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L'arrêt Interfrigo et la loi applicable à défaut de choix dans les contrats internationaux: première interprétation de la Convention de Rome par la Cour de justice de l'Union européenne, R.D.C.-T.B.H., 2010/9, p. 867-878

OBLIGATIONS CONTRACTUELLES - DROIT APPLICABLE (CONVENTION DU 19 JUIN 1980)
Règles uniformes - Articles 3-22 - Loi applicable à défaut de choix - Article 4 - Notion de contrat de transport de marchandises - Eléments - Affrètement au voyage - Loi applicable à défaut de choix - Critères de rattachement
1) Le critère de rattachement prévu à l'article 4, paragraphe 4, 2ième phrase, de la Convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles ne s'applique à un contrat d'affrètement, autre que le contrat pour un seul voyage, que lorsque l'objet principal du contrat est non pas la simple mise à disposition d'un moyen de transport, mais le transport proprement dit des marchandises.
2) En l'absence de choix de la loi applicable, une partie du contrat ne peut être régie par une loi différente de celle appliquée au reste du contrat que lorsque son objet se présente comme autonome.
3) En l'absence de choix de la loi applicable, le juge doit commencer par déterminer la loi applicable sur la base des présomptions reprises aux paragraphes 2 à 4 de l'article 4 de la Convention de Rome. Cette loi ne peut ensuite être écartée que s'il ressort clairement de l'ensemble des circonstances que le contrat présente des liens plus étroits avec un autre pays.
VERBINTENISSEN UIT OVEREENKOMST - TOEPASSELIJK RECHT (VERDRAG VAN 19 JUNI 1980)
Uniforme regels - Artikelen 3-22 - Wet die van toepassing is bij ontbreken van rechtskeuze - Artikel 4 - Begrip overeenkomst voor het vervoer van goederen - Elementen - Reisbevrachting - Recht dat van toepassing is bij ontbreken van rechtskeuze - Aanknopingscriteria
1) Het aanknopingscriterium van artikel 4, 4de lid, 2de volzin, van het Verdrag van Rome van 19 juni 1980 inzake het recht dat van toepassing is op verbintenissen uit overeenkomst, is slechts van toepassing op een bevrachtingsovereenkomst, andere dan een overeenkomst tot bevrachting voor een enkele reis, wanneer de overeenkomst hoofdzakelijk niet de enkele terbeschikkingstelling van een vervoermiddel, maar het eigenlijke vervoer van de goederen betreft.
2) Bij gebreke van rechtskeuze kan een deel van de overeenkomst alleen door een ander recht worden beheerst dan het recht dat wordt toegepast op de rest van de overeenkomst, indien het voorwerp ervan autonoom is.
3) Bij gebrek aan rechtskeuze dient de rechter vooreerst het recht te bepalen dat van toepassing is op basis van de criteria van artikel 4, 2de tot en met 4de lid, van het Verdrag van Rome. Dit recht kan vervolgens enkel buiten toepassing worden gelaten indien uit het geheel der omstandigheden duidelijk blijkt dat de overeenkomst nauwer verbonden is met een ander land.
L'arrêt Interfrigo et la loi applicable à défaut de choix dans les contrats internationaux:
première interprétation de la Convention de Rome par la Cour de justice de l'Union européenne [2]
Jonathan Toro [3]
I. Introduction

1.Par son arrêt Intercontainer Interfrigo SC/Balkenende Oosthuizen BV, Mic Operations BV du 6 octobre 2009 [4] (l'arrêt 'Interfrigo' ou 'l'arrêt annoté'), la Cour de justice de l'Union européenne ('CJUE' ou la 'Cour') interprète pour la première fois la convention sur la loi applicable aux obligations contractuelles ouverte à la signature à Rome le 19 juin 1980 (la 'Convention de Rome' ou la 'convention') à quelques semaines de l'entrée en vigueur de son successeur, le Règlement (CE) n° 593/2008 du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles (le 'Règlement Rome I' ou le 'règlement') [5]. L'absence d'arrêt interprétatif antérieur au 6 octobre 2009 s'explique certainement par l'entrée en vigueur tardive du protocole attribuant compétence à la CJUE pour interpréter la convention [6].

Les questions préjudicielles à l'origine de l'arrêt concernent, en particulier, l'article 4 de la Convention de Rome relatif à la loi applicable au contrat en l'absence de choix des parties. Cet article a été repris dans le Règlement Rome I [7]. Bien qu'il ne rompe pas complètement avec l'article 4 de la Convention de Rome, le Règlement Rome I apporte “(…) quelques modifications notables (…), essentiellement en vue d'augmenter le degré de prévisibilité de la loi applicable” [8]. Préalablement à l'analyse de l'arrêt annoté, il nous semble utile de rappeler brièvement le contenu des règles visant à déterminer la loi applicable à défaut de choix en matière contractuelle dans la Convention de Rome (II) et le Règlement Rome I (III). Nous analyserons ensuite l'arrêt annoté tout en évaluant son incidence dans le cadre de l'application du Règlement Rome I (IV à VII).

II. La loi applicable à défaut de choix dans la Convention de Rome

2.On sait qu'aux termes de l'article 4 de la Convention de Rome, la loi applicable à défaut de choix est celle qui entretient les liens les plus étroits avec le contrat (art. 4 § 1). Le texte institue une présomption générale et deux présomptions particulières permettant d'identifier cette loi.

Il est ainsi présumé que la loi la plus étroitement liée au contrat est celle de l'état sur le territoire duquel se localise, au moment de la conclusion du contrat, la résidence habituelle de la partie qui fournit la prestation caractéristique ou, s'il s'agit d'une société, association ou personne morale, son administration sociale [9] (présomption générale, art. 4 § 2). S'il n'est pas possible d'identifier la partie fournissant la prestation caractéristique, cette présomption est écartée et il y a alors lieu de revenir au principe général (art. 4 § 1) en recherchant in casu la loi entretenant les liens les plus étroits avec le contrat (art. 4 § 5).

Des présomptions particulières sont prévues pour les contrats ayant pour objet un droit réel immobilier ou un droit d'utilisation d'un immeuble d'une part, et pour les contrats de transport d'autre part. Ainsi, les premiers sont régis par la loi de l'état de la situation de l'immeuble (art. 4 § 3) et les seconds par la loi où se situe l'établissement principal du transporteur à condition, pour ces derniers, que se localise également sur ce territoire, le lieu de chargement ou de déchargement des marchandises ou encore l'établissement principal de l'expéditeur (art. 4 § 4) [10]. Dans l'hypothèse où cette condition n'est pas remplie, le contrat devrait alors être régi par la loi avec laquelle il présente les liens les plus étroits (art. 4 § 1) sans qu'il faille recourir à la présomption générale (art. 4 § 2) [11].

Enfin, poursuivant un objectif de flexibilité, la Convention de Rome contient une clause dite d''exception' imposant l'écartement de la loi objectivement désignée par les présomptions lorsqu'il résulte de l'ensemble des circonstances que le contrat entretient des liens plus étroits avec une autre loi (art. 4 § 5).

Dans un même ordre d'idées, le texte autorise également le 'dépeçage' en prévoyant la possibilité de soumettre exceptionnellement à une autre loi une partie de la convention si “(…) elle est séparable du reste du contrat et présente un lien plus étroit avec un autre pays (…)” (art. 4 § 1 in fine).

III. La loi applicable à défaut de choix dans le Règlement Rome I

3.Le Règlement Rome I modifie quelque peu ce régime [12]. Le principe général des liens les plus étroits visé à l'article 4 § 1 de la convention et les 'présomptions' reprises aux paragraphes 2 à 4 de cette dernière disposition ont été supprimés. Pour huit types de contrat, la loi applicable est désormais directement déterminée à l'aide de huit règles 'rigides' de rattachement (art. 4 § 1) [13]. Seuls les contrats n'entrant pas dans ces huit catégories, ou les contrats complexes dont les éléments sont couverts par plusieurs des règles de rattachement précitées, sont régis par la loi de l'état où se situe la résidence habituelle de la partie qui fournit la prestation caractéristique [14] (art. 4 § 2). A l'instar de ce qui était prévu sous l'empire de la Convention de Rome, lorsqu'il n'est pas possible de déterminer cette partie, la loi du pays avec lequel le contrat entretient les liens les plus étroits s'applique (art. 4 § 4).

