Article

Observations, R.D.C.-T.B.H., 2011/4, p. 379-385

DROIT BANCAIRE
Secret bancaire - Pouvoirs d'investigation du fisc - Levée du secret à l'occasion découverte mécanisme de fraude - Interdiction utilisation informations échangées par d'autres administrations fiscales
En vue de pouvoir recueillir sur base de l'article 318 du CIR 1992, dans la comptabilité d'une banque, au niveau du contrôle de la déclaration des renseignements en vue de l'imposition des clients, les conditions de fond sont triples: l'exi­stence d'éléments concrets éveillant le soupçon d'un mécanisme de fraude, mettant en jeu la complicité de la banque concernée (condition supprimée par l'AR du 20 décembre 1996), éléments qui soient apparus à la connaissance de l'administration par ses moyens d'investigation ordinaires d'une manière qui, nécessairement, ne mette pas à mal le secret bancaire institué par le même article.
La détermination précise des modes valables de recherche préalable des 'éléments concrets' requis, implique de déterminer dans quelle mesure des informations peuvent circuler d'une administration à une autre, et dans quelle mesure des informations perçues 'à charge' de la banque elle-même peuvent constituer pareils éléments concrets 'à charge' d'un autre contribuable.
Il a été précisé que l'administration des contributions directes ne peut utiliser des informations qu'elle a obtenues par une autre administration ou par l'administration de l'in­spection spéciale des impôts exerçant les mesures de cette autre administration, alors qu'elle ne peut les recueillir elle-même sans violer le secret bancaire.
Dans le cas d'espèce, le tribunal arrive à la conclusion que l'administration des contributions directes se révèle incapable d'indiquer le moment, l'origine et le mode de perception des informations utilisées, à l'exception des enquêtes menées par une autre administration fiscale, pour la taxe sur les opérations de bourse et qui ne peuvent valablement contribuer à l'enrôlement litigieux.
BANKRECHT
Bankgeheim - Onderzoeksmacht van de fiscus - Opheffing bankgeheim n.a.v. ontdekking mechanisme belastingontduiking - Verbod aanwending gegevens uitgewisseld door andere belastingadministraties
Om, naar aanleiding van een controle van de boekhouding van een bank, op grond van artikel 318 WIB 1992, inlichtingen in te zamelen met het oog op de taxatie van de klanten, dienen drie voorwaarden vervuld te zijn: het bestaan van concrete elementen die het bestaan doen vermoeden van een mechanisme van belastingontduiking, met de medeplichtigheid van de betrokken bankinstelling (deze voorwaarde werd bij KB d.d. 20 december 1996 opgeheven), gegevens die aan het licht van de administratie gebracht werden door haar eigen onderzoeksmiddelen, zonder het door dezelfde bepaling voorgeschreven bankgeheim te schenden.
De nauwkeurige bepaling van de voorafgaande onderzoeksmiddelen van de 'concrete elementen' houdt in dat dient nagegaan te worden in welke mate deze inlichtingen van de ene naar de andere administratie kunnen circuleren en in welke mate inlichtingen ingewonnen 'ten laste van' de bank zelf zulke concrete elementen kunnen uitmaken 'ten laste van' een andere belastingplichtige, meer bepaald de klant.
Er werd geoordeeld dat de administratie der directe belastingen de inlichtingen die zij van een andere belastingadministratie of van de bijzondere belastinginspectie die de onderzoeksmiddelen van deze andere administratie aanwendt, kan gebruiken, terwijl zij zelf deze inlichtingen niet kan inwinnen zonder het bankgeheim te schenden.
De rechtbank stelt in onderhavig geval vast dat de administratie der directe belastingen niet bij machte is het ogenblik, de oorsprong en de wijze van het bekomen van de aangewende inlichtingen aan te tonen, behalve de onderzoekingen die door een andere belastingadministratie uitgevoerd werden in het kader van het dossier omtrent de taks op de beursverrichtingen, die de betwiste aanslag niet kunnen schragen.
1. Généralités

Au niveau du contrôle de la déclaration aux impôts sur les revenus, le secret bancaire se voit à la fois institué et limité par la même disposition légale, à savoir l'article 318 du CIR 1992.

Le banquier ne peut pas invoquer le secret professionnel tel que sanctionné par l'article 458 du Code pénal; il a seulement un devoir de discrétion à l'égard de ses clients.

