Article

Cour d'appel Bruxelles, 16/03/2009, R.D.C.-T.B.H., 2011/4, p. 338-348

Cour d'appel de Bruxelles 16 mars 2009

INSTITUTIONS ET INTERMÉDIAIRES FINANCIERS
Gestion de fortune et conseiller en placements - Accord - Indemnité - Preuve du contrat
La gestion de fortune peut être entièrement ou partiellement discrétionnaire. Si toutefois chaque opération requiert l'autorisation expresse et préalable du client et qu'aucun acte de disposition ne peut être posé sur initiative propre, il ne s'agit pas de gestion de fortune au sens de la loi, mais de conseil en placements.
La rémunération du gestionnaire de portefeuille peut être directe ou indirecte. Le placement de produits 'maison' dans le portefeuille de ses clients, permet au gestionnaire de fortune de s'assurer une forme de rémunération en contrepartie de ses services, fût-elle indirecte.
En matière civile, la preuve par présomption n'est admise, pour les litiges portant sur un montant supérieur à 375 EUR, que s'il existe un commencement de preuve par écrit au sens de l'article 1347 du Code civil, qui doit émaner de celui auquel on l'oppose. Des bordereaux de confirmation d'ordres et de transaction, des extraits de compte ou des états de compte établis par la banque ne peuvent dès lors être opposés aux clients en tant que présomption au motif que ces bordereaux constitueraient un commencement de preuve par écrit.
L'absence de contrat conclu par écrit préalablement au commencement par le gestionnaire de fortune de l'exécution de ses prestations, est sanctionnée par la nullité relative du contrat.

FINANCIELE INSTELLINGEN EN TUSSENPERSONEN
Vermogensbeheer en beleggingsadviseurs - Overeenkomst - Vergoeding - Bewijs van de overeenkomst
Vermogensbeheer kan geheel of gedeeltelijk discretionair worden uitgevoerd. Indien evenwel elke verrichting het uitdrukkelijk en voorafgaand akkoord van de cliënt vereist en de financiële instelling op eigen initiatief geen enkele daad van beschikking kan stellen, is er wettelijk gezien geen sprake van vermogensbeheer, maar wel van beleggings­advies.
De vergoeding van de vermogensbeheerder kan rechtstreeks of onrechtstreeks zijn. De opname van 'eigen' producten in de klantenportefeuille laat de vermogensbeheerder toe om zich van een tegenprestatie voor zijn diensten te verzekeren, zij het dan onrechtstreeks.
In burgerlijke zaken wordt het bewijs door vermoedens slechts aanvaard voor geschillen met een waarde van meer dan 375 EUR, wanneer een begin van bewijs door geschrifte in de zin van artikel 1347 BW voorhanden is, dat moet uitgaan van diegene tegen wie het geschrift wordt ingeroepen. Borderellen ter bevestiging van orders of transacties, rekeninguittreksels of rekeningstaten die door de bank werden opgesteld, kunnen bijgevolg niet als bewijs door vermoeden worden ingeroepen tegen klanten, met als argument dat deze borderellen een begin van bewijs door geschriften zouden uitmaken.
Het gebrek aan voorafgaand geschreven contract bij aanvang van de uitvoering van de diensten van de vermogensbeheerder, wordt gesanctioneerd door de relatieve nietigheid van dat contract.

T.V. et L.N. / ABN Amro Bank

Siég.: E. Herregodts (conseiller)
Pl.: Mes Fr. Glansdorff, R. Hardy et J. Peeters
I. La décision attaquée

L'appel est dirigé contre le jugement prononcé le 31 janvier 2006 par le tribunal de commerce de Bruxelles.

Il n'est pas produit d'acte de signification de cette décision.

II. La procédure devant la cour

L'appel est formé par requête, déposée par M. T. et Mme L. au greffe de la cour le 21 février 2006. Leur appel est dirigé contre la société de droit néerlandais NV ABN Amro Bank (en abrégé 'ABN').

La procédure est contradictoire.

Il est fait application de l'article 24 de la loi du 15 juin 1935 sur l'emploi des langues en matière judiciaire.

III. Les faits et antécédents de la procédure

1. M. T. et Mme L. ont gagné ensemble à la Loterie Nationale, au début de l'année 1999, un montant de 28.176.000 FB (698.464,79 EUR), qu'ils ont perçu le 2 février 1999.

2. Le 27 avril 1999, une somme de 272.683 EUR a été déposée auprès d'ABN sur un compte ouvert au nom de M. T., tandis qu'une somme de 347.050 EUR a été déposée sur un compte ouvert au nom de Mme L.

Un contrat (non daté) rédigé par ABN et intitulé 'contrat d'option' a été signé par les parties. Dans ce contrat il est expressément fait référence à une demande de participation au commerce des options par l'intermédiaire d'ABN.

Au contrat d'option est joint une annexe intitulée 'CONVENTION CONCERNANT L'USAGE DU TELEFAX EN VUE DE CONFIER DES ORDRES DANS LE CADRE DES RAPPORTS ENTRE L'ABN AMRO BANK NV ET SES CLIENTS'.

3. A partir du 5 mai 1999, diverses opérations sur options ont été effectuées pour le compte des appelants. D'autre part, en exécution d'un ordre permanent une rente mensuelle de 1.239,49 EUR a été versée à chacun d'eux (et ce jusqu'au mois de décembre 2002).

Des relevés mensuels des comptes dépôts titres ont été transmis par ABN aux appelants. Il n'est pas contesté que les appelants étaient épisodiquement en rapport avec M. J., employé d'ABN.

4. Le 7 novembre 2001, ABN a consenti une facilité de crédit aux appelants à hauteur de 235.000 EUR, en vue essentiellement de l'acquisition d'une maison à Montigny-le-Tilleul (anciennement Landelies). Cette facilité de crédit a été consentie moyennant un gage sur tous les titres déposés au crédit des comptes dépôts titres ouverts au nom des appelants, ainsi que moyennant une hypothèque en premier rang à concurrence de 3.000.000 FB (74.368,06 EUR) sur l'immeuble dont question.

Les actes de nantissement portant sur les avoirs respectifs des appelants ont été passés le 7 novembre 2001 et enregistrés le 12 février 2002.

5. La situation des comptes dépôts titres des appelants s'est considérablement détériorée dans le courant des années 2001 et 2002, du fait des dépréciations des valeurs boursières sous-jacentes sur lesquelles portaient les options acquises.

6. Le 5 septembre 2002, un acte d'affectation hypothécaire sur l'immeuble à Montigny-le-Tilleul a été signé en faveur d'ABN. Cette hypothèque ainsi conférée tend à garantir à la banque “le remboursement de toutes sommes qui pourraient être dues par les crédités, de quelque chef et à quelque titre que ce soit”. L'affectation hypothécaire ne contient aucune limite quant aux montants garantis.