Bien qu'il ait été question de la supprimer [15], la clause d'exception a été maintenue. Dans un but de sécurité juridique, celle-ci a toutefois été rédigée dans des termes plus restrictifs, la clause s'appliquant désormais uniquement lorsqu'il ressort de toutes les circonstances de la cause que le contrat présente des liens manifestement plus étroits avec une autre loi que celle désignée par les règles de conflit susvisées (art. 4 § 3). Les contrats ayant pour objet un droit réel immobilier font partie des huit contrats visés et sont toujours régis par la loi de l'état de la situation de l'immeuble (art. 4 § 1, c)) tandis que les contrats de transport font l'objet d'une disposition spécifique reprenant, à l'instar de l'article 4 § 4 de la Convention de Rome, la loi de l'état où se situe la résidence habituelle du transporteur à condition que se localise également sur ce territoire le lieu de chargement ou de livraison, ou la résidence habituelle de l'expéditeur (art. 5 § 1) [16]. Toutefois, contrairement à la Convention de Rome, il a été prévu que lorsque cette règle ne peut trouver à s'appliquer à défaut de localisation des facteurs de rattachement précités dans le même pays, le contrat de transport doit être régi par la loi du pays du lieu de livraison [17]. Ici encore, il est inséré une clause d'exception dans l'hypothèse où le contrat de transport présenterait des liens manifestement plus étroits avec une autre loi (art. 5 § 3). Des dispositions particulières régissent également le contrat de transport de passagers, lequel n'était pas réglementé par la Convention de Rome (art. 5 § 2).

Enfin, la faculté de dépeçage n'est plus expressément consacrée dans le règlement [18].

IV. Les faits

4.Le litige oppose une société de droit belge, Intercontainer Interfrigo SC ('ICF') à deux sociétés néerlandaises, respectivement la société Balkenende Oosthuizen BV ('Balkenende') et MIC Operations BV ('MIC'). En août 1998, les parties avaient conclu un contrat d'affrètement relatif au transport ferroviaire de marchandises entre Amsterdam (Pays-Bas) et Francfort-sur-le-Main (Allemagne). Dans ce cadre, ICF avait mis des wagons à disposition de Balkenende pour le compte de MIC et avait acheminé les marchandises d'Amsterdam à Francfort-sur-le-Main en ayant acheté les locomotives et les services nécessaires à cette fin. MIC avait assumé quant à elle la responsabilité de la partie opérationnelle du transport et avait loué à des tiers la capacité de chargement dont elle disposait.

Aucun contrat n'avait été signé par les parties (seul un projet de contrat prévoyant l'application du droit belge avait été établi par ICF). Au cours des mois de novembre et décembre 1998, ICF adressa deux factures à MIC, l'une de 107.512,50 EUR et l'autre de 67.100,00 EUR. MIC n'ayant réglé qu'une seule des factures, celle de 67.100,00 EUR, ICF engagea une action en paiement aux Pays-Bas contre Balkenende et MIC en vue de recouvrir la facture impayée de 107.512,50 EUR. Se basant sur le droit néerlandais, MIC et Balkenende ont opposé à ICF la prescription de la créance litigieuse. En se fondant sur le droit belge, ICF prétendait, quant à elle, que la créance n'était pas prescrite.

Pour justifier l'application du droit belge, ICF estimait que le contrat en cause n'était pas un contrat de transport (art. 4 § 4) et invoquait le bénéfice de la présomption générale désignant la loi belge, soit, en l'espèce, la loi du pays où se situait l'administration centrale de la partie qui fournissait la prestation caractéristique (art. 4 § 2). En effet, ICF, en sa qualité de fréteur, devait être considérée comme la partie fournissant la prestation caractéristique et était établie en Belgique.

5.Les juridictions néerlandaises ont rejeté l'argumentation d'ICF. Dans un premier temps, celles-ci ont considéré que le contrat en cause était un contrat de transport contrairement à la thèse défendue par ICF. Dans un second temps, constatant que la présomption particulière propre aux contrats de transport (art. 4 § 4) n'était pas applicable en l'espèce puisque le pays dans lequel se situait l'établissement principal du transporteur (Belgique) ne coïncidait pas avec celui où était localisé le lieu de chargement (Pays-Bas) ou de déchargement des marchandises (Allemagne) ou encore l'établissement principal de l'expéditeur (Pays-Bas), les juges hollandais ont, semble-t-il, estimé qu'il y avait lieu de revenir au principe général des liens les plus étroits (art. 4 § 1) et, partant, d'appliquer, sur cette base, le droit hollandais, constatant l'existence de plusieurs liens de rattachement avec les Pays-Bas tels que, notamment, la localisation du siège des parties défenderesses et le lieu de chargement des marchandises [19].

Subsidiairement, les juridictions néerlandaises ont ajouté [20] que même si elles n'avaient pas qualifié le contrat en cause de contrat de transport, l'article 4 § 2, de la Convention de Rome n'aurait pu trouver à s'appliquer, contrairement à ce que soutenait ICF, dès lors qu'après examen de toutes les circonstances de la cause, le droit hollandais devait être considéré comme étant le plus étroitement lié au contrat, ce qui aurait déclenché l'application de la clause d'exception en faveur de ce dernier (art. 4 § 5).

En d'autres termes, selon les juges néerlandais, la qualification du contrat importait peu puisque le droit hollandais était de toute façon applicable que ce soit sur la base de l'article 4 § 1, ou sur celle de l'article 4 § 5, de la Convention de Rome.

6.ICF a alors introduit un recours devant le Hoge Raad der Nederland ('Hoge Raad') invoquant deux erreurs de droit. L'une portait sur la qualification du contrat litigieux en contrat de transport et l'autre sur le facteur déclencheur de la clause d'exception. Sur ce dernier point, ICF soutenait que la clause d'exception devait uniquement être appliquée par le juge lorsque la loi objectivement désignée par la présomption visée à l'article 4 § 2 de la convention n'avait pas de véritable valeur de rattachement avec le contrat, ce qui n'était pas avéré en l'espèce. En d'autres termes, dès lors qu'il n'était pas établi que la loi désignée par la présomption présentait un caractère artificiel, il n'y avait pas lieu d'appliquer l'article 4 § 5 en vue de vérifier si une autre loi présentait des liens plus étroits avec le contrat. En effet, dans ce cas, la présomption consacrée à l'article 4 § 2 devait prévaloir sur la clause d'exception. A l'opposé de cette thèse, nous verrons plus bas qu'il en existe une autre en vertu de laquelle la clause d'exception doit être appliquée toutes les fois où il est constaté qu'une autre loi présente des liens plus étroits avec le contrat que celle désignée en vertu des présomptions quand bien même cette dernière ne présenterait aucun caractère artificiel [21].

7.En l'espèce, l'intérêt de la qualification de la convention litigieuse en contrat de transport ne résidait donc pas dans l'application de la présomption particulière visée à l'article 4 § 4 de la convention dès lors que tous les facteurs de rattachement exigés par cette disposition n'étaient pas réunis sur le territoire du même pays, mais uniquement dans le raisonnement qui découlait d'une telle qualification. En effet, s'il s'agissait d'un contrat de transport, il y avait en principe lieu de revenir au principe général des liens les plus étroits (la présomption particulière étant inapplicable) et, selon les juges néerlandais, le droit hollandais devait être, dans ce cas, préféré au droit belge (art. 4 § 1er). En revanche, s'il ne s'agissait pas d'un contrat de transport, il convenait d'appliquer la présomption générale visée à l'article 4 § 2 de la convention désignant, en l'espèce, le droit belge, sous réserve de la clause d'exception (art. 4 § 5). Souhaitant voir appliquer le droit belge au contrat, ICF avait donc tout intérêt à contester devant la CJUE la qualification de contrat de transport retenue par les juridictions néerlandaises et à plaider en faveur d'une interprétation stricte de la clause d'exception de façon à faire prévaloir le § 2 sur le § 5 de l'article 4. En privilégiant une interprétation 'souple' de la clause d'exception, la qualification du contrat devenait, par contre, inutile étant donné que, dans la mesure où les juges hollandais avaient pu considérer que le droit hollandais entretenait des liens plus étroits avec le contrat que le droit belge, la convention devait être, en tout état de cause, régie par la loi hollandaise, que ce soit en vertu du § 1er ou du § 5 de l'article 4.

8.Avant de statuer, le Hoge Raad a saisi la CJUE des cinq questions préjudicielles suivantes:

“1) L'article 4, paragraphe 4, de la convention […] doit-il être interprété en ce sens que cette disposition concerne uniquement l'affrètement pour un voyage et que d'autres types d'affrètements ne relèvent pas du champ d'application de cette disposition?

2) S'il est répondu par l'affirmative à la [première question], l'article 4, paragraphe 4, de la convention […] doit-il être interprété en ce sens que, dans la mesure où d'autres types d'affrètements concernent aussi le transport des marchandises, le contrat en cause relatif à ce transport tombe dans le champ d'application de cette disposition et que le droit applicable est pour le reste déterminé par l'article 4, paragraphe 2, de la convention […]?

3) S'il est répondu par l'affirmative à la [deuxième question], auquel des deux systèmes juridiques indiqués faut-il se référer pour apprécier l'exception de prescription soulevée à l'égard de la demande fondée sur le contrat?

4) Si la partie principale du contrat concerne le transport des marchandises, faut-il écarter la ventilation visée dans la [deuxième question] et le droit applicable à toutes les parties du contrat doit-il être déterminé au moyen de l'article 4, paragraphe 4, de la convention […]?