Il en résulte que si le Code des impôts sur les revenus ne prévoyait aucune disposition particulière à cet égard, rien ne ferait obstacle à ce que le fisc relève dans les livres d'une banque tous renseignements utiles en vue de la taxation des clients de cette banque; le banquier ne saurait pas s'y opposer.

L'intervention du législateur fiscal par la loi du 8 août 1980 a toutefois empêché qu'une telle situation puisse se créer.

2. Le secret bancaire - Principe

C'est l'objet de l'article 318, 1er alinéa, du CIR 1992 qui est rédigé comme suit:

“Par dérogation aux dispositions de l'article 317, et sans préjudice de l'application des articles 315, 315bis et 316, l'administration n'est pas autorisée à recueillir, dans les comptes, livres et documents des établissements de banque, de change, de crédit et d'épargne, des renseignements en vue de l'imposition de leurs clients.”

Le principe du 'secret bancaire' au niveau des pouvoirs d'investigation du fisc consacré par l'article 318, 1er alinéa, du CIR 1992 signifie donc que l'administration ne peut faire usage de ses pouvoirs d'investigation à l'égard du banquier en vue de taxer les clients du banquier grâce aux renseignements ainsi recueillis.

En conséquence, les fonctionnaires de l'administration ne peuvent pas demander des informations nominatives au banquier au sujet de ses clients.

Ils ne sont pas davantage autorisés à recueillir des renseignements les concernant, ce qui implique qu'ils ne peuvent pas en prendre connaissance même s'ils n'entendent pas en faire usage [1].

Comme l'article 318 n'instaure formellement une dérogation qu'au seul article 317 - dans le cadre des investigations exercées auprès des banques en tant que contribuables faisant l'objet d'investigations - un doute a pu subsister quant au point de savoir si le secret bancaire était bien opposable au fisc lorsque celui-ci mène des investigations auprès d'un établissement bancaire en sa qualité de tiers visé à l'article 322; mais aussi bien les travaux préparatoires1 que les instructions administratives [2] sont très clairs: le secret bancaire ne peut être contourné par un recours aux dispositions de l'article 322. Le caractère incontournable du secret bancaire en cas d'investigations menées auprès d'une banque en tant que tiers trouve par ailleurs un appui jurisprudentiel dans un arrêt de la cour d'appel d'Anvers [3].

La jurisprudence a encore décidé que l'administration ne peut pas invoquer comme témoin un agent de banque aux fins d'être entendu sur la valeur probante d'une attestation délivrée à un client: l'administration obtiendrait indirectement par ce procédé la consultation de documents dont l'article 318 lui interdit la consultation directe [4].

Dans le même sens encore, la cour d'appel d'Anvers relève à propos de la société Banksys, qui met à disposition des établissements financiers un système de paiement électronique, que l'administration essaie de contourner l'interdiction de recueillir auprès d'un établissement bancaire des renseignements au sujet de transactions faites sur un compte bancaire, en obtenant ces mêmes renseignements via le gestionnaire du système de paiements électroniques. Quoique Banksys ne puisse pas être considéré comme un établissement financier, cette société qui gère ce système de paiements n'est pas propriétaire des données électroniques qui sont opérées via son installation, de telle sorte qu'il lui est interdit de communiquer ces renseignements à des tiers.

La cour d'appel décide dès lors que tous les renseignements au sujet du système de paiement électronique ont été recueillis de façon illégale par l'administration [5].

Cet arrêt a cependant été cassé. La Cour de cassation décide que, hormis l'application de l'article 318 du CIR 1992 et les cas dans lesquels il est lié par le secret professionnel, le tiers auquel l'administration s'adresse est tenu de fournir les renseignements sollicités, indépendamment du fait qu'il soit ou qu'il ne soit pas propriétaire des données réclamées.

Banksys n'étant pas un établissement financier, la cour d'appel a violé l'article 322 du CIR 1992 en décidant que, n'étant pas propriétaire des données électroniques traitées via son installation, il lui était interdit de fournir les renseignements demandés [6].

La portée exacte de cet arrêt n'est pas clair. La Cour suprême s'est surtout arrêtée au fait que la cour d'appel a fondé l'interdiction de communication sur la circonstance que Banksys n'était pas propriétaire des données communiquées. Par contre, elle n'a pas été appelée à statuer sur la question de savoir si la demande d'information adressée par l'administration à Banksys constitue un détournement illicite du secret bancaire. Cette question - savoir si les données dont dispose Banksys sont ou non protégées par le secret bancaire - demeure donc sans réponse.