7. La dépréciation des valeurs boursières s'est poursuivie en 2003.

8. Par acte authentique passé le 5 mars 2003 devant le notaire Pauwels, les appelants ont vendu leur maison sise à Monceau-sur-Sambre. En vertu de l'article 7 de la lettre d'ouverture de crédit du 7 novembre 2001, le prix de vente de cet immeuble a été rétrocédé le 8 mars 2003 par le notaire Pauwels à ABN.

9. Le 12 mars 2003, les parties ont tenu une réunion afin de faire le point de la situation des avoirs des appelants. ABN a décidé de clôturer les positions en options des appelants, ce qui a eu lieu le lendemain et ce qui a impliqué un coût total de 777.820 EUR. Une proposition de transaction a été formulée par ABN.

10. Le 3 avril 2003, le conseil des appelants a mis ABN en demeure de lui communiquer diverses informations relatives aux opérations passées depuis le mois d'avril 1999, lui reprochant d'une part la conclusion d'un contrat de gestion de fortune irrégulier et d'autre part une gestion des avoirs confiés préjudiciable et non conforme aux desiderata formulés. Il a déclaré en outre que ses clients refusaient les propositions transactionnelles qui leur avaient été formulées lors de la réunion du 12 mars 2003.

Les parties ont vainement tenté de s'accorder lors d'une réunion du 23 avril 2003. Le 2 mai 2003, ABN a contesté avoir reçu un quelconque mandat de gestion et a indiqué qu'à ce moment, la valeur globale du portefeuille de M. T. était négative pour un montant de 227.572,69 EUR et celle du portefeuille de Mme L., également négative pour un montant de 287.439,90 EUR. La banque a formulé une proposition transactionnelle, sans reconnaissance préjudiciable, aux termes de laquelle il était proposé aux appelants un montant de 200.224,73 EUR pour solde de tous comptes.

Le 4 juin 2003, le conseil des appelants a confirmé la position de ses clients, rejeté en leur nom la proposition transactionnelle formulée et mis ABN en demeure d'indemniser ses clients.

11. Nonobstant un échange de courriers ultérieurs, les parties n'ont pu trouver de terrain d'entente, de sorte que le 25 septembre 2003, M. T. et Mme L. ont cité ABN devant le tribunal de commerce de Bruxelles. Leurs demandes telles que formulées par voie de leurs dernières conclusions tendaient à:

- à titre principal, entendre:

• dire pour droit que le contrat d'option conclu entre ABN et les appelants est affecté de nullité;

• condamner ABN à payer à M. T. la somme de 272.682,88 EUR, en principal, à majorer des intérêts compensatoires au taux légal depuis le 30 avril 1999, sous déduction des rentes mensuelles versées d'un montant de 1.239,47 EUR;

• condamner ABN à payer à Mme L. la somme de 347.050,93 EUR, en principal, à majorer des intérêts compensatoires au taux légal depuis le 30 avril 1999, sous déduction des rentes mensuelles versées d'un montant de 1.239,47 EUR;

• condamner ABN à payer à M. T. la somme de 66.546,32 EUR, en principal, à majorer des intérêts compensatoires au taux légal depuis le 4 juin 2003;

• condamner ABN à payer à Mme L. la somme de 66.156,25 EUR, en principal, à majorer des intérêts compensatoires au taux légal depuis le 4 juin 2003;

- à titre subsidiaire, entendre:

• prononcer la résolution du contrat d'options conclu entre ABN et les appelants, aux torts exclusifs d'ABN;

• condamner ABN à payer à M. T. la somme de 272.682,88 EUR, en principal, à majorer des intérêts compensatoires au taux légal depuis le 30 avril 1999, sous déduction des rentes mensuelles versées d'un montant de 1.239,47 EUR;

• condamner ABN à payer à Mme L. la somme de 347.050,93 EUR, en principal, à majorer des intérêts compensatoires au taux légal depuis le 30 avril 1999, sous déduction des rentes mensuelles versées d'un montant de 1.239,47 EUR;

• condamner ABN à payer à M. T. la somme de 66.546,32 EUR, en principal, à majorer des intérêts compensatoires au taux légal depuis le 4 juin 2003;

• condamner ABN à payer à Mme L. la somme de 66.156,25 EUR, en principal, à majorer des intérêts compensatoires au taux légal depuis le 4 juin 2003;

- en toutes hypothèses, entendre:

• condamner ABN à donner mainlevée, dans les dix jours de la signification du jugement à intervenir, à ses frais, de l'in­scription hypothécaire constituée en sa faveur à la suite de l'acte hypothécaire passé le 5 septembre 2002 devant le notaire Marc Pauwels à Thuin et portant sur une maison située à Montigny-le-Tilleul (anciennement Landelies), sous peine d'une astreinte d'un montant de 1.000 EUR par jour de retard;

• condamner ABN à payer aux appelants la somme de 20.000 EUR;

• condamner ABN aux intérêts judiciaires et aux dépens des deux instances, en ce compris les indemnités de procédure.

12. Devant le premier juge, ABN a conclu au non-fondement des demandes des appelants.

Sa demande reconventionnelle tendait à:

- à titre principal, entendre condamner les appelants à rembourser à ABN la somme de 553.632,01 EUR;

- à titre subsidiaire, entendre condamner les appelants à rembourser à ABN une somme de 152.708,21 EUR.

13. Par le jugement dont appel, le premier juge a déclaré les demandes principales et reconventionnelles recevables mais uniquement fondées dans la mesure où il a:

- déclaré nulle la convention de gestion de fortune avenue entre parties telle que partiellement matérialisée par le contrat d'option signé en 1999;

- ordonné la restitution des prestations réciproques et, après compensation, condamné en conséquence M. T. à payer à ABN la somme de 72.551,11 EUR et Mme L. à payer à ABN la somme de 80.156,39 EUR;

- réservé à statuer quant à la demande relative à la restitution aux appelants du prix de vente de leur immeuble sis à Monceau-sur-Sambre, et placé la cause au rôle quant à ce;

- compensé les dépens entre parties.