5) L'exception visée à l'article 4, paragraphe 5, seconde phrase, de la convention […] doit-elle être interprétée en ce sens que les présomptions de l'article 4, paragraphes 2 [à] 4, doivent uniquement être écartées s'il ressort de l'ensemble des circonstances que les critères de rattachement qui y sont visés n'ont pas de véritable valeur de rattachement ou bien faut-il les écarter aussi s'il ressort de ces circonstances que l'on est en présence d'un rattachement plus important avec un autre pays?”

Dans son arrêt Interfrigo, la CJUE va donc être amenée à affiner la définition des contrats de transport de marchandises (V) d'une part, et à préciser les conditions d'application du dépeçage (VI) et de la clause d'exception (VII) d'autre part. Nous analyserons ci-après la décision de la Cour en examinant son impact dans le cadre de l'interprétation du Règlement Rome I.

V. Eclairage sur la notion de contrat de transport de marchandises

9.L'article 4 § 4, dernière phrase, de la convention donne une définition des contrats de transport de marchandises. Sont visés “(…) les contrats d'affrètement pour un seul voyage ou d'autres contrats lorsqu'ils ont principalement pour objet de réaliser un transport de marchandises”. Le contrat d'affrètement se caractérise, en règle, par une obligation dans le chef du fréteur de mettre à disposition de l'affréteur un moyen de transport plutôt que d'assurer lui-même le transport des marchandises au profit de ce dernier. La question était donc de savoir si le contrat litigieux, bien que qualifié en droit national de contrat d'affrètement et ne répondant pas à la première catégorie visée à l'article 4 § 4 de la convention (contrats d'affrètement pour un seul voyage), pouvait avoir pour objet le transport de marchandises et ainsi entrer dans le champ d'application de la seconde catégorie consacrée par cette disposition. En d'autres termes, le fait que les contrats d'affrètement aient fait l'objet d'un traitement particulier à l'article 4 § 4, première branche, de la convention impliquait-il que les autres contrats d'affrètement, non régis par la première catégorie, devaient être ipso facto exclus de la seconde catégorie?

10.A cette question [22], la Cour va apporter la solution suivante:

“L'article 4, paragraphe 4, dernière phrase, de la convention sur la loi applicable aux obligations contractuelles (…) doit être interprété en ce sens que le critère de rattachement prévu audit article 4, paragraphe 4, deuxième phrase, ne s'applique à un contrat d'affrètement, autre que le contrat pour un seul voyage, que lorsque l'objet principal du contrat est non pas la simple mise à disposition d'un moyen de transport, mais le transport proprement dit des marchandises.”

La CJUE arrive à cette conclusion après avoir procédé à une interprétation téléologique de l'article 4 § 4, dernière phrase, de la convention. La CJUE considère, en effet, qu'il:

“(…) ressort de la lettre de cette dernière disposition que la convention assimile aux contrats de transport non seulement les contrats d'affrètement pour un seul voyage, mais également d'autres contrats, pour autant que ces contrats ont principalement pour objet de réaliser un transport de marchandises (nous mettons en gras).

(…) Dès lors, l'une des finalités de ladite disposition est d'étendre le champ d'application de la règle de droit international privé, édictée à l'article 4, paragraphe 4, deuxième phrase, de la convention à des contrats qui, même s'ils sont qualifiés en droit national de contrats d'affrètement, ont pour objet principal le transport de marchandises. Afin d'établir cet objet, il y a lieu de prendre en considération le but de la relation contractuelle et, par conséquent, l'ensemble des obligations de la partie qui fournit la prestation caractéristique (nous mettons en gras).”

La Cour précise immédiatement que:

“(…) dans un contrat d'affrètement, le fréteur, qui fournit une telle prestation, s'oblige normalement à mettre à la disposition de l'affréteur un moyen de transport. Cependant, il n'est pas exclu que les obligations du fréteur portent non seulement sur la simple mise à disposition du moyen de transporteur, mais également sur le transport proprement dit des marchandises. Dans ce cas, le contrat en question entre dans le champ d'application de l'article 4, paragraphe 4, de la convention dès lors que son objet consiste dans le transport des marchandises.”

La CJUE reconnaît donc que l'objet du contrat d'affrètement ne consiste pas, en règle générale, à assurer par la partie fournissant la prestation caractéristique, à savoir le fréteur, le transport des marchandises, mais plutôt à mettre à disposition de l'affréteur un moyen de transport. Conformément à l'enseignement de la Cour, les juridictions nationales pourront néanmoins arriver à une conclusion contraire en prenant en considération le but de la relation contractuelle à la lumière de l'ensemble des obligations du fréteur. Ainsi, les contrats d'affrètement à temps, dans lesquels un moyen de transport complet avec son équipage est mis à la disposition de l'affréteur pour un certain temps en vue de réaliser un transport, devraient normalement entrer dans cette catégorie [23].

11.La réponse de la Cour nous semble devoir être approuvée dans la mesure où elle permet “d'éliminer une interprétation a contrario littérale de l'article 4 § 4, qui aurait écarté du champ de cette disposition tout affrètement autre que celui pour un seul voyage” [24]. Elle peut également s'autoriser de l'interprétation des rapporteurs de la convention, Messieurs Giuliano et Lagarde, qui, dans leur rapport publié le 31 octobre 1980, avaient déjà pris soin de préciser que la “(…) rédaction du paragraphe 4 vise à rendre clair que les contrats d'affrètement doivent être considérés comme étant des contrats de transport de marchandises dans la mesure où tel est leur objet.” [25]. Néanmoins, il a été observé que l'enseignement de la Cour n'était pas clair au motif que cette dernière n'a pas précisé si, dans les contrats d'affrètement devant être qualifiés de contrats de transport en raison de leur objet, le transport des marchandises devait uniquement être effectué par l'un des cocontractants ou s'il pouvait aussi être réalisé par un tiers [26]. En tout état de cause, il nous semble que si le contrat d'affrètement peut être qualifié de contrat de transport au sens de l'article 4 § 4, troisième phrase, de la convention, le fait que le transport proprement dit des marchandises soit assuré par le fréteur ou par un tiers mandaté par ce dernier ne devrait pas priver le fréteur de sa qualité de transporteur [27]. Cette solution ne devrait pas changer dans le règlement [28].

Enfin, il convient de noter que la solution dégagée par la CJUE devrait perdurer sous l'empire du Règlement Rome I puisque ce dernier renvoie, dans son considérant 22, à la définition visée à l'article 4 § 4, troisième phrase, de la Convention de Rome [29]. L'arrêt Interfrigo demeure donc tout à fait pertinent pour interpréter la notion de contrat de transport de marchandises à la lumière de l'article 5 du Règlement Rome I.

VI. Le dépeçage et ses conditions d'application

12.Afin de déterminer la loi applicable à défaut de choix, nous avons vu que la Convention de Rome autorise le 'dépeçage' en prévoyant la possibilité de soumettre 'à titre exceptionnel' une partie du contrat à une autre loi si “(…) elle est séparable du reste du contrat et présente un lien plus étroit avec un autre pays (…)” (art. 4 § 1 in fine). En l'espèce, la question se posait de savoir si le contrat d'affrètement en cause pouvait être dépecé en ce sens que la partie du contrat relative au transport de marchandises devait entrer dans le champ d'application de l'article 4 § 4 de la Convention de Rome tandis que le reste de la convention devait quant à lui rester régi par l'article 4 § 2 de la convention. A supposer que l'on réponde par l'affirmative à cette question, auquel des deux systèmes juridiques fallait-il se référer pour apprécier l'exception de prescription soulevée par MIC et Balkenende? Et quid si la partie principale du contrat en cause concernait le transport des marchandises? Dans cette dernière hypothèse, la faculté de dépeçage pouvait-elle trouver à s'appliquer ou le contrat devait-il être, pour le tout, régi par l'article 4 § 4 de la convention?

13.Sur cette problématique [30], la Cour va dire pour droit que:

“L'article 4, paragraphe 1, seconde phrase, de cette convention doit être interprété en ce sens qu'une partie du contrat peut être régie par une loi différente de celle appliquée au reste du contrat uniquement lorsque son objet se présente comme autonome (nous mettons en gras).

Lorsque le critère de rattachement appliqué à un contrat d'affrètement est celui prévu à l'article 4, paragraphe 4, de ladite convention - c'est-à-dire que le contrat d'affrètement doit être qualifié de contrat de transport au sens de l'article 4 § 4 de la convention - ce critère doit être appliqué à l'ensemble du contrat, à moins que la partie contractuelle relative au transport se présente comme autonome du reste du contrat (nous mettons en gras).”

