal constate que les produits EXACYL Comprimés relevaient d'une licence de fabrication, tandis que les produits EXACYL ampoules buvables et injectables pouvaient faire l'objet d'une convention de concession de vente exclusive. Il considère que le préavis de 38 mois accordé est raisonnable et condamne Sanofi à payer me indemnité de clientèle de 50.000 EUR.
Les deux parties sont en appel de cette décision et la procédure est toujours pendante devant la cour.
3. Le 20 mai 2009, Sanofi adresse un mail à Eumedica pour l'informer qu'elle entend reprendre la commercialisation en Belgique des produits Exacyl à partir du 25 mai 2010 et lui demande de désigner un responsable qui soit leur interlocuteur pour réaliser les transferts d'enregistrement, la continuité de l'approvisionnement du marché belge et pour discuter l'opportunité de la reprise d'éventuels stocks de produits résiduels.
Ce mail fait l'objet de rappels les 22 juillet, 27 et 31 août, et 7 septembre 2009.
N'obtenant pas de réponse à ses demandes, Sanofi entreprend les premières démarches administratives et apprend, le 9 octobre 2009, par l'Agence fédérale des médicaments et des produits santé que, le 1er août 2008, Eumedica avait fait procéder à la modification de la dénomination de l'Exacyl en Tranexamic acid Eumedica sur les Autorisations de mises sur le marché (AMM) délivrées par l'Agence.
Le 12 octobre 2009, le conseil de Sanofi adresse une mise en demeure de rétablir sur les AMM la dénomination Exacyl dans les plus brefs délais. Par courrier du 14 octobre 2009, le conseil d'Eumedica conteste le droit de Sanofi de se prévaloir d'un quelconque droit sur les AMM dont sa cliente est la seule titulaire.
4. Par exploit du 23 octobre 2009, Sanofi fait citer Eumedica devant le président du tribunal de commerce de Bruxelles, siégeant en référé. Elle lui demande d'ordonner à Eumedica:
- de notifier à l'Agence fédérale des médicaments que la dénomination des produits couverts par les AMM n° 08601S0143F011, 0188S1272F003, 018881275F003 et 08601S0144F012 redevienne Exacyl, sous peine d'une astreinte de 5.000 EUR par jour de retard;
- de procéder à tous les actes requis afin que les AMM susdites soient modifiés et lui soient transférées, au plus tard le 20 mai 2010, sous peine d'une astreinte de 10.000 EUR par jour de retard.
Par conclusions, Sanofi étend sa demande et sollicite également qu'Eumedica soit condamnée à lui transmettre la copie des AMM ainsi que leurs dossiers d'enregistrement respectifs, l'état des stocks des produits et l'existence d'une clause d'exclusivité avec son façonnier.
Le premier juge fait droit à la demande de Sanofi, à l'exception du premier chef de demande, dans la mesure où il a été procédé à la rectification de la dénomination des produits couverts par les AMM, le 22 octobre 2009.
5. Eumedica interjette appel de cette décision. Aux termes de ses dernières conclusions, elle demande à la cour de:
- déclarer la demande initiale de l'intimée irrecevable ou à tout le moins non fondée;
- ordonner à l'intimée de procéder à tous les actes requis et nécessaires en ce compris ceux exigés par la législation en vigueur et en totale conformité avec celle-ci, de telle sorte que les Autorisations de Mise sur le Marché (AMM) n° 086IS0143F011, 0188S1272F003. 0188S1275F003 et 0860IS0144F012 ainsi que leur titularité reste acquise sans la moindre interruption à l'appelante au-delà du l5 mai 2010 moyennant signification de l'arrêt, le tout à peine d'une astreinte de 5.000 EUR par jour de retard;
- ordonner à l'intimée de restituer la copie des AMM n° 086IS0143F011, 0188S1272F003, 0188S1275F003 et 0860IS0144F012 et des dossiers d'enregistrement correspondant dans les 24 heures de la signification de l'arrêt sous peine d'une astreinte de 5.000 EUR par jour de retard;
- ordonner en outre à l'intimée de ne conserver aucune copie des documents communiqués et notamment des études cliniques réalisées par l'appelante et de confirmer, dans les 24 heures de la signification de l'ordonnance, qu'elle n'a réalisé, gardé ou transféré à quelque personne que ce soit aucune partie de ces dossiers d'enregistrement et notamment les résultats des études cliniques réalisées par [l'appelante], le tout à peine d'une astreinte de 5.000 EUR par jour de retard et de 50.000 EUR par infraction constatée à l'interdiction comminée;