Par arrêt du 14 octobre 2010 [7], la cour d'appel de Bruxelles, à laquelle la cause fur renvoyée par la Cour de cassation, décida qu'au même titre que les société de leasing financier, la société Banksys, qui gère les systèmes de paiements informatiques tels que Bancontact comme sous-traitant des établissement financiers, exerce des missions qui relèvent des activités bancaires des établissement financier et est dès lors bien visée par le secret bancaire de l'article 318 du CIR 1992 pour ce qui concerne ses activités de nature bancaire. Dès lors, l'administration n'avait pas le droit de demander à Banksys des renseignements au sujet d'un client d'un établissement financier.

Il convient encore d'observer que si le respect du secret bancaire est bien prévu, au niveau du contrôle de la déclaration aux impôts sur les revenus, il n'est plus prévu au stade de la réclamation chez le directeur régional. Dès lors, rien n'empêche au fonctionnaire chargé de l'instruction de la réclamation, de demander des renseignements à un établissement financier, lorsque cette réclamation a un rapport avec les opérations bancaires du contribuable.

Enfin, il convient d'observer qu'en matière d'impôts indirects, tels que le Code de la TVA ou le Code des droits de succession, il n'est pas question de secret bancaire.

Un fonctionnaire de l'administration de la TVA pourrait dès lors exiger d'une banque des informations que son collègue de l'administration des contributions directes ne peut légalement obtenir et pourrait ensuite sur base de l'article 336 du CIR 1992 transmettre ces informations à l'administration des contributions directes qui s'en servirait pour établir l'impôt.

Il va de soi que si l'on veut éviter de vider de toute utilité pratique l'article 318 du CIR 1992, il faut considérer que les renseignements obtenus en vertu des pouvoirs d'investigation reconnus par une loi fiscale ne peuvent être utilisés pour mettre à néant le secret bancaire reconnu par une autre loi fiscale.

Heureusement, la jurisprudence récente s'est penchée sur cette controverse, comme nous le verrons ci-dessous sous le point 4.

3. Levée du secret bancaire lorsqu'une enquête fait apparaître des éléments concrets permettant de présumer l'existence ou la préparation d'un mécanisme de fraude fiscale

Le second alinéa de l'article 318 du CIR 1992 apporte une exception importante au secret bancaire affirmé par le 1er alinéa:

“Si cependant l'enquête effectuée sur base des articles 315, 315bis et 316 du CIR 1992 a fait apparaître des éléments concrets permettant de présumer l'existence ou la préparation d'un mécanisme de fraude fiscale, le fonctionnaire désigné à cette fin par le ministre des Finances peut prescrire à un fonctionnaire du grade d'inspecteur au moins, de relever dans les comptes, livres et documents de l'établissement, les renseignements permettant de compléter l'enquête et de déterminer les impôts dus par ce client.”

Le texte, dans sa formulation actuelle, découle de l'arrêté royal du 20 décembre 1996.

Celui-ci apporte, par rapport à l'ancien texte, les modifications suivantes (applicables aux actes de procédure relatifs aux exercices d'imposition 1997 et suivants):

    • en premier lieu, l'exigence de complicité dans le chef de la banque est abandonnée en ce qui concerne la fraude fiscale commise par le client. Il n'est donc plus requis qu'une banque ait été associée activement à un mécanisme de fraude fiscale faisant appel à des services bancaires;
    • ensuite, le secret bancaire sera levé non seulement lorsqu'un mécanisme de fraude existera et pourra être constaté, mais également dès qu'un tel mécanisme se préparera;
    • une dernière modification vise à encadrer la levée du secret bancaire d'une procédure adéquate, étant entendu que contrairement à ce qui était le cas dans le passé, l'autorisation préalable de plusieurs hauts fonctionnaires n'est plus requise.

    Il ressort du texte légal que trois conditions de fond doivent être obligatoirement et simultanément réunies pour que le fisc puisse utiliser les renseignements dont elle a pu disposer à l'égard du client d'une banque, d'un établissement de crédit ou de prêt, afin d'établir ou de rectifier les impôts dus par ce même client.

