Tribunal de première instance de Bruxelles 11 mars 2009
DROIT BANCAIRE
Secret bancaire - Pouvoirs d'investigation du fisc - Levée du secret à l'occasion découverte mécanisme de fraude - Interdiction utilisation informations échangées par d'autres administrations fiscales
En vue de pouvoir recueillir sur base de l'article 318 du CIR 1992, dans la comptabilité d'une banque, au niveau du contrôle de la déclaration des renseignements en vue de l'imposition des clients, les conditions de fond sont triples: l'existence d'éléments concrets éveillant le soupçon d'un mécanisme de fraude, mettant en jeu la complicité de la banque concernée (condition supprimée par l'AR du 20 décembre 1996), éléments qui soient apparus à la connaissance de l'administration par ses moyens d'investigation ordinaires d'une manière qui, nécessairement, ne mette pas à mal le secret bancaire institué par le même article.
La détermination précise des modes valables de recherche préalable des 'éléments concrets' requis, implique de déterminer dans quelle mesure des informations peuvent circuler d'une administration à une autre, et dans quelle mesure des informations perçues 'à charge' de la banque elle-même peuvent constituer pareils éléments concrets 'à charge' d'un autre contribuable.
Il a été précisé que l'administration des contributions directes ne peut utiliser des informations qu'elle a obtenues par une autre administration ou par l'administration de l'inspection spéciale des impôts exerçant les mesures de cette autre administration, alors qu'elle ne peut les recueillir elle-même sans violer le secret bancaire.
Dans le cas d'espèce, le tribunal arrive à la conclusion que l'administration des contributions directes se révèle incapable d'indiquer le moment, l'origine et le mode de perception des informations utilisées, à l'exception des enquêtes menées par une autre administration fiscale, pour la taxe sur les opérations de bourse et qui ne peuvent valablement contribuer à l'enrôlement litigieux.
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BANKRECHT
Bankgeheim - Onderzoeksmacht van de fiscus - Opheffing bankgeheim n.a.v. ontdekking mechanisme belastingontduiking - Verbod aanwending gegevens uitgewisseld door andere belastingadministraties
Om, naar aanleiding van een controle van de boekhouding van een bank, op grond van artikel 318 WIB 1992, inlichtingen in te zamelen met het oog op de taxatie van de klanten, dienen drie voorwaarden vervuld te zijn: het bestaan van concrete elementen die het bestaan doen vermoeden van een mechanisme van belastingontduiking, met de medeplichtigheid van de betrokken bankinstelling (deze voorwaarde werd bij KB d.d. 20 december 1996 opgeheven), gegevens die aan het licht van de administratie gebracht werden door haar eigen onderzoeksmiddelen, zonder het door dezelfde bepaling voorgeschreven bankgeheim te schenden.
De nauwkeurige bepaling van de voorafgaande onderzoeksmiddelen van de 'concrete elementen' houdt in dat dient nagegaan te worden in welke mate deze inlichtingen van de ene naar de andere administratie kunnen circuleren en in welke mate inlichtingen ingewonnen 'ten laste van' de bank zelf zulke concrete elementen kunnen uitmaken 'ten laste van' een andere belastingplichtige, meer bepaald de klant.
Er werd geoordeeld dat de administratie der directe belastingen de inlichtingen die zij van een andere belastingadministratie of van de bijzondere belastinginspectie die de onderzoeksmiddelen van deze andere administratie aanwendt, kan gebruiken, terwijl zij zelf deze inlichtingen niet kan inwinnen zonder het bankgeheim te schenden.
De rechtbank stelt in onderhavig geval vast dat de administratie der directe belastingen niet bij machte is het ogenblik, de oorsprong en de wijze van het bekomen van de aangewende inlichtingen aan te tonen, behalve de onderzoekingen die door een andere belastingadministratie uitgevoerd werden in het kader van het dossier omtrent de taks op de beursverrichtingen, die de betwiste aanslag niet kunnen schragen.
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SCRL Multipharma Group / L'Etat Belge, SPF Finances, direction régionale de Bruxelles II, la SA CBC Banque, la JP Morgan Chase Bank et la SA ING Banque Belgique
Siég: Chr. Bernard, I. Berthelon et C. Hamesse (juges) |
Pl.: Mes X. Thiebaut et D. Léonard et N. Colin loco Fr. Lefèvre et M. Van der Haegen et A.-P. Dumont |
(…)
En cette cause, tenue en délibéré le 11 février 2009, le tribunal prononce le jugement suivant, vu les pièces de la procédure, dont:
- la requête contradictoire, et ses annexes, déposées au greffe du tribunal le 29 mai 2001;
- les citations en intervention forcée signifiées les 30 décembre 2002, 2 janvier 2003 et 6 janvier 2003;
- les ordonnances rendues sur pied de l'article 747 C.jud. les 28 mars 2002 (avant interventions forcées) et 31 janvier 2007;
- les conclusions déposées:
pour la partie demanderesse: synthèse du 24 septembre 2007 et conclusions en 'débats continués' du 31 décembre 2008;
pour la partie CBC Banque: synthèse du 26 novembre 2007 et conclusions en 'débats continués' du 31 décembre 2008;
pour la partie JP Morgan: synthèse du 21 novembre 2007;
pour la partie ING Banque: synthèse du 26 novembre 2007 et conclusions en 'débats continués' du 2 janvier 2009;
pour l'Etat belge: 26 novembre 2007 et 15 mai 2008, et dans la mesure où elles sont l'objet d'un litige de procédure: 28 juin 2002, 15 novembre 2002 et 2 juillet 2007.
Entendu les parties, ou leur conseil, en leurs dires et moyens aux audiences publiques des 8 janvier 2008, 5 et 11 février 2009.
Faits et procédure |
1. La demande originaire a trait à l'imposition de la demanderesse sur ses bénéfices selon bilan clôturé au 31 décembre 1989 (exercice 1990).
La demanderesse s'est d'abord vue enrôlée sous numéro d'article 184.7402, sur pied d'une déclaration, régulièrement rentrée, prenant en compte 6 opérations d'achat-revente d'emprunts d'état italiens avec perception des intérêts par la demanderesse, dans le sens de voir comptabiliser:
- le brutage d'une QFIE (de 33.105.120 FB);
- l'imputation sur les impôts, y correspondant (la législation d'époque ne prévoyant aucune prise en compte au prorata de la période de possession des titres);
- une moins-value liée à la différence entre le prix d'achat (déterminé par le fait que les valeurs étaient porteuses d'intérêts dont l'exigibilité était imminente) et le prix de revente des valeurs concernées (déterminé par le fait que ces valeurs étaient à une date éloignée de celle qui justifierait pour leur titulaire, une prochaine perception d'intérêts).