- ordonner la consignation par l'intimée sur un compte bloqué ouvert conjointement au nom d'un conseil de chacune des parties de la somme de 750.000 EUR à titre de:
si l'ordonnance C/09/00230 est mise ci néant par la Cour: garantie des frais et dommages subis par l'appelante
i) dans l'hypothèse où l'appelante n 'est pas en mesure de commercialiser en son nom à partir du 15 mai 2010 de l'acide tranéxamique en tant que médicament sur la base des AMM n° 086IS0143F011, 0188S1272F003, 0188S1275F003 et 0860IS0144F012,
ou
2) dans l'hypothèse où elle est en mesure de commercialiser en son nom à partir du 15 mai 2010 de l'acide tranéxamique, pour compenser les efforts et investissements supplémentaires qu'elle a dû engager pour être à même d'arriver à ce résultat,
et/ou
3) du fait de la communication à l'intimée d'information constituant son know-how;
si par impossible l'ordonnance C/09/00230 devait être maintenue en tout ou en partie: garantie des frais encourus par l'appelante liés aux AMM n° 086IS0143F011, 0188S1272F003, 0188S1275F003 et 0860IS0144F012, et
Ladite consignation devant intervenir dans les cinq jours de la signification de l'arrêt sous peine d'une astreinte de 5.000 EUR par jour de retard;
- condamner l'intimée à payer à l'appelante la somme de 10.000 EUR pour procédure téméraire et vexatoire;
- condamner l'intimée à la somme de 2.500 EUR à titre d'amende en application de l'article 780bis du Code judiciaire;
- condamner l'intimée à l'entièreté des dépens des deux instances, en ce compris 1'indemnité de procédure.
IV.- | Discussion |
A.-Sur les AMM |
1.- Sur l'urgence |
6. L'article 584, alinéa 1er, du Code judiciaire dispose que le président du tribunal de première instance statue au provisoire dans les cas dont il reconnaît l'urgence. Il y a urgence, au sens de cette disposition légale, dès que la crainte d'un préjudice d'une certaine gravité, voire d'inconvénients sérieux, rend une décision immédiate souhaitable. On peut, dès lors, recourir au référé lorsque la procédure ordinaire serait impuissante à résoudre le différend en temps voulu, ce qui laisse au juge des référés un large pouvoir d'appréciation en fait et, dans une juste mesure, la plus grande liberté (Cass. 13 septembre 1990, Pas., I, p. 41; Cass. 21 mai 1987, Pas., I, p. 1160).
7. En l'espèce, l'urgence est établie.
En effet, il n'est pas contesté que si Sanofi souhaite poursuivre la commercialisation en Belgique de son médicament Exacyl - ce qui est son droit - elle doit pouvoir disposer d'une AMM, et ce au plus tard le 25 mai 2010, date d'expiration du contrat de licence dont bénéficie Eumedica.
Quatre AMM ont été délivrées par 1'Agence fédérale des médicaments pour les différentes formes de conditionnement de 1'Exacyl. Or, Eumedica soutient qu'elle serait seule titulaire de ces AMM et qu'elle entend les utiliser, à son profit, dès le 25 mai 2010 pour commercialiser un produit identique et concurrent, le Tranexamic acid Eumedica.
Ce n'est que le 9 octobre 2009 que Sanofi a découvert la modification de la dénomination du médicament couvert par les AMM au profit de celui qui sera commercialisé par Eumedica - peu importe qu'il s'agisse ou non d'une anticipation trop hâtive de l'Agence fédérale des médicaments d'une demande en ce sens d'Eumedica - et ce n'est qu'à la réception du courrier du 14 octobre 2009 qu'elle a pris connaissance de la position juridique arrêtée par Eumedica, refusant tout transfert des AMM.
En signifiant sa citation le 23 octobre 2009, Sanofi a agi avec célérité.
Par ailleurs, eu égard à l'arriéré judiciaire endémique dont souffrent les juridictions du ressort de la cour d'appel de Bruxelles, il est illusoire de croire qu'elle aurait pu obtenir une décision du juge du fond, identique à celle qu'elle formule en référé, avant le 25 mai 2010.