La CJUE développe une approche restrictive ayant déjà été qualifiée de satisfaisante [31]. En effet, la Cour examine d'emblée le rapport Giuliano et Lagarde, censé refléter la volonté des auteurs de la convention, dans lequel il est précisé que les mots “'à titre exceptionnel' sont à interpréter (…) dans le sens que le juge doit recourir au dépeçage le moins fréquemment possible”.

Ainsi, la CJUE ajoute que:

“(…) la possibilité de séparer un contrat en plusieurs parties pour le soumettre à une pluralité de lois va à l'encontre des objectifs de la convention et doit être admise uniquement lorsque le contrat rassemble une pluralité de parties qui peuvent être considérées comme autonomes l'une par rapport à l'autre (nous mettons en gras)”.

La Cour décrit ensuite la méthode visant à déterminer dans quelle hypothèse une partie du contrat doit être considérée comme étant autonome par rapport au reste du contrat:

“(…), afin d'établir si une partie du contrat peut être soumise à une loi différente, il y a lieu de déterminer si son objet est autonome par rapport à celui du reste du contrat (nous mettons en gras)”.

Et s'agissant enfin des règles relatives à la prescription, à la Cour de préciser que:

Dès lors, en ce qui concerne notamment les règles relatives à la prescription d'un droit, celles-ci doivent ressortir au même ordre juridique que celui qui est appliqué à l'obligation correspondante. à cet égard, il y a lieu de rappeler que, conformément à l'article 10, paragraphe 1, sous d), de la convention, la loi applicable au contrat régit notamment la prescription des obligations (nous mettons en gras).”

14.Ainsi, sans surprise, la Cour réserve la faculté de dépeçage à l'hypothèse où la partie du contrat à laquelle il est envisagé d'appliquer une autre loi est autonome par rapport à celui du reste du contrat. À cette fin, il y a lieu d'avoir égard à l'objet de cette partie en vérifiant qu'il est autonome par rapport au reste de la convention. La CJUE ajoute, logiquement, qu'en cas de recours à la faculté de dépeçage, les règles relatives à la prescription d'un droit contractuel - qui entrent dans le domaine de compétence de la lex contractus en vertu de l'article 10 § 1er, sous d), de la Convention de Rome - doivent être régies par le même ordre juridique que celui applicable à l'obligation correspondante. à titre d'exemple, il serait en effet contraire au principe de sécurité juridique [32], sur lequel est fondée la Convention de Rome, de permettre à un juge d'appliquer aux règles de prescription applicables à une obligation de paiement une autre loi que celle régissant l'obligation proprement dite [33]. Par ailleurs, pour que la faculté de dépeçage puisse être exercée, il convient de rappeler que la partie du contrat doit non seulement être autonome par rapport à celui du reste de la convention mais également présenter des liens plus étroits avec une autre loi.

Enfin, l'enseignement issu de l'arrêt Interfrigo en matière de dépeçage ne semble pas être pertinent dans le cadre de l'application du Règlement Rome I dès lors que ce dernier n'a pas expressément repris cette faculté aux fins de déterminer la loi applicable à défaut de choix [34].

VII. La clause d'exception et ses conditions d'application

15.Plus attendue était la position de la Cour sur les conditions d'application de la clause d'exception. Cette dernière permet d'apporter un peu de flexibilité dans la détermination du droit applicable à défaut de choix en écartant les règles de conflit rigides lorsque ces dernières ne se révèlent pas adaptées. Son application a toutefois suscité des problèmes d'interprétation. Avant l'adoption du règlement, il avait même été question de la supprimer [35]. La clause a toutefois été maintenue dans le Règlement Rome I. Deux thèses principales peuvent être dégagées, lesquelles dépendent de la manière dont on conçoit l'articulation des § 1 à 5 de la Convention de Rome [36].

16.La première approche consiste à soutenir que la véritable règle de conflit de lois est consacrée à l'article 4 § 1 de la Convention de Rome, à savoir celle des liens les plus étroits. Dans cette perspective, les rattachements rigides contenus aux § 2 à 4 valent uniquement comme 'indices' dans la recherche de la loi qui entretient les liens les plus étroits avec le contrat. Les présomptions sont alors 'faibles', voire inutiles, en ce sens qu'elles doivent être mises sur un pied d'égalité avec l'article 4 § 5. Ainsi, comme l'on a pu le relever: “Une telle interprétation de l'article 4 de la convention conduit à une appréciation discrétionnaire du juge en vue de dégager le pays présentant les liens les plus étroits avec le contrat puisque le texte conventionnel, à l'exception des 'présomptions' ne fournit aucune indication. Il est dès lors impossible de savoir quels sont les éléments qui seront considérés comme étant déterminants.” [37]. Cette approche est également de nature à créer une suspicion dans la mesure où certains juges pourraient être enclins à privilégier la loi du for [38]. De même, il a également été soutenu qu'une telle conception risquait de remettre en cause les règles de conflit consacrées par la convention en permettant aux tribunaux de recourir, sous le couvert d'une application de la clause d'exception, aux méthodes de résolution des conflits de lois existant en droit national [39]. Enfin, poussant ce raisonnement à l'extrême, des tribunaux ont décidé de ne pas appliquer les présomptions en recherchant directement la loi qui présentait les liens les plus étroits avec le contrat [40]. Bien que la doctrine belge n'ait pas semblé partager cette approche [41], la jurisprudence du Royaume paraissait se montrer relativement souple dans le cadre de l'application de la clause d'exception [42].

17.La seconde approche tend, au contraire, à appréhender les présomptions visées aux § 2 à 4 comme les véritables règles de rattachement de l'article 4 de la convention, lesquelles doivent, à ce titre, être appliquées en priorité par le juge. Selon cette thèse, l'article 4 § 1 de la convention “ne constitue pas à proprement parler une règle de conflit: il ne fait que formuler le principe fondamental de solution des conflits de lois, alors que le propre d'une règle de conflit est de désigner par un rattachement donné la loi qui présente avec un type de situation envisagé les liens les plus étroits. Aussi la directive précédente est-elle assortie d'une présomption générale (...)” [43]. L'article 4 § 5 s'analyse alors comme une 'véritable' clause d'exception aux règles de conflit consacrées aux § 2 à 4 qui doit être interprétée de manière restrictive. Dans cette approche, les présomptions sont donc 'fortes' en ce sens qu'elles prévalent sur l'article 4 § 5 dont l'application doit être réservée à des cas exceptionnels. La clause d'exception ne devrait donc jouer que lorsque la loi objectivement désignée par les présomptions ne présente aucun lien caractérisé avec le contrat. à défaut, le juge ne serait pas autorisé à vérifier si une autre loi présente des liens plus étroits avec le contrat [44], [45].

18.Dans ce contexte, la décision de la CJUE était attendue. La Cour va estimer, après une analyse de 'la lettre' et de 'l'objectif principal' de l'article 4 visant à concilier prévisibilité (présomptions) et proximité (clause d'exception), que:

“(…) le juge doit toujours procéder à la détermination de la loi applicable au contrat sur la base desdites présomptions, lesquelles répondent à l'exigence de sécurité juridique dans les relations contractuelles (nous mettons en gras).

(…) Toutefois, lorsqu'il ressort clairement de l'ensemble des circonstances que le contrat présente des liens plus étroits avec un pays autre que celui qui est désigné sur la base des présomptions, énoncées à l'article 4, paragraphes deux à quatre, de la convention, il appartient au juge d'écarter ces critères et d'appliquer la loi du pays avec lequel ledit contrat est le plus étroitement lié. (nous mettons en gras).”

Premièrement, selon la Cour, le juge doit donc toujours déterminer le droit applicable à défaut de choix en utilisant les présomptions. La CJUE condamne ainsi la thèse minoritaire selon laquelle le juge serait autorisé à déterminer la loi applicable à défaut de choix en recherchant directement la loi présentant les liens les plus étroits avec le contrat sans appliquer préalablement les présomptions. Deuxièmement, la Cour ne met pas tout à fait sur un pied d'égalité les présomptions et la clause d'exception puisque cette dernière peut uniquement être appliquée lorsqu'il ressort clairement de l'ensemble des circonstances de la cause que le contrat présente des liens plus étroits avec un autre pays. Par conséquent, dans l'hypothèse où il n'est pas possible de départager avec clarté les ordres juridiques potentiellement applicables à l'aune du critère des liens les plus étroits, la loi objectivement désignée par les présomptions doit l'emporter.