Ces 6 opérations sont détaillées dans une annexe à la déclaration (dossier adm. pièce 16), ne mentionnant cependant ni les dates d'achats respectives, ni celles des reventes, ni celle de l'encaissement du coupon; une autre annexe (pièce 15) détaille le calcul de l'impôt escompté au départ des soldes comptables requis.
Aucun document annexé à la déclaration ne révèle le montant des frais et de la moins-value liés à ces opérations QFIE, ni leur total.
2. Un avis de rectification est adressé le 27 novembre 1992 (pièce 18); il mentionne très précisément - pour le rejeter des frais déduits dans la déclaration - le montant exact des frais et moins-value liés aux opérations QFIE (8.376.611 FB), en même temps que les écritures spécifiquement liées à ces opérations (brutage et imputation sur l'impôt) sont aussi rectifiées.
La motivation de ces rectifications est la suivante:
“L'article 49 du Code des impôts sur les revenus (art. 44 ancien) stipule que les charges professionnelles déductibles sont celles que le contribuable a faites ou supportées pendant la période imposable en vue d'acquérir ou de conserver les revenus imposables pour l'exercice en cours ou pour des exercices ultérieurs.
Ces conditions d'admissibilité sont également applicables aux pertes sur opérations ponctuelles subies tant par des personnes physiques que par des sociétés. Les opérations réalisées par vous sur des obligations italiennes ont abouti à une perte délibérée de 8.676.611 FB.
Votre but en effectuant ces opérations était uniquement d'échapper partiellement ou totalement à l'impôt des sociétés afférent aux revenus imposables de l'exercice 1990. Depuis la loi de réforme du 20 novembre 1962, l'impôt intervient à un stade postérieur à la détermination du revenu net et doit être considéré comme une utilisation du revenu, de telle sorte que la recherche d'une économie d'impôt ne répond pas à la condition d'intention prévue par ledit article 49. Ceci est confirmé par une jurisprudence récente (Liège 27 mai 1992).
La perte susmentionnée doit donc être rejetée.
En fait, c'est l'ensemble de l'opération, vu son unicité, qui se trouve en dehors de l'activité professionnelle et partant également chaque élément, à savoir les montants du coupon et de la moins-value ainsi que les produits et charges connexes. En conséquence, la QFIE s'élevant à 33.105.120 FB ne peut être ni imputée ni rajoutée aux revenus imposables.
L'infraction ayant été commise dans l'intention d'éluder l'impôt, un accroissement de 50% sera appliqué conformément aux dispositions de l'article 238ter, C. L'infraction de l'arrêté royal d'exécution du Code des impôts sur les revenus.”
La demanderesse manifesta son désaccord par lettre du 21 décembre 1992. Un enrôlement supplémentaire, qui est l'enrôlement litigieux, est établi sous numéro d'article 262.744, pour l'exercice 1990 (bilan 31 décembre 1989) et est adressé le 8 janvier 1993 (pièces 31 ou 44). La réclamation administrative sera introduite le 5 mars 1993 (pièce 35) et, présentée par mandataire (pièce 43), est recevable.
Il sera aussi question d'un contentieux lié au non-paiement de la taxe sur les opérations de Bourse, par les banques qui sont intervenues dans l'opération, et une transaction interviendra à cet égard - la teneur en est rappelée dans la réclamation administrative du 19 décembre 1994 (dossier adm. pièce 85) relatif à l'exercice 1994, pour lequel le caractère déductible de cette TOB faisait litige.
3. C'est le 24 juillet 2000, que l'administration se voit autorisée pour la première fois à consulter des dossiers répressifs relatifs à des infractions éventuelles liées à des QFIE dont une des procédures visées (notices 78.66.116037/95) met en cause la partie ING Banque (à l'époque Banque Bruxelles Lambert SA); puis, le 20 septembre 2000, une procédure (notices 78.66.116039/95) concernant la CBC; et ultérieurement encore, pour les mêmes dossiers (pièces 49 et s.).
La portée de poursuites pénales actuellement pendantes est débattue (cf. infra) et aucun dossier répressif n'est produit, mais bien le réquisitoire écrit du procureur du Roi, lors du règlement de procédure dans l'espèce précitée à charge notamment de la CBC (notices 78.66.116039/95), du 20 mars 2008 (dossier CBC pièce 37).
La prévention C- mentionnée dans ce réquisitoire vise expressément une incrimination tenant dans le fait, commis
“dans l'intention frauduleuse de (…) faire bénéficier les sociétés énumérées à l'annexe 20 du PV de gendarmerie (…) d'une QFIE relative à des perceptions fictives d'intérêts à raison de l'acquisition de bons du trésor italien 'd'avoir' établi ou fait établir les documents bancaires '… incriminés de faux à la prévention A' qui attestent de l'achat de bons du trésor italien, de la perception d'intérêts (coupons) et de l'existence de deux opérations distinctes et consécutives, à savoir l'opération d'achat et une opération de vente, alors que, en réalité, les opérations d'achat et de vente étaient simultanées et uniques, et par conséquent fictives”.
Plus loin, il est question de 230 clients de CBC qui seraient impliqués dans les opérations incriminées; l'annexe mentionnée qui comporte ces noms, n'est cependant pas produite.
4. C'est en l'absence de toute décision directoriale qu'au terme du délai institué par les dispositions transitoires liées au nouvel article 1385undecies C.jud. (art. 1385undecies - Contre l'administration fiscale, et dans les contestations visées à l'article 569, 1er alinéa, 32°, l'action n'est admise que si le demandeur a introduit préalablement le recours administratif organisé par ou en vertu de la loi. L'action est introduite au plus tôt six mois après la date de réception du recours administratif au cas où ce recours n'a pas fait l'objet d'une décision et, à peine de déchéance, au plus tard dans un délai de trois mois à partir de la notification de la décision relative au recours administratif. Le délai de six mois visé à l'alinéa 2 est prolongé de trois mois lorsque l'imposition contestée a été établie d'office par l'administration. Ainsi modifié par la loi du 23 mars 1999, art. 9 (MB 27 mars 1999) - art. 11, disposition transitoire: “(...) Par dérogation à l'article 1385undecies du Code judiciaire, inséré par l'article 9 de la présente loi, la possibilité d'introduire une action au plus tôt six mois ou neuf mois après la date de réception du recours administratif au cas où ce recours n'a pas fait l'objet d'une décision, n'est pas applicable lorsque ce recours porte sur une imposition afférente à l'exercice d'imposition 1998 ou à un exercice d'imposition antérieur, en ce qui concerne les impôts sur les revenus et les taxes assimilées aux impôts sur les revenus. La présente disposition n'est pas applicable aux réclamations qui sont toujours pendantes à l'administration et qui n'auront fait l'objet d'aucune décision au 31 mars 2001”), la demanderesse introduit la requête introductive de la présente instance. La requête, pourvue des annexes requises, est recevable ce qui n'est pas contesté.