8. Vainement Eumedica soutient-elle qu'il n'y aurait pas urgence au motif que Sanofi n'avait qu'à demander personnellement des AMM pour l'Exacyl ou encore qu'elle se serait inquiétée trop tard du transfert de celles qui avaient été accordées. Aucun reproche ne peut lui être fait à cet égard, dès lors qu'elle était légitimement en droit de penser qu'Eumedica n'opposerait aucune difficulté à l'accomplissement d'une simple formalité administrative qui ne devait intervenir que peu avant le 25 mai 2010.
De plus, dès lors que l'Exacyl bénéficiait déjà d'AMM, i1 pouvait paraître inutile à Sanofi d'entamer une procédure de reconnaissance mutuelle des autorisations qui lui avait été accordées par les autorités françaises pour commercialiser l'Exacyl en France, d'autant plus qu'une telle procédure paraît longue et compliquée. En outre, rien ne permet d'affirmer que les AMM françaises n'atteindraient pas le même niveau d'exigence que celui qui est requis par 1'Agence fédérale des médicaments et qu'il faudrait y trouver la raison pour laquelle Sanofi tenait tellement à ce que les AMM belges lui soient transférées.
9. C'est à tort également qu'Eumedica croit déceler dans l'attitude de Sanofi après le prononcé de l'ordonnance entreprise, la preuve de l'absence d'urgence.
Le premier juge a en effet fait droit à la demande de Sanofi de pouvoir disposer des dossiers d'enregistrement liés aux AMM, ce à quoi Eumedica s'était opposée, invoquant la protection des secrets d'affaires et menaçant de réclamer des dommages et intérêts si Sanofi en prenait connaissance dans le cadre d'une exécution provisoire.
En vue de sauvegarder les droits respectifs des parties, et notamment d'éviter toute équivoque en ce qui concerne le débition des astreintes, Sanofi a accepté, dans l'attente d'une réunion entre les parties, de ne pas ouvrir les cartons contenant les pièces qualifiées de confidentielles. Elle a cependant précisé qu'une telle attitude ne pouvait être interprétée comme une reconnaissance des droits invoqués par Eumedica.
Il s'en déduit qu'aucune conclusion au niveau de l'urgence ne peut être déduite du comportement conciliateur de Sanofi.
2.- Sur les droits apparents de Sanofi |
10. Le contrat conclu entre les parties le 25 mai 1961 a pour objet la concession d'une licence d'exploitation de produits dont Sanofi est identifiée à plusieurs reprises comme la propriétaire.
Ce contrat autorise Eumedica à mettre ces produits en forme pharmaceutique, c'est-à-dire à les fabriquer et à les distribuer. Il est rappelé que la mise en forme doit être faite selon les procédés et indications de Sanofi. Si Sanofi demeure responsable des matières premières fournies par elle, Eumedica assume en revanche la responsabilité civile quant aux produits vendus par ses soins en Belgique, ce qui est normal puisqu'elle les fabrique. Il n'en demeure pas moins que les médicaments mis sur le marché restent des produits de Sanofi, ce qui est confirmé par l'usage de la marque Exacyl enregistrée par Sanofi, laquelle, faut-il le rappeler, a pour fonction première de distinguer les produits et les services d'une entreprise (article 2.1.1 de la CBPI).
La convention prévoit également en son article 7 qu'Eumedica est habilitée A représenter Sanofi auprès de toutes institutions compétentes au sujet de l'enregistrement, de la mise en forme pharmaceutique, du conditionnement, de la vente des spécialités Choay et à accomplir toutes les formalités les concernant. C'est en considération de cette disposition qu'Eumedica a pu souscrire, en son nom, une AMM, ce qui n'implique cependant pas qu'Eumedica devienne la propriétaire du produit, c'est-à-dire du médicament visé par la convention et 1'AMM.
11. Sauf dans le cadre de la présente procédure, Eumedica a toujours reconnu que Sanofi détenait les droits de propriété sur le médicament Exacyl qu'elle était chargée de fabriquer et de distribuer.