19.Cette solution a été critiquée dans la mesure où elle serait source d'insécurité juridique. Selon Fabienne Jault-Seseke, la Cour aurait dû réserver l'application de la clause d'exception aux cas où la loi objectivement désignée par les présomptions se révèle d'emblée fortuite en ne présentant aucune 'valeur localisatrice réelle' pour le contrat en cause [46]. Cette auteure ajoute que le terme 'clairement' utilisé par la Cour, censé limiter l'application de la clause d'exception, ne serait qu'une 'précaution formelle' en ce sens que l'“on imagine mal, dans le cadre d'un litige, que la partie qui a intérêt à éviter l'application de la loi désignée à l'aide de la présomption n'invoque pas l'existence de liens plus étroits avec une autre loi. Il résulte donc bien que le juge ne pourra se borner à faire application de la loi de l'établissement du débiteur de la prestation caractéristique quand bien même elle présenterait un lien caractérisé avec le contrat. La présomption de l'article 4 § 2, étant ainsi privée d'utilité, le juge se voit confier le soin de déterminer au cas par cas la loi applicable. La règle de conflit de lois perd toute prévisibilité et la clause d'exception devient synonyme d'insécurité juridique” [47]. L'auteur précise également que la latitude ainsi donnée au juge serait de nature à faire peser une suspicion sur le mécanisme de la clause d'exception [48].

20.Il est vrai que l'arrêt Interfrigo semble inviter le juge à procéder à une comparaison des lois en présence même lorsque la loi désignée par les présomptions présente un lien significatif avec le contrat [49]. Toutefois, en vertu de cet arrêt, la loi désignée par les présomptions peut uniquement être écartée lorsqu'il ressort clairement de l'ensemble des circonstances qu'une autre loi présente des liens plus étroits avec le contrat. Ainsi, en pratique, il nous semble que si la loi désignée par les présomptions présente un lien caractérisé avec le contrat, il ne sera pas toujours aisé pour la partie ayant intérêt à écarter cette loi de démontrer qu'il ressort clairement de l'ensemble des circonstances de la cause qu'une autre loi présente des liens plus étroits avec la convention [50]. De plus, bien que l'arrêt annoté laisse une grande marge d'appréciation aux tribunaux dans la détermination du droit applicable à défaut de choix, il astreint ces derniers, nous semble-t-il, à une obligation de motivation supplémentaire puisque, pour décider d'appliquer ou non la loi désignée par les présomptions, les tribunaux devront désormais indiquer dans leur décision si les éléments qui leur sont soumis par les parties leur permettent ou non d'identifier clairement une autre loi que celle désignée par les présomptions avec laquelle le contrat présenterait des liens plus étroits. Ainsi, le risque que les juridictions privilégient irrégulièrement la lex fori doit être relativisé dans des cas où il n'est pas aisé d'appliquer le critère des liens les plus étroits. Enfin, compte tenu de la formulation de l'article 4 § 5 de la Convention de Rome, il nous semble que la Cour disposait d'une marge de manoeuvre relativement limitée aux fins d'interpréter la disposition précitée. En effet, l'exigence d'un lien très faible entre le contrat et la loi objectivement désignée par les présomptions, en tant que condition d'application de la clause d'exception, n'est pas reprise telle quelle à l'article 4 § 5 de la convention. Si les auteurs de la convention avaient souhaité subordonner l'application de la clause à ce cas de figure, n'auraient-ils pas formulé l'article 4 § 5 de la Convention de Rome autrement? C'est en tout cas ce qu'ont fait les législateurs belge et suisse [51].

21.Bien qu'il ait été question de la supprimer, la clause d'exception a été maintenue à l'article 4 § 3 du règlement, lequel prévoit que: “Lorsqu'il résulte de l'ensemble des circonstances de la cause que le contrat présente des liens manifestement (nous mettons en gras) plus étroits avec un pays autre que celui visé au paragraphe un ou deux, la loi de cet autre pays s'applique” [52], [53]. De manière générale, la nouvelle formulation de l'article 4 met l'accent sur le caractère exceptionnel de la clause d'exception en raison du remplacement des présomptions par l'adoption de règles de conflit rigides d'une part, et de l'ajout de l'adverbe 'manifestement', inexistant dans la version de la Convention de Rome, d'autre part.

Sur ce dernier point, en procédant à la comparaison du libellé de la clause d'exception dans les deux instruments et en tenant compte de l'interprétation de la Cour dans l'arrêt annoté, l'on constate qu'en vertu de l'article 4 § 3 du règlement, les liens doivent être manifestement plus étroits tandis que dans celui de l'article 4 § 5 de la convention, récemment interprété par la CJUE, il doit ressortir clairement de l'ensemble des circonstances de la cause que le contrat présente des liens plus étroits avec une autre loi. En d'autres termes, l'article 4 § 3 du règlement exige des liens manifestement plus étroits alors que l'article 4 § 5 de la convention requiert des liens simplement plus étroits, à condition toutefois que ces derniers puissent être identifiés clairement à la lumière de l'ensemble des circonstances de la cause. La condition de clarté dans la détermination des liens les plus étroits, qui n'est pas reprise en tant que telle dans la Convention de Rome et qui a été précisée dans l'arrêt annoté, ne figure pas non plus dans la version française du Règlement Rome I. Toutefois, celle-ci a été expressément insérée dans la version anglaise [54]. Ainsi, le règlement semble exiger que les liens les plus étroits présentent non seulement un caractère manifeste mais également que celui-ci puisse être identifié clairement à la lumière de l'ensemble des circonstances de la cause [55].

22.Enfin, il reste à déterminer si l'enseignement issu de l'arrêt Interfrigo conserve une pertinence dans le cadre de l'interprétation du Règlement Rome I. En effet, la nouvelle formulation visée à l'article 4 du règlement impose-t-elle de subordonner l'application de la clause d'exception aux hypothèses où la loi désignée par les règles rigides de rattachement ne présente aucun lien caractérisé avec le contrat ou bien invite-t-elle à procéder à une comparaison entre la loi désignée par lesdites règles de rattachement et toutes les autres lois présentant un lien potentiellement plus étroit avec la convention? La question semble demeurer ouverte.

En effet, certains pourront considérer que l'arrêt Interfrigo conserve une pertinence dans la mesure où l'article 4 § 3 du règlement ne reprend pas expressément la condition du lien très faible entre la loi désignée par la règle de rattachement rigide et le contrat, condition qui avait pourtant était suggérée par le Groupement européen de droit international privé lors des travaux de transformation de la Convention de Rome en règlement communautaire [56].

D'autres, en revanche, pourront estimer que “la nouvelle formulation met clairement l'accent sur le rapport de principe à exception” en sorte que “(…) les rattachements rigides ne devraient donc être écartés que s'ils sont dépourvus de pertinence” [57]. Le considérant 16 du règlement n'apporte pas de réponse claire à cette question [58]. Il semble donc que la controverse qui a vu le jour sous l'empire de la Convention de Rome et qui s'est clôturée avec l'arrêt Interfrigo risque de perdurer dans le cadre du Règlement Rome I. Néanmoins, la portée de ce nouveau débat nous paraît d'une importance pratique plus limitée compte tenu de la rédaction plus restrictive de l'article 4 § 3 du règlement. En effet, les cas dans lesquels la loi désignée par les règles rigides de rattachement présenterait un lien caractérisé avec le contrat alors même qu'une autre loi entretiendrait des liens manifestement plus étroits avec ce dernier, devraient s'avérer, nous l'espérons, exceptionnels [59].

VIII. Conclusion

23.Par son premier arrêt interprétatif de la Convention de Rome, la CJUE a été amenée à se prononcer sur la définition des contrats de transport au sens de l'article 4 § 4, troisième phrase, de la convention, de même que sur les conditions d'application du dépeçage et de la clause d'exception.

Selon la Cour, les contrats d'affrètement peuvent être qualifiés de contrats de transport au sens de l'article 4 § 4 pour autant que leur objet porte principalement sur le transport de marchandises. Le juge devra donc analyser, au cas par cas, le contrat qui lui est soumis et apprécier son objet à la lumière du but de la relation contractuelle tel que déterminé par rapport à l'ensemble des obligations des parties et ce, indépendamment de la qualification de la convention en droit national. Cet enseignement nous semble devoir être pris en considération aux fins d'interpréter la notion de contrat de transport visée à l'article 5 du Règlement Rome I.

Par ailleurs, la Cour précise les conditions d'application du dépeçage en considérant qu'une telle faculté ne doit être exercée que lorsqu'un contrat peut être scindé en parties ayant chacune un objet autonome par rapport au reste du contrat. En cas d'application de cette faculté, les règles de prescription applicables à un droit contractuel doivent, dans un but de sécurité juridique, être soumises à la même loi que celle régissant l'obligation correspondante. Dans la mesure où le Règlement Rome I n'a pas repris expressément la faculté de dépeçage, la décision de la Cour sur ce point ne semble pas pertinente dans le cadre de l'interprétation du règlement.

Enfin, concernant les conditions d'application de la clause d'exception, la Cour estime que la loi applicable à défaut de choix doit toujours être déterminée conformément aux présomptions visées aux § 2 à 4 de l'article 4 de la Convention de Rome. La clause d'exception peut uniquement écarter la loi objectivement désignée par les présomptions lorsqu'il ressort clairement de l'ensemble des circonstances de la cause que le contrat entretient des liens plus étroits avec une autre loi. Le juge devrait donc procéder à une comparaison des lois en présence quand bien même la loi objectivement désignée par les présomptions présenterait un lien significatif avec le contrat. Le débat tranché par l'arrêt Interfrigo pourrait perdurer sous l'empire de l'article 4 § 3 du règlement. Toutefois, sa portée devrait être plus limitée.