La demanderesse - qui n'affirme pas que les opérations litigieuses auraient été conçues ou suggérées par ses banquiers, mais leur impute des fautes d'exécution ou de conseil, à titre subsidiaire - fera intervenir ceux-ci à la cause, sur citations en intervention et garantie. La recevabilité de ces demandes est contestée.
Aux termes de ses ultimes conclusions, la demanderesse sollicite:
“A titre principal:
Ecarter des débats les conclusions principales et additionnelles de l'Etat belge qui sont obscures et reposent sur des pièces non produites et/ou non traduites;
Ecarter des débats les conclusions additionnelles et de synthèse de l'Etat belge pour violation de l'article 747, § 2, du Code judiciaire;
Dire la cotisation litigieuse prescrite;
Condamner le défendeur aux dépens liquidés à 30.580,12 EUR;
A titre subsidiaire:
Ordonner le dégrèvement et/ou l'annulation de la cotisation litigieuse;
Condamner le défendeur aux dépens liquidés à 30.580,12 EUR;
A titre encore plus subsidiaire:
Dire l'action en intervention forcée et garantie recevable et fondée;
Dire les parties citées en intervention forcée et garantie solidairement responsables du paiement à la concluante d'une somme correspondant au montant de la cotisation litigieuse, de ses accessoires, le tout majoré d'une somme de 8.676.611 FB ou 215.087,57 EUR;
Condamner solidairement les trois parties en intervention forcée et garantie aux dépens liquidés à 30.580,12 EUR;
A titre infiniment subsidiaire:
Par application de l'article 8 de la loi du 15 juin 1935 sur l'emploi des langues en matière judiciaire, ordonner la traduction, par l'administration, en langue française, de tout document ou extrait de document rédigé en langue étrangère figurant dans le dossier qu'elle a déposé, et notamment ceux énumérés dans les présentes conclusions;
Ordonner la production du dossier relatif à la taxe sur les opérations de bourse concernant les opérations litigieuses;
Dans tous les cas:
Ordonner le remboursement de toutes sommes indûment perçues augmentées des intérêts moratoires.”
A notre audience, cette partie précise, quant à sa demande subsidiaire dite 'en intervention et garantie', ne plus solliciter une condamnation solidaire des parties contre lesquelles elle est dirigée et invite le tribunal à renvoyer au rôle la détermination du montant précis de ces éventuelles condamnations à charge partagée de chacune des défenderesses.
5. L'Etat belge sollicite le débouté des demandes dirigées contre lui; de surcroît, en sus du dispositif de ses conclusions, cette partie sollicite aussi la surséance à statuer, en invoquant une procédure pénale pendante.
Les appelées en intervention et garantie contestent la recevabilité des demandes dont elles sont l'objet.
Au surplus, les parties JP Morgan et ING Banque sollicitent de voir la demande en garantie déclarée sans objet (en raison du fondement de la demande originaire contre l'Etat) ou non fondée, et l'attribution d'une indemnité de procédure de 30.000 EUR. La partie CBC Banque formule quant à elle les mêmes demandes de manière plus détaillée et - y ayant ajouté, dans sa seule motivation (pp. 73 et s. de ses conclusions de synthèse du 26 novembre 2007) la demande d'écartement des conclusions de l'Etat - sollicite en outre, à titre subsidiaire:
“Dans l'hypothèse où votre tribunal ne ferait pas droit à l'argument de la concluante d'écarter des débats les conclusions de l'Etat belge qui reposent sur des pièces non produites par celui-ci et/ou qui sont obscures et/ou qui constituent un amalgame violant les droits de la défense de Multipharma ou de CBC - quod non - ordonner à l'Etat belge de produire l'intégralité du dossier administratif en ce compris les dossiers répressifs à charge des différentes banques;
réserver à statuer pour le surplus.”
Ces parties contestent aussi, en audience, la demande de surséance de l'Etat belge.
Discussion |
I. | Questions préliminaires |
I.1. Quant à la recevabilité des recours, formés à titre subsidiaire par la partie Multipharma contre ses banquiers.
Les parties citées en intervention contestent la recevabilité des demandes de la partie Multipharma, dès lors que ces demandes sont formulées comme demandes en garantie, alors qu'il n'y a pas matière à traiter de 'garantie' à défaut de condamnation dont puisse être l'objet Multipharma (étant demanderesse et, par là, tout au plus susceptible d'être déboutée).
En réalité, nonobstant l'intitulé peu approprié utilisé, la demande est claire et vise à obtenir la condamnation des parties citées, à un montant restant à déterminer, mais déterminable et finalement déterminée à concurrence en tout cas d'un montant minimal de 215.087,57 EUR.
Pareille demande, formulée de manière autonome, ne pourrait être tenue pour irrecevable; formulée au titre d'intervention forcée, elle est justifiée par la connexité incontestable existant entre le litige principal et le litige suscité à titre subsidiaire par la demanderesse.
I.2. Quant à la surséance à statuer: l'Etat invoque l'existence de procédures pénales, impliquant au moins l'une des banques citées en intervention et garantie.
L'article 4 du titre préliminaire au Code d'instruction criminelle et l'adage “Le pénal tient le civil en l'état”, n'ont pas uniquement à voir avec la prééminence de l'ordre public lié à la chose jugée au pénal, sur les contentieux 'civils', mais aussi au respect de l'autorité de chose jugée, lorsqu'il s'agit de régler le conflit de procédures soumises à des juridictions de compétence différente et pour lequel il ne peut être renvoyé de l'une à l'autre.
Si l'autorité de chose jugée attachée aux décisions pénales se définit, a priori, comme valant 'erga omnes', cette portée se voit limitée aux parties qui ont pu faire valoir leur défense dans la procédure pénale dont question (sous peine de voir violer l'exigence de procès équitable, posée par l'art. 6 de la CEDH); de surcroît, l'autorité de chose jugée ne s'attache qu'aux décisions portant sur le même objet.
