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Nouvelle législation sur le renforcement des mesures de redressement en cas de crise, R.D.C.-T.B.H., 2011/3, p. 238-240

Nouvelle législation sur le renforcement des mesures de redressement en cas de crise

Jean-Pierre Deguée [1]
RESUME
Les deux lois du 2 juin 2010 complètent les mesures de redressement dont disposent les autorités pour faire face aux situations de crise rencontrées par le secteur bancaire et financier. Le présent commentaire a pour objet de fournir un aperçu de cette nouvelle législation.
SAMENVATTING
De beide wetten van 2 juni 2010 wapenen de autoriteiten met een aantal bijkomende herstelmaatregelen, mochten zij het hoofd moeten bieden aan crisissituaties in de bank- en financiële sector. In de onderstaande toelichting wordt een overzicht gegeven van deze nieuwe wetgeving.

Sur base des constats dégagés à la suite de la crise financière et à l'instar d'autres législations étrangères, la loi du 2 juin 2010 [2] a renforcé les mesures de redressement dont disposent les autorités à l'égard d'établissements relevant du secteur bancaire et financier dont la situation financière serait menacée gravement au point d'affecter la stabilité financière nationale ou internationale.

Ces mesures exceptionnelles de redressement qui sont identiques pour les établissements de crédit, les entreprises d'assurances et les organismes de liquidation et assimilés, sont prévues au sein des différentes législations de contrôle qui se voient ainsi complétées par la loi du 2 juin 2010 [3]. Ces mesures consistent, lorsque le risque de défaillance d'un tel établissement est de nature à compromettre la stabilité financière au regard de critères précisés par la loi, à permettre une intervention de l'Etat.

Une situation permettant une intervention de l'Etat se traduit juridiquement par la survenance d'un manquement au statut légal de contrôle [4] susceptible d'affecter la stabilité financière. Une fois cette situation constatée, le Roi peut, par arrêté délibéré en Conseil des ministres, soit à la demande de l'autorité de contrôle [5], soit d'initiative, mais en toute hypothèse après avis de l'autorité de contrôle [6], prendre les mesures décrites ci-après. Les travaux préparatoires précisent que dans l'hypothèse où la demande émane de l'autorité de contrôle, l'économie de procédure implique que cette demande soit considérée comme l'avis de celle-ci [7].

L'intervention de l'Etat consiste dans la possibilité pour le Roi d'adopter tout acte de disposition, en faveur de l'Etat ou de toute autre personne, belge ou étrangère, de droit public ou de droit privé, notamment tout acte de cession, de vente ou d'apport portant sur

    • des actifs, des passifs ou une ou plusieurs branches d'activités et plus généralement, de tout ou partie des droits et obligations de l'établissement concerné;
    • des titres ou parts, représentatifs ou non du capital, conférant ou non un droit de vote, émis par l'établissement.

    Une telle prérogative permet ainsi, à l'instar des exemples anglais et allemand, que dans des circonstances exceptionnelles, lorsque les difficultés financières éprouvées par un établissement font peser une menace sur la stabilité du système financier, l'Etat dispose du pouvoir d'ordonner la cession des actifs ou branches d'activités de l'établissement en difficulté, ou du pouvoir d'ordonner la cession des titres émis par celui-ci.

    L'arrêté royal définit l'indemnité payable aux propriétaires/titulaires [8] des biens ou droits faisant l'objet de l'acte de disposition prévu par l'arrêté [9]. Si le cessionnaire désigné par l'arrêté royal est une personne autre que l'Etat, le prix dû par le cessionnaire aux termes de la convention qui serait conclue avec l'Etat revient auxdits propriétaires ou titulaires à titre d'indemnité, selon la clef de répartition définie par le même arrêté [10].

    Quant au contrôle judiciaire des actes de disposition ordonnés par le Roi et aux recours possibles, une deuxième loi du 2 juin 2010 [11], adoptée selon la procédure bicamérale, organise la protection des intérêts patrimoniaux des propriétaires des actifs ou des titres dont le Roi aurait ordonné la cession. S'inspirant tant en ce qui concerne le principe que l'organisation de la procédure, de la loi du 26 juillet 1962 relative à la procédure d'extrême urgence en matière d'expropriation pour cause d'utilité publique, cette loi [12] établit ainsi une procédure judiciaire spécifique afin de satisfaire aux exigences découlant de l'article 16 de la Constitution, de l'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme et de l'article 6, § 1er, de la Convention européenne des droits de l'homme [13].