C'est ainsi que dans le cadre de l'action fondée sur la loi du 27 juillet 1961, le tribunal de commerce a constaté que:
Il n'est pas contesté que Sanofi Aventis fournit à Eumedica la seule substance activa et que cette dernière fabrique le produit fini sur base des instructions précises et détaillées de Sanofi;
Eumedica ne conteste d'ailleurs pas que c'est la complexité des instructions confidentielles données par Sanofi Aventis qui justifie que le produit finalisé et commercialisé s'appelle Exacyl;
I1 résulte des pièces produites par la défenderesse qu'Eumedica doit ainsi suivre un procédé de fabrication complexe, au cours duquel ce que Sanofi Aventis appelle divers excipients sont ajoutés à la substance active.
En appel de cette décision, Eumedica persiste, puisqu'elle écrit dans ses conclusions:
“D 'ailleurs c 'est exclusivement la forme et le dosage indiqué par Sanofi qui est utilisé par Eumedica. En vertu du contrat de 1961, Eumedica est contractuellement obligée de mettre sous forme de comprimés l'acide tranéxamique selon les indications de Sanofi ce qui confirme donc bien l'existence d'une concession exclusive de vente.
Sanofi souligne que les instructions techniques qu'elle donne à Eumedica sont confidentielles et ne peuvent donc être utilisées par un tiers concurrent. Sanofi insiste également sur la complexité des ces instructions pour les opérations de mise en forme de la substance active (acide tranéxamique) en comprimés d'Exacyl effectuées par Eumedica.
Or, c'est notamment cette complexité qui caractérise le fait qu'il s'agit d'un produit de Sanofi et non d'un produit d'un tiers utilisant la même substance active (acide tranéxamique). En effet, la molécule d'acide tranéxamique est hors brevet et peut donc être fabriquée, finalisée et commercialisée par des tiers selon d'autres méthodes. C 'est donc essentiellement la méthode particulière de mise en forme finale utilisée par Sanofi et qu'elle impose à Eumedica qui justifie que le produit finalisé et commercialisé par Eumedica en Belgique et celui finalisé et commercialisé par Sanofi en France (et ailleurs) s'appelle Exacyl. C'est également le strict respect par Eumedica des instructions de Sanofi qui permet qu'aucune atteinte ne soit portée à l'intégrité et aux caractéristiques du produit de Sanofi et qui assure le plein respect des éléments essentiels du produit concerné.”
12. Un médicament n'est pas composé que de substance active (en l'espèce, l'acide tranéxamique) mais également des différents excipients qui vont conférer au produit final ses qualités de stabilité, forme, dissolution, ciblage, goût, couleur et esthétique. Ces excipients sont mentionnés dans les AMM sous la rubrique Overige bestanddelen (traduction: autres composants). C'est donc à tort qu'Eumedica soutient qu'une AMM ne constitue qu'une autorisation de mettre sur le marché une substance active. Si tel était le cas, les médicaments génériques ne nécessiteraient pas d'AMM pour être commercialisés.
Il s'en déduit, prima facie, que les AMM sont bien relatives au médicament (la cour souligne) dont ils constituent un accessoire, tel que celui-ci y est décrit dans sa composition et sa dénomination, à savoir, en l'espèce, l'Exacyl.
Il importe peu que les AMM aient été établies au nom d'Eumedica, ce qui n'était que normal puisque c'était elle qui était chargée de commercialiser le produit en Belgique et en assumer contractuellement la responsabilité. Ainsi que cela a déjà été dit, ce simple fait ne modifie en rien le statut d'Eumedica.
Dès lors que le contrat de concession de la licence d'exploitation de l'Exacyl prendra fin le 25 mai 2010 et que les AMM concernent ce médicament, Eumedica ne peut revendiquer aucun droit sur ces AMM au seul motif qu'elles ont été établies à son nom et, notamment, faire modifier la dénomination du médicament qui y est associé. A titre provisoire et jusqu'à ce que le juge du fond se soit prononcé, Eumedica est tenue, en vertu du principe d'exécution de bonne foi des conventions et de l'article 1135 du Code civil, de transférer la titularité de ces AMM à Sanofi afin que celle-ci puisse poursuivre, sans inconvénient sérieux, la commercialisation en Belgique de son médicament.
Les droits apparents - si pas évidents - allégués pas Sanofi devant le premier juge demeurent établis devant la cour.
13. Le juge des référés qui constate que la cause est urgente et décide qu'un dommage immédiat menace le demandeur en référé si une mesure conservatoire déterminée n'est pas ordonnée, n'est pas tenu de répondre de manière plus précise ou plus circonstanciée aux moyens de défense soulevés pas la personne à l'égard de laquelle la mesure est demandée et fondés sur le droit matériel (Cass. 9 mai 1994, Pas., I, 453 et Cass. 4 février 2000, Pas., I, 297).