[1] Au moment où l'arrêt annoté a été rendu, la Cour portait encore la dénomination de 'Cour de justice des Communautés européennes' ('CJCE'); en effet, si le Traité de Lisbonne consacrant le changement de dénomination a été signé le 13 décembre 2007, celui-ci est seulement entré en vigueur le 1er décembre 2009; pour la suite de l'exposé, nous utiliserons la nouvelle dénomination malgré le fait que l'arrêt ait été rendu avant l'entrée en vigueur du Traité de Lisbonne.
[2] Avocat au barreau de Bruxelles et assistant à l'U.L.B.
[3] Aff. C-133/08: arrêt de la Cour (grande chambre) du 6 octobre 2009, JO C. 282 du 21 novembre 2009, p. 9.
[4] En vertu de son art. 28, le règlement s'applique aux contrats conclus à partir du 18 décembre 2009.
[5] Premier protocole 89/128/CEE concernant l'interprétation par la Cour de justice des Communautés européennes de la convention sur la loi applicable aux obligations contractuelles, ouverte à la signature à Rome le 19 juin 1980, JO 1989, L. 48, p. 1, approuvé par la Belgique en vertu de la loi du 25 août 2004, MB 17 juin 2004, n° A15087, p. 44977; ce protocole est entré en vigueur le 1er août 2004.
[6] Le texte de l'art. 4 de la Convention de Rome a été repris à l'art. 4 du Règlement Rome I; outre les contrats de consommation, les contrats d'assurance et les contrats de travail qui faisaient déjà l'objet de dispositions spécifiques dans la Convention de Rome, les contrats de transport sont désormais régis par une disposition particulière du règlement, l'art. 5; voy. infra.
[7] V. Marquette, “Le Règlement 'Rome I' sur la loi applicable aux contrats internationaux”, RDC 2009/6, juin 2009, p. 527, n° 22 in fine, l'auteur se référant au considérant 16 du règlement.
[8] Toutefois, si le contrat est conclu dans l'exercice de l'activité professionnelle de cette partie, il est présumé que cette loi est celle où est situé son principal établissement ou, si, selon le contrat, la prestation doit être fournie par un autre établissement que l'établissement principal, la loi où est situé cet autre établissement, voy. art. 4 § 2 de la convention.
[9] Par contrat de transport de marchandises, il faut entendre “(…) les contrats d'affrètement pour un seul voyage ou d'autres contrats lorsqu'ils ont principalement pour objet de réaliser un transport de marchandises”; voy. infra; en effet, il a été dérogé à la règle générale pour ce type de contrats afin d'éviter que l'on retienne trop facilement la loi du pays de l'établissement du transporteur, laquelle pourrait se révéler fortuite par rapport au contrat en l'absence d'un des facteurs de rattachement supplémentaires exigés par l'art. 4 § 4 de la Convention de Rome; en ce sens, voy. les conclusions de l'avocat général, Yves Bot, accessibles en suivant le lien http://eurlex.europa.eu/Result.do?arg0=Interfrigo&arg1=&arg2=&titre=titre&chlang=fr&RechType=RECH_mot&S ubmit=Rechercher , point 53; F. Jault-Seseke, “Loi applicable au contrat: première interprétation de la Convention de Rome par la CJCE”, Rec.Dalloz 2010, n° 4, deuxième paragraphe, p. 236.
[10] Eu égard à la ratio legis de la présomption particulière exposée à la note 9 de la présente contribution; en effet, cela n'aurait pas beaucoup de sens d'appliquer l'art. 4 § 2, dans cette hypothèse sous peine de priver d'utilité la présomption spécifique aux contrats de transport; en ce sens, notamment, les conclusions de l'avocat général Yves Bot, o.c., pp. 7 et s.; F. Rigaux et M. Fallon, Droit international privé, 3ème éd., Larcier, 2005, p. 886, n° 14.160, 2ème paragraphe en petits caractères; P. Lagarde, note sous l'arrêt Interfrigo, RCDIP 2010 (1), janvier-mars 2010, p. 212; contra, la décision qui aurait été rendue en ce sens par la cour d'appel d'Amsterdam dans l'affaire Interfrigo critiquée par P. Lagarde, o.c., RCDIP 2010 (1), janvier-mars 2010, p. 212; pourtant, la CJUE, dans les points 16 et 17 de l'arrêt annoté, indique que les juridictions de fond néerlandaises, après avoir noté que le groupement de points de contact n'était pas réuni pour appliquer la présomption particulière visée à l'art. 4 § 4, ont appliqué, à titre subsidiaire, le premier paragraphe et non le deuxième paragraphe de l'art. 4 de la convention; en ce sens également: F. Jault-Seseke, o.c., Rec.Dalloz 2010, n° 4, § 2, pp. 236-237; M. Requejo, “ECJ: first ruling on the Rome Convention”, accessible en suivant le lien http://conflictoflaws.net/2009/ecj-first-ruling-on-the-rome-convention/ ; HR 28 mars 2008, aff. n° C06/318HR, point 3.6., dans lequel la Cour suprême hollandaise reformule la position adoptée par la cour d'appel d'Amsterdam, disponible sur www.rechtspraak.nl sous le numéro LJN: BC2726.
[11] Pour une analyse transversale du Règlement Rome I, voy., notamment, V. Marquette, “Le Règlement 'Rome I' sur la loi applicable aux contrats internationaux”, o.c., pp. 515-537; P. Wautelet, “Le nouveau droit européen des contrats internationaux” in Actualités de droit international privé, Anthemis, Louvain-la-Neuve, 2009, pp. 5-65.
[12] Il s'agit respectivement du contrat de vente, du contrat de prestations de services, du contrat ayant pour objet un droit réel immobilier ou un bail d'immeuble, du bail d'immeuble conclu en vue de l'usage personnel temporaire pour une période maximale de six mois consécutifs, du contrat de franchise, du contrat de distribution, du contrat de vente de biens aux enchères et enfin du contrat conclu au sein d'un système multilatéral qui assure ou facilite la rencontre de multiples intérêts acheteurs et vendeurs exprimés par des tiers pour des instruments financiers, au sens de l'art. 4, § 1, point 17, de la directive 2004/39/CE, selon des règles non discrétionnaires et qui est régi par la loi d'un seul pays; tous ces contrats font l'objet d'une règle de conflit spécifique; ainsi, notamment, le contrat de vente est régi par la loi du pays dans lequel le vendeur a sa résidence habituelle, le contrat de prestation de services par la loi du pays dans lequel le prestataire de services a sa résidence habituelle, etc.
[13] Laquelle ne s'applique toutefois plus au titre de 'présomption' mais au titre de règle 'rigide' de rattachement. L'art. 4 § 2 du règlement stipule en effet que “2. Lorsque le contrat n'est pas couvert par le paragraphe 1 ou que les éléments du contrat sont couverts par plusieurs des points a) à h) du paragraphe 1, le contrat est régi par la loi du pays dans lequel la partie qui doit fournir la prestation caractéristique a sa résidence habituelle”; la notion de résidence habituelle est définie à l'art. 19 du règlement et reprend, pour les personnes morales, le critère de l'administration centrale et, pour les personnes physiques agissant dans l'exercice de leur profession, celui de l'établissement principal; s'inspirant de l'art. 4 § 2 de la convention, le paragraphe 2 de l'art. 19 du règlement précise que “lorsque le contrat est conclu dans le cadre de l'exploitation d'une succursale, d'une agence ou de tout autre établissement, ou si, selon le contrat, la prestation doit être fournie par lesdits succursale, agence ou autre établissement, le lieu où est situé cette succursale, cette agence ou tout autre établissement est traité comme résidence habituelle”; en outre, afin d'éviter tout conflit mobile, le texte ajoute que la résidence habituelle est déterminée au moment de la conclusion du contrat; sur ce dernier point également, l'art. 19 du règlement s'inspire de l'art. 4 § 2 de la Convention de Rome.
[14] Voy. la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I), présentée par la Commission, le 15 décembre 2005, proposant de supprimer la clause d'exception, Com. (2005) 650 final, 2005/0261, p. 6.
[15] Voy. l'art. 5 du règlement; contrairement à l'art. 4 § 4 de la convention, cette loi ne s'applique plus au titre de 'présomption' mais au titre de règle 'rigide' de rattachement.
[16] Ainsi, l'art. 5 § 1 du règlement dispose que: “2. A défaut de choix exercé conformément à l'article 3, la loi applicable au contrat de transport de marchandises est la loi du pays dans lequel le transporteur a sa résidence habituelle, pourvu que le lieu de chargement ou le lieu de livraison ou encore la résidence habituelle de l'expéditeur se situe aussi dans ce pays. Si ces conditions ne sont pas satisfaites, la loi du pays dans lequel se situe le lieu de livraison convenu par les parties s'applique (nous mettons en gras)”; pour une analyse critique de cette disposition, voy. P. Lagarde et A. Tenenbaum, “De la Convention de Rome au Règlement Rome I, RCDIP 2008, pp. 727 et s., spéc. p. 762.