14. L'appel de M. T. et de Mme L. tend à entendre réformer le jugement dont appel en ce qu'il a:

- condamné M. T. à payer à ABN la somme de 72.551,11 EUR et condamné Mme L. à payer à ABN la somme de 80.156,39 EUR;

- déclaré non fondée la demande des appelants qui tendait à entendre condamner ABN à donner mainlevée, dans les dix jours de la signification du jugement à intervenir, à ses frais, de l'inscription hypothécaire constituée en sa faveur à la suite de l'acte hypothécaire passé le 5 septembre 2002 devant le notaire Marc Pauwels à Thuin et portant sur une maison située à Montigny-le-Tilleul (anciennement Landelies), sous peine d'une astreinte d'un montant de 1.000 EUR par jour de retard;

et, en conséquence:

à titre principal, à entendre:

- condamner ABN à payer à M. T. la somme de 272.682,88 EUR, à majorer des intérêts moratoires au taux légal depuis le 4 juin 2003;

- condamner ABN à payer à Mme L. la somme de 347.050,93 EUR, à majorer des intérêts moratoires au taux légal depuis le 4 juin 2003;

à titre subsidiaire, à entendre:

- condamner ABN à payer à M. T. et à Mme L. la somme de 127.956,41 EUR, à titre provisionnel, à titre de dommages et intérêts;

- désigner un expert judiciaire, avec pour mission, entre autres, de:

- déterminer quelle a été l'importance des retraits (en ce compris les rentes mensuelles) effectués par M. T. et Mme L. des comptes ouverts en leur nom respectif auprès d'ABN, entre le mois d'avril 1999 et le mois de mars 2003, qui ont été affectés à des investissements immobiliers ou mobiliers;

- déterminer quelle a été l'importance des retraits (en ce compris les rentes mensuelles) effectués par M. T. et Mme L. des comptes ouverts en leur nom respectif auprès d'ABN, entre le mois d'avril 1999 et le mois de mars 2003, qui ont appauvri leur patrimoine mobilier et immobilier respectif;

- fournir à la cour tous les éléments permettant d'évaluer le préjudice subi par M. T. et Mme L.;

en toutes hypothèses, à entendre:

- condamner ABN à payer à M. T. la somme de 66.546,32 EUR en principal, à majorer des intérêts moratoires au taux légal depuis le 4 juin 2003;

- condamner ABN à payer à Mme L. la somme de 66.156,25 EUR en principal, à majorer des intérêts moratoires au taux légal depuis le 4 juin 2003;

- condamner ABN à donner mainlevée, dans les dix jours de la signification du présent arrêt, à ses frais, de l'inscription hypothécaire constituée en sa faveur à la suite de l'acte hypothécaire passé le 5 septembre 2002 devant le notaire Marc Pauwels à Thuin et portant sur une maison située à Montigny-le-Tilleul (anciennement Landelies), sous peine d'une astreinte d'un montant de 1.000 EUR par jour de retard;

- condamner ABN à payer aux appelants la somme de 1 EUR à titre provisionnel;

- condamner ABN aux intérêts judiciaires et aux dépens des deux instances, en ce compris les indemnités de procédure.

Les appelants demandent également de dire l'appel incident d'ABN recevable mais non fondé.

15. ABN demande à la cour:

- en ce qui concerne les demandes introduites par les appelants:

• de confirmer partiellement le jugement dont appel et de rejeter l'appel introduit par les appelants ainsi que toutes les demandes présentées par eux à cette occasion;

• de condamner les appelants aux intérêts judiciaires et aux dépens des deux instances, en ce compris les indemnités de procédure;

- en ce qui concerne leur appel incident:

- à titre principal: de condamner les appelants à rembourser à ABN une somme de 553.632,01 EUR, majorée des intérêts moratoires à compter du 2 mai 2003;

- à titre subsidiaire:

• de condamner les appelants à rembourser à ABN une somme de 152.708,21 EUR, majorée des intérêts moratoires à compter de la date du présent arrêt;

• de rejeter les demandes des appelants tendant à entendre condamner ABN à leur payer la somme de 1 EUR, à titre provisionnel, à titre de dommages et intérêts, et à entendre nommer un expert judiciaire;

- à titre infiniment subsidiaire:

• de désigner un expert judiciaire chargé de la mission suivante:

• déterminer quelle a été l'importance des retraits effectués par les appelants des comptes ouverts en leur nom respectif auprès d'ABN entre le mois d'avril 1999 et le mois de mars 2003, qui ont été affectés à des investissements immobiliers et/ou mobiliers d'une part et des dépenses somptuaires appauvrissant leur patrimoine d'autre part;

• le cas échéant, de déterminer si l'appauvrissement éventuel des appelants constituerait une perte supérieure à celle que ceux-ci auraient subie dans le cadre d'une gestion normale de leur fortune, vu l'évolution boursière entre 1999 et 2003;

• fournir à la cour tous les éléments permettant d'évaluer le préjudice subi par les appelants;

• en toute hypothèse, condamner les appelants aux intérêts judiciaires et aux dépens des deux instances, en ce compris les indemnités de procédure.

IV. Discussion
Les relations juridiques entre les parties

16. Les appelants soutiennent avoir conclu avec ABN un contrat de gestion de fortune.

La banque conteste cette allégation, les différentes opérations sur options ayant été, selon elle, effectuées sur instructions verbales des appelants.

La banque n'aurait fait qu'exécuter des ordres ponctuels des appelants et la seule relation qui aurait existé entre les parties aurait dès lors été une relation de simple passation d'ordre, ABN ne s'étant livrée d'initiative à aucun acte de disposition sur les avoirs des appelants.

17. Au moment des faits, étaient applicables la loi du 6 avril 1995 relative aux marchés secondaires, au statut des entreprises d'investissement et à leur contrôle, aux intermédiaires et conseillers en placement ainsi que l'arrêté royal du 5 août 1991 relatif à la gestion de fortune et au conseil en placements, pris en exécution de la loi du 4 décembre 1990 relative aux opérations financières et aux marchés financiers.

18. Aux termes de l'article 46, 1°, 3., de la loi du 6 avril 1995, la gestion de fortune consiste en la gestion, sur une base discrétionnaire et individualisée, de portefeuilles d'investissement dans le cadre d'un mandat donné par les investisseurs lorsque ces portefeuilles comportent un ou plusieurs instruments financiers.

Il n'est pas contesté que les options font partie des instruments financiers.

La gestion de fortune peut être entièrement ou partiellement discrétionnaire. Si toutefois chaque opération requiert l'autorisation expresse et préalable du client et qu'aucun acte de disposition ne peut être posé sur initiative propre, il ne s'agit pas de gestion de fortune au sens de la loi, mais de conseil en placements (cf. la circulaire de la Commission bancaire, financière et des assurances BA/1/92 du 14 août 1992 relative à la gestion de fortune et au conseil en placements, art. 1.1.2.).

La gestion de fortune se distingue également de la simple exécution d'un ordre de bourse ponctuel. En effet, dans ce dernier cas, l'intermédiaire est simplement invité par un client, qui n'a demandé aucun conseil préalable, à exécuter un ordre. Généralement, dans ce cas, aucun service de conseil n'a été fourni.

19. L'article 79, § 3, de la loi précitée énonce que le Roi détermine, sur avis de l'autorité de contrôle concernée, les obligations et interdictions applicables à l'exercice de l'activité de gestion de fortune et notamment les règles relatives à la rémunération des services de gestion et à la convention de gestion de fortune.

Aucun arrêté d'exécution de cet article 79 n'a été pris mais l'arrêté royal du 5 août 1991 demeure d'application dès lors que la loi du 6 avril 1995 reprend en substance la règle de droit antérieure et que cet arrêté royal ne contient rien de contraire aux nouvelles dispositions (Cass. 15 octobre 1973, Pas. 1974, I, p. 165).

