Cour d'appel de Bruxelles 13 janvier 2009
OPERATIONS BANCAIRES
Virement - Exécution d'un ordre de virement irrégulier donné par quelqu'un ne pouvant disposer du compte - Divergence entre le nom du bénéficiaire et le numéro du compte bénéficiaire - Paiement indu - Contre-passation des opérations de débit et de crédit
La banque qui exécute par erreur un ordre de virement alors qu'elle n'est pas dûment mandatée, a le droit d'en réclamer le remboursement au pseudo-bénéficiaire. L'indu existe dans le chef du banquier qui n'a pas d'obligation envers le bénéficiaire de créditer son compte sans avoir reçu d'ordre.
La même solution s'applique en cas de virement “à une ou à deux banques”.
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BANKVERRICHTINGEN
Overschrijving - Uitvoering van een onregelmatige overschrijvingsopdracht gegeven door iemand die niet over de rekening mocht beschikken - Verschil tussen de naam van de begunstigde en het rekeningnummer - Onverschuldigde betaling - Tegenboeking van de debet/creditverrichtingen
De bank die per vergissing een overschrijvingsopdracht uitvoert, terwijl ze niet behoorlijk gemandateerd is, heeft het recht om de terugbetaling van de pseudobegunstigde te vorderen. De onverschuldigde betaling bestaat in hoofde van de bankier, die niet de verbintenis heeft tegenover de begunstigde om zijn rekening te crediteren, zonder daartoe een opdracht te hebben gekregen.
Dezelfde oplossing is van toepassing in geval van overschrijving “met één of met twee banken”.
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SA Banque de la Poste et SA La Poste / M.L. et ING Belgique SA
Siég.: M. Demanche (conseiller) |
Pl.: Mes J. Vanden Eynde, D. Piccininno et L. Oger, N. Gendrin et G. Verbrugge |
I. | La décision attaquée |
L'appel est dirigé contre le jugement prononcé le 11 octobre 2005 par le tribunal de première instance de Bruxelles.
Les parties ne produisent pas d'acte de signification de ce jugement.
II. | La procédure devant la cour |
L'appel est formé par requête, déposée par la SA Banque de la Poste et la SA La Poste au greffe de la cour, le 9 décembre 2005.
La cause a été fixée sur pied de l'article 747, § 2, du Code judiciaire, par ordonnance du 12 janvier 2006.
Il est fait application de l'article 24 de la loi du 15 juin 1935 sur l'emploi des langues en matière judiciaire.
III. | Les faits et antécédents de la procédure |
1. Les principaux faits de la cause ont été relatés de manière complète par le premier juge et la cour s'y réfère.
Il suffit de rappeler que le litige procède de la contre-passation par la SA Banque de la Poste de deux transferts bancaires effectués au compte ouvert en ses livres par M.L., pour un montant total de 457.007 FB (11.328,91 EUR), pour en re-créditer le compte donneur d'ordre ouvert dans les livres de la BBL (actuellement ING).
2. Dans le cadre de la procédure initiée devant le tribunal de première instance de Bruxelles, par sa citation du 29 janvier 2001, M.L. poursuit la condamnation solidaire de la SA Banque de la Poste et de la SA La Poste, intervenante volontaire, à lui payer d'une part, 11.328,91 EUR à augmenter des intérêts moratoires au taux légal depuis le 23 février 2000 jusqu'à complet paiement et, d'autre part, 3.000 EUR provisionnels à titre de dommages et intérêts sur un préjudice tant matériel que moral et qu'il évalue à 12.394,68 EUR, majorés des intérêts moratoires au taux légal et ensuite des intérêts judiciaires.
La SA Banque de la Poste et la SA La Poste forment une demande reconventionnelle en vue d'obtenir la condamnation de M.L. à leur payer 3.000 EUR à titre d'indemnité de répétibilité.
Ayant cité par exploit du 19 juin 2001, la SA Banque Bruxelles Lambert, devenue la SA ING Belgique (ci-après ING), en intervention et garantie, la SA Banque de la Poste et la SA La Poste poursuivent, à titre subsidiaire, sa condamnation à les garantir de toutes condamnations qui seraient prononcées contre elles, en principal, intérêts et frais.
ING conclut à l'irrecevabilité ou au non-fondement de la demande principale. En ce qui concerne la demande en intervention, elle s'en réfère à justice.
