Article

Cour d'appel Bruxelles, 15/09/2009, R.D.C.-T.B.H., 2011/4, p. 306-312

Cour d'appel de Bruxelles 15 septembre 2009

DROIT BANCAIRE
Crédit - Dénonciation du crédit - Abus
Bien que reposant sur une clause résolutoire expresse, la résolution du crédit par la banque constitue un abus de droit s'il existe une disproportion manifeste entre, d'une part, le manquement contractuel commis par le crédité et, d'autre part, la sanction de la dénonciation du crédit.
Lors de l'appréciation de l'abus de droit, le juge effectue un contrôle marginal. Cela implique que la résolution ne peut être qualifiée de fautive que si la disproportion entre cette sanction et le manquement contractuel est manifeste.
La banque n'est pas tenue de faire passer les intérêts de son client avant ses propres intérêts. Le seul fait que la résolution d'un crédit pourrait éventuellement causer un dommage supplémentaire à son cocontractant ne suffit pas à engendrer la responsabilité de la banque lorsque ce dommage n'est pas hors de toute proportion avec les manquements contractuels commis par ce cocontractant.
CONTRATS SPECIAUX
Prêt - Généralités - Prêt à intérêt versus crédit - Portée de l'article 1907, 3ème alinéa, C.civ.
Les articles 1907 et suivants du Code civil ne s'appliquent qu'au prêt à intérêt. En conséquence, ce n'est que si un crédit peut être qualifié de prêt à intérêt que l'article 1907, 3ème alinéa, peut lui être appliqué.
La remise des fonds en vertu d'une ouverture de crédit peut donner naissance à un contrat de prêt. La concomitance entre l'accord des parties et la remise des fonds n'est donc pas déterminante de la qualification de prêt.
Sont déterminantes pour la qualification de prêt, les modalités de la mise à disposition des fonds et des obligations du crédité.
Ainsi, donne lieu à un prêt lors de la remise des fonds, une ouverture de crédit sous la forme d'avances non réutilisables et à rembourser, avec les intérêts du crédit, par versements périodiques.
Le plafond de l'article 1907, 3ème alinéa, du Code civil est applicable aux intérêts moratoires conventionnels stipulés par le contrat de crédit et pas seulement à la majoration des intérêts rémunératoires du crédit.




BANKRECHT
Krediet - Beëindiging van het krediet - Misbruik
Hoewel zij berust op een uitdrukkelijk ontbindend beding, maakt de ontbinding van een krediet door een bankier rechtsmisbruik uit indien er een kennelijk onevenwicht bestaat tussen enerzijds de contractuele wanprestatie van de kredietnemer en anderzijds de sanctionering hiervan door de beëindiging van het krediet.
De beoordeling van rechtsmisbruik berust op een marginale toetsing door de rechter. Dit betekent dat de ontbinding slechts als foutief zal worden aanzien indien het onevenwicht tussen de sanctie en de contractuele wanprestatie manifest is.
De bankier is niet verplicht om de belangen van zijn cliënt op de eigen belangen te laten voorgaan. Het loutere feit dat de ontbinding van het krediet eventueel een aanvullende schade aan zijn medecontractant zou kunnen berokkenen, volstaat niet om tot de aansprakelijkheid van de bankier te besluiten, wanneer deze schade niet buiten elke verhouding staat met de door de medecontractant begane wanprestatie.
BIJZONDERE OVEREENKOMSTEN
Lening - Algemeen - Lening op interest versus krediet - Draagwijdte van artikel 1907, 3de lid, BW
De artikelen 1907 en volgende van het Burgerlijk Wetboek zijn enkel van toepassing op de lening op interest. Artikel 1907, 3de lid, kan bijgevolg slechts op een krediet worden toegepast indien dat als een lening op interest kan worden gekwalificeerd.
De overhandiging van gelden in uitvoering van een kredietopening kan een leningovereenkomst in het leven roepen. Voor de kwalificatie als lening is niet bepalend of de overhandiging van de gelden gelijktijdig is gebeurd met het bereiken van de wilsovereenstemming tussen de partijen.
De modaliteiten van de terbeschikkingstelling van de gelden en de verbintenissen van de kredietnemer zijn wel bepalend voor de kwalificatie als lening.
Een kredietopening onder de vorm van niet herbruikbare voorschotten die samen met de interest van het krediet via periodieke aflossingen zijn terug te betalen, doet aldus - bij de overhandiging van de gelden - een lening ontstaan.
Het plafond voorzien in artikel 1907, 3de lid, van het Burgerlijk Wetboek is niet enkel van toepassing op de verhoging van de vergeldende interest van het krediet, maar is ook van toepassing op de conventionele moratoire interest die in de kredietovereenkomst werd bedongen.