[17] Sur le dépeçage, voy. infra spéc. note 33.
[18] Voy. les points 16 et 17 de l'arrêt annoté; quant à la position de la cour d'appel d'Amsterdam, voy. supra note n° 10.
[19] Même remarque qu'à la note précédente.
[20] Sur les conditions d'application de la clause d'exception et les thèses en présence, voy. infra pp. 874 à 877 de la présente contribution.
[21] La CJUE joint la première question et la première partie de la deuxième question posées par le Hoge Raad.
[22] Voy. les observations du gouvernement hollandais telles que résumées par la Cour au point 28 de l'arrêt annoté.
[23] P. Lagarde, RCDIP 2010 (1), janvier-mars 2010, o.c., p. 211.
[24] Rapport concernant la convention sur la loi applicable aux obligations contractuelles, par Mario Giuliano, professeur à l'université de Milan, et Paul Lagarde, professeur à l'université de Paris I, JO C. 282 du 31 octobre 1980 (le 'rapport') p. 27, n° 5 in fine; cet argument avait été soulevé par le gouvernement néerlandais devant la Cour, voy. point 28 de l'arrêt annoté.
[25] P. Lagarde, o.c., p. 211.
[26] Le rapport précise en effet qu'“(…)il arrive souvent dans les contrats de transport qu'une personne qui s'engage à transporter des marchandises pour une autre personne ne les transporte pas elle-même, mais fasse effectuer ce transport par un tiers. Dans l'article 4, paragraphe 4, l'expression 'le transporteur' signifie la personne partie au contrat qui s'engage à transporter les marchandises, qu'il le fasse lui-même ou qu'il le fasse faire par une autre personne (nous mettons en gras), o.c., p. 21.
[27] Le considérant 22 du règlement précise en effet qu'“aux fins du présent règlement (…) le terme 'transporteur' devrait désigner la partie au contrat qui se charge d'effectuer le transport de marchandises, qu'il l'assure lui-même ou non (nous mettons en gras)”.
[28] Ainsi, le considérant 22 du Règlement Rome I dispose qu'en “(…) ce qui concerne l'interprétation de la notion de contrat de transport de marchandises, aucune modification sur le fond n'est envisagée par rapport à l'article 4, paragraphe 4, troisième phrase, de la Convention de Rome (nous mettons en gras). Par conséquent, les contrats d'affrètement pour un seul voyage et les autres contrats dont l'objectif principal est le transport de marchandises devraient être considérés comme des contrats concernant le transport de marchandises”. La définition des contrats de transport n'a toutefois pas été reprise dans le corps du Règlement Rome I.
[29] La Cour joint la deuxième partie de la deuxième question, les troisième et quatrième questions posées par le Hoge Raad.
[30] F. Jault-Seseke, o.c., Rec.Dalloz 2010, n° 4, p. 237.
[31] Voy. les points 23 et 44 de l'arrêt annoté.
[32] à ce propos, il a été remarqué que si la facture impayée est une facture globale comprenant la mise à disposition des wagons et le transport des marchandises et que ces deux éléments sont soumis à des lois différentes dont une seule déclare la créance prescrite, il conviendra d'opérer une ventilation afin de déterminer la part de la créance qui est prescrite et celle qui ne l'est pas, P. Lagarde, RCDIP 2010 (1), janvier-mars 2010, o.c., p. 213 in fine.
[33] Ainsi, un commentateur a pu estimer que ladite disposition “(…) ne semble dès lors pas permettre un dépeçage, à tout le moins pas formellement, même pas 'à titre exceptionnel', rendant apparemment le système mis en place moins flexible que celui de la Convention de Rome”. Et à l'auteur de conclure, en laissant néanmoins une porte ouverte, qu'il “(…) appartiendra à la jurisprudence future de démontrer si tel est réellement le cas”. F. Ferrari, “Quelques remarques sur le droit applicable aux obligations contractuelles en l'absence de choix des parties (art. 4 du Règlement Rome I)”, RCDIP 2009, p. 482; dans le cadre du projet de transformation de la Convention de Rome en règlement communautaire, à la demande de la Commission européenne (Livret vert du 14 janvier 2003, Com. 2002 654 final), l'unité de droit international privé de l'ULB. et le département de droit international privé de l'ULG., sollicités en vue de faire valoir leurs observations sur un certain nombre de questions concernant la transformation de la convention en règlement communautaire, avaient pu estimer à cet égard que: “L'on notera que la référence au dépeçage a été supprimée dans la proposition; il nous a en effet semblé que celui-ci ne s'imposait que lorsque l'autonomie de volonté des parties a joué en ce sens. De plus, ce système ne trouvera plus sa place dès lors que la lex contractus n'est plus déterminée par la recherche de la loi présentant les liens les plus étroits.” “Observations sur la transformation de la Convention de Rome de 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles en instrument communautaire et sur sa modernisation par l'unité de droit international privé de l'Université Libre de Bruxelles et le département de droit international privé de l'Université de Liège” ('Observations ULB.-ULG.'), directement accessible à l'adresse: www.dipulb.be/fileadmin/user_files/observationstransformationrome.pdf , p. 42, n° 48.
[34] Voy. la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I), présentée par la Commission, le 15 décembre 2005, proposant de supprimer la clause d'exception, o.c., p. 6.
[35] Sur les deux thèses en présence, voir, notamment P. Wautelet, o.c., pp. 38-41; Observations ULB.-ULG., o.c., p. 39, n° 46 et les nombreuses références citées; P. Lagarde, note sous Comm. 19 octobre 2006 et Cass. civ. (1ère ch.) 22 mai 2007, RCDIP 2007, pp. 592 et s. et les nombreuses références citées.
[36] Observations ULB.-ULG., o.c., p. 40, 3ème par.
[37] P. Wautelet, “Le nouveau droit européen des contrats internationaux” o.c., p. 40, note de bas de page n° 164 ; l'auteur cite une décision inédite dans laquelle le tribunal a conclu, après avoir constaté que les parties n'avaient pas expressément désigné le droit applicable à leurs relations, que, compte tenu de toutes les circonstances de la cause et sans indiquer les raisons justifiant son opinion, il existait un lien plus étroit avec la Belgique, de telle manière que le droit belge devait être appliqué… Comm. Bruxelles 16 juin 2004, R.G. 1561/2003, SA Belgacom / Newtel Essence BV, inédit; F. Jault-Seseke, o.c., p. 238, § 7.
[38] Observations ULB.-ULG., o.c., p. 40, § 3, où, à titre d'exemple, il est fait référence à un arrêt de la cour de Versailles du 6 février 1991.
[39] F. Jault-Seseke, o.c., p. 238, § 2. Voy. également les conclusions de l'avocat général Yves Bot, o.c., point 73.
[40] Observations ULB.-ULG., o.c., p. 41, n° 47 proposant une version de la clause d'exception libellée en des termes plus restrictifs.
[41] P. Wautelet, “Le nouveau droit européen des contrats internationaux”, o.c., pp. 40-41, citant une affaire qui mettait en jeu la responsabilité incombant à un ingénieur établi en Allemagne qui avait réalisé les calculs de stabilité permettant la construction d'une maison en Belgique; la cour d'appel de Liège a appliqué la clause d'exception pour soumettre au droit belge le contrat liant le maître de l'ouvrage à l'ingénieur après avoir relevé que i) la mission de l'ingénieur était ponctuelle et s'insérait dans un ensemble plus grand ayant pour objet la construction d'une maison en Belgique, ii) que les normes de construction imposées en Belgique avaient été suivies iii) et, enfin, que l'ingénieur n'avait pas entièrement exercé sa mission depuis sa table de travail en Allemagne mais qu'il s'était rendu sur place pour vérifier ses calculs; voy. également la note 37 de la présente contribution.
[42] B. Audit, Droit international privé, Paris, Economica, 3ème éd., 2000, n° 803, p. 686.
[43] La Cour suprême néerlandaise s'inscrit dans ce courant, voy. Hoge Raad 1er novembre 1991, Isopad / Huikeshoven et Hoge Raad 25 septembre 1992, Société nouvelle de Papeteries de l'Aa SA / Machine fabriek BOA, Nederlands Juristenblad 1992, n° 750; Hoge Raad 17 octobre 2008, Baros A.G. (Suisse) / Embria Maritim Hotels.Cass franç, Italie, jurisprudence citée par P. Wautelet, “Le nouveau droit européen des contrats internationaux”, o.c., p. 39. Dans l'affaire Interfrigo, telle était également la position de la Commission et celle du gouvernement néerlandais (arrêt annoté, points 50 et 52) ainsi que celle de l'avocat général (conclusions, point 77); la position de la Cour de cassation française est en revanche un peu plus souple, Cass.civ. (1ère ch.) 22 mai 2007, RCDIP 2007, pp. 592-594 et la note de P. Lagarde, pp. 595 et s., dans laquelle ce dernier se livre, quant aux conditions d'application de la clause d'exception, à une analyse de droit comparé.