    En substance, lorsque l'Etat voudra faire usage des pouvoirs d'ordonner la cession d'actifs ou de titres, il devra saisir le tribunal de première instance de Bruxelles pour que celui-ci vérifie d'une part la légalité de l'acte de cession, et d'autre part le caractère juste, prima facie, de l'indemnisation prévue. L'effet translatif de la cession intervient si le tribunal constate par un jugement que ces deux conditions sont remplies. Ultérieurement, les propriétaires dont les actifs ou titres sont ainsi transférés peuvent encore demander, toujours devant le tribunal, la révision de l'indemnité, sans toutefois que l'effet translatif de propriété puisse encore être mis en cause à ce moment.

    Pour le surplus, la loi règle différents aspects ayant pour objet d'assurer l'efficacité et la sécurité juridique des mesures arrêtées par le Roi, comme notamment leurs effets sur les conventions en cours, la neutralisation de certaines règles relatives à la faillite [14], les questions de responsabilité [15], les règles en matière de compétence internationale et de loi applicable [16].

    Outre l'instauration de ce régime, la loi du 2 juin 2010 procède encore à différentes modifications significatives. En premier lieu, les mesures de redressement déjà prévues par les différentes lois de contrôle se voient précisées. Il en va ainsi des articles 57 de la loi bancaire et 26 de la loi de contrôle assurances en ce qu'ils prévoient un pouvoir de suspension des activités d'un établissement de crédit ou d'une entreprise d'assurances, à propos duquel la loi nouvelle précise désormais que cette prérogative couvre également la possiblité de suspendre l'exécution de contrats en cours. S'agissant d'établissements de crédit, la disposition ainsi modifiée permet par exemple à l'autorité de contrôle, le cas échéant, de suspendre le remboursement des dépôts de clients ou d'autres fonds remboursables [17]. Une autre modification relative aux mesures de redressement a pour objet de dispenser l'autorité de contrôle, pour les situations d'urgence dûment motivées, de la nécessité d'imposer un délai de redressement comme préalable à l'adoption d'une mesure de redressement. Cela vise les situations d'urgence nécessitant qu'une mesure puisse être adoptée au plus vite sans qu'un délai formel de redressement ne soit préalablement fixé, soit que l'entreprise soit clairement dans l'incapacité d'y satisfaire, soit que les intérêts des clients soient gravement menacés.

    Sur ces deux aspects, la loi nouvelle apporte les mêmes modifications s'agissant des entreprises d'investissement, des sociétés de gestion d'organismes de placement collectif et des entreprises de réassurance.

    En deuxième lieu, la loi du 2 juin 2010 soustrait les établissements de crédit du champ d'application de la loi du 31 janvier 2009 relative à la continuité des entreprises et étend, par identité de motifs, cette exclusion aux autres entreprises faisant l'objet d'un contrôle dit prudentiel [18].

    Enfin, en troisième lieu, la loi du 2 juin 2010 modifie certaines dispositions légales applicables aux instruments financiers circulant par voie d'inscription en compte [19]. Le cadre juridique applicable aux titres scripturaux confère aux propriétaires des instruments financiers visés un droit de revendication collectif sur les titres inscrits au nom de l'intermédiaire (affilié, teneur de compte ou teneur de compte agréé) en cas de faillite de ce dernier ou de tout autre situation de concours.

    Conformément à ces dispositions, en cas d'insuffisance de titres, le solde est en principe réparti entre les propriétaires en proportion de leurs droits. Une telle insuffisance de titres peut avoir pour origine l'utilisation par l'intermédiaire des titres détenus pour le compte des propriétaires avec l'autorisation de ceux-ci [20]. La modification apportée par la loi du 2 juin 2010 vise à ce que les propriétaires qui n'ont pas donné leur accord à l'utilisation de leurs titres par leur intermédiaire, ne partagent pas les pertes liées à l'utilisation de ces titres avec les propriétaires qui l'ont autorisée. Par conséquent, les propriétaires qui n'ont pas donné l'autorisation de disposer de leurs titres pourront revendiquer leurs titres par préférence à ceux qui auraient donné une telle autorisation. Dans ce cadre, il est primordial que l'accord à donner par les clients en ce qui concerne l'usage de leurs instruments financiers soit, conformément à la directive 2006/73/CE (art. 19), donné de manière expresse. C'est pourquoi la modification légale n'entrera en vigueur qu'une fois précisées [21] les modalités selon lesquelles le consentement du client doit être manifesté, sans que ce consentement puisse être simplement déduit de l'adhésion à des conditions générales d'ouverture de compte dans lesquelles une clause relative à l'utilisation des instruments financiers des clients serait insérée.