L'article 8, § 1er, 8°, de cet arrêté royal dispose que les sociétés de gestion de fortune ne peuvent commencer à prester des services de gestion de fortune à un client avant d'avoir conclu avec celui-ci une convention écrite prévoyant notamment les règles relatives à la détermination de la rémunération et la périodicité de son paiement.

Il s'ensuit que la gestion de fortune implique normalement la rémunération du gérant.

20. Bien que le gérant de fortune pose des actes juridiques pour le compte de son client, la convention de gestion de fortune s'analyse comme un mandat, assorti d'un contrat de louage d'ouvrage (W. Van Gerven, “Algemeen Deel” in Beginselen van Belgisch privaat recht 1973, 462, n° 143).

En ce qui concerne le mandat confié au gestionnaire de fortune, celui-ci peut comporter une représentation parfaite ou imparfaite du client.

21. En l'espèce, les parties n'ont pas conclu de contrat de gestion de fortune écrit. Le seul contrat écrit qu'ils ont signé est le contrat intitulé 'contrat d'option'. Le texte de ce contrat est ambigu. En effet, il énonce:

à l'article 5, b): Si vous vous (lire 'nous') donnez l'instruction d'exercer une option d'achat ou de vente, nous débiterons ou nous créditerons votre compte en conséquence;

à l'article 6: Les instructions d'exercice de contrat d'option seront acceptées les jours ouvrables jusqu'à 15 heures. Elles devront être toutefois en notre possession à 10 heures au plus tard le dernier jour ouvrable avant la date d'exercice de l'option. (...)

et à l'article 9: Nous ne serons pas obligés d'exécuter vos instructions, si vous ne satisfaisiez pas à temps aux conditions que nous pourrions vous poser en vertu de ce qui précède.

Ces trois dispositions visent clairement l'hypothèse d'in­structions données par le client, ce qui exclut que l'initiative émane de la banque.

A l'article 4 du contrat in fine, il est toutefois prévu que le client donne irrévocablement pouvoir à la banque de procéder aux opérations suivantes pour son compte et en son nom:

b) de respecter ou de dénouer les positions en cours;

c) et en général de faire toute chose que la banque estime nécessaire.

Il appert incontestablement des dispositions de l'article 4, b) et c) du contrat signé par les parties que la banque disposait en vertu de ce contrat d'un droit d'initiative.

La cour rappelle à ce sujet que la gestion de fortune peut n'être que partiellement discrétionnaire, ce qui n'a pas pour effet de dénaturer le contrat.

22. L'article 2 du contrat d'option dispose:

Afin que nous puissions exécuter correctement nos activités pour votre compte dans le commerce des options, vous devez entretenir un ou plusieurs comptes dans nos livres, par lesquels seront passées toutes transactions, y compris les commissions et les faire dus à ce titre (la cour souligne).

Selon ABN, le contrat d'option correspond à un contrat type imposé en son temps par la bourse d'Amsterdam (conclusions d'ABN, p. 24 in fine). Les parties n'expliquent pas la signification du mot 'faire' dans l'article 2 du contrat.

Quoi qu'il en soit, il appert des pièces déposées par M. T. et Mme L. (cf. p. ex. farde VI, 4 des appelants) que (seules) des commissions étaient perçues par ABN.

En vertu de l'article 44 de la loi du 6 avril 1995, la gestion de fortune doit être effectuée à titre professionnel et dans le cadre d'une activité habituelle.

ABN ne nie pas qu'elle a agi à titre professionnel et dans le cadre d'une activité habituelle.

Elle ne prétend pas être intervenue de manière désintéressée et reconnaît avoir perçu des commissions, mais fait valoir qu'une commission ne peut être assimilée à une rémunération dans le sens de l'article 8, § 1er, 8°, de l'arrêté royal du 5 août 1991 et qu'à défaut de rémunération il ne saurait y avoir contrat de gestion de fortune.

La loi du 6 avril 1995 a pour objectif de protéger l'investisseur lorsqu'il conclut un contrat de gestion de fortune. Le seul constat qu'aucune rémunération en bonne et due forme, c'est-à-dire conforme aux prescrits de l'article 8, § 1er, 8°, de l'arrêté royal du 5 août 1991, n'a été convenue entre le client et un gérant de fortune, comme en l'espèce, ne peut exclure qu'il y a avait gestion de fortune, et priver en conséquence l'investisseur de la protection de la loi du 6 avril 1995.

En décider autrement permettrait à un gérant de fortune, à qui incombe la responsabilité de l'obligation de résultat d'établir une convention écrite en bonne et due forme (D. Roger et M. Salmon, “Réflexions relatives à la responsabilité contractuelle des gérants de fortune et des conseillers en placement”, JT 1998, p. 396, cf. également ci-dessous), d'échapper aux dispositions de la loi du 6 avril 1995 en omettant de fixer dans celui-ci une rémunération en bonne et due forme en contrepartie de ses services de gérant de fortune ou encore, en ne prévoyant qu'une commission, qui ne peut, vu les dispositions de l'article 15 de l'arrêté royal, être considérée comme une rémunération dans le sens de l'article 8, § 1er, 8°, de ce même arrêté (l'existence d'une rémunération dans le sens de l'art. 8, § 1er, 8°, de l'arrêté royal du 5 août 1991 ne peut être déduite du paiement de commissions sur les opérations réalisées dès lors que, selon l'art. 15 de cet arrêté, la commission pour gestion de fortune peut tenir compte du résultat global mais ne peut être basée sur le nombre ou le montant des opérations).

Alors qu'une rémunération convenue est un indice très important de l'existence d'un contrat de gestion de fortune (la gestion de fortune implique normalement la rémunération du gérant, voir le point 19 ci-dessus), le défaut de rémunération en bonne et due forme ne doit, à lui seul, pas nécessairement faire aboutir à la conclusion qu'il n'y avait pas gestion de fortune.

L'appréciation de la question de savoir s'il y avait ou non gestion de fortune doit se faire in concreto. Le mode de rémunération des services fournis par le gérant de fortune ne joue à cet égard aucun rôle: tant les rémunérations directes que les rémunérations indirectes entrent en ligne de compte (cf. la circulaire BA/1/92 du 14 août 1992, art. 1.1.1. de la Commission bancaire, financière et des assurances (CBFA)).

Les appelants font valoir qu'ABN a bénéficié au moins d'une rémunération indirecte.

Au regard des pièces déposées par les appelants, la cour constate que la banque a placé ses propres produits dans les portefeuilles respectifs des appelants (voir les pièces suivantes pour M. T.: farde V, 1.,5.18, 19, 33 et les pièces suivantes pour Mme L.: farde VI, 4., 1. 2, 3, 4 et 6, 4.1. 16, 5. 23, 24 et 43).

En plaçant ses propres produits dans les portefeuilles respectifs des appelants, ABN s'est assuré une forme de rémunération en contrepartie de ses services, fût-elle indirecte.

La cour en conclut qu'en l'espèce, les services fournis par ABN étaient rémunérés.