L'Etat, qui ne dépose aucune pièce à l'appui de sa demande de surséance, ne démontre en rien que les procédures pénales dont il invoque l'existence, pourraient aboutir à des décisions jouissant d'une quelconque autorité de chose jugée à l'égard des parties et des objets de contestation en cause dans la présente espèce.
Au surplus, il est exact que le juge du fonds (prenant par là une mesure d'ordre qui, en soi, n'est pas susceptible d'appel ou de pourvoi en cassation - cf. Cass. 4 septembre 2008, F.07.0054.F-2, produit par l'Etat) peut estimer opportun de surseoir à statuer, indépendamment des conditions d'application de l'article 4 du titre préliminaire au Code d'instruction criminelle, si l'intérêt d'une bonne justice commande de connaître la teneur d'une décision à venir (cf. Kirkpatrick, “La règle 'Le Criminel...'”, JT 2004, point 7).
Cependant, en l'espèce, l'Etat reste en défaut de produire la moindre pièce afférente à la procédure pénale pendante, qui est invoquée; en particulier rien ne permet de retenir que la demanderesse figure dans la liste des 230 clients (cf. supra, Faits et procédure, point 3) annexés au PV qui est à la base des poursuites vantées.
Il n'y a pas lieu de surseoir à statuer.
I.3. Quant aux écrits de procédure: la demanderesse et les défenderesses en garantie sollicitent, dans des termes variés et sans grande précision quant aux conclusions et pièces incriminées, l'écartement des conclusions de l'Etat: les premières, pour être obscures; les dernières, pour être des conclusions additionnelles qu'il ne serait pas permis de prendre, à défaut de conclusions antérieures valables.
Dans une matière d'ordre public - où le tribunal se doit de rechercher la norme applicable d'initiative, le cas échéant moyennant réouverture des débats - alors que l'écartement de conclusions n'interdit pas au plaideur de s'exprimer oralement, cette argumentation n'a pas de réelle portée procédurale, spécialement en premier ressort; au demeurant, il n'existe aucune interdiction de déposer des conclusions additionnelles, à défaut de conclusions principales régulièrement déposées, sauf comportement procédural déloyal caractérisé (Cass. 4 décembre 2008, C.07.0364.F/1, www.juridat .be et note M. H. Boularbah, sur le site www.procedurecivile .be; antérieurement: Cass. 14 mars 2002, Pas. 2002, I, p. 772; Cass. 27 novembre 2003, Pas. 2003, I, p. 1905; Cass. 16 mars 2006, Pas. 2006, I, p. 626).
La question de l'écartement de tel ou tel écrit de procédure pris par l'Etat est néanmoins essentielle puisque la réponse qui lui est donnée peut constituer, ou non, le soutènement d'une des causes de prescription plaidée (cf. infra).
Il apparaît cependant que les conclusions de l'Etat - toutes prises dans le respect des conditions de forme et de délais requises, et sans être réduites à une pure forme - ne sont nullement à écarter.
Si ces conclusions, et plus spécialement les premières d'entre elles, paraissent confuses, elles sont par là moins propres à convaincre et la sanction en est, pour la partie qui en est l'auteur, une minoration de ses chances d'obtenir gain de cause, nullement l'écartement de ces conclusions visant à provoquer, le cas échéant, une prescription; ceci en particulier alors que l'ensemble des textes pris par l'Etat finit par constituer un tout cohérent auquel les autres parties ont trouvé à répondre, sans que leur droit de défense en ait souffert (aucun argument, aucune référence, aucune position défendue par l'Etat n'est épinglé concrètement et précisément par les autres parties, comme ayant été formulé d'une manière qui en ait empêché définitivement l'examen; toutes les parties ont d'ailleurs conclu - ou pu conclure - après les dernières conclusions de l'Etat).
II. | Prescription |
II.1. La demanderesse et les défenderesses en garantie invoquent la prescription des impôts litigieux; il n'est pas contesté que cette prescription ne peut être acquise si les commandements signifiés par l'administration ont une portée interruptive (ce qui est un premier point de litige - infra 'II.2.' - outre la thèse subsidiaire de l'Etat liée à un éventuel effet suspensif lié à la procédure de réclamation administrative en tant que telle) et s'il en est de même des conclusions déposées par l'Etat (infra 'II.3.'), dont il a déjà été jugé qu'il n'y avait pas lieu de les écarter, (supra).
II.2.A. Antérieurement aux arrêts de cassation invoqués par la demanderesse, la prescription d'une cotisation enrôlée, régie par l'article 145 AR/CIR 1992 (art. 145 AR/CIR 1992 - Les impôts directs ainsi que le précompte immobilier se prescrivent par cinq ans à compter de la date à laquelle ils doivent être payés conformément à l'article 413 du Code des impôts sur les revenus 1992. Le précompte mobilier et le précompte professionnel se prescrivent par cinq ans à compter de la date d'exécutoire du rôle auquel ils sont portés conformément à l'article 304, § 1er, 2ème alinéa, du même code. Le délai visé aux alinéas précédents peut être interrompu de la manière prévue par les articles 2244 et suivants du Code civil ou par une renonciation au temps couru de la prescription. En cas d'interruption de la prescription, une nouvelle prescription susceptible d'être interrompue de la même manière, est acquise 5 ans après le dernier acte interruptif de la précédente prescription s'il n'y a instance en justice. Art. 2244 C.civ. - Une citation en justice, un commandement ou une saisie, signifiés à celui qu'on veut empêcher de prescrire, forment l'interruption civile), était soumise à un mécanisme d'interruption par commandements, selon une pratique pluridécennale incontestée et indispensable au regard de la suspension des poursuites que les recours entraînaient (sauf les cas marginaux de dettes fiscales liquides et exigibles, dans des cas précis et limités, - et sous réserve de la thèse subsidiaire actuelle de l'Etat relative à un éventuel caractère suspensif du recours administratif).
Ces arrêts de la Cour de cassation des 14 octobre 2002 et 21 février 2003, vont cependant dénier aux commandements signifiés par l'administration pendant la durée du contentieux, tout effet interruptif, pour le motif que le commandement visé par l'article 2244 C.civ. devrait se concevoir par référence à l'article 1499 C.jud., et qu'il devrait s'interpréter alors comme une mesure d'exécution, ce qui postule la mise en oeuvre d'une exécution et se révèle impossible à concevoir lorsque le recours administratif a suspendu le caractère exécutoire de l'enrôlement.