SPRL Bruporegim / SA Crédit Professionnel

Siég: Y. Demanche (conseiller)
Pl.: Mes Ph. T'Kint et M. Joachimowicz
I. La décision attaquée

L'appel est dirigé contre le jugement prononcé le 19 octobre 2006 par le tribunal de commerce de Bruxelles.

Les parties ne produisent pas d'acte de signification de ce jugement.

II. La procédure devant la cour

L'appel est formé par requête, déposée par Buprogerim au greffe de la cour, le 23 avril 2007.

La cause a été mise en état en application d'une ordonnance rendue le 31 mai 2007 sur pied de l'article 747, § 2 ancien, du Code judiciaire.

Il est fait application de l'article 24 de la loi du 15 juin 1935 sur l'emploi des langues en matière judiciaire.

III. Les faits et antécédents de la procédure

1. Par acte signé le 20 juin 1996, le Crédit Professionnel octroie un crédit à Buprogerim utilisable:

- à concurrence de 74.368,06 EUR (3.000.000 FB) sous forme d'avances en compte courant;

- à concurrence de 7.362.437,69 EUR (297.000.000 BEF) sous forme d'avances remboursables au terme d'une durée de 16 ans.

Il est convenu que le remboursement des avances à terme s'effectuera par le paiement de mensualités d'un montant fixe comprenant une part d'amortissement du capital et une part d'intérêts. Le montant des mensualités de remboursement en cas de prélèvement total de l'avance accordée est fixé à la somme de 61.929,73 EUR.

En juin 1996, Buprogerim prélève totalement l'avance à terme de 7.362.437,69 EUR. Le montant des mensualités dues par Buprogerim est donc fixé à la somme de 61.929,73 EUR.

2. Au début de l'année 2000, Buprogerim, suite à la réalisation d'un de ses immeubles, apure ses arriérés de paiements et, avec l'accord du Crédit Professionnel, rembourse anticipativement une partie du capital.

Suite à la vente d'un autre immeuble, un nouveau remboursement anticipé partiel avec apurement des arriérés intervient en juillet 2003. Ce remboursement porte le capital restant dû à la somme de 1.597.478,14 EUR. La durée initiale du remboursement est maintenue et un nouveau tableau d'amortissement est transmis à Buprogerim le 25 juillet 2003. La mensualité à payer s'élève dorénavant à la somme de 19.750,73 EUR.

3. Buprogerim accumule à nouveau les arriérés de paiements.

Le 11 janvier 2005, la SCRL Crédit Professionnel du Brabant-Banque, sous l'enseigne Banque du Brabant, adresse un courrier de dénonciation du crédit à Buprogerim. Elle réclame le paiement du solde du crédit qu'elle fixe à la somme de 1.697.855,45 EUR. La Banque du Brabant précise que cette somme est immédiatement exigible ainsi qu'une clause pénale de 51.803,29 EUR.

4. Par exploit du 28 septembre 2005, le Crédit Professionnel assigne Buprogerim devant le tribunal de commerce de Bruxelles.

Aux termes de ses conclusions, le Crédit Professionnel poursuit la condamnation de Buprogerim au paiement:

- de la somme de 1.697.855,45 EUR à majorer, à compter du 16 septembre 2005, des intérêts de retard au taux maximum des avances en compte courant majoré de 0,50% avec pour minimum le taux de 9,25% jusqu'à complet paiement ainsi que des frais et accessoires prévus à l'article 8 du cahier des charges reprenant les clauses et conditions générales des ouvertures de crédit annexé à la lettre d'ouverture de crédit du 9 mai 1996;

- de la somme de 34.483,95 EUR au titre des intérêts depuis le 12 janvier 2005 jusqu'au 15 septembre 2005;

- de la somme de 51.803,29 EUR à titre de clause pénale;

- le tout sous déduction des paiements reçus par le Crédit Professionnel de 60.000 EUR les 30 septembre, 2 novembre et 29 novembre 2005.