23. Le juge peut déduire l'existence d'une activité de gestion de fortune de l'exécution donnée par les parties au contrat qu'ils ont signé.

Les appelants contestent avoir donné à ABN la moindre i­nstruction relative aux opérations de bourse effectuées par celle-ci.

L'annexe au 'contrat d'option', à savoir la convention concernant l'usage par téléfax en vue de confier des ordres dans le cadre des rapports entre l'ABN Amro Bank NV et ses clients prévoit que dans l'hypothèse d'ordre passé par les appelants, ceux-ci ont émis le souhait de transmettre les ordres décrits ci-dessus par téléfax à la banque”, ce qui a été explicitement accepté par la banque.

Il n'est pas contesté par ABN que les appelants ne lui ont jamais envoyé un quelconque ordre par téléfax relatif aux opérations effectuées. La banque prétend que les ordres des appelants lui étaient transmis verbalement.

Contrairement à ce que fait valoir ABN, les règles de la preuve en matière civile sont applicables quant aux faits et allégations dont la charge de la preuve lui incombe, les appelants n'ayant pas la qualité de commerçant.

Conformément à l'article 1341 du Code civil, ABN est tenue de rapporter par écrit la preuve des ordres qu'elle prétend avoir reçus - ces ordres dépassant la somme de 375 EUR - dès lors que cette preuve n'est pas rapportée par le constat du défaut de réaction de la part des appelants lors de la réception des divers documents confirmant les opérations boursières réalisées par ABN.

En effet, en matière civile, la preuve par présomption n'est admise, pour les litiges portant sur un montant supérieur à 375 EUR, que s'il existe un commencement de preuve par écrit au sens de l'article 1347 du Code civil. Le commencement de preuve par écrit, au sens de l'article 1347 du Code civil, doit émaner de celui auquel on l'oppose. Des bordereaux de confirmation d'ordres et de transaction, des extraits de compte ou des états de compte établis par la banque ne peuvent dès lors être opposés aux appelants en tant que commencement de preuve par présomption au motif que ces bordereaux constitueraient un commencement de preuve par écrit au sens de l'article 1347 du Code civil.

En outre, c'est à juste titre que le premier juge a estimé qu'il ne convient pas de donner aux bordereaux de confirmation un effet plus large que celui que les parties entendaient lui donner.

En l'occurrence, les bordereaux de confirmation de 1999 portaient la mention suivante:

Sauf avis contraire de votre part, à signifier par écrit au Back Office Private Banking endéans les 30 jours, nous présumons que vous êtes d'accord sur les transactions/le solde figurant au présent extrait.

Ainsi, l'absence de réaction dans le délai de 30 jours, même dans l'hypothèse qu'elle pourrait faire présumer de l'accord des appelants sur la transaction - quod non -, n'emporte pas pour autant reconnaissance de ce qu'ils étaient le donneur d'ordre de celle-ci.

Les mentions reprises sur les bordereaux postérieurs à 1999 diffèrent dans leur rédaction mais n'emportent pas davantage reconnaissance de ce que les appelants sont le donneur de l'ordre concerné.

En outre, il ne ressort d'aucune pièce que les appelants, qui ont été contraints de mettre fin à leurs études après les études secondaires inférieures et doivent leur capital au hasard, auraient la moindre expérience des marchés boursiers. L'on conçoit dès lors mal qu'ils aient été à même de donner des ordres en connaissance de cause, spécialement dans le marché très particulier des options (produits financiers dérivés complexes).

ABN ne rapporte pas la preuve qu'elle aurait agi sur instructions verbales des appelants.

24. Nonobstant l'absence d'un quelconque ordre de bourse de la part des appelants, de nombreux actes de disposition ont été posés par ABN, dont des achats et des ventes de titres, ainsi que des actes d'administration tels que la perception de dividendes, portant sur les avoirs lui confiés par les appelants (cf. les bordereaux reçus par les appelants, farde V, 4 et farde VI, pièce 4, des appelants).

Au regard des pièces déposées par les appelants, c'est à juste titre que le premier juge a estimé que le nombre de transactions opérées durant moins de quatre ans est suffisamment conséquent pour exclure que l'on puisse parler d'opérations isolées.

La cour en conclut que contrairement à ce que prétend ABN, la banque a géré les avoirs des appelants.

25. Alors que le texte du contrat d'option signé par les parties est ambigu, l'exécution qu'en ont donné les parties ne l'est pas et démontre à suffisance de droit que les parties étaient liées par un contrat de gestion de fortune.

En effet, un élément essentiel de la gestion de fortune est le pouvoir qu'elle comporte, dans le chef du gérant de fortune, de poser, le cas échéant, en principe sur initiative propre, des actes de disposition portant sur les éléments du patrimoine des épargnants (cf. circulaire BA/1/92 du 14 août 1992 relative à la gestion de fortune et au conseil en placements, article 1.1.2. de la CBFA).

En l'espèce, ABN a géré les avoirs qui lui ont été confiés par les appelants sur une base individualisée et discrétionnaire, dès lors qu'elle a, pour le compte de ceux-ci, posé de sa propre initiative, sans instructions préalables des appelants, des actes de disposition portant sur leurs avoirs.

La cour conclut sur la base de ce qui précède que les parties étaient liées par un contrat de gestion de fortune.

26. Les arguments développés par ABN au sujet de l'intention des parties (ils n'auraient pas eu l'intention de conclure un contrat de gestion de fortune) ne sont étayés par aucun élément du dossier. Ils ne sont en outre pas crédibles, compte tenu de l'exécution donnée par les parties au contrat signé. En effet, ABN s'est comportée comme un gérant de fortune, ce qui n'a suscité aucune contestation de la part des appelants pendant la durée du contrat.

27. En vertu de l'article 8, § 1er, de l'arrêté royal du 5 août 1991, les sociétés de gestion de fortune ne peuvent commencer à prester des services de gestion de fortune à un client avant d'avoir conclu avec celui-ci une convention de gestion écrite, qui devra comprendre une série de mentions et de règles impératives, énumérées par les articles 8, § 1er et 9 de l'arrêté royal du 5 août 1991.

Comme dit ci-dessus, l'obligation d'établir une convention écrite en bonne et due forme constitue une obligation de résultat, dont la responsabilité incombe au gérant de fortune (D. Roger et M. Salmon, “Réflexions relatives à la responsabilité contractuelle des gérants de fortune et des conseillers en placement”, JT 1998, p. 396).

La sanction du défaut d'écrit conforme à la loi n'est pas prévue par le texte légal mais dans la mesure où cette formalité vise à protéger les clients, la partie faible au contrat, ce défaut de validité formelle doit être sanctionné par la nullité relative par application de la théorie générale des nullités.

Cette nullité s'impose du fait même de la violation de dispositions impératives de l'article 8 de l'arrêté royal du 5 août 1991, sans qu'il soit nécessaire de démontrer l'existence d'un dommage.