Ces arrêts de la Cour de cassation sont loin de convaincre le juriste attentif (cf. l'analyse méticuleuse de M. Kirkpatrick, “Effet interruptif de prescription du commandement”, JDF 2005, pp. 321 et s. spécialement points 5 à 7, et sa conclusion (“Comment admettre que la loi ait organisé un système dans lequel, d'une part, la réclamation et les recours judiciaires suspendent la force exécutoire du rôle dans la mesure où il n'y a pas d'incontestablement dû, mais n'interrompent pas la prescription pendant la durée du litige, et d'autre part, l'Etat n'a aucune possibilité d'interrompre la prescription de cinq ans pendant cette durée? Cette jurisprudence, catastrophique du point de vue de l'intérêt public, appelait évidemment une réaction législative.”)): rien ne permet de tenir pour nécessairement évident, ni que la notion de commandement visée par l'article 145 AR/CIR 1992 en renvoyant à l'article 2244 C.civ. ne puisse avoir un effet autonome sur la prescription (indépendant de l'exécution proprement dite d'un titre exécutoire), ni qu'en vertu de l'article 1499 C.jud. un commandement ne puisse pas se concevoir comme acte préparatoire à une exécution (cf. Kirkpatrick, précité (n° 5) qui souligne le poids donné à cette idée sous la plume d'un auteur; alors que la disposition du Code judiciaire reproduit le même texte à cet égard, que l'ancien Code de procédure), non nécessairement suivi d'une exécution.
II.2.B. Ainsi, les juridictions auraient pu adopter une analyse ayant la même teneur que celle qu'adoptera le législateur dans l'article 49 de la loi-programme du 9 juillet 2004 (cf.: “B. Vanermen rappelle que la nature du commandement pouvait être controversée lorsque la Cour de cassation a eu à se prononcer, ainsi qu'en témoigne la position défendue par les avocats généraux ayant conclu dans les affaires concernées”, cité par E. Van Brustem, “L'article 19 de la loi-programme...”, RGCF 2006, p. 166).
Dans cette mesure, c'est bien d'une loi interprétative qu'il y a lieu de parler à propos de cette disposition, votée avec l'intitulé 'Interprétation de l'application de l'article 2244 C.civ., en matière d'impôts sur les revenus', dès lors que, au surplus, cette disposition législative, même si elle se réfère au Code civil, vise clairement et nécessairement (“Art. 49 - Nonobstant le fait que le commandement constitue le premier acte de poursuites directes au sens des articles 148 et 149 de l'AR d'exécution du Code des impôts sur les revenus 1992, le commandement doit être interprété comme constituant également un acte interruptif de prescription au sens de l'article 2244 du Code civil, même lorsque la dette d'impôt contestée n'a pas le caractère certain et liquide.”) à interpréter la notion de commandement dans son implication tant dans l'article 410 CIR 1992, que dans l'article 2244 C.civ. nommément cité (contra: Cour constitutionnelle arrêt 177/2005, mais sur pied d'une conception de la notion d'interprétation qui la limite paradoxalement à des circonstances où elle est inutile, puisque la Cour pose que le recours à une loi interprétative n'est justifié “que lorsque la disposition interprétée ne pouvait, dès l'origine, être raisonnablement comprise autrement que de la manière indiquée dans la disposition interprétative” (arrêt considérant B.12.3)).
En tout état de cause, la différence entre disposition interprétative (rétroactive par nature) et disposition simplement rétroactive, est limitée (s'agissant notamment pour la disposition simplement rétroactive, de ne pas pouvoir trouver à s'appliquer à l'occasion d'un pourvoi en cassation (cf. avis de la section législation du Conseil d'Etat 30.111/2 et conclusions du premier avocat général Leclercq, avant Cass. 4 novembre 1996, cités par E. Van Brustem, précité, p. 141)) et la volonté du législateur de donner un caractère rétroactif à cette disposition législative est certaine (résultant tant de sa présentation comme étant interprétative, que des travaux préparatoires - cf. Kirkpatrick, précité, point 14; cf. Cass. 17 janvier 2008, F.06.0082, www.juridat.be et commenté par E. Van Brustem, note à la RGCF 2008/3, p. 226, www.strada .be).
Or, le tribunal tient pour circonstance exceptionnelle justifiant - quoi qu'il en soit de son caractère interprétatif - la rétroactivité de cette disposition législative, l'enjeu du débat sur les finances publiques de l'Etat et, partant, sur le fonctionnement des institutions qui en garantissent le caractère démocratique, dans le respect des exigences d'égalité des citoyens devant ces charges de fonctionnement.
Les services de l'Etat sont en effet soumis à un principe de continuité qui postule un apport pareillement continu de moyens, provenant pour une part non négligeable du flux ininterrompu des dossiers contentieux, au fur et à mesure de leur règlement; l'irruption d'une jurisprudence nouvelle aboutissant à voir prescrit, de manière totalement inattendue, tout un volant de ce contentieux, compromet de manière insupportable la continuité des apports de ressources pour l'Etat - sauf à provoquer une augmentation de la charge fiscale pour d'autres contribuables.
II.2.C. Certes, le caractère rétroactif d'une disposition législative ne peut lui être reconnu si cette application rétroactive heurte des principes de droit dont le respect est assuré par des normes supérieures.
II.2.C.a. Cependant, c'est à tort que la demanderesse et les appelées en garantie, voient dans l'application rétroactive de cette législation une ingérence du pouvoir législatif dans l'exercice du pouvoir judiciaire, qui vicierait la procédure au regard de l'article 6 de la CEDH - garantissant en matière de recouvrement d'impôts un procès équitable - ou de l'article 1 - du premier protocole.
Il faut d'abord observer que la vérification à opérer à cet égard, nécessite une appréciation concrète (faute de quoi, c'est le principe même de la rétroactivité qui serait, en toutes circonstances, tenu pour générer une ingérence du pouvoir législatif dès lors qu'il y a toujours des litiges ouverts qui s'en trouvent affectés); cette appréciation vise à éviter des atteintes à la sécurité juridique, sous l'angle concret présenté par une espèce donnée, qui soient sans rapport de proportionnalité avec l'intérêt général présenté comme justifiant la rétroactivité de la mesure étudiée (cf. E. Van Brustem, précité, pp. 169 et s.) - les censures de la Cour de justice étant, en définitive, motivées par des circonstances particulières, telle la convergence chronologique entre la mise en oeuvre d'un recours extraordinaire dans une espèce donnée et l'adoption de la norme rétroactive.