    Ces trois conditions sont les suivantes:

      • il faut qu'à l'occasion d'un contrôle effectué par le fisc auprès de la banque (en vue de vérifier la situation fiscale de cette dernière);
      • des 'éléments concrets' soient mis en évidence par les contrôleurs;
      • et que ces éléments donnent à penser qu'un 'mécanisme' de fraude fiscale a été mis au point ou préparé.

      Dans le jugement annoté, le tribunal de première instance de Bruxelles insiste maintenant sur le fait que l'existence de ces éléments concrets doit être apparue à la connaissance de l'administration par ses moyens d'investigation d'une manière qui, nécessairement ne mette pas à mal le secret bancaire institué par le même article 224 du CIR 1992.

      Il précise à ce sujet que le mécanisme proscrit un contrôle général 'à l'aveugle' sur les contribuables en examinant, en quelque sorte 'à la source', les comptes ouverts dans les banques, il a pu aussi être enseigné que “des éléments concrets 'peuvent' être mis en évidence, à l'occasion de la vérification de la situation fiscale propre d'un établissement financier et non à l'occasion de questions posées à ces établissements concernant la situation fiscale de leurs clients”.

      Avant l'AR de pouvoirs spéciaux du 20 décembre 1996, la loi exigeait, en outre, une quatrième condition, aujourd'hui supprimée, à savoir que le mécanisme de fraude mis à jour devait impliquer une complicité entre la banque et son client.

      Actuellement, l'exigence de complicité dans le chef de la banque a été abandonnée; il n'est dès lors plus requis dorénavant que la banque ait été associée activement au mécanisme de fraude.

      Que faut-il entendre par 'éléments concrets'?

      Pour l'administration, il s'agit, par exemple, de faits, de conventions, d'actes, d'opérations, tels que l'ouverture d'un compte, un transfert de fonds, l'octroi d'une garantie bancaire ou d'une ouverture de crédit, etc. [8].

      Ces éléments concrets ainsi constatés par les agents du fisc doivent faire apparaître qu'un mécanisme de fraude a été mis au point ou, à tout le moins, préparé.

      Les éléments concrets doivent être précis, sérieux et concordants puisqu'ils servent à une preuve par présomption.

      Un simple sentiment, une idée, un pressentiment, une conviction intime, voire une dénonciation ne suffisent pas, en soi, pour étayer la preuve par présomption [9].

      Que faut-il entendre par 'mécanisme de fraude fiscale'?

      L'expression 'mécanisme de fraude fiscale' est de nature à 'soulever les interrogations des juristes” [10].

      Le rapport au Roi définit le mécanisme comme étant “tout système ou ensemble d'opérations sans distinguer selon que ce système ou cet ensemble s'inscrive ou non dans une pratique normale des opérations bancaires ou apparentées. Un système peut être regardé comme un mécanisme du moment qu'il est utilisé, ne fût-ce qu'une seule fois (Com.IR/92, 318/16). Il suffit qu'il s'agisse d'une manoeuvre frauduleuse visant à dissimuler la situation fiscale véritable aux yeux du fisc”.

      La doctrine ne partage pas ce point de vue et précise qu'il importe de se référer à l'article 39, § 2, de l'AR n° 185 du 9 juillet 1935 relatif au contrôle des banques, dont les travaux préparatoires précisent qu'il faut comprendre le terme 'mécanisme' comme étant “un procédé systématique impliquant une répétition d'opérations réalisées dans des conditions étrangères à la pratique bancaire normale, procédé qui ne trouve dès lors sa motivation que dans le but poursuivi, à savoir favoriser la fraude fiscale” [11].

      Suivant cette interprétation, l'opération isolée, l'acte unique ne peuvent donc suffire et encore moins s'ils s'inscrivent dans le cadre des opérations courantes des établissements financiers. Il est requis, pour qu'il y ait levée du secret bancaire, que le contribuable ait profité, avec l'aide ou l'intervention de son banquier, d'un procédé impliquant une répétition d'opérations.

      L'idée d'un concours systématique est donc fondamentale [12].

      On y relèvera tous les services qu'une institution financière peut rendre à ses clients afin de permettre l'encaissement des revenus de placements d'origine étrangère sans retenue du précompte mobilier belge (p. ex. l'encaissement des coupons par l'intermédiaire d'un passeur, des conseils pour éviter ce prélèvement, une aide procurée à un organisme étranger pour qu'il puisse contacter des clients potentiels en Belgique, l'envoi de coupons détachés à une succursale ou filiale étrangère, etc.).