A défaut de contrat de gestion de fortune en bonne et due forme, comportant les mentions obligatoires prévues par l'article 8, § 1er, de l'arrêté royal du 5 août 1991, c'est à raison que le premier juge a déclaré nul le contrat de gestion de fortune tel que partiellement matérialisé par le contrat d'option avenu entre parties.

Etant donné que la cour conclut pour les motifs précités à la nullité du contrat de gestion avenu entre parties, il est superflu d'examiner les autres causes de nullité de ce contrat invoquées par les appelants, telle une prétendue attitude dolosive de la part de la banque qui aurait vicié le consentement des appelants.

Il n'est pas non plus nécessaire à ce stade de rechercher une quelconque faute d'ABN dans la gestion des avoirs des appelants.

Les conséquences de la nullité

28. La nullité du contrat impose en principe la remise des choses dans leur pristin état et par conséquent, la restitution des prestations réciproques.

L'obligation de restitution découlant des effets de nullité peut s'accompagner de l'allocation complémentaire de dommages et intérêts. D'autre part, la théorie de la 'culpa in contrahendo' peut également être d'application en cas de nullité du contrat (H. De Page, T. II, 3ème éd., p. 800, n° 830).

29. En ne concluant pas une convention écrite conforme aux obligations qui reposaient sur elle, ABN a commis une faute, de nature extracontractuelle, puisque l'article 8, § 1er, de l'arrêté royal du 5 août 1991 lui interdisait de gérer les avoirs du client aussi longtemps qu'une convention écrite, comportant les informations réglementaires n'avait pas été conclue.

Cette faute engage la responsabilité aquilienne de la banque.

Le débiteur d'une obligation doit, s'il n'exécute pas cette obligation, procurer au créancier la réparation intégrale de son préjudice.

La personne lésée doit se retrouver dans la situation dans laquelle elle se serait trouvée si la faute n'avait pas été commise.

30. Les appelants ont prélevé chacun des rentes mensuelles d'un montant de 1.239,47 EUR et ont effectué d'importants retraits.

Les appelants font valoir qu'en dépit de l'importance des retraits et prélèvements effectués par eux (pour un total de 345.233,99 EUR en ce qui concerne M. T. et un total de 427.207,32 EUR en ce qui concerne Mme L.), la valeur des portefeuilles ne se détériorait pas. L'augmentation de la valeur des portefeuilles de M. T. et Mme L. jusqu'en 2001, s'expliquait, d'une part, par l'augmentation de la valeur des titres acquis et, d'autre part, par le dénouement positif de certaines options et les primes perçues lors de l'acquisition de certaines options.

Les appelants allèguent qu'ils n'auraient pas fait ces prélèvements et retraits si leur portefeuille n'avait pas enregistré des plus-values et s'ils avaient été informés complètement et loyalement de leur situation financière réelle et donc des engagements pris en leur nom (selon les appelants les relevés communiqués par ABN n'attiraient nullement leur attention sur l'importance des engagements financiers résultant des options acquises, ni sur les engagements - et donc les dettes potentielles - pris par eux).

Ils prétendent qu'ils n'auraient pas davantage fait ces retraits et prélèvements s'ils avaient été informés dès le début des risques inhérents au mécanisme des options et aux actions boursières, ce qui n'a, selon eux, pas été le cas.

Les retraits opérés, qui ont servi soit à des dépenses d'agrément, soit à des donations en faveur de tiers, soit à l'achat de véhicules ou au financement de travaux de rénovation et d'aménagement de la maison de Landelies, soit à améliorer le confort quotidien des appelants, auraient considérablement appauvri le capital des appelants confié à ABN.

Les appelants sollicitent, à titre de dommages et intérêts, en tant que réparation en nature, qu'il ne soit pas tenu compte de ces retraits lors du calcul du montant dû par la banque aux appelants à la suite de l'annulation de la convention.

Ils font valoir que s'il était tenu compte des retraits litigieux, leur dommage ne serait pas intégralement réparé.

Selon les appelants, il y a dès lors lieu de réformer le jugement attaqué en ce qu'il a déduit des montants confiés par les appelants à la banque, le montant total des retraits effectués par eux.

En outre, les appelants sollicitent la condamnation d'ABN à 1 EUR provisionnel à titre de remboursement des frais et honoraires de leur avocat.

ABN conteste la réalité du dommage allégué par les appelants ainsi que le lien de causalité entre celui-ci et les fautes qui lui sont reprochées par les appelants.

31. Il n'est pas établi que les appelants n'ont pas été informés dès le début des risques inhérents au mécanisme des options et aux actions boursières.

En effet, la cour observe que le contrat d'option signé par les appelants contenait la mention suivante:

En apposant votre signature sur les présentes, vous confirmez (...) que vous êtes au courant des risques que comporte l'investissement en options et que vous êtes dans la capacité de faire face à des pertes éventuelles qui pourraient en découler.

Même à supposer que les appelants, qui invoquent qu'ils n'avaient pas l'expérience ni le niveau scolaire suffisant pour comprendre le fonctionnement complexe des options, étaient réellement ignorants du fonctionnement des opérations de bourse des options, ils ne peuvent en l'espèce soutenir avoir été ignorants des risques financiers liés aux investissements en options.

Par ailleurs, il appartenait aux appelants de se comporter en investisseurs normalement prudents et diligents, placés dans les mêmes circonstances, et donc de s'informer quant aux risques liés à l'investissement en options avant de conclure un contrat d'option avec ABN. Ces risques sont communément connus et la moindre demande d'information aurait révélé qu'il s'agit d'un investissement à haut risque et nullement d'un investissement 'bon père de famille'.

Il n'est pas prouvé que la banque aurait manqué à son obligation d'information à l'égard des appelants quant aux risques liés à l'investissement en options et il appert des pièces déposées par les appelants (fardes IV et VI) qu'ils ont été informés complètement et loyalement de leur situation financière réelle et donc des engagements pris en leur nom.

32. Il n'est pas établi non plus que les appelants n'auraient pas effectué les retraits litigieux si leurs portefeuilles respectifs n'avaient pas augmenté de valeur en raison des plus-values réalisées lors de la revente de certaines actions, du dénouement positif de certaines options et des primes des options boursières perçues, alors qu'ABN n'était pas autorisée à accomplir des opérations boursières en l'absence d'un contrat de gestion de fortune en bonne et due forme.

Que les appelants souhaitaient investir en options (le contrat d'option signé par eux précisait: Suite à votre demande de participation au commerce des options par notre intermédiaire, nous vous informons être disposés à y accéder aux conditions suivantes (...)) démontre qu'ils étaient prêts à prendre des risques importants, ce qui est incompatible avec leur allégation qu'ils désiraient en tout état de cause préserver le capital confié à ABN.

En outre, en ce qui concerne les retraits mensuels de 1.239,47 EUR, la cour constate que le premier de ces retraits a eu lieu avant que des opérations d'option n'aient été effectuées (le premier retrait date du 3 mai 1999, alors que la première opération d'option date du 5 mai 1999 (farde VI, 4.2).