Elle demande aussi que lui soit donné acte de ce qu'elle se réserve de réclamer une indemnité de remploi, sans renoncer à la clause pénale.

Buprogerim conteste le fondement de la demande. A titre subsidiaire, elle conteste l'ampleur du taux d'intérêt sollicité par le Crédit Professionnel.

Buprogerim forme une demande reconventionnelle qui tend à voir le tribunal condamner le Crédit Professionnel au paiement d'1 EUR provisionnel sur un montant évalué à 150.000 EUR à titre d'intérêts trop perçus.

Par jugement prononcé le 19 octobre 2006, le tribunal de commerce de Bruxelles a:

- dit pour droit que le Crédit Professionnel a valablement signifié à Buprogerim, par lettre recommandée du 11 janvier 2005, sa volonté de résilier le contrat de crédit;

- dit pour droit que la convention de crédit a été valablement dénoncée par le Crédit Professionnel en application de l'article 18, I, du cahier des charges;

- réservé à statuer pour le surplus.

5. Le 2 janvier 2007, la SA Immo Blucher effectue un paiement de 1.560.000 EUR pour le compte de Buprogerim en faveur du Crédit Professionnel.

Devant la cour, Buprogerim demande de:

- à titre principal:

• déclarer non fondée la demande du Crédit Professionnel;

• condamner le Crédit Professionnel à lui payer la somme de 84.317,66 EUR, majorée des intérêts calculés au taux légal à dater du 2 janvier 2007,

- à titre subsidiaire,

• dire pour droit que le taux d'intérêt après dénonciation est de 5,10%;

• condamner le Crédit Professionnel à lui payer la somme de 82.789,14 EUR et, subsidiairement, après compensation avec la clause pénale, la somme de 34.959,14 EUR, majorée des intérêts.

Le Crédit Professionnel forme un appel incident qui tend à voir la cour condamner Buprogerim à:

- lui payer la somme de 94.447,65 EUR à majorer, à compter du 30 janvier 2007, des intérêts au taux conventionnel de 9,80%, jusqu'à complet paiement ainsi que les frais et accessoires prévus à l'article 8 du cahier des charges reprenant les clauses et conditions générales des ouvertures de crédit annexé à la lettre d'ouverture de crédit du 9 mai 1996;

- la somme de 694,19 EUR au titre des intérêts depuis le 3 janvier jusqu'au 29 janvier 2007;

- la somme de 51.803,29 EUR à titre de clause pénale;

- lui donner acte qu'elle se réserve de réclamer à Buprogerim une indemnité de remploi, sans renoncement quelconque à la clause pénale;

- en ordre subsidiaire, au cas où la cour estime que le taux d'intérêt est différent, mettre en continuation afin de lui permettre d'établir un nouveau décompte.

IV. Discussion
1. Sur la note et les nouveaux décomptes déposés à l'audience du 24 avril 2009 par Buprogerim

6. Le 31 mai 2007, la cour a rendu, en application de l'article 747, § 2 ancien, du Code judiciaire, une ordonnance fixant les délais pour conclure. Ce calendrier d'échange de conclusions a expiré le 2 novembre 2007.

A l'audience de plaidoiries du 24 avril 2009, Buprogerim dépose une note d'audience ainsi que de nouvelles pièces comportant de nouveaux décomptes.

Le Crédit Professionnel demande l'écartement de ces nouveaux éléments.

Conformément à l'article 740 du Code judiciaire, les nouveaux décomptes doivent être écartés des débats. Il s'agit des nouvelles pièces 16/2, 17 et 18 du dossier de Buprogerim.

Il n'en va pas de même de la note d'audience. En effet, par cette note, Buprogerim signifie qu'elle ne conteste plus certains décomptes du Crédit Professionnel et adapte sa demande en conséquence, ce qui est admissible.

2. Sur la dénonciation du crédit
a. La dénonciation par un tiers

7. Ce n'est pas le Crédit Professionnel qui, par la lettre du 11 janvier 2005, signifie la dénonciation du crédit.

En effet, cette lettre est établie au nom de la SCRL Crédit Professionnel du Brabant-Banque, sous l'enseigne Banque du Brabant, et signée par une certaine Mme D.

