Tribunal de commerce de Liège 12 août 2010
INSOLVABILITE
Continuité des entreprises - Réorganisation judiciaire par transfert - Mandataire de justice - Répartition de prix de vente - Faillite
Le régime autonome et spécifique de distribution propre au transfert sous autorité de justice ne trouve sa justification que dans l'hypothèse où ce transfert n'est pas suivi d'une déclaration de faillite du débiteur ou plus généralement d'une nouvelle et plus large situation de concours. Sauf dans l'hypothèse où la distribution par contribution a été menée à son terme, la faillite subséquente au transfert absorbe donc le concours né de celui-ci. Dans cette mesure, le régime autonome de la procédure de réorganisation judiciaire doit s'effacer devant la faillite. L'huissier de justice désigné dans la procédure de transfert sous autorité de justice est tenu de remettre le solde du prix de cession des actifs au curateur.
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INSOLVENTIE
Continuïteit van de ondernemingen - Overdracht onder gerechtelijk gezag - Gerechtsmandataris - Verdeling van de verkoopprijs - Faillissement
Het autonome en specifieke verdelingsmechanisme in het raam van een overdracht onder gerechtelijk gezag zal slechts uitwerking krijgen in het geval deze overdracht niet gevolgd wordt door een faillissement van de schuldenaar of meer algemeen door een nieuwe en ruimere vorm van samenloop. Behalve in de situatie waarin de gelden volledig verdeeld en toegewezen werden, zal het faillissement volgend op de overdracht deze eerste samenloop absorberen. In dat geval moet het eigen verdelingsmechanisme binnen de procedure van gerechtelijke reorganisatie wijken voor het faillissement. De gerechtsdeurwaarder die aangesteld werd in de procedure van overdracht onder gerechtelijk gezag is verplicht om het overschot van de verkoopprijs over te maken aan de curator.
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Mr. J.-L.P., curateur aux faillites de SA Fortemps, SA Alpha Gravure en SA Alpha Grafic / Mr. A.B.
Siég.: P. Evrard (président), O. Eschweiler et J.C. Weicker (juges consulaires) |
Pl.: Mes P. Mottard loco P. Ramquet |
Vu la loi du 15 juin 1935 sur l'emploi des langues en matière judiciaire.
Vu le dossier de la procédure et notamment:
- le procès-verbal de comparution volontaire du 5 août 2010 Entendu à l'audience publique du 12 août 2010:
- monsieur Jean-Claude Jungels, juge-commissaire désigné en remplacement du juge-commissaire titulaire empêché, en son rapport;
- le curateur et le conseil de l'huissier de justice comparaissant spontanément, les débats étant ensuite déclarés clos.
1. | Les faits |
Le 28 août 2009, les sociétés Fortemps, Alpha Gravure et Alpha Grafic déposent une requête en réorganisation judiciaire.
Les procédures de réorganisation judiciaire sont ouvertes par jugements du 11 septembre 2009, maître André Renette, avocat, étant désigné en qualité de mandataire de justice dans le cadre des trois procédures.
Par jugement du 23 mars 2010, après que les trois procédures aient été jointes par jugement du 23 février 2010, le tribunal autorise maître André Renette à procéder à la vente des actifs des trois sociétés.
Le mandataire de justice procède aux ventes immobilières le 26 mai 2010 et cède en outre les actifs mobiliers, le tout pour un montant global de 1.230.000 EUR.
Le 31 mai 2010, le mandataire de justice dépose une requête en application de l'article 67 LCE et sollicite, d'une part, la clôture de la procédure de réorganisation judiciaire et, d'autre part, la désignation d'un huissier de justice chargé de procéder à la répartition du prix des meubles conformément aux articles 1627 et suivants du Code judiciaire (art. 65 LCE).
Par jugement du 11 juin 2010, le tribunal:
- met fin au sursis accordé aux trois sociétés;
- décharge le juge délégué de sa mission;
- met fin à la mission du mandataire de justice et lui en donne décharge;
- désigne maître A.B., huissier de justice, en vue de répartir le solde du prix de cession détenu par le mandataire de justice et ce en application des articles 1627 et suivants du Code judiciaire et 65 LCE.
Le 14 juin 2010, le tribunal prononce la faillite des trois sociétés et désigne maître J.-L.P. en qualité de curateur et monsieur P.D.M., juge consulaire, en qualité de juge-commissaire.
Après les jugements déclaratifs de faillite - mais à une date non précisée - le mandataire de justice transfère les fonds à l'huissier de justice.
2. | La demande |
Le curateur sollicite la condamnation de l'huissier de justice à lui remettre les fonds reçus du mandataire de justice et qui n'ont pas été distribués lors de la survenance de la faillite, soit toutes sommes non encore remises à ce moment aux créanciers bénéficiaires de la distribution.
3. | Discussion |
3.1. | Le jugement du 12 août 2010 |
Aux termes de ce jugement, le tribunal a ordonné d'office la réouverture des débats afin de permettre au juge-commissaire à la faillite des trois sociétés de faire le rapport prévu à l'article 35, 1er alinéa, de la loi sur les faillites.
Ledit rapport a été fait. La procédure est donc maintenant régulière.
3.2. | La recevabilité |
L'huissier de justice soutient que la demande du curateur est irrecevable au motif que ce dernier n'a pas estimé devoir introduire de recours à l'encontre de la décision du 11 juin 2010 par laquelle le tribunal lui a confié la mission de répartir le solde du prix de cession au profit des créanciers et ce par application des articles 1627 et suivants du Code judiciaire et 65 LCE.
La recevabilité conditionne le droit d'agir en justice.
Aux termes de l'article 17 du Code judiciaire, “l'action ne peut être admise si le demandeur n'a pas qualité et intérêt pour la formuler”.