      Sont également des procédés constitutifs de 'mécanismes' tels que visés par le Code:

        • la mise à disposition à des habitants du Royaume de chèques au porteur tracés par un intermédiaire financier étranger;
        • la création, au profit de résidents, de comptes bancaires dits 'à rubriques' ou 'sous-comptes' qui fonctionnent entre le titulaire et la banque comme un compte unique, mais qui permettent, lors de contrôles fiscaux, de n'exhiber que les extraits d'un seul des sous-comptes;
        • la pratique dite du 'crédit fiscal'.

        La question de savoir quelles sources d'information l'administration peut utiliser pour rechercher des 'éléments concrets' a fait l'objet d'une décision du tribunal de première instance de Gand qui a fait grand bruit [13].

        Dans l'affaire soumise au tribunal, c'est sur base de l'article 318, 2ème alinéa, du CIR 1992 et la possibilité de levée du secret bancaire qui en découle, que l'administration invita une banque à lui fournir des renseignements au sujet d'un client déterminé. L'administration estimait, notamment, que ce client avait fictivement - via des entités étrangères telles que des sociétés 'off shore' et des trusts - transféré ses comptes belges à l'étranger en vue d'éluder le précompte mobilier, alors qu'il apparaissait, selon elle, que la gestion du patrimoine se faisait, en réalité, toujours depuis la Belgique.

        La banque estimait de son côté que les conditions justifiant la levée du secret bancaire n'étaient pas remplies et intenta une procédure devant le tribunal de première instance de Gand; sur demande reconventionnelle, l'administration invita le tribunal à condamner la banque à fournir les renseignements dans un délai déterminé, sous peine d'astreinte.

        La banque défendait la thèse que le secret bancaire de l'article 318, 1er alinéa, du CIR 1992 est la règle générale et la levée du secret visée à l'alinéa 2 l'exception, et qu'une exception doit être interprétée de manière extrêmement restric­tive.

        Le tribunal décide le contraire: le secret bancaire de l'alinéa 1er de l'article 318 constitue l'exception à la règle générale (de l'art. 317) selon laquelle le fisc peut, en principe, utiliser les renseignements recueillis en vue de taxer des tiers, de telle sorte que la levée du secret bancaire préconisée par l'alinéa 2 de l'article 318 relève de la règle générale. Pour étayer sa thèse, le tribunal renvoie à un article fort contestable de Alain Zenner [14].

        Par ailleurs, le tribunal rejette l'idée défendue par la banque selon laquelle le secret bancaire ne pourrait être levé que si, au moment de l'autorisation donnée au fonctionnaire d'effectuer un complément d'enquête auprès de la banque, l'enquête fiscale réalisée auprès de la banque a fait apparaître des éléments concrets permettant de présumer l'existence ou la préparation d'un mécanisme de fraude fiscale.

        Selon le tribunal, l'administration ne doit pas se limiter à tenir compte de ce que l'administration trouve elle-même au moment de l'autorisation au cours de sa propre enquête auprès de la banque; elle peut aussi tenir compte d'autres informations provenant par exemple d'une instruction pénale, et qui existent au moment de l'autorisation.

        Le tribunal décide qu'il se trouve bien en présence d'éléments concrets qui permettent de présumer l'existence d'une fraude fiscale; les éléments concrets font apparaître que le contribuable prétendait gérer son patrimoine à l'étranger (en exemption du précompte mobilier), tandis qu'en réalité la gestion du patrimoine et le paiement des intérêts se déroulaient en Belgique (en éludant le précompte mobilier).

        Par ailleurs, le tribunal ordonna la banque à produire les renseignements requis dans un délai de 14 jours à partir de la signification du jugement sous peine d'une astreinte de 1.000.000 EUR par jour de retard (alors que l'administration demandait une astreinte de 100.000 EUR par jour de retard)… [15].

        4. Le conflit entre les articles 335 et 336 du CIR 1992 et le secret bancaire consacré par l'article 318 du CIR 1992

        Les fonctionnaires de l'administration des contributions directes ne peuvent pas demander à un établissement financier des informations nominatives au sujet des clients de cet établissement.

        Ils ne sont pas davantage autorisés à recueillir des renseignements les concernant, ce qui implique qu'ils ne peuvent pas en prendre connaissance, même s'ils n'entendent pas en faire usage.

        Par contre, en matière d'impôts indirects, tels que le Code de la TVA ou le Code des droits d'enregistrement, il n'est pas question de secret bancaire.