Buprogerim soutient dès lors que, la lettre de dénonciation n'émanant pas du Crédit Professionnel, elle doit rester sans effet.

Le Crédit Professionnel invoque que Mme D. disposait, en vertu d'un mandat, du pouvoir d'engager le Crédit Professionnel.

Buprogerim objecte que la dénonciation a été adressée au nom de la Banque du Brabant qui n'est pas mandataire du Crédit Professionnel et que Mme D. ne disposait pas du pouvoir de dénoncer les crédits.

8. Quand bien même il devrait être constaté que la dénonciation du 11 janvier 2005 a été effectuée par un tiers agissant sans ou au-delà des pouvoirs d'un mandataire, le Crédit Professionnel a, par ses courriers ultérieurs, incontestablement ratifié la dénonciation du crédit du 11 janvier 2005.

Cette dénonciation opère donc tant à l'égard du Crédit Professionnel qu'à l'égard de Buprogerim (Cass. 7 mars 1969, Pas. 1969, I, 602).

b. La base contractuelle de la dénonciation

9. L'article 18, I, du cahier des charges annexé au contrat de crédit entre parties stipule: “Chacune des parties pourra mettre fin au crédit quand elle le trouvera convenable, moyennant d'en prévenir l'autre partie par simple lettre recommandée.”

Buprogerim soutient que cette disposition du cahier des charges ne vise pas les crédits à durée déterminée et ne régit donc pas l'avance à terme déterminé qui lui a été octroyée par le Crédit Professionnel.

Elle rajoute que l'application d'une pareille disposition à un crédit à durée déterminée serait illicite car elle entraînerait un déséquilibre contractuel en faveur de la banque.

10. En dénonçant le crédit, la banque a fait application d'une clause qui lui permet de mettre fin au contrat pour un motif précis, à savoir un manquement contractuel du crédité.

Il ne s'agit donc pas d'une dénonciation uniquement basée sur l'article 18, I, du cahier des charges en ce qu'il contient la possibilité de résilier le contrat ad nutum c'est-à-dire sans motif.

La banque invoque, en effet, aussi l'article 18, III, 2° et 3°, du cahier des charges (voir également l'art. 8 des dispositions générales des ouvertures de crédit du Crédit Professionnel) qui l'autorise à mettre fin au crédit lorsque “le crédité est en défaut de remplir exactement les obligations résultant des présentes et des conventions de crédit” ou lorsque “les intérêts ne sont pas payés dans la quinzaine de leur échéance”.

La clause dont a fait usage la banque pour mettre fin au crédit est une clause résolutoire expresse.

Pareille clause est parfaitement licite dans le cadre d'un crédit à durée déterminée (O. Stevens, “De kortgedingrechter en de eenzijdige beëindiging van een kredietovereenkomst van bepaalde duur”, Dr.banc.fin. 2002, pp. 291 et 292; S. Stijns, “De beëindiging van de kredietovereenkomst: macht en onmacht van de (kortgeding)rechter”, RDC 1996, pp. 134 et 135, n° 37 et p. 153, n° 61).

Contrairement à ce que soutient Buprogerim, la dénonciation du crédit se fondait donc sur une disposition contractuelle licite.

c. L'abus de dénonciation

11. Buprogerim estime que le Crédit Professionnel a abusé de son droit de dénoncer le crédit en cas de manquement contractuel du crédité.

Bien que reposant sur une clause résolutoire expresse, la résolution du crédit par la banque constitue un abus de droit s'il existe une disproportion manifeste entre, d'une part, le manquement contractuel commis par le crédité et, d'autre part, la sanction de la dénonciation du crédit (S. Stijns, “De beëindiging van de kredietovereenkomst: macht en onmacht van de (kortgeding)rechter”, RDC 1996, p. 127, n° 27, pp. 156 et 157).

12. Buprogerim ne peut reprocher au Crédit Professionnel d'avoir préféré la résolution du crédit plutôt que l'exécution normale de celui-ci.

En effet, Buprogerim n'a jamais exécuté normalement ses obligations contractuelles. Tantôt elle accumulait les arriérés de paiements, tantôt elle remboursait anticipativement le capital.