[44] La problématique a été fort bien décrite par les professeurs anglais PM. North et J.J. Fawcett, Cheshire and North's, Private International Law, 13th ed., Butterworths, LexisNexis, pp. 565 et 574.
[45] F. Jault-Seseke, o.c., p. 238; en ce sens également: P. Lagarde, o.c., RCDIP 2010 (1), janvier-mars 2010, p. 212.
[46] F. Jault-Seseke, o.c., p. 238.
[47] F. Jault-Seseke, o.c., p. 238.
[48] F. Jault-Seseke, o.c., p. 238.
[49] Cet exercice pourrait également être effectué par le juge pour autant que l'on admette que ce dernier soit autorisé à vérifier ex officio si le contrat, au moment de sa conclusion, et à la lumière de toutes les circonstances, présente de facto un lien plus étroit avec un autre pays; en ce sens, F. Ferrari, o.c., RCDIP 2009, p. 466 et les références citées; contra: Cass. fr. (1ère ch. civ.) 22 mai 2007, RCDIP 2007, pp. 594 et 595, et la note de P. Lagarde, p. 601 in fine; H. Battifol, “Projet de Convention C.E.E. sur la loi applicable aux obligations contractuelles”, Rev.trim.dr.europ. 1975, p. 184 (cité par F. Ferrari, supra); en droit belge, sur l'application d'office de la règle de conflit par le juge et l'accord procédural, voir, notamment, F. Rigaux et M. Fallon, o.c., 2005, pp. 264 et s., nos 6.52 et s.
[50] En effet, l'art. 19 § 1er, du Code belge de droit international privé (le 'Codip') dispose que: “Le droit désigné par la présente loi n'est exceptionnellement pas applicable lorsqu'il apparaît manifestement qu'en raison de l'ensemble des circonstances, la situation n'a qu'un lien très faible avec l'état dont le droit est désigné (nous mettons en gras), alors qu'elle présente des liens très étroits avec un autre état. Dans ce cas, il est fait application du droit de cet autre état”. A propos de la clause d'exception dans le Codip et dans la Convention de Rome, P. Wautelet a pu écrire: “l'on ne saurait (…) déduire de l'article 19 que l'ensemble des règles de rattachement prévues par le code ne constituent que des 'présomptions' qui peuvent être renversées sur la base d'une démonstration fondée sur la proximité. La méthode du code diffère sur ce point fondamentalement de celle adoptée par l'article 4 de la Convention de Rome.” ; P. Wautelet, “Conflit de lois: le nouveau droit international privé belge”, JT 2005, p. 181 , n° 52; de même, l'art. 15 § 1er de la loi fédérale suisse du 18 décembre 1987 sur le droit international privé stipule que “Le droit désigné par la présente loi n'est exceptionnellement pas applicable si, au regard de l'ensemble des circonstances, il est manifeste que la cause n'a qu'un lien très lâche avec ce droit (nous mettons en gras) et qu'elle se trouve dans une relation beaucoup plus étroite avec un autre droit.”; sur le droit suisse, voy.: A. Bucher, “La clause d'exception dans le contexte de la partie générale de la LDIP”, 21ème journée de droit international privé - 20 mars 2009, accessible en suivant le lien www.andreasbucher-law.ch/images/stories/pdf/expos_-_clause_dexception.pdf .
[51] En vue d'identifier le pays avec lequel le contrat entretient manifestement des liens plus étroits, le considérant 20 du règlement invite le juge à tenir compte de l'existence de liens étroits entre le contrat qui lui est soumis et un ou plusieurs autres contrats. Voy. à ce sujet P. Wautelet, “Le nouveau droit européen des contrats internationaux”, o.c., pp. 42-43; cet auteur précise, à juste titre selon nous, que ledit considérant n'implique pas d'admettre pour autant un principe général de rattachement des contrats liés.
[52] Sur la question controversée de savoir à quel moment le juge doit se placer pour examiner l'existence des liens les plus étroits, voy. P. Wautelet, “Le nouveau droit européen des contrats internationaux”, o.c., p. 42, note 173 et la référence citée.
[53] Ainsi, la version anglaise de l'art. 4 § 3 du règlement est libellée comme suit: Where it is clear from all the circumstances of the case (nous mettons en gras) that the contract is manifestly more closely connected with a country other than that indicated in paragraphs 1 or 2, the law of that other country shall apply.”
[54] F. Ferrari, o.c., RCDIP 2009, p. 482.
[55] Groupement européen de droit international privé, 13ème réunion, Vienne, 19-21 septembre 2003, Réponse au Livret vert de la Commission sur la transformation de la Convention de Rome en instrument communautaire ainsi que sur sa modernisation accessible sur le site www.gedip-egpil.eu/documents/gedip-documents-19rlv.html annexe I, point IV; F. Jault-Seseke, o.c., p. 238 in fine; cette auteure n'est pas de cet avis mais reconnaît qu'il y a matière à discussion en relevant l'argument; d'autres auteurs étaient de cette opinion avant même que l'arrêt Interfrigo n'ait été prononcé; voy. F. Ferrari, o.c., RCDIP 2009, p. 447; ce dernier estime que le juge devra toujours examiner si les conditions d'application de la clause d'exception sont remplies en procédant à la comparaison des lois en présence, l'absence d'un lien manifestement plus étroit avec un pays autre que celui identifié en vertu des règles de rattachement consacrées au § 2 étant une “condition d'application négative” de la loi du pays en question; en d'autres termes la formulation différente et plus restrictive de l'art. 4 § 3 du règlement par rapport à l'art. 4 § 5 de la convention n'a rien changé sur ce point: “seul le seuil à atteindre pour appliquer une loi différente a changé, mais non le rapport entre la clause d'exception et les règles de conflit 'autonomes' mentionnées à l'article 4, alinéas 1 et 2”; voy. également à propos de la clause d'exception consacrée dans le règlement (CE) n° 864/2007 du Parlement et du Conseil du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles, JO L. 199 du 31 juillet 2007, p. 40 ('Règlement Rome II') et rédigée dans des termes similaires à ceux du règlement: S.C. Symeonides, “Rome II and Tort Conflicts: A Missed Opportunity”, Am.Journ.Comp.Law 2008, vol. 56, p. 26; S. Sarolea, “Le Règlement Rome II sur la loi applicable aux obligations non contractuelles” in Actualités de droit international privé, Louvain-la-Neuve, Anthemis, 2009, pp. 92 et 93; cette auteure relève, à juste titre, que le libellé du texte n'exige pas l'absence de liens pertinents entre la situation de fait et la loi désignée d'une part, et note qu'une telle exigence “(…) aurait d'ailleurs pour conséquence de supprimer virtuellement l'effet utile de la clause d'exception puisque les deux paragraphes de l'article 4 s'efforcent, à l'évidence, d'identifier des liens pertinents permettant de rattacher un fait dommageable à un ordre juridique” d'autre part.
[56] F. Jault-Seseke, o.c., p. 239; P. Lagarde, RCDIP, 2010 (1), janvier-mars 2010, o.c., p. 213.
[57] Lequel indique que: “Afin de contribuer à l'objectif général du présent règlement qu'est la sécurité juridique dans l'espace de justice européen, les règles de conflit de lois devraient présenter un haut degré de prévisibilité. Le juge devrait toutefois disposer d'une marge d'appréciation afin de déterminer la loi qui présente les liens les plus étroits avec la situation.” Ainsi, dans un premier temps, il est fait référence à l'objectif de sécurité juridique et au caractère hautement prévisible que doit revêtir les règles de conflit de lois et, dans un second temps, il est immédiatement indiqué que le juge doit disposer d'une marge d'appréciation en vue de déterminer les liens les plus étroits…
[58] à titre d'exemple, le professeur Ferrari se demande si la clause d'exception visée dans le règlement pourrait s'appliquer à un contrat de vente portant sur une propriété immobilière sise en Angleterre conclu en Allemagne, en présence d'un notaire allemand, entre deux citoyens allemands ayant leur résidence en Allemagne; dans cet exemple, à défaut de lien(s) de rattachement(s) avec l'Angleterre autre que la situation de l'immeuble, pourrait-on encore parler de lien significatif entre le contrat et l'Angleterre? Par ailleurs, le libellé strict de la nouvelle version de la clause d'exception devrait en tout cas éviter le risque d'instrumentalisation inhérent à celle-ci. Voy. P. Wautelet, “Le nouveau droit européen des contrats internationaux”, o.c., p. 42, note 171.