        Un fonctionnaire de l'administration de la TVA pourrait dès lors exiger d'un établissement financier des informations que son collègue de l'administration des contributions directes ne peut légalement obtenir et pourrait ensuite sur base de l'article 336 du CIR 1992 transmettre ces informations à l'administration des contributions directes qui s'en servirait pour établir l'impôt à charge des clients de l'établissement financier.

        Il va de soi que si l'on veut éviter de vider de toute utilité pratique l'article 318 du CIR 1992, il faut considérer que les renseignements obtenus en vertu des pouvoirs d'investigation reconnus par une loi fiscale ne peuvent être utilisés pour mettre à néant le secret bancaire reconnu par une autre loi fiscale.

        La thèse ainsi formulée revient à dire que l'article 318 du CIR 1992 constitue, dans cette optique, une dérogation aux articles 335 et 336 de ce code, en ce qui concerne les renseignements obtenus auprès des établissements financiers.

        Cette thèse a fort heureusement été confirmée par la jurisprudence récente qui précise que l'administration des contributions directes ne peut utiliser des informations qu'elle a obtenues par une autre administration ou par l'administration de l'inspection spéciales des impôts exerçant les missions de cette autre administration [16]:

        L'ISI avait fondé une taxation à l'impôt des sociétés sur des renseignements qu'elle avait recueillis auprès d'une banque dans le cadre de la législation relative à la taxe sur les opérations boursières.

        Le Code des taxes assimilées au timbre indique, en effet, que les banquiers sont tenus de communiquer aux fonctionnaires de l'administration de l'enregistrement, agissant en vertu d'une autorisation spéciale de leur directeur général, tous registres, répertoires, livres, actes et tous autres documents, afin que ces fonctionnaires puissent “s'assurer de la juste perception des taxes assimilées au timbre” (en l'occurrence la taxe sur les opérations boursières).

        Par ailleurs, l'article 336 du CIR 1992 précise que tout renseignement découvert ou obtenu dans l'exercice de ses fonctions par un agent d'une administration fiscale de l'Etat peut être invoqué par l'Etat pour la recherche de toute somme due en vertu des lois d'impôts.

        L'administration s'estima dès lors habilitée à utiliser l'information qu'elle avait trouvée lors de son contrôle de la taxe sur les opérations boursières pour procéder à une rectification dans le cadre de l'impôt des sociétés, en l'espèce en refusant à la société la déduction RDT.

        La cour d'appel de Mons a annulé cette cotisation. Selon la cour, l'article 318 du CIR 1992 fait obstacle à ce que l'administration des contributions directes (ou l'ISI agissant en matière de contributions directes) puisse faire usage des renseignements obtenus auprès d'une banque par une autre administration (ou par l'ISI exerçant la compétence de cette autre administration) dans le cas où elle n'aurait pas pu les obtenir directement.

        L'article 318 du CIR 1992, dont l'application est limitée à l'impôt sur le revenu, doit être considéré comme dérogeant de manière implicite mais certaine aux articles 335 et 336 du CIR 1992 qui contiennent des dispositions communes à tous les impôts.

        Il en est d'autant plus que ledit article 318 est une disposition plus récente que les autres.

        Selon la cour, en décider autrement reviendrait à vider cet article 318 de sa substance et à supprimer la protection que le législateur a entendu accorder au contribuable [17].

        Cet arrêt doit être applaudi en ce qu'il confirme que le secret bancaire au niveau du contrôle en matière d'impôts directs doit conserver toute sa substance et en ce qu'il décide qu'il est inadmissible que l'administration puisse faire usage de renseignements recueillis indirectement, alors qu'il lui est interdit de les recueillir directement à l'occasion d'un contrôle auprès d'un établissement financier.

        La Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé par l'administration contre cet arrêt en décidant qu'à peine de porter atteinte à la protection du secret bancaire instaurée par l'article 318, 1er alinéa, du CIR 1992, l'administration des contributions directes ou l'administration de l'ISI agissant en matière de contributions directes ne peut utiliser des informations qu'elle a obtenues par une autre administration ou par l'administration de l'ISI exerçant les missions de cette autre administration et que cette disposition légale lui interdisait de recueillir elle-même auprès d'une banque en vue d'imposer des clients de celle-ci [18].

        Dans un cas similaire d'utilisation par l'administration des informations résultant de l'enquête TOB, le tribunal de première instance de Liège arrive à la même conclusion.