13. En ce qui concerne les arriérés, c'est sans la moindre preuve que Buprogerim affirme que ces dépassements auraient été acceptés par le Crédit Professionnel.

Quant aux remboursements anticipés, Buprogerim affirme à tort qu'ils n'ont profité qu'à la banque.

Dans un contrat de crédit à durée déterminée, le terme n'est pas seulement stipulé en faveur de celui qui rembourse mais aussi en faveur de l'établissement de crédit (C. Biquet-Mathieu, “Crédit, remboursement anticipé et indemnité de remploi”, Rev.not.b. 2006, 504).

En effet, un établissement de crédit se procure des fonds à un certain taux d'intérêt pour les mettre, par des crédits, à disposition de ses clients à un taux d'intérêt lui assurant une marge bénéficiaire (J. Cattaruzza, “La révision des conditions financières des ouvertures de crédit” in X, La banque dans la vie de l'entreprise, Ed. du Jeune Barreau de Bruxelles, 2005, 328).

Ainsi, le terme répond à l'intérêt du banquier d'être assuré d'un certain bénéfice pour une durée déterminée.

14. Buprogerim soulève que la dénonciation a permis à la banque d'échapper à une baisse du taux du crédit. Cette baisse devait intervenir en vertu de la clause d'adaptation quinquennale du taux en fonction des taux en vigueur.

La situation aurait pu être inverse et c'est au moment de la dénonciation qu'il faut se placer. De plus, la dénonciation du crédit expose la banque au remboursement du capital, ce qui précisément lui impose alors de le replacer aux taux en vigueur.

15. Buprogerim ajoute que la banque aurait tout aussi bien pu attendre le remboursement anticipé du solde du crédit qui était annoncé et que l'indemnité de remploi de six mois d'intérêts qu'elle était en droit de réclamer suffisait, dans ce cas, à couvrir le dommage du Crédit Professionnel.

Selon Buprogerim, en mettant fin au crédit avec l'application des clauses pénales - majoration du taux d'intérêt et clause pénale forfaitaire - outre la possibilité de réclamer l'indemnité de remploi, le Crédit Professionnel a exercé ses droits de la manière la plus dommageable pour son cocontractant.

Lors de l'appréciation de l'abus de droit, le juge effectue un contrôle marginal. Cela implique que la résolution ne peut être qualifiée de fautive que si la disproportion entre cette sanction et le manquement contractuel est manifeste (S. Stijns, “De beëindiging van de kredietovereenkomst: macht en onmacht van de (kortgeding)rechter”, RDC 1996, pp. 126, 127 et 157).

La banque n'est pas tenue de faire passer les intérêts de son client avant ses propres intérêts. Le seul fait que la résolution d'un crédit pourrait éventuellement causer un dommage supplémentaire à son cocontractant ne suffit pas à engendrer la responsabilité de la banque lorsque ce dommage n'est pas hors de toute proportion avec les manquements contractuels commis par ce cocontractant.

En l'espèce, les arriérés accumulés par Buprogerim n'ont cessé de croître depuis juillet 2003 pour atteindre, au moment de la dénonciation par le Crédit Professionnel, la somme de 308.433,91 EUR représentant plus d'un an de mensualités.

Avant de résoudre le crédit, le Crédit Professionnel a laissé la possibilité à Buprogerim d'apurer ses arriérés. Un plan d'apurement a été convenu entre parties à cet égard. Ce plan d'apurement n'a pas été respecté par Buprogerim.

Eu égard à ces éléments, il ne peut donc être conclu que la résolution du crédit avec l'application des clauses pénales est hors de proportion avec les manquements imputables à Buprogerim.

La résolution du crédit par le Crédit Professionnel n'est dès lors pas abusive.

3. Sur le solde du crédit à la date de la dénonciation

16. Le Crédit Professionnel réclame les sommes suivantes à la date de la dénonciation:

- 1.565.412,17 EUR à titre de capital;

- 132.440,78 EUR à titre d'intérêts échus et d'intérêts de retard.

Ces sommes ne sont plus contestées par Buprogerim.

