Cour de justice de l'Union européene 7 octobre 2010
DROIT JUDICIAIRE EUROPÉEN ET INTERNATIONAL - RÈGLEMENT (CE) N° 44/2001 DU 22 DÉCEMBRE 2000
Compétence judiciaire, reconnaissance et exécution des décisions en matière civile et commerciale - Règlement (CE) n° 44/2001 - Article 15, paragraphe 1, sous c), et 15, paragraphe 3), du règlement (CE) n° 44/2001 - Compétence en matière des contrats conclus par les consommateurs - Contrat qui, pour un prix forfaitaire, combine voyage et hébergement - Direction par tout moyen des activités commerciales ou professionnelles vers l'Etat membre où le consommateur a son domicile
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Aff. jointes: Peter Pammer (C-585/08) et Hôtel Alpenhof (C 144/09) |
Dans un intéressant arrêt du 7 décembre 2010 rendu dans les affaires jointes C 585/08, Peter Pammer et C 144/09, Hôtel Alpenhof, la grande chambre de la Cour de justice a précisé le champ d'application des règles de compétence internationale protectrices de consommateur énoncées dans les articles 15 et 16 du règlement (CE) n° 44/2001 (Règlement Bruxelles I).
Pour rappel, les articles 15 et 16 du règlement susmentionné dérogent tant à la règle générale de compétence édictée à l'article 2, paragraphe 1, du Règlement Bruxelles I attribuant compétence aux juridictions de l'Etat membre sur le territoire duquel le défendeur est domicilié, qu'à la règle de compétence spéciale en matière de contrats, énoncée à l'article 5, point 1, de ce même règlement, selon laquelle le tribunal compétent est celui du lieu où l'obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée.
En effet, d'une part, l'article 16, paragraphe 1, assure au consommateur la possibilité d'assigner son cocontractant, au choix, soit devant les juridictions de son propre Etat membre, soit devant celles de l'Etat membre de son cocontractant, et d'autre part, l'article 16, paragraphe 2, énonce que le consommateur ne pourra être assigné que devant les juridictions de l'Etat membre sur le territoire duquel il est domicilié.
Toutefois, ces règles protectrices ne sont applicables que dans les situations définies à l'article 15 du Règlement Bruxelles I. Ainsi, conformément à l'article 15, paragraphe 1, sous c), la règle protectrice couvre les cas de figure dans lesquels un consommateur conclut un contrat avec une personne qui, par tout moyen, dirige ses activités commerciales ou professionnelles vers l'Etat membre où le consommateur est domicilié, ou vers plusieurs Etats, dont cet Etat membre, et que le contrat entre dans le cadre de ces activités. D'autre part, conformément à l'article 15, paragraphe 3, sont exclues du champ d'application de la règle protectrice de consommateur les contrats de transport, sauf si le contrat, pour un prix forfaitaire, combine voyage et hébergement.
Dans l'affaire Peter Pammer, la Cour a dû se prononcer, tout d'abord, sur la notion du contrat de transport qui, à prix forfaitaire, combine voyage et hébergement. Elle a été notamment amenée à décider si relevait de cette notion un contrat qui portait sur un voyage en bateau de luxe au départ de Trieste et à destination de l'Extrême Orient, défini par les parties au contrat comme un 'voyage en cargo'. Dans ce contexte, la Cour s'est référée principalement à la définition du 'voyage à forfait' au sens de la directive 90/314/CEE du Conseil du 13 juin 1990, concernant les voyages, vacances et circuits à forfait (JO L 158, p. 59, “directive voyage à forfait”) et a constaté que la notion de contrat de transport utilisé à l'article 15, paragraphe 3, du Règlement Bruxelles I doit correspondre à la définition du contrat de voyage à forfait au sens cette directive. Pour rappel, la directive définit le voyage à forfait comme combinaison préalable d'au moins deux des trois éléments suivants: (i) transport, (ii) logement, (iii) autres services touristiques non accessoires au transport ou au logement représentant une part significative dans le forfait, lorsqu'elle est vendue ou offerte à la vente à un prix tout compris et lorsque cette prestation dépasse vingt quatre heures ou inclut une nuitée. La Cour a considéré que le 'voyage en cargo' litigieux, correspondait bien à cette définition.
