Article

Cour de cassation, 14/06/2010, R.D.C.-T.B.H., 2010/8, p. 807-815

Cour de cassation 14 juin 2010

DROITS INTELLECTUELS
Droits intellectuels - Droit d'auteur et droits voisins - Dispositions communes - Société de gestion
L'article 53 de la loi du 30 juin 1994 relative au droit d'auteur et aux droits voisins se borne à prévoir que le droit d'autoriser ou d'interdire la retransmission par câble ne peut être exercé que par une société de gestion des droits mais n'impose pas que cette société soit celle qui gérait ou était réputée gérer les droits du cédant.
L'article 53 ne s'oppose pas à la cession par les artistes-interprètes et exécutants de leur droit d'autoriser ou d'interdire la retransmission par câble de leurs prestations à un producteur. Ce droit peut très bien être exercé par une société de gestion collective des droits des producteurs.
INTELLECTUELE RECHTEN
Intellectuele rechten - Auteursrecht en naburige rechten - Gemeenschappelijke bepalingen - Beheersvennootschap
Artikel 53 van de wet van 30 juni 1994 betreffende de auteursrechten en de naburige rechten beperkt zich ertoe te voorzien dat het recht om doorgifte via de kabel toe te staan of te verbieden slechts kan worden uitgeoefend door een beheersvennootschap maar vereist niet dat deze vennootschap deze is die de rechten van de overdrager beheerde of geacht werd te beheren.
Artikel 53 verzet zich niet tegen de overdracht door uitvoerende kunstenaars van hun recht om doorgifte via de kabel van hun prestaties toe te staan of te verbieden aan een producent. Dit recht kan evenzeer worden uitgeoefend door een beheersvennootschap van producenten.

Uradex SCRL / Union professionnelle de la Radio et de la Télédistribution, Société Intercommunale pour la Diffusion de la Télévision (BRUTELE), société civile

Siég.: Ch. Storck (président), P. Mathieu (président de section), D. Batselé, S. Velu et M. Delange (conseillers)
MP: J.-M. Genicot (avocat général)
Pl.: Mes H. Geinger et L. Simont
I. La procédure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 25 juin 1998 par la cour d'appel de Bruxelles.

A l'examen du second moyen, en sa première branche, le premier étant déclaré irrecevable, la Cour a, par arrêt du 4 avril 2005, estimé devoir poser à la Cour de justice de l'Union européenne une question préjudicielle à laquelle répond l'arrêt C-169/05 du 1er juin 2006.

Le conseiller Sylviane Velu a fait rapport.

L'avocat général Jean-Marie Genicot a conclu.

II. Les moyens de cassation

La demanderesse présente deux moyens, dont le second est libellé dans les termes suivants:

Dispositions légales violées

- articles 35, 36, 51, 53, 65 et 66 de la loi du 30 juin 1994 relative au droit d'auteur et aux droits voisins;

- article 9 de la directive 93/83/CEE du Conseil du 27 septembre 1993 relative à la coordination de certaines règles du droit d'auteur et des droits voisins du droit d'auteur applicables à la radiodiffusion par satellite et à la retransmission par câble;

- articles 1101, 1108, 1134, 1165, 1249, 1316, 1341 (tel qu'il était d'application avant l'entrée en vigueur de l'arrêté royal du 20 juillet 2000), 1348, 1689, 1690 (tel qu'il était d'application avant sa modification par la loi du 16 juillet 1994) et 1690 (en sa version actuelle) du Code civil;

- article 876 du Code judiciaire;

- principe général du droit selon lequel personne ne peut transférer plus de droits qu'il n'en possède, tel qu'il résulte notamment des articles 40 et 109 de la loi hypothécaire;

- principe général du droit de l'autonomie de la volonté des parties.

Décisions et motifs critiqués

L'arrêt attaqué, faisant droit à l'appel interjeté par la demanderesse contre les ordonnances du président du tribunal de première instance, siégeant comme en référé, confirme notamment la décision du 4 juillet 1997 en tant que le premier juge a reçu la demande et confirme le dispositif des décisions entreprises en tant que le premier juge a déclaré la demande de la [demanderesse] non fondée en ce que celle-ci était dirigée contre [la première défenderesse], sous l'émendation toutefois que, par sa décision du 13 juillet 1997, le premier juge n'a pas statué au provisoire, mais s'est prononcé sur le fond du litige, réforme les décisions entreprises pour le surplus et déclare la demande dirigée contre [la seconde défenderesse] partiellement fondée, constate qu'en retransmettant par le câble, depuis le 1er novembre 1996 sans l'autorisation de la [demanderesse], la transmission initiale des prestations radiodiffusées des artistes-interprètes et exécutants, qui ont été annoncées à l'avance par le radiodiffuseur, ne sont pas des prestations audiovisuelles et ne sont pas exécutées dans des programmes produits par les radiodiffuseurs ou par [la seconde défenderesse], cette dernière viole les droits voisins des artistes-interprètes et exécutants, qui ont confié la gestion de ceux-ci à la [demanderesse], en conséquence, ordonne la cessation de ces retransmissions à l'expiration du sixième mois à partir de la signification de l'arrêt à défaut d'avoir l'autorisation de la [demanderesse], mais à condition que celle-ci fournisse la preuve que le ou les artistes-interprètes ou exécutants, dont les prestations font l'objet de l'interdiction ou de l'absence d'autorisation, lui ont confié la gestion de leurs droits, dit que cet ordre de cessation est assorti d'une astreinte de 50.000 FB par infraction constatée et condamne la [demanderesse] aux deux tiers des dépens des deux instances et [la seconde défenderesse] à l'autre tiers, aux motifs suivants:

“2.1. (La demanderesse) se fonde sur les articles 51 et 53, § 1er, de la loi [sur le droit d'auteur et les droits voisins] pour soutenir que la retransmission par câble des prestations des artistes-interprètes et exécutants n'est possible que moyennant l'autorisation de ceux-ci et que ce droit d'autoriser ou d'interdire la retransmission par câble ne peut être exercé que par une société de gestion collective des droits;

Elle expose qu'étant la seule société de gestion collective pour toutes les catégories d'artistes-interprètes ou exécutants, elle a reçu du législateur le pouvoir d'exercer le droit d'autorisation de transmission par câble pour tous les artistes-interprètes, même ceux qui ne sont pas affiliés auprès d'elle;

Elle en déduit que, dès lors que les câblodistributeurs, notamment la seconde (défenderesse), retransmettent les prestations des artistes-interprètes et exécutants sans autorisation, ils violent les droits voisins dont elle a la gestion;

L'article 51 de la loi [sur le droit d'auteur et les droits voisins] dispose que, 'conformément aux chapitres qui précèdent et sous les modalités définies ci-après, l'auteur et les titulaires de droits voisins disposent du droit exclusif d'autoriser la retransmission par câble de leurs oeuvres ou de leurs prestations';

L'article 53, § 1er, prévoit que 'le droit de l'auteur et des titulaires de droits voisins d'autoriser ou d'interdire la retransmission par câble ne peut être exercé que par une société de gestion