En la présente espèce, de manière générale eu égard à la nature de l'article 49 de la loi-programme et aux circonstances qui ont présidé à son vote, le caractère rétroactif de la disposition litigieuse n'aboutit pas à supprimer un droit que le contribuable aurait acquis (en tout cas, pour autant que l'application rétroactive de la loi dont question, n'intervienne pas pour la première fois au stade du recours extraordinaire qu'est le recours en cassation - cf. supra, et texte en rapport), mais à supprimer un certain 'effet d'aubaine' que le caractère rétroactif que revêt la jurisprudence de la Cour de cassation, faisait naître (on peut d'ailleurs s'étonner que personne ne s'émeuve de la portée rétroactive qui est donnée, de fait, à la jurisprudence de notre Cour suprême, à l'inverse des aménagements que tente la Cour de cassation de France en la matière: cf. E. Van Brustem, précité, p. 167).
De surcroît, il doit être souligné plus spécifiquement à la présente cause, que les parties demanderesses et appelées en garantie n'avaient nullement soulevé la prescription de la dette d'impôt, ni esquissé l'argumentaire qui devait, dans d'autres espèces, aboutir aux arrêts de la Cour de cassation - argumentaire qu'ils n'invoquent qu'ensuite de ces arrêts, en même temps qu'ils contestent le caractère rétroactif de l'article 49 de la loi-programme.
L'application rétroactive de cette disposition ne traduit donc aucune ingérence du législateur dans la présente espèce.
II.2.C.b. De même, eu égard à la complexité du dossier - en droit, mais surtout 'en faits' (une analyse de la pièce 364 du dossier administratif en témoigne, mais aussi les éléments d'extranéité dont témoignent les diagrammes liés aux transferts liés à la seule ING Banque - pièces 104-105; ou le détail des tableaux de synthèse de la documentation à réunir, puis analyser - pièces 165 et s.) - il n'y a pas matière à constater le dépassement du délai raisonnable; il faut d'ailleurs relever que depuis l'introduction de l'instance judiciaire, toutes les parties disposent des mêmes instruments légaux de mise en état de la procédure et que de nouveaux délais ont été requis par l'intervention en garantie dont la demanderesse a pris l'initiative.
II.3. La dette d'impôts n'est pas davantage prescrite pour défaut d'actes interruptifs pendant la procédure judiciaire.
D'une part, les conclusions prises et régulièrement déposées par l'Etat constituent des actes de procédure valables (cf. supra); d'autre part, ces conclusions constituent valablement la postulation judiciaire de la créance litigieuse, que doit constituer pareil acte de procédure pour avoir un effet interruptif sur la prescription de cette créance (“Notion de la citation - (...) Toute demande tendant à faire reconnaître en justice le droit menacé est interruptive de prescription, qu'elle soit formée: (...) d) par conclusions” (De Page, Traité, T. VII, n° 1172)).
La circonstance que, compte tenu de son rôle 'mécanique' de défendeur à la procédure, l'Etat soit amené à solliciter le débouté de la demande plutôt que la condamnation du contribuable, ne peut amener à d'autre conclusion: d'une part, bénéficiant du caractère exécutoire de l'enrôlement, l'Etat ne peut pas prendre l'initiative de la procédure ni solliciter une condamnation et il serait contraire à toute logique que ce privilège exécutoire attaché à l'enrôlement ait l'effet pervers de ne pas permettre l'interruption de la prescription de cette dette pendant la procédure judiciaire; d'autre part, exiger dans le dispositif des conclusions de l'Etat la formulation d'un simulacre de demande de condamnation pour que l'effet interruptif de ces conclusions soit admis, revient à poser une exigence purement solennelle et dénuée de sens.
III. | Quant à la validité de la procédure d'enrôlement au regard du 'secret bancaire' |
III.1. Le secret bancaire (qui n'a rien d'un principe de droit ou d'une norme de droit international, se voit remettre en question au niveau européen et ne trouve nullement son siège dans l'article 458 du Code pénal (cf. “Le secret professionnel…”, J.-P. Bours, RGCF 2003, pp. 103 et s.)) se voit à la fois institué et limité par la même disposition législative, étant l'article 318 CIR 1992 (art. 318 - (AR 20 décembre 1996, applicable aux actes de procédure relatifs à l'exercice 1997 jusqu'à motivation par la L.-progr. du 20 juillet 2006). Par dérogation aux dispositions de l'article 317, et sans préjudice de l'application des articles 315, 315bis et 316, l'administration n'est pas autorisée à recueillir, dans les comptes, livres et documents des établissements de banque, de change, de crédit et d'épargne, des renseignements en vue de l'imposition de leurs clients. Si cependant, l'enquête effectuée sur base des articles 315, 315bis et 316 a fait apparaître des éléments concrets permettant de présumer l'existence ou la préparation d'un mécanisme de fraude fiscale, le directeur général de l'administration qui a effectué l'enquête peut, avec l'accord conjoint de l'administrateur général des impôts et de l'administrateur général adjoint des impôts, prescrire à un fonctionnaire du grade d'inspecteur au moins, de relever dans les comptes, livres et documents de l'établissement, les renseignements permettant de compléter l'enquête et de déterminer les impôts dus par ce client.) et antérieurement 224 CIR 1964 (selon un texte plus exigeant quant aux modes de limitation dudit secret, la complicité de l'institution bancaire étant alors requise dans le mécanisme de fraude dont il y a lieu de déceler des éléments concrets préalables à la levée du secret bancaire (art. 224 - Par dérogation aux dispositions de l'article 223, et sans préjudice de l'application des articles 221 et 222, l'administration n'est pas autorisée à recueillir, dans les comptes, livres et documents des établissements de banque, de change, de crédit et d'épargne, des renseignements en vue de l'imposition de leurs clients. Si cependant, l'enquête effectuée sur base des articles 221 et 222 a fait apparaître des éléments concrets permettant de présumer l'existence d'un mécanisme ayant pour but ou pour effet d'organiser des infractions à la loi fiscale et qui implique une complicité de l'établissement et du client dans un but de fraude fiscale, le directeur général de l'administration de l'inspection spéciale des impôts, peut, avec l'accord de l'administrateur général des impôts, prescrire à un fonctionnaire du grade d'inspecteur au moins, de relever dans les comptes, livres et documents de l'établissement, les renseignements permettant de compléter l'enquête et de déterminer les impôts dus par ce client.)).
Les conditions de fond, requises pour voir déclenchée la procédure de l'article 224 CIR 1964, sont triples: l'existence d'éléments concrets éveillant le soupçon d'un mécanisme de fraude, mettant en jeu la complicité de la banque concernée, éléments qui soient apparus à la connaissance de l'administration par ses moyens d'investigations ordinaires (H.-D. Depret et L. Decklerck, “Le secret bancaire”, Quorum 1991, pp. 22 et s.) - d'une manière qui, nécessairement, ne mette pas à mal le secret bancaire institué par le même article.