3. Par le jugement entrepris, prononcé le 11 octobre 2005, le tribunal de première instance de Bruxelles condamne solidairement la SA Banque de la Poste et la SA La Poste à payer à M.L., 11.328,91 EUR, majorés des intérêts moratoires depuis le 26 février 2000 jusqu'à parfait paiement, ainsi qu'à une somme de 3.000 EUR.
Il condamne ING à garantir la SA Banque de la Poste et la SA la Poste de la condamnation prononcée à leur égard.
Il déboute les parties du surplus de leurs demandes.
4. Devant la cour, la SA Banque de la Poste et la SA la Poste (ci-après les appelantes) poursuivent la réformation du jugement entrepris et demandent la condamnation de M.L. à leur payer la somme de 10.000 EUR à titre d'indemnité et de répétibilité. A titre subsidiaire, elles maintiennent leur demande à l'égard d'ING.
Par conclusions déposées les 17 octobre 2006, 24 mai 2007 et 23 juin 2008, M.L. a procédé à des sommations en matière d'anatocisme.
En degré d'appel, M.L. demande actuellement:
- la condamnation solidaire des appelantes, par demande partiellement nouvelle, à lui payer - compte tenu des sommations précitées - 18.673,78 EUR à majorer des intérêts judiciaires au taux légal à dater du 24 juin 2008 jusqu'à parfait paiement;
- la confirmation de la condamnation portée par le premier juge en ce qui concerne le montant de 3.000 EUR;
- par demande nouvelle, la condamnation solidaire des appelantes à lui payer 3.000 EUR à titre d'indemnité de répétibilité en appel;
- par demande nouvelle, la condamnation solidaire des appelantes à lui payer 1.500 EUR à titre de dommages et intérêts pour appel téméraire et vexatoire à augmenter des intérêts au taux légal depuis le 17 octobre 2006, et ce jusqu'à parfait paiement.
ING soutient que la demande originaire principale est non fondée et qu'il y a dès lors lieu d'en débouter le demandeur originaire.
Elle introduit un appel incident par lequel elle demande de voir déclarer la demande en intervention et garantie effectuée par les appelantes, devenue sans objet et, à titre subsidiaire, de limiter sa condamnation à la somme de 11.328,91 EUR à augmenter des intérêts judiciaires et à l'exclusion de tout autre frais et dépens.
Elle forme une demande nouvelle tendant - dans l'hypothèse où la demande originaire en garantie des appelantes à son égard serait confirmée en tout ou en partie - à entendre condamner M.L. à la garantir de toutes sommes auxquelles elle serait elle-même ainsi condamnée.
IV. | Discussion |
A. | Quant à l'attestation de la CGSLB-ACLVB |
5. M.L. demande l'écartement de l'attestation de la CGSLB-ACLVB du 7 décembre 2005, pour avoir été établie en cours de procédure, soit in tempore suspecto, par un membre du personnel d'ING, M.M.
Dans cette attestation, M.M. qui est co-titulaire avec M.L. du compte ouvert pour le syndicat CGSLB-ACLVB signale s'être plaint des versements effectués sans son accord, les 15 octobre 1999 et 5 novembre 1999 par M.L., et avoir demandé la restitution des fonds.
Cette attestation ne présente pas un caractère spécieux et il n'y a dès lors pas lieu de l'écarter des débats.
Il est, à cet égard, sans incidence que M.M., qui agissait pour la CGSLB-ASLVB, n'ait pas poursuivi davantage sa demande par le biais d'une plainte, soit au pénal, soit de manière plus formelle au sein de ING.
En effet, c'est de manière crédible qu'il est précisé que celui-ci s'en est en fait désintéressé dès le moment où la CGSLB-ASLVB a été remboursée. M.M. l'explicite d'ailleurs en signalant aussi que compte tenu du fait que M.L. avait quitté ING fin 1999, il n'a pas donné suite à cette affaire.
B. | Quant à la régularité des ordres de virement |
6. ING invoque notamment que les ordres de virement litigieux étaient inexacts et irréguliers étant donné que le donneur d'ordre ne pouvait agir seul.
7. Le compte ouvert à la BBL n° 310-(…) a été ouvert pour l'association de fait 'CGSLB-ACLVB BBL Bruxelles' par messieurs M.L. et M.M., qui devaient signer conjointement les actes d'administration et de disposition effectués au nom [de l]'association, et notamment les ordres de virement.