        Le droit de l'administration de recevoir et d'utiliser les renseignements que l'administration de l'enregistrement lui communique à charge du contribuable n'est pas illimité et se heurte au prescrit de l'article 318 du CIR 1992, qui déroge aux articles 335 et 336 dudit code.

        En exerçant le droit qui lui est reconnu par l'article 336 du CIR 1992, l'administration viole le secret bancaire qui rend illégale toute investigation bancaire en vue de l'imposition des clients de l'organisme.

        En l'espèce, l'administration n'avait aucune compétence légale pour taxer le contribuable et a exercé le droit que lui confère l'article 336 du CIR 1992 dans un but illégal.

        Il y a donc détournement de pouvoirs en ce que l'administration a utilisé des informations à l'égard du contribuable dans la matière de l'impôt des sociétés alors qu'il ne les aurait pas obtenus directement dans la matière de l'impôt sur les revenus, sur la base de la seule législation qu'il prétend appliquer [19].

        5. Le jugement du tribunal de première instance de Bruxelles du 11 mars 2009

        Dans le cas d'espèce, le tribunal était confronté à une société qui avait pris en compte plusieurs opérations d'achat-revente d'emprunts d'état italiens avec perception des intérêts, dans le sens de voir comptabiliser le brutage d'une QFIE, l'imputation de cette QFIE sur l'impôt des sociétés et une moins-value liée à la différence entre le prix d'achat et le prix de revente des valeurs concernées.

        Ce dossier est donc proche du contentieux, dont question ci-dessus, lié au non-paiement de la taxe sur les opérations de bourse (TOB), par les banques qui sont intervenues dans l'opération, dossier traité par l'administration de l'enregistrement.

        Dans son jugement du 11 mars 2009, le tribunal de première instance de Bruxelles relève que, dans le cadre de l'article 318, 2ème alinéa, du CIR 1992, la détermination précise des modes valables de recherche préalable des 'éléments concrets' requis, implique de déterminer dans quelle mesure des informations perçues 'à charge' de la banque elle-même peuvent constituer pareils éléments concrets 'à charge' d'un autre contribuable.

        S'il est certain que le mécanisme proscrit un contrôle général 'à l'aveugle', sur les contribuables en examinant, en quelque sorte 'à la source', les comptes ouverts dans les banques, il a pu aussi être enseigné que “des éléments concrets peuvent être mis en évidence à l'occasion de la vérification de la situation fiscale propre d'un établissement financier et non à l'occasion de questions posées à ces établissements concernant la situation fiscale de leurs clients” [20].

        Le tribunal en déduit que les restrictions au secret bancaire doivent se concrétiser de manière nécessairement individualisée.

        Dans le cas d'espèce soumis au tribunal, celui-ci constate que le mécanisme débattu met en cause - sans préjudice du fond - un mécanisme de fraude, en violation des lois fiscales, et, s'agissant d'une cotisation relative à l'exercice d'imposition 1990, soit antérieure à l'entrée en vigueur de l'AR de pouvoirs spéciaux du 20 décembre 1996, la complicité éventuelle des banques (qui en avaient fait un produit mis en avant par leur 'marketing'), de sorte qu'à ce double égard, les conditions de fond de l'article 318 du CIR 1992 sont réunies.

        Selon le tribunal, l'origine des informations voulues est plus douteuse, au regard du 'secret bancaire'.

        Le tribunal relève que l'avis de rectification, portant au franc près le montant des frais liés à l'opération, n'a pu se concevoir que sur pied d'informations liées aux investigations du fisc portant sur la société contribuable elle-même.

        Il entend déterminer la source de ces informations nécessaires, l'administration se révélant confuse à cet égard.

        Le fisc, confronté à la critique d'avoir puisé des informations nécessaires à l'imposition dans une violation du secret bancaire, l'administration se révèle incapable d'indiquer le moment, l'origine et le mode de perception des informations utilisées, à l'exception du fruit des enquêtes menées par une autre administration - l'administration de l'enregistrement -, pour la TOB et qui ne peuvent valablement contribuer à l'enrôlement litigieux.

        Le tribunal observe encore que rien dans les exposés de l'administration, ni dans les pièces de son dossier, ne démontre que les conditions de procédure liées à l'application de l'article 318 du CIR 1992, 2ème alinéa, ont été respectées.