    [1] Conseiller à la Banque nationale de Belgique.
    [2] Loi du 2 juin 2010 visant à compléter les mesures de redressement applicables aux entreprises relevant du secteur bancaire et financier, MB 14 juin 2010, p. 37.063.
    [3] Respectivement par l'insertion d'un art. 57bis dans la loi bancaire du 22 mars 1993, d'un art. 26bis dans la loi du 9 juillet 1975 sur le contrôle des entreprises d'assurances et d'un art. 23bis dans la loi du 2 août 2002.
    [4] Par exemple un manquement aux dispositions légales et réglementaires constituant le statut bancaire (voy. l'art. 57, § 1er, 1er al., de la loi bancaire).
    [5] à savoir la BNB depuis le 1er avril 2011 (voy. la loi du 2 juillet 2010 modifiant la loi du 2 juillet modifiant la loi du 2 août 2002 relative à la surveillance du secteur financier et aux services financiers, ainsi que la loi du 22 février 1998 fixant le statut organique de la Banque Nationale de Belgique, et portant des dispositions diverses; Doc.Parl., Ch. Repr., sess. 2009-10, 52e Législature, doc n° 2408/001; Arrêté royal du 3 mars 2011 mettant en oeuvre l'évolution des structures de contrôle du secteur financier, MB 9 mars 2011, p. 1563).
    [6] Ibid.
    [7] Doc.parl. Ch. repr. 2009-10, 52e Législature, Doc. n° 2406/001, p. 15.
    [8] C.-à-d. concrètement, selon les cas, de l'établissement lui-même ou des titulaires des titres émis par l'établissement.
    [9] La loi précise pour autant que de besoin que l'indemnité peut se composer d'une partie fixe et d'une partie variable, pour autant bien entendu que cette partie variable soit déterminable et ce, bien évidemment, en fonction de critères ne dépendant pas de la volonté de l'Etat ou du cessionnaire (art. 26ter, § 3, 2ème al., 4°, de la loi 9 juillet 1975, art. 57ter, § 3, 2ème al., 4°, de la loi du 22 mars 1993, art. 23ter, § 3, 2ème al., 4°, de la loi du 2 août 2002).
    [10] Art. 26bis, § 2, de la loi 9 juillet 1975, art. 57bis, § 2, de la loi du 22 mars 1993, art. 23bis, § 2, de la loi du 2 août 2002.
    [11] Loi du 2 juin 2010 complétant, en ce qui concerne les voies de recours, la loi du 2 juin 2010 visant à compléter les mesures de redressement applicables aux entreprises relevant du secteur bancaire et financier (MB 14 juin 2010, p. 37.072).
    [12] Par l'insertion d'un art. 57ter dans la loi bancaire, d'un art. 26ter dans la loi de contrôle assurances et d'un art. 23ter dans la loi du 2 août 2002.
    [13] Doc.parl. Ch. repr. 2009-10, 52e Législature, Doc. n° 2407/001.
    [14] Les cas d'inopposabilité prévus par les art. 17, 18 et 20 de la loi sur les faillites sont ainsi écartés pour l'hypothèse d'une faillite qui serait ouverte à l'encontre de l'établissement ou d'un de ses actionnaires postérieurement à l'intervention de l'Etat.
    [15] Voy. le § 5 de 57bis de la loi bancaire, de l'art. 26bis de la loi 9 juillet 1975 et de l'art. 23bis de la loi du 2 août 2002 (Doc.parl. Ch. repr. 2009-10, 52ème Législature, Doc. n° 2406/001, p. 17).
    [16] Voy. le § 6 des mêmes dispositions.
    [17] Doc.parl. Ch. repr. 2009-10, 52ème Législature, Doc. n° 2406/001, p. 13.
    [18] Sur la motivation, voy. Doc.parl. Ch. repr. 2009-10, 52ème Législature, Doc. n° 2406/001, pp. 7-11.
    [19] Respectivement (i) l'art. 13 de l'arrêté royal n° 62 relatif au dépôt d'instruments financiers fongibles et à la liquidation d'opérations sur ces instruments, coordonné par l'arrêté royal du 27 janvier 2004, (ii) l'art. 8 de la loi du 2 janvier 1991 relative au marché des titres de la dette publique et aux instruments de la politique monétaire, et (iii) l'art. 471 du Code des sociétés.
    [20] A propos de cette autorisation, voy. l'art. 77bis de la loi du 6 avril 1995.
    [21] Cette précision devrait ainsi être apportée à l'art. 69, § 3, de l'arrêté royal du 3 juin 2007 portant les règles et modalités visant à transposer la directive concernant les marchés d'instruments financiers.