En revanche, Buprogerim conteste être redevable des frais de rappel de 2,5 EUR que le Crédit Professionnel réclame à la date de la dénonciation. Elle invoque que le contrat ne prévoit nullement que ces frais sont à sa charge.

L'article 8 du cahier des charges annexé au contrat stipule cependant que les 'frais de correspondance' sont à charge de la créditée.

Buprogerim est donc redevable de ces frais.

4. Sur le taux d'intérêt applicable après la dénonciation
a. La base annuelle du calcul du taux

17. L'article 4, avant-dernier alinéa, du cahier des charges annexé au contrat stipule: “Les calculs d'intérêts se font sur la base de l'année commerciale de trois cent soixante jours, mais d'après le nombre réel de jours.”

Buprogerim affirme que cette base annuelle de 360 jours n'a jamais été appliquée par la banque en cours de crédit.

Quand bien même cela serait exact, on ne pourrait, en l'espèce, en déduire une extinction du droit de la banque à l'application de cette disposition contractuelle.

En effet, un droit conféré par un contrat ne se trouve pas éteint par le simple fait que le créancier ne l'exerce pas (Cass. 20 février 1992, Pas. 1992, I, p. 549; Cass. 5 juin 1992, Pas. 1992, I, p. 876).

Les intérêts encourus à partir de la dénonciation doivent donc se calculer sur une base annuelle de 360 jours.

b. L'application de l'article 1907, 3ème alinéa, du Code civil

18. La lettre de crédit dispose relativement au taux d'intérêt après dénonciation qu'à partir de la résiliation du crédit, le solde débiteur de l'ouverture de crédit et toutes les valeurs qui s'y ajouteraient postérieurement, produiront intérêt au taux maximum des avances en compte courant, plus 0,50% l'an, avec pour minimum, pour chaque avance, le taux des avances de même nature au moment de la dénonciation, augmenté de 0,50% l'an.

Le Crédit Professionnel entend, sur cette base, appliquer un taux de 9,8% sur les sommes dues à la dénonciation.

Buprogerim le conteste en invoquant l'article 1907, 3ème alinéa, du Code civil qui dispose qu'en aucun cas, la majoration du taux de l'intérêt pour retard de paiement, ne peut dépasser 0,5% l'an sur le capital restant dû.

Elle conclut de l'application de cette disposition légale que le taux après dénonciation s'élève à 5,10% l'an.

Pour le Crédit Professionnel, l'article 1907, 3ème alinéa, du Code civil n'est pas applicable aux ouvertures de crédit.

19. Les articles 1907 et suivants du Code civil ne s'appliquent qu'au prêt à intérêt. En conséquence, ce n'est que si un crédit peut être qualifié de prêt à intérêt que l'article 1907, 3ème alinéa, peut lui être appliqué.

Le prêt d'argent est un contrat réel qui naît par la remise d'une somme d'argent par le prêteur à l'emprunteur, ce dernier s'engageant à payer l'intérêt convenu et à rembourser le montant prêté.

L'ouverture de crédit est un contrat consensuel par lequel le donneur de crédit s'engage, à concurrence du montant convenu et dans les formes convenues, à mettre une somme d'argent à disposition du crédité, lequel pourra faire appel à cet engagement quand et dans la mesure où il en aura effectivement besoin.

La remise des fonds en vertu d'une ouverture de crédit peut donner naissance à un contrat de prêt. La concomitance entre l'accord des parties et la remise des fonds n'est donc pas déterminante de la qualification de prêt (H. De Page, Traité élémentaire de droit civil, T. V, Bruylant, 1941, p. 122; C. Biquet-Mathieu, Le sort des intérêts dans le droit du crédit, Liège, 1998, p. 474).

Sont déterminantes pour la qualification de prêt, les modalités de la mise à disposition des fonds et des obligations du crédité.

Ainsi, donne lieu à un prêt lors de la remise des fonds, une ouverture de crédit sous la forme d'avances non réutilisables et à rembourser, avec les intérêts du crédit, par versements périodiques. (C. Biquet-Mathieu, Le sort des intérêts dans le droit du crédit, Liège, 1998, p. 475; J. Cattaruzza, “Le crédit bancaire” in X, Guide juridique de l'entreprise, Kluwer, p. 12, n° 080).