La deuxième question sur laquelle portait tant l'affaire Peter Pammer que l'affaire Hôtel Alpenhof concernait l'interprétation de la notion de 'direction des activités vers un Etat membre', particulièrement ardue dans le contexte des activités démarchées à travers l'Internet. En effet, depuis déjà longtemps la doctrine divergeait sur le point de savoir si, pour qu'un consommateur qui a conclu un contrat par l'Internet puisse bénéficier de la protection instaurée à l'article 16 du Règlement Bruxelles I, il suffisait que le site de son cocontractant soit simplement accessible dans l'Etat membre du domicile du consommateur, ou bien il fallait démontrer l'existence d'autres éléments qui confirmait la volonté du commerçant de diriger ses activités vers cet Etat membre.
Pour clarifier la portée de la notion de 'direction des activités vers un Etat membre', la Cour a tout d'abord écarté, comme trop avantageuse pour le consommateur, la théorie d'accessibilité du site Internet, selon laquelle la protection garantie par l'article 16 du Règlement Bruxelles I est accordée dès que le site du commerçant peut être consulté dans l'Etat membre du domicile de consommateur. La Cour a également considéré que d'autres critères se rattachant uniquement aux fonctionnalités du site Internet du commerçant, en particulier le caractère 'interactif' de ce site n'étaient pas non plus déterminants pour l'application de l'article 15, paragraphe 1, sous c), du Règlement Bruxelles I. En effet, d'après la Cour, le critère fondamental pour établir si un commerçant dirige ses activités vers un Etat membre, c'est la volonté du commerçant d'établir des relations commerciales avec les consommateurs d'un ou de plusieurs autres Etats membres, au nombre duquel figure l'Etat membre du domicile de consommateur.
Partie de ce constat, la Cour s'est attachée à déterminer les indices démontrant que le commerçant effectivement envisageait d'établir des relations avec des consommateurs domiciliés dans d'autres Etats membres, en ce sens qu'il était disposé à conclure un contrat avec ces consommateurs. Selon la Cour, parmi ces indices figurent toutes les expressions manifestes de la volonté de démarcher les consommateurs de cet Etat membre, c'est-à-dire, par exemple la mention selon laquelle le commerçant offre ses services ou ses biens dans un ou plusieurs Etats membres nommément désignés ou l'engagement par celui-ci de dépenses dans un service de référencement sur Internet auprès de l'exploitant d'un moteur de recherche afin de faciliter aux consommateurs domiciliés dans différents Etats membres l'accès au site du commerçant. Cependant, la Cour a considéré que la caractérisation d'une activité 'dirigée vers' d'autres Etats membres ne dépend pas uniquement de l'existence d'indices aussi patents. A cet égard, elle a établi une liste non exhaustive des éléments qui sont susceptibles de constituer des indices permettant de considérer que l'activité du commerçant est dirigée vers l'Etat membre du domicile du consommateur. Figurent sur cette liste, notamment, la nature internationale de l'activité, la mention d'itinéraires à partir d'autres Etats membres pour se rendre au lieu où le commerçant est établi, l'utilisation d'une langue ou d'une monnaie autres que la langue ou la monnaie habituellement utilisées dans l'Etat membre dans lequel est établi le commerçant avec la possibilité de réserver et de confirmer la réservation dans cette autre langue, la mention de coordonnées téléphoniques avec l'indication d'un préfixe international, l'utilisation d'un nom de domaine de premier niveau autre que celui de l'Etat membre où le commerçant est établi et la mention d'une clientèle internationale composée de clients domiciliés dans différents Etats membres.
En outre, la Cour a précisé que la circonstance que le site Internet soit celui d'un intermédiaire et non celui du commerçant lui-même ne fait pas obstacle à ce que ce dernier soit considéré comme dirigeant son activité vers d'autres Etats membres (art. 15, paragraphe 1, sous c), du Règlement Bruxelles I). Dans ce cas, il convient de vérifier si le commerçant était ou a dû être conscient de la dimension internationale de l'activité de l'intermédiaire et quel lien unissait le commerçant à l'intermédiaire.