Il s'agit de deux conditions de recevabilité communes à toutes les actions en justice.
La qualité du curateur à agir dans le cadre de sa mission légale ne souffre pas la moindre contestation.
Quant à l'intérêt requis pour l'introduction d'une demande en justice, il consiste en tout avantage, matériel ou moral, effectif mais non théorique que le demandeur peut retirer de la demande au moment où il la forme (G. de Leval, Eléments de procédure civile, Larcier, 2005, n° 7, p. 17). En l'espèce, l'intérêt du curateur consiste, dans le cadre de la mission légale qui lui a été confiée, à réaliser les actifs et à les distribuer, cette distribution étant de l'essence de sa fonction.
L'intérêt à agir du curateur est donc établi à suffisance de droit.
L'absence de voie de recours à l'encontre du jugement du 11 juin 2010 est sans incidence quant à l'appréciation des conditions de recevabilité de la demande telle qu'examinée ci-avant.
3.3. | Le fond |
Dès lors que les sociétés ici en cause ont été déclarées en faillite avant la distribution par contribution dont l'huissier de justice a été chargé en vertu du jugement du 11 juin 2010, le curateur doit-il ou non être préféré à l'huissier de justice pour procéder à l'une des missions que la loi lui confie à savoir, après la réalisation des actifs du failli, la répartition aux créanciers dans le respect des droits spécifiques de chacun d'eux et en ayant égard, le cas échéant, aux dettes de masse nées tant de la procédure de réorganisation judiciaire que de la faillite?
Que l'huissier de justice ait été désigné par jugement pour procéder à la distribution du prix de cession des actifs ou d'une partie d'entre eux, est en soi sans incidence sur la mission du curateur et ne peut prévaloir sur celle-ci. En effet, quant à la mission de distribution par contribution qui échoit à l'huissier de justice, il n'y a pas de différence de nature selon que cette mission découle d'un jugement consécutif à un transfert d'entreprise ou, plus généralement, des dispositions du Code judiciaire en ce que celles-ci confient les missions d'exécution des décisions de justice aux huissiers de justice en ce compris la distribution par contribution.
L'argument relatif à l'absence de recours à l'encontre du jugement du 11 juin 2010 déjà évoqué ci-avant manque donc de pertinence.
Cela étant, dans un arrêt de principe du 23 avril 2010 (http://jure.juridat.just.fgov.be/view_decision?justel=F-20100423-2&idxc_id=240653&lang=fr ), la Cour de cassation a énoncé la règle suivant laquelle le curateur à la faillite du débiteur saisi est en droit de se faire remettre par l'huissier de justice instrumentant les fonds saisis qui n'ont pas encore été distribués lors de la survenance de la faillite, soit toutes sommes non encore remises à ce moment aux créanciers bénéficiaires de la distribution.
La sécurité juridique tout autant que l'homogénéité du régime d'ordre public de la faillite imposent d'appliquer au débiteur dont l'actif a été vendu par un mandataire de justice lors d'un transfert d'entreprise, le même régime qu'au débiteur saisi.
Contrairement au régime de la faillite qui implique le dessaisissement de plein droit de l'administration et des biens du débiteur au jour du jugement déclaratif de faillite (art. 16, 1er al., L.Faill.), la loi relative à la continuité des entreprises ne prévoit pas de dessaisissement du débiteur après la vente de l'actif puisque, par l'effet du transfert, les droits des créanciers sont reportés sur le prix (art. 66 LCE).
Si les droits des créanciers sont reportés sur le prix, celui-ci se substitue donc aux éléments d'actif cédés. Il en résulte nécessairement que ce prix se trouve et demeure dans le patrimoine du débiteur aussi longtemps qu'il n'a pas été procédé à la distribution de celui-ci.
Dans ce cas, la loi relative à la continuité des entreprises crée certes une situation de concours (argument art. 66 LCE - A. Zenner, J.-P. Lebeau et C. Alter, La loi relative à la continuité des entreprises à l'épreuve de sa première pratique, Larcier, 2010, n° 139, p. 204) mais la faillite en crée une autre qui porte non plus sur les éléments d'actif cédés dans le cadre du transfert d'entreprise mais sur la totalité du patrimoine du débiteur alors dessaisi et qui, à ce titre, absorbe la situation de concours résultant de la loi relative à la continuité des entreprises.
Cette solution s'impose d'autant plus que la création et le maintien de deux situations de concours généreraient des difficultés innombrables et parfois insolubles que l'intérêt des créanciers commande d'éviter.
En d'autres termes encore, le régime autonome et spécifique de distribution propre au transfert sous autorité de justice ne trouve sa justification que dans l'hypothèse où ce transfert n'est pas suivi d'une déclaration de faillite du débiteur ou plus généralement d'une nouvelle et plus large situation de concours. Sauf dans l'hypothèse où la distribution par contribution a été menée à son terme, la faillite subséquente au transfert absorbe donc le concours né de celui-ci. Dans cette mesure, le régime autonome de la procédure de réorganisation judiciaire doit s'effacer devant la faillite.
Par ces motifs
Le tribunal
Statuant contradictoirement.
Dit la demande recevable et fondée.
Condamne monsieur A.B., huissier de justice, à remettre à monsieur J.-L.P., curateur aux faillites des sociétés Fortemps, Alpha Gravure et Alpha Grafic, le solde du prix de cession des actifs de ces sociétés qui lui a été remis par le mandataire de justice, à savoir 397.384,71 EUR.
Condamne monsieur A.B. aux dépens non liquidés à défaut du relevé prescrit par l'article 1021 du Code judiciaire.
Autorise l'exécution provisoire du présent jugement nonobstant tout recours et sans caution.