Les fonds remis à Buprogerim l'ayant été en vertu d'une pareille avance, il y a lieu de retenir la qualification de contrat de prêt à intérêt. Le contrat entre parties est donc soumis aux dispositions impératives des articles 1907 et suivants du Code civil.

20. Le Crédit Professionnel soutient que l'article 1907, 3ème alinéa, du Code civil n'a pas trait aux intérêts moratoires sur le solde du crédit après sa dénonciation.

Il est vrai que certains auteurs restreignent le champ d'application de cette disposition à la majoration des intérêts rémunératoires du crédit stipulée en cas de retard de paiements des échéances (H. De Page, Traité, T. III, 1967, p. 157, n° 121ter, 2°).

Cependant, cette restriction ne trouve appui ni dans le texte de la disposition, ni dans les travaux préparatoires. L'article 1907, 3ème alinéa, du Code civil a une portée générale.

Dès lors, il vise également les intérêts moratoires conventionnels.

Sous réserve d'une nuance, non applicable en l'espèce, à savoir le fait que le taux du prêt, même augmenté de 0,5% soit inférieur au taux légal, le taux de ces intérêts moratoires ne peut dépasser de plus de 0,5% le taux des intérêts rémunératoires applicable en cas d'exécution normale du prêt. (C. Biquet-Mathieu, Le sort des intérêts dans le droit du crédit, Liège, 1998, pp. 603 à 605, n° 336; L. Henrion et E. Balate, “Le contrôle judiciaire du loyer de l'argent” in X, Le droit du crédit: contrôle judiciaire et droit applicable en matière de droit hypothécaire, Kluwer, 1995, p. 29, n° 50).

L'application générale de l'article 1907 du Code civil aux intérêts moratoires est d'ailleurs confirmée par les termes de l'article 1153 du Code civil qui a trait à ces intérêts et, plus précisément, de son dernier alinéa: “Sous réserve de l'application de l'article 1907, le juge peut, d'office ou à la demande du débiteur, réduire l'intérêt stipulé à titre de dommages-intérêts pour retard dans l'exécution si cet intérêt excède manifestement le dommage subi à la suite de ce retard.”

Eu égard à la portée générale de la disposition de l'article 1907, il n'y a pas lieu de distinguer selon que les intérêts moratoires conventionnels sont encourus avant ou après la résolution du crédit.

En conséquence, le plafond de l'article 1907, 3ème alinéa, du Code civil est, en l'espèce, applicable au taux stipulé par le contrat pour les sommes dues à partir de la dénonciation du crédit.

21. En ce qui concerne le calcul du plafond, l'article 1907, 3ème alinéa, du Code civil impose de se référer au taux des intérêts rémunératoires du crédit.

En l'espèce, ce taux de référence s'élevait, à la dénonciation du crédit, à 6,55%.

En vertu de l'article 1907, 3ème alinéa, du Code civil, le plafond des intérêts moratoires dus à partir de la dénonciation s'élève à 6,55% + 0,5% = 7,05%.

22. Buprogerim déduit de la clause de révision quinquennale figurant dans la lettre de crédit (art. 2.B.2.) que le taux doit, après la dénonciation, être ramené à 4,10%.

Cependant, cette clause de révision du taux n'était applicable qu'en cas de continuation du contrat de crédit. Elle ne trouve donc plus à s'appliquer après la dénonciation de celui-ci.

A partir de la dénonciation, le taux de référence pour le calcul du plafond reste donc fixé à 6,55%.

5. Sur la capitalisation des intérêts à la dénonciation

23. Le Crédit Professionnel entend faire courir les intérêts moratoires sur l'ensemble du solde de la créance à la date de la dénonciation et donc y compris sur la somme de 132.440,78 EUR due à titre d'intérêts échus (intérêts rémunératoires et de retard).

L'article 9 de la lettre de crédit stipule effectivement qu'à partir de la résiliation du crédit, le solde débiteur de l'ouverture de crédit et toutes les valeurs qui s'y ajouteraient postérieurement, produiront intérêt,…

Buprogerim soulève l'application de l'article 1154 du Code civil. En vertu de cette disposition, les intérêts échus ne peuvent produire des intérêts qu'en vertu d'une convention spéciale.