La détermination précise des modes valables de recherche préalable des 'éléments concrets' requis, implique de déterminer dans quelle mesure des informations peuvent circuler d'une administration à une autre, et dans quelle mesure des informations perçues 'à charge' de la banque elle-même peuvent constituer pareils éléments concrets 'à charge' d'un autre contribuable.
S'il est certain que le mécanisme proscrit un contrôle général, 'à l'aveugle', sur les contribuables en examinant, en quelque sorte 'à la source', les comptes ouverts dans les banques, il a pu aussi être enseigné que “des éléments concrets 'peuvent' être mis en évidence à l'occasion de la vérification de la situation fiscale propre d'un établissement financier et non à l'occasion de questions posées à ces établissements concernant la situation fiscale de leurs clients”. (H.-D. Depret et L. Decklerck, précité, p. 23; Com.IR n° 318/14 “Est visée la vérification fiscale effectuée sur la base des art. 315 et 316 CIR 1992, auprès de l'établissement lui-même...”).
En revanche, il a été précisé (contrairement (ou à tout le moins en restriction) à ce qu'enseigne le commentaire administratif: Com.IR n° 318/25: “La loi ne donne aucune précision au sujet du fonctionnaire, de l'administration ou du service qui utilisera les renseignements recueillis sur le pied de l'art. 318, al. 2, CIR 1992, en vue de la taxation du client. Elle n'a pas davantage limité leur emploi d'une quelconque manière. Compte tenu des art. 335 et 336 CIR 1992, l'utilisation de ces renseignements n'est soumise à aucune limite au sein des administrations fiscales et s'étend donc à tous les impôts éventuellement dus, tout en étant également possible dans le cadre de l'art. 337, al. 2, CIR 1992.”) que l'administration des contributions directes ne peut utiliser des informations qu'elle a obtenues par une autre administration ou par l'administration de l'inspection spéciale des impôts exerçant les missions de cette autre administration.” (“L'arrêt constate que, faisant usage des renseignements qu'elle avait recueillis auprès de la banque dont la défenderesse était cliente, dans le cadre d'une enquête relative à des opérations de bourse visées par le Code des taxes assimilées au timbre, l'administration de l'inspection spéciale des impôts a enrôlé à charge de la défenderesse un supplément de cotisation à l'impôt des sociétés. L'article 224, 1er alinéa, du Code des impôts sur les revenus (1964) dispose que, par dérogation aux dispositions de l'article 223, et sans préjudice de l'application des articles 221 et 222, l'administration n'est pas autorisée à recueillir, dans les comptes, livres et documents des établissements de banque, de change, de crédit et d'épargne, des renseignements en vue de l'imposition de leurs clients. En vertu de l'article 211, § 2, 1er alinéa, du Code des taxes assimilées au timbre, tout renseignement, pièce, procès-verbal ou acte découvert ou obtenu dans l'exercice de ses fonctions, par un agent d'une administration fiscale de l'Etat, soit directement, soit par l'entremise d'un des services administratifs désignés par ce code, peut être invoqué par l'Etat pour la recherche de toute somme due en vertu des lois d'impôts. A peine, toutefois, de porter atteinte à la protection du secret bancaire instaurée par l'article 224, 1er alinéa, précité, l'administration des contributions directes ou l'administration de l'inspection spéciale des impôts agissant en matière de contributions directes ne peut utiliser des informations qu'elle a obtenues par une autre administration ou par l'administration de l'inspection spéciale des impôts exerçant les missions de cette autre administration et que cette disposition légale lui interdisait de recueillir elle-même auprès d'une banque en vue d'imposer des clients de celle-ci.” (Cass. 14 septembre 2007, JLMB 2008, p. 712, www.juridat.be )).
La procédure proprement dite de mise eu oeuvre de l'article 224 CIR 1994 requiert le respect de formalités décrites par le commentaire administratif, impliquant des devoirs précis par rapport à un contribuable donné (Com.IR n° 318/22: “Le fonctionnaire qui, à l'occasion d'une enquête effectuée sur la base des articles 315 et 316 CIR 1992, auprès d'un établissement financier, rencontre des circonstances décrites aux nos 318/12 à 18, fait rapport à ce sujet par la voie hiérarchique à son directeur général (contributions directes ou inspection spéciale des impôts, selon le cas). Une identification exacte de l'établissement et du client ou des clients intéressés et une description précise des constatations faites et des présomptions relevées sont exigées. Si l'enquête est effectuée par les services des contributions directes, le directeur général de cette administration envoie à son collègue de l'inspection spéciale des impôts le rapport qu'il complète par son avis et, éventuellement, par la désignation du fonctionnaire qui pourrait être chargé de rassembler les renseignements. Si le directeur général de l'inspection spéciale des impôts estime que l'article 318, 2ème alinéa, CIR 1992, doit effectivement être appliqué, il prend la décision de faire recueillir les renseignements permettant de compléter l'enquête. La décision ne peut être exécutée que si elle est contresignée pour accord par l'administrateur général des impôts”).
En synthèse de ces conditions de fond et de forme, les restrictions au secret bancaire doivent se concrétiser de manière nécessairement individualisée; le commentaire administratif le confirme d'ailleurs, travaux préparatoires à l'appui (Com.IR n° 318/11: “Au surplus, il découle des travaux préparatoires de la loi du 8 août 1980 que l'article 318, 2ème alinéa, CIR 1992, ne vise pas une collecte générale d'informations en vue de l'imposition des clients. C'est seulement dans les cas individuels où des éléments concrets laissent présumer l'existence d'une fraude caractérisée et organisée au moyen de mécanismes tels qu'ils sont visés dans la loi, que cette disposition peut être utilisée (ibid., Doc. 483/9, p. 25 et Ann.parl. Chambre 1979-80, p. 2392). Cette disposition sera donc appliquée exceptionnellement et dans des cas limités: selon la déclaration du secrétaire d'Etat, cela reste une procédure exceptionnelle dirigée contre la fraude organisée, à laquelle on ne recourra pas inconsidérément (ibid., Doc. 483/9, p. 26)”).
III.2. En l'espèce, le mécanisme débattu met en cause - sans préjudice du fond - un mécanisme de fraude, en violation des lois fiscales, et la complicité éventuelle des banques (qui selon l'Etat, en avaient fait un produit mis en avant par leur 'marketing') de sorte qu'à ce double égard, les conditions de fond de l'article 224 CIR 1964 sont remplies.