Il s'en déduit que, dans ces circonstances, le juge peut se borner à examiner si l'existence d'un droit est suffisamment vraisemblable pour ordonner une mesure conservatoire, pourvu qu'il n'applique pas des règles de droit déraisonnables ou refuse déraisonnablement d'appliquer celles-ci dans son raisonnement (H. Boularbah, “Variations autour de l'appel des ordonnances 'sur référé'” in Liber Amicorum P. Marchal, pp. 225 et s., et la jurisprudence de la Cour de cassation citée aux notes infrapaginales 25 A 27, notamment Cass. 31 janvier 1997, C940151N).
Dans ces conditions et s'il existe une menace de dommage immédiat - ce que la cour vérifiera à la section suivante - il est alors sans utilité de rencontrer les autres moyens et arguments soulevés par Eumedica sur les droits, notamment de propriété, qu'elle revendique dans ses conclusions.
3. Sur la balance des intérêts |
14. Le juge des référés doit rechercher si l'absence de suite donnée à la demande aurait pour effet d'entraîner me perturbation plus grande que le préjudice éventuel créé par l'accueil de l'action, ce qui suppose la confrontation de deux préjudices éventuels et la prise en considération de la situation des parties et de leur comportement (Liège 22 mai 2001, JLMB, 01/685).
15. Sans les AMM attachées à l'Exacyl, Sanofi ne pourra pas reprendre la commercialisation de ses produits à l'expiration du préavis, le 25 mai 2010.
Dans cette éventualité, il ne resterait à Sanofi que la possibilité soit d'attendre l'issue de la procédure au fond soit d'introduire une nouvelle demande d'AMM. Dans l'un et l'autre cas, le délai d'attente sera de plus d'une année.
En effet, il résulte des explications données par Sanofi que la procédure de reconnaissance mutuelle organisée par la Directive 2001/83 du Parlement européen et du Conseil du 6 novembre 2001 instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain est fort longue et impose le respect d'une procédure complexe qui peut durer jusqu'à 270 jours, sans compter la survenance de causes de suspension de la procédure. Ensuite, Sanofi devra obtenir une décision fixant le prix de remboursement de sa spécialité par l'Inami, dont la durée pourrait être de 180 jours.
Pendant toute cette période, l'Exacyl disparaîtra du marché, permettant ainsi à Eumedica de promouvoir son produit identique et directement concurrent, le Tranexamic acid Eumedica. Outre la perte de chiffre d'affaires pendant un an à un an et demi, il est sérieusement à craindre que Sanofi ne parvienne pas à réimplanter son produit, dès lors que les médecins auront pris de nouvelles habitudes de prescription.
Si la mesure demandée ne devait pas être ordonnée, le risque de préjudice dans le chef de Sanofi serait très important.
16. En revanche, il a été reconnu à l'audience du 8 mars 2010 que le total des ventes d'Exacyl ne représentait que 2 à 5% du chiffre d'affaires d'Eumedica, soit une part peu significative.
Par ailleurs, rien n'empêche Eumedica de mettre sur le marché un médicament fabriqué à partir de la même substance active, l'acide tranéxamique, puisque celle-ci est libre de droits et de solliciter une AMM pour celui-ci. Certes, l'octroi de cette autorisation nécessitera l'accomplissement de démarches administratives qui risquent de retarder la mise sur le marché du Tranexamic acid Eumedica - encore que pour les médicaments génériques la procédure est simplifiée - mais ce retard n'est imputable qu'a Eumedica qui sait depuis plus de trois ans que le 25 mai 2010 elle sera privée des recettes correspondantes à la vente de l'Exacyl et qui disposait donc de tout le temps nécessaire pour entreprendre les démarches indispensables en vue de la commercialisation de son propre produit.
Le préjudice temporaire qu'elle risque de subir en raison de la décision en cause n'est en rien comparable à celui de Sanofi et la balance des intérêts penche en faveur de cette dernière.
17. Contrairement à ce que soutient: Eumedica, en confirmant la décision entreprise, la cour ne rend pas une décision déclaratoire de droits ni ne règle définitivement la situation juridique des parties. Elle organise, à titre provisoire, une situation d'attente jusqu'à ce que le juge du fond ait statué.