La cause de ces retraits ne paraît dès lors pas être une augmentation de la valeur des portefeuilles respectifs des appelants, ni un manque d'information de la part de la banque, mais bien une intention des appelants fixée dès le départ.

Il appert par ailleurs de la pièce 1, farde IV des appelants que les retraits mensuels de 1.239,47 EUR ont été opérés à partir du 4 août 1999 en exécution d'un ordre permanent. Les appelants ne contestent pas qu'il s'agissait d'un ordre permanent révocable par eux à tout moment.

Il n'est étayé par aucune pièce ou élément du dossier que, comme le prétendent les appelants, ils s'enquièrent avant chaque retrait auprès de la banque de la situation des portefeuilles et lui demandaient son avis au sujet de ces retraits. Il ne peut dès lors être reproché à la banque de ne pas avoir déconseillé le moindre retrait.

33. En tout état de cause, ce ne sont pas les retraits et les prélèvements effectués par les appelants qui ont causé le prétendu dommage subi par eux (appauvrissement de leur capital), mais bien l'usage qu'ils ont - tout à fait librement et en dehors de toute intervention de la banque - décidé d'en faire (donations, dépenses d'agrément, voyages, achats de biens périssables).

Il y a donc interruption du lien causal entre la faute retenue dans le chef de la banque, à savoir le fait d'avoir agi comme gérant de fortune en dehors de tout contrat de gestion de fortune en bonne et due forme, et le dommage que les appelants prétendent avoir subi.

La cour conclut des éléments qui précèdent qu'il n'est en l'espèce pas établi que sans la faute commise par la banque, le dommage prétendument subi par les appelants n'eût pu se produire tel qu'il s'est produit, dès lors que le lien causal entre le dommage prétendument subi par les appelants et la faute retenue dans le chef de la banque n'est pas établi.

34. Par suite de l'annulation du contrat, il incombe aux appelants de restituer la totalité des fonds qu'ils ont retirés, et à la banque de restituer le capital initial de chacun des appelants. Il n'y a pas lieu de majorer les montants dus par la banque de dommages et intérêts complémentaires, dès lors qu'il n'est pas démontré que la restitution du capital initial de chacun des appelants réparerait imparfaitement le préjudice subi par eux du fait de la convention irrégulière.

La demande des appelants tendant à entendre condamner ABN au paiement d'1 EUR provisionnel à titre de remboursement des frais et honoraires de leur conseil, constitue un dédommagement complémentaire du préjudice subi par les appelants, dès lors que cette demande n'est en l'espèce pas fondée.

L'hypothèque constituée le 5 septembre 2002

35. Le 7 novembre 2001, ABN a consenti une facilité de crédit aux appelants à hauteur de 235.000 EUR, moyennant un gage sur tous les titres déposés au crédit des comptes dépôts de titres ouverts à leur nom, ainsi qu'une hypothèque en premier rang à concurrence de 3.000.000 FB sur un immeuble des appelants sis chemin des Mulets 56 à Landelies, accordée “en sûreté du paiement de tous montants dont vous êtes redevables à la banque, à quelque titre que ce soit, à la date présente ou à quelque moment que ce soit”.

Le 5 septembre 2002, un acte d'affectation hypothécaire sur l'immeuble à Landelies a été signé en faveur de la banque, tendant à garantir à celle-ci “le remboursement de toutes sommes qui pourraient être dues par les crédités, de quelque chef et à quelque titre que ce soit”. Cet acte d'affectation ne contient, contrairement à la convention d'ouverture de crédit du 7 novembre 2001, aucune limite quant au montant garanti.

Selon les appelants, ABN avait, en passant l'hypothèque dont question, en vue non pas la couverture de l'ouverture de crédit, puisque celle-ci n'avait pas été utilisée par les appelants, mais bien la couverture des conséquences financières des options boursières qui, à cette époque, présentaient déjà un solde négatif.

Etant donné qu'il y a donc eu erreur dans le chef des appelants sur la cause de la couverture du contrat d'ouverture de crédit, ils estiment qu'il y a lieu de prononcer la nullité de l'hypothèque constituée le 5 septembre 2002, portant sur la maison située à Landelies, 56, chemin des Mulets.

La banque aurait également manqué à son obligation de loyauté envers les appelants en modifiant unilatéralement le montant garanti par l'hypothèque.

Le comportement fautif d'ABN, qui aurait manqué à son obligation de loyauté envers les appelants en adoptant un comportement contraire au comportement qu'aurait adopté un banquier normalement prudent et diligent, placé dans les mêmes circonstances, devrait selon les appelants donner lieu à la condamnation de la banque à donner, à ses frais, la mainlevée de l'hypothèque constituée le 5 septembre 2002, sous peine d'une astreinte.

Le constat, à lui seul, que le montant garanti a été modifié (l'acte d'affectation hypothécaire du 5 septembre 2002 ne contient, contrairement à la convention d'ouverture de crédit du 7 novembre 2001, aucune limite quant au montant garanti) n'établit pas que la banque a agi par manoeuvre déloyale, plus précisément qu'elle avait en vue non pas la couverture de l'ouverture de crédit, mais bien la couverture des conséquences financières des options boursières. Aucun élément du dossier ne le démontre.

Les appelants ne peuvent tirer argument du fait qu'ils ont choisi de ne pas utiliser la 'Facilité B' et la 'Facilité C' de l'ouverture de crédit. En effet, en vertu de la convention d'ouverture de crédit, cette possibilité leur était offerte jusqu'au 1er mai 2002 quant à la 'Facilité B' (crédit de caisse), et jusqu'au 31 mai 2006 quant à la 'Facilité C' (crédit de caisse). En outre, l'article 2 de la convention d'ouverture de crédit intitulé 'Dispositions/Formes et modalités d'utilisation' dispose quant à la 'Facilité A': “Cette Facilité est utilisable jusqu'à un montant de 12.400 EUR pour l'émission d'une garantie bancaire en faveur de Rabobank. L'émission de cette garantie a déjà eu lieu” (la cour souligne). Il n'est dès lors pas surprenant ou incongru de la part de la banque qu'elle ait voulu se voir accorder des garanties, en sûreté du paiement de tout montant dont les appelants étaient ou seraient redevables envers elle.

Il n'est pas établi en l'espèce qu'à l'occasion de la convention d'ouverture de crédit du 7 novembre 2001 ou de l'acte d'affectation hypothécaire du 5 septembre 2002, la banque aurait eu un comportement que n'aurait pas adopté un banquier normalement prudent et diligent, placé dans les mêmes circonstances, ni que les appelants auraient versé dans l'erreur.

La demande des appelants n'est dès lors pas fondée.