L'origine des informations voulues est plus douteuse, au regard du 'secret bancaire'.
Il faut en effet relever que l'avis de rectification, portant au franc près le montant des frais liés à l'opération (qui était celé dans un résultat global de l'entreprise, bénéficiaire, et n'était révélé par aucune annexe à la déclaration, la mention de QFIE n'étant pas en soi indicatrice d'opérations de vente et revente à perte, et encore moins du montant exact de cette 'perte' sur l'opération), n'a pu se concevoir que sur pied d'informations liées aux investigations du fisc portant sur la demanderesse elle-même (et dont il est admis qu'elles ne furent pas menées, avant l'avis de rectification, auprès de la contribuable elle-même).
A cet égard, c'est donc à tort que l'administration indique (pièce 364, étant un rapport global commun à plusieurs litiges, indéterminés, de QFIE italiennes - c'est ici que les critiques des parties adverses quant à des conclusions et pièces inappropriées parce que trop générales, trouvent leur portée, même si ces conclusions n'ont pas été tenues pour non avenues) que “cet avis de rectification a, à juste titre, été qualifié de 'standard' par les contribuables. Il n'aurait pu en être autrement vu les similitudes fondamentales entre tous les montages…” (p. 3 du rapport): au contraire, en l'espèce, l'avis de rectification n'est en rien standard mais se révèle mathématiquement précis et spécifique au cas de la demanderesse.
Il reste à déterminer la source de ces informations nécessaires, l'Etat se révélant confus à cet égard (à force de précisions et détails, dont le lien avec les données de l'espèce n'est pas prouvé, ni même affirmé - ce qui est un nouvel écho aux critiques de ses adversaires, quant au caractère excessivement général de ses thèses et pièces).
A priori, il n'apparaît pas que seules des investigations menées par une autre administration, en rapport avec la TOB, aient pu révéler à l'administration compétente les informations nécessaires à établir les revenus imposables de la demanderesse (encore que le 9 juin 1995, le directeur financier de la partie Multipharma, signait un PV dressé par l'ISI dans le cadre d'une enquête portant expressément et exclusivement sur la TOB - dossier adm. pièce 371) et il résulte de multiples pièces que des investigations et enquêtes (dont l'Etat invoque l'existence) portaient sur la QFIE elle-même et donc relevaient de l'administration chargée de l'impôt sur les revenus.
Cependant, ces investigations nécessaires à voir établie la cotisation, sont pour l'essentiel postérieures à l'envoi de l'avis de rectification (du 27 novembre 1992, pour un AER de janvier 1993); certes, l'administration invoque la découverte, dès 1991 et 1992, de 'documents de démarchage' (révélant l'ensemble du mécanisme) lors de perquisitions liées à la QFIE pour d'autres contribuables, mais rien dans ces dossiers ne permettaient de constater dans le chef de la demanderesse elle-même la chronologie et les frais de vente-revente qui sont caractéristiques du mécanisme incriminé, ni d'isoler, au franc près, ces frais et moins-values consentis par la demanderesse; certes aussi, l'administration invoque une visite opérée par l'ISI en rapport avec la QFIE “dans une banque organisatrice du montage QFIE Italie” (concl., p. 28) mais on peut douter qu'il s'agisse là des données concernant la demanderesse puisque dans la suite de ce développement en conclusions, l'Etat précise que les avis de rectification sont antérieurs à cette visite (alors qu'il leur est postérieur dans les circonstances de l'espèce, qui n'est donc pas concernée par ce passage des conclusions et les informations recueillies auprès de cette banque indéterminée).
In fine, confronté à la critique d'avoir puisé des informations nécessaires à l'imposition dans une violation du secret bancaire, l'Etat se révèle incapable d'indiquer, dans l'espèce précise qui est soumise au tribunal, le moment, l'origine et le mode de perception des informations utilisées - à l'exception du fruit des enquêtes menées par une autre administration, pour la TOB et qui ne peuvent valablement contribuer à l'enrôlement litigieux (supra).
Surtout, il faut observer que rien dans les exposés de l'Etat, ni dans les pièces de son dossier, ne démontre que les conditions de procédure liées à l'application de l'article 224 CIR 1964, 2ème alinéa ont été respectées (supra) - ce qui n'est pas sans lien avec le flou qui entoure l'examen des conditions de fond.
S'il est concevable, pour l'étude de mécanismes de fraude potentielle aussi complexes que celui débattu et mettant en cause une ou plusieurs banques ou réseaux de banque, par-delà les frontières, que l'Etat ouvre préalablement avec ces banques un dialogue général, à portée 'intellectuelle', pour se faire une religion avant de poursuivre l'enrôlement rectificatif de contribuables donnés, il est cependant nécessaire que le virage dans ses investigations que cet enrôlement implique (et la collecte des données que cela nécessite) respecte les conditions de fond et de procédure requises, avant l'envoi d'un avis de rectification fondé sur les données collectées.
La violation du secret bancaire plaidée par la demanderesse et ses appelées en intervention, est établie; elle affecte l'intégralité de l'enrôlement litigieux, dès lors que les informations irrégulièrement recueillies portent sur une opération que le fisc concevait comme un ensemble pour établir ladite cotisation. La demande principale est fondée; les demandes en intervention forcée sont sans objet.
III. | Dépens |
L'indemnité de procédure de la demanderesse lui est due par l'Etat; eu égard à l'enjeu du litige, il n'apparaît pas que la complexité du litige justifie une indemnité majorée et le taux 'de base' sera retenu, soit 15.000 EUR. Il en est de même pour les indemnités des parties appelées en intervention, au paiement desquelles la demanderesse sera condamnée, tandis que le coût des citations en intervention lui sera délaissé.
Par ces motifs,
Le tribunal,
Vu les dispositions de la loi du 15 juin 1935 sur l'emploi des langues en matière judiciaire;
Statuant contradictoirement et en premier ressort, et écartant toutes autres conclusions contraires,
Déclare la demande recevable et fondée; annule la cotisation litigieuse et déclare sans objet les demandes en intervention forcée;
Condamne l'Etat à l'indemnité de procédure de la SCRL Multipharma, liquidée à 15.000 EUR; condamne la SPRL Multipharma à l'indemnité de procédure due aux parties SA CBC Banque, JP Morgan Chase Bank et SA ING Banque, liquidée à 15.000 EUR pour chacune de ces parties.
(…)