Si ce dernier devait décider que les AMM sont la propriété d'Eumedica et qu'elles ne concernent que la substance active et pas l'Excacyl, Eumedica pourra en recouvrer la titularité pour son propre médicament - si tant est qu'entre-temps elle n'en ait pas obtenu d'autres - et réclamer des dommages et intérêts à Sanofi.
Au demeurant, il convient de rappeler que la précision légale selon laquelle le juge des référés 'statue au provisoire' a pour unique portée que sa décision n'est pas revêtue de l'autorité de la chose jugée à l'égard du juge du fond, qui ne sera en conséquence pas lié par ce qu'aura décidé le juge des référés. Cette précision dans l'article 584, alinéa 2, du Code judiciaire n'a donc pas d'autre portée que d'annoncer en quelque sorte la règle qui est clairement inscrite à l'article 1039, alinéa 1er, du même Code qui veut que les ordonnances sur référé ne portent pas préjudice au principal. Le juge des référés peut donc examiner les droits des parties pour prendre sa décision. (J. Englebert, Le référé judiciaire: principes et questions de procédure, Jeune Barreau Bruxelles, 2003, n° 27 et 35).
B.- | Sur les dossiers d'enregistrement et autres informations |
18. Sanofi reconnaît que l'état actuel des stocks d'Exacyl - qu'elle ne connaissait pas au moment d'intenter la présente action - lui permet de ne pas lancer immédiatement la production de comprimés d'Exacyl, ce qui la dispense d'avoir accès aux dossiers d'enregistrement de ces produits avant la fin du préavis (cf. conclusions de Sanofi, p.48). C'est, notamment, la raison pour laquelle, après avoir pris connaissance de l'état des stocks, elle n'a pas ouvert les boîtes de documents.
Mais, dès lors que la cour confirme l'ordonnance entreprise aux termes de laquelle la titularité des AMM doit être transférée à Sanofi avant la fin du préavis, elle ne peut que confirmer la décision du premier juge de transmettre à Sanofi la copie des AMM et leurs dossiers d'enregistrement puisque ces derniers constituent l'accessoire des AMM.
Sanofi doit en effet pouvoir disposer des dossiers d'enregistrement pour en assurer la mise à jour, des qu'elle deviendra titulaire des AMM.
A supposer que ces dossiers contiennent des secrets d'affaires ou des informations confidentielles propres à Eumedica - ce qui est contesté - et que Sanofi en fasse un usage illicite, Eumedica sera toujours susceptible de demander au juge du fond ou, au besoin, au juge des référés ou au juge des cessations, une mesure protectrice de ses droits. A ce stade de la procédure, la cour ne dispose pas d'éléments suffisants pour conclure que les droits d'Eumedica seraient en péril et, partant, décider de dissocier le transfert des AMM et des dossiers d'enregistrement correspondants.
19. Il se déduit de ce qui précède que l'appel n'est pas fondé.
Il convient cependant de prendre acte que la date mentionnée dans l'ordonnance entreprise, soit le 15 mai 2010, procède d'une erreur matérielle, et qu'il y a lieu de lire le 25 mai 2010.
C.- | Sur la demande de cautionnement |
20. Eu égard à la solvabilité avérée de Sanofi, il n'y a pas lieu de subordonner l'exécution de l'ordonnance de référé à la constitution d'un cautionnement.
D.- | Sur les autres demandes |
21. Dès lors qu'Eumedica succombe et que Sanofi obtient gain de cause, il n'y a pas lieu de la condamner à payer des dommages et intérêts pour procédure téméraire et vexatoire et encore moins à une amende, telle qu'elle est prévue h l'article 780- du Code judiciaire.
V.- | Dispositif |
Pour ces motifs,
LA COUR,
1. Dit l'appel recevable et très partiellement fondé dans la mesure précisée ci-après.
Réforme le jugement entrepris en ce qu'il a dit pour droit que les mesures ordonnées devront être accomplies au plus tard le 15 mai 2010;
Statuant à nouveau sur ce seul point:
Dit pour droit que les mesures ordonnées par le premier juge devrout être accomplies au plus tard le 25 mai 2010.
2. Met les dépens d'appel à charge d'Eumedica.
Lui délaisse les frais de dépôt de sa requête d'appel et la condamne à payer à Sanofi Aventis une indemnité de procédure de 1.200 EUR.