        Le tribunal arrive à la conclusion que la violation du secret bancaire plaidée par le contribuable est établie: elle affecte l'intégralité de l'enrôlement litigieux, dès lors que les informations irrégulièrement recueillies portent sur une opération que le fisc concevait comme un ensemble pour établir ladite cotisation. Le tribunal annule la cotisation.

        6. Conclusions

        Il résulte de l'enseignement de ce jugement que, non seulement l'administration des contributions directes ne peut utiliser des informations qu'elle a obtenues par une autre administration fiscale ou par l'administration de l'inspection spéciale des impôts exerçant les missions de cette autre administration, mais également que, lorsque l'administration entend faire application de l'alinéa 2 de l'article 318 du CIR 1992, il n'est pas admis que seules des investigations menées par une autre administration, comme en l'espèce, les investigations menées par l'administration de l'enregistrement dans le dossier de la TOB, aient pu révéler à l'administration des contributions directes les informations nécessaires à établir les revenus imposables du contribuable.

        Quoique le secret bancaire se soit vu remettre en question au niveau européen et qu'il fasse l'objet de discussions quant à son avenir en droit fiscal interne belge, il résulte de la jurisprudence qui précède que tant que le principe du secret bancaire demeurera consacré dans l'article 318 du CIR 1992 au niveau du contrôle de la déclaration en matière d'impôts sur les revenus, ce principe doit être scrupuleusement respecté par l'administration des contributions directes, sous peine de nullité des cotisations enrôlées en violation de cette disposition légale. Même si le secret bancaire connaît une lente agonie, il est toujours loin d'avoir vécu…

        Nous attirons l'attention du lecteur que ce jugement a fait l'objet d'un recours en appel.

        Laurence Deklerck

        Avocat

        [1] H. Depret, Le secret bancaire dans le cadre des pouvoirs d'investigation du fisc. Fiscalité européenne, 1981-6, p. 24.
        [2] Com.IR/92, n° 322/7.
        [3] Anvers 12 novembre 1992, FJF, No. 93/117, RGF 1993, 166.
        [4] Civ. Liège (réf.) 6 juin 1986, JDF 1986, 359, FJF, No. 86/146.
        [5] Anvers 23 octobre 2001, FJF, No. 2001/259, Cour.fisc. 2001, 437.
        [6] Cass. 1er octobre 2004, F.02.0016.N, Cour.fisc. 2004, 719.
        [7] Bruxelles 14 octobre 2010, n° de rôle 2004/FR/12, www.fiscalnetfr .be.
        [8] Com.IR/92, n° 318/15.
        [9] M. Eloy, “Le fisc et les banques”, L'Echo, 11 février 1997, p. 10.
        [10] P. Coppens et A. Bailleux, Droit fiscal. Les impôts sur les revenus, Larcier, 1985, p. 551.
        [11] H. Depret, Le secret bancaire. Fiscalité européenne, 1981-6, p. 27; P. Coppens et A. Bailleux, Droit fiscal. Les impôts sur les revenus, Larcier, 1985, p. 551; H. Depret et L. Deklerck, Le secret bancaire, Ed. Quorum/Jurifi, 1991, p. 24.
        [12] P. Coppens et A. Bailleux, Droit fiscal. Les impôts sur les revenus, Larcier, 1985, p. 551.
        [13] Civ. Gand 26 novembre 2003, 01/4177/A, www.fiscalnet.be .
        [14] A. Zenner, “Les limites du devoir de discrétion du banquier vis-à-vis du fisc” RGF 2002, pp. 223-229.
        [15] Civ. Gand 26 novembre 2003, 01/4177/A, www.fiscalnet.be .
        [16] Mons 21 septembre 2005, FJF, No. 2007/76, pourvoi rejeté par Cass. 14 septembre 2007, JLMB 2008, 712, FJF, No. 2008/15, TFR 2008/2; Civ. Liège 2 octobre 2007, TFR 2008, 74, FJF, No. 2008/234.
        [17] Mons 21 septembre 2005, FJF, No. 2007/76.
        [18] Cass. 14 septembre 2007, F.06.0035.F, JLMB 2008, 712, FJF, No. 2008/15, TFR 2008, 2.
        [19] Civ. Liège 2 octobre 2007, TFR 2008, 74, FJF, No. 2008/234.
        [20] H. Depret et L. Deklerck, “Le secret bancaire”, Quorum 1991, p. 23.