La convention spéciale visée par cet article ne peut avoir d'effet que si elle porte sur des intérêts déjà échus. Partant, n'est pas valide une convention anticipée de capitalisation des intérêts intégrée dans un contrat d'ouverture de crédit (Cass. 22 décembre 1938, Pas. 1938, I, p. 405).

L'article 9 de la lettre de crédit ne peut donc avoir d'effet en ce qu'elle prévoit la capitalisation des intérêts à la date de la dénonciation.

En conséquence, la somme de 132.440,78 EUR représentant les intérêts du crédit ne peut être capitalisée à cette date.

6. Sur la clause pénale forfaitaire

24. L'article 5 des dispositions générales des ouvertures de crédit annexées au contrat prévoit qu'en cas de dénonciation de l'ouverture de crédit, la créditée sera redevable à la créditrice, de plein droit et sans mise en demeure, d'une indemnité forfaitaire à titre de clause pénale, calculée sur tous les montants qu'elle doit à la créditrice pour quelque motif que ce soit.

… Cette indemnité sera calculée comme suit:

- 10% sur la tranche de 1 FB à 500.000 FB (12.394,68 EUR);

- 3% sur la tranche dépassant 500.000 FB (12.394,68 EUR).

25. Le cumul d'une clause pénale forfaitaire avec des intérêts de retard conventionnels est licite dès lors que ceux-ci tendent à la réparation de préjudices différents, les intérêts ayant pour objet d'indemniser le créancier du chômage du capital pendant la durée du retard de paiement et le forfait indemnisant les frais exposés pour le recouvrement de la créance non payée à son échéance (correspondances, contrôles et imputations des paiements, frais de personnel, suivi du dossier, ...) (Liège 9 janvier 2003, JLMB 2003, 1507; Liège 16 octobre 1997, JLMB 1997, 1538; Bruxelles 6 mai 1997, JT 1997, 565; Liège 25 mai 1993, RDC 1994, 1066).

En outre, Buprogerim estime à tort qu'il y a lieu de ramener le montant de la clause pénale au montant de l'indemnité de remploi stipulée au contrat de crédit.

En effet, l'indemnité de remploi vise à indemniser un dommage distinct, à savoir le préjudice qui résulte de la nécessité de replacer le capital avant le terme qui était contractuellement prévu pour son remboursement.

26. Buprogerim critique le fait que le montant de la clause pénale soit exclusivement fonction du montant de la créance.

Une clause pénale forfaitaire ne perd cependant pas son caractère indemnitaire du fait que son montant est établi en fonction d'un pourcentage de la créance. En effet, il est notamment permis de supposer que plus le montant de la créance est élevé, plus les difficultés de recouvrement seront importantes.

27. Eu égard au montant de la dette à la date de la dénonciation, le montant de la clause pénale telle que calculée selon la disposition contractuelle susvisée s'élève à la somme de 51.803,29 EUR.

Ce montant excède manifestement le montant que les parties pouvaient fixer pour réparer le dommage résultant des frais de recouvrement de la créance en cas de résolution du crédit (art. 1231 du Code civil).

Il y a donc lieu de réduire le montant de la clause pénale à la somme de 20.000 EUR.

7. Sur la réouverture des débats

28. Il convient d'ordonner la réouverture des débats afin de permettre aux parties d'établir de nouveaux décomptes compte tenu de ce qu'il a été statué dans le présent arrêt.

Pour ces motifs, la cour,

Statuant contradictoirement,

Ecarte des débats les nouvelles pièces 16/2, 17 et 18 du dossier de l'appelante.

Ordonne la réouverture des débats afin que les parties établissent de nouveaux décomptes en fonction des motifs susdits.

- Dit que ces décomptes devront être déposés par la SA Crédit Professionnel au greffe de la cour et communiqués à l'autre partie, au plus tard le 15 octobre 2009;

- Dit que la SA Bureau d'Etudes, de Promotion et de Gérance immobilières, en abrégé Buprogerim, devra avoir fait valoir ses observations pour le 19 novembre 2009 au plus tard, en les déposant au greffe de la cour et en les communiquant à l'autre partie pour cette date;

- Dit que la SA Crédit Professionnel pourra faire valoir ses ultimes observations, dans les mêmes conditions, pour le 5 décembre 2009 au plus tard.

(…)