Le prix de vente de la maison située à Monceau-sur-Sambre

36. Selon les appelants, le contrat d'ouverture de crédit du 7 novembre 2001 a été conclu avec ABN en vue essentiellement de l'acquisition d'une nouvelle maison située à Landelies. En vertu de ce contrat, le prix de vente de l'immeuble de Monceau-sur-Sambre (132.702,57 EUR) a été transféré sur un compte auprès d'ABN. La facilité de crédit n'aurait pas été utilisée par les appelants. En conséquence, la perception et la rétention du prix de vente par ABN n'auraient aucune raison d'être.

ABN fait valoir à raison que la facilité de crédit 'A' a été utilisée par les appelants. Ces derniers ne peuvent raisonnablement prétendre le contraire étant donné que la convention d'ouverture de crédit du 7 novembre 2001 qu'ils ont signée pour accord dispose en son article 2 intitulé 'Dispositions/Formes et modalités d'utilisation' quant à la 'Facilité A':

“Cette Facilité est utilisable jusqu'à un montant de 12.400 EUR pour l'émission d'une garantie bancaire en faveur de Rabobank. L'émission de cette garantie a déjà eu lieu.” (la cour souligne).

Ils sont dès lors mal venus à présent de contester l'utilisation de la Facilité A.

Toutefois, la cour constate:

- qu'en degré d'appel les dispositions contractuelles applicables au compte numéro 720-(…) et au blocage sur celui-ci du produit de la vente de la maison de Monceau-sur-Sambre ne sont (toujours) pas produites;

- qu'une copie de la garantie bancaire émise par ABN en faveur de Rabobank n'est (toujours) pas produite; qu'aucune information n'est fournie à la cour quant aux dispositions ou quant à la durée de cette garantie bancaire;

- que les appelants font valoir à raison que ni la 'Facilité B', ni la 'Facilité C' de la convention d'ouverture de crédit du 7 novembre 2001 n'a été utilisée par eux, ce qui n'est d'ailleurs pas contesté par ABN (ces facilités de crédit ne sont plus en vigueur).

Il n'est dès lors pas établi que le maintien de la rétention des 66.546,32 EUR + 66.156,25 EUR par ABN est justifié.

Etant donné que la banque ne justifie pas la rétention du prix de vente de l'immeuble situé à Monceau-sur-Sambre, la demande des appelants est fondée et il y a lieu de condamner ABN à payer à M. T. une somme en principal de 66.546,32 EUR et à Mme L. une somme en principal de 66.156,25 EUR.

L'appel incident d'ABN

ABN fait valoir à titre principal que la clôture des positions en options des appelants à la date du 13 mai 2003 a engendré un coût total de 777.820 EUR et qu'à présent la valeur globale du portefeuille de M. T. est négative à concurrence d'un montant de 272.157,76 EUR, tandis que la valeur globale du portefeuille de Mme L. est négative à concurrence d'un montant de 281.474,25 EUR.

La banque postule la condamnation de M. T. au paiement de la somme de 272.157,76 EUR et la condamnation de Mme L. à la somme de 281.474,25 EUR, correspondant à la valeur négative globale de leurs portefeuilles respectifs.

C'est à raison que le premier juge a estimé que la demande de la banque tendant à entendre condamner les appelants à lui verser la valeur négative globale de leurs portefeuilles respectifs, fondée sur l'exécution d'une convention déclarée nulle, doit être rejetée.

ABN fait valoir subsidiairement, en cas d'annulation du contrat avenu entre parties, qu'après compensation des montants dus à titre de restitution, les appelants demeurent redevables d'une somme de 152.708,21 EUR. Elle sollicite la condamnation des appelants au remboursement de cette somme.

C'est, compte tenu de ce qui a été dit ci-dessus, à raison que le premier juge a décidé que par suite de l'annulation de la convention avenue entre parties, M. T. et Mme L. restent respectivement redevables envers ABN, après compensation, de 72.551,11 EUR d'une part (345.233,99 EUR - 272.682,88 EUR = 72.551,11EUR) et de 80.156,39 EUR d'autre part (427.207,32 EUR - 347.050,93 EUR = 80.156,39 EUR) et qu'il a déclaré la demande reconventionnelle originaire d'ABN fondée en cette mesure.

Les intérêts moratoires réclamés par les appelants

37. C'est à tort qu'ABN assimile la demande d'intérêts moratoires des appelants à une demande nouvelle qui ne répondrait pas au prescrit de l'article 807 du Code judiciaire.

Des intérêts, qualifiés de compensatoires, étaient déjà demandés par les appelants lors de la citation. Les appelants sollicitent des intérêts moratoires et non plus compensatoires, ce qui relève uniquement d'une question de qualification juridique et constitue une modification de la demande admissible en degré d'appel.

38. ABN sollicite, en cas d'annulation du contrat avenu entre parties, la condamnation des appelants au remboursement de la somme de 152.708,21 EUR, majorée des intérêts moratoires à compter de la date du présent arrêt.

Il y a lieu de faire droit à cette demande et de réformer le jugement dont appel en conséquence.

39. Les appelants sollicitent la majoration des sommes de 66.546,32 EUR + 66.156,25 EUR, dont la rétention par ABN n'est pas justifiée (voir ci-dessus), des intérêts moratoires depuis le 4 juin 2003, date de la mise en demeure adressée par leur conseil à ABN.

Il y a lieu de faire droit à cette demande.

40. L'examen des autres moyens ou arguments est surabondant et ne saurait amener la cour à un dispositif autre de celui qui résulte des moyens précédents.

V. Conclusion

Pour ces motifs, la cour,

Déclare l'appel des appelants, leur demande nouvelle ainsi que l'appel incident d'ABN recevables;

Déclare la demande nouvelle des appelants, l'appel ainsi que l'appel incident fondés dans la mesure ci-après;

Réforme le jugement dont appel en ce qu'il a:

- ordonné la restitution des prestations réciproques et, après compensation, condamné en conséquence M. T. à payer à ABN la somme de 72.551,11 EUR et Mme L. à payer à ABN la somme de 80.156,39 EUR;

Statuant à nouveau quant à ce:

- ordonne la restitution des prestations réciproques et, après compensation, condamne en conséquence M. T. à payer à ABN la somme de 72.551,11 EUR en principal, majorée des intérêts moratoires au taux légal à partir de la date du présent arrêt et Mme L. à payer à ABN la somme de 80.156,39 EUR en principal, majorée des intérêts moratoires au taux légal à partir de la date du présent arrêt;

Statuant sur la demande de restitution à M. T. et Mme L. du prix de vente de la maison située à Monceau-sur-Sambre:

- déclare cette demande recevable et fondée et condamne ABN à payer:

• à M. T. la somme de 66.546,32 EUR en principal, majorée des intérêts moratoires au taux légal depuis le 4 juin 2003;

• à Mme L. la somme de 66.156,25 EUR en principal, majorée des intérêts moratoires au taux légal depuis le 4 juin 2003;

Ordonne la compensation entre les créances en principal et intérêts à concurrence de la somme la plus faible;

Compense les dépens d'appel entre parties.