Les ordres litigieux ont été effectués à la seule demande de M.L.
Ils sont donc irréguliers.
8. C'est vainement que M.L. soutient que la contre-passation des écritures litigieuses est intervenue sans instruction de sa part en qualité de titulaire du compte ouvert auprès d'ING, alors qu'il est établi que c'est l'autre co-titulaire dudit compte ING qui en a fait la demande.
9. C'est aussi vainement que M.L. soutient qu'en agissant de la sorte, les appelantes et ING se seraient immiscées dans les relations contractuelles existant entre le syndicat CGSLB-ASLVB et lui, puisque la démarche des banques résulte, notamment, d'une demande faite par M.M.
10. M.L. soutient aussi que ses paiements au départ du compte ING, ont été effectués de manière électronique, par Home Banking. Pour lui, ils ont donc été effectués de manière régulière puisque chacun des deux titulaires disposait du code chiffré qui remplaçait ainsi les signatures conjointes. Selon lui, tel était d'ailleurs le modus operandi habituel.
Aucune modification concernant l'obligation de signature conjointe n'est produite et le fait d'avoir éventuellement procédé auparavant de la sorte ne rend pas, pour autant, les opérations litigieuses, régulières.
11. C'est aussi sans pertinence que M.L. invoque que la BBL avait opéré les vérifications des opérations et que c'est donc avec son accord qu'elles ont eu lieu.
Au contraire, ING précise que c'est à la suite d'une erreur que les paiements ont été effectués: Ces paiements ont été effectués suite à une fausse manoeuvre de notre part. Nous vous prions de bien vouloir nous en excuser (lettre de la BBL à Postchèque du 21 février 2000).
C. | Quant à la rectification par la Banque de la Poste des écritures ayant porté au crédit du compte n° 000-(…) la somme de 457.007 FB |
12. Les virements effectués par ING l'ont été sans ordres réguliers, et ING a donc agi sans mandat.
Dans le cas d'un virement au sein de la même banque, la contre-passation peut donc être effectuée au compte du pseudo-bénéficiaire (Van Ryn et Heenen, Principes de droit commercial, T. IV, 1988, n° 450; A. Bruyneel, “Le virement” in La banque dans la vie quotidienne, Ed. du Jeune Barreau, 1992, n° 37; Bruxelles 6 mai 1997, RDC 1998, n° 801).
En effet, la banque qui exécute par erreur un ordre de virement alors qu'elle n'est pas dûment mandatée, a le droit d'en réclamer le remboursement au pseudo-bénéficiaire. Le pseudo-bénéficiaire ne peut valablement s'opposer à l'action en répétition de l'indu du banquier en invoquant une créance contre le pseudo-donneur d'ordre. L'indu existe dans le chef du banquier qui n'a pas d'obligation envers le bénéficiaire de créditer son compte sans avoir reçu d'ordre (Bruxelles 15 octobre 1996, RDC 1997, 748).
13. Cette solution est applicable, mutatis mutandis, en cas de virement 'à deux banques' (Bruyneel, o.c., n° 37).
La Banque de la Poste, qui a agi à la demande de ING, était donc fondée à contre-passer les écritures litigieuses.
14. Au surplus, il devient donc inopérant d'examiner si les transferts qui ont été réalisés au départ du compte ING, par M.L., vers le compte n° 000-(…) correspondaient, ou non, à son titulaire, M.L.
Il s'en déduit que l'action originaire de M.L. est non fondée et l'appel fondé.
D. | Quant à l'appel en intervention et garantie des appelantes à l'égard d'ING et à l'appel incident d'ING |
15. Il se déduit de ce qui précède que ces demandes sont non fondées.
(…)
Pour ces motifs, la cour
Dit les appels, principal et incident, ainsi que les demandes nouvelles, recevables.
Dit l'appel principal fondé.
En conséquence,
Réformant et statuant à nouveau,
Dit l'action originaire non fondée.
Dit l'appel incident non fondé.
Dit les demandes nouvelles non fondées.
Condamne M.L. aux dépens de première instance à l'égard de La Poste et de la Banque de la Poste, liquidés à l'indemnité de procédure de 356,97 EUR et lui délaisse ses propres dépens liquidés à la somme de 508,16 EUR. Condamne La Poste et la Banque de la Poste aux dépens d'ING, liquidés à l'indemnité de procédure de 356,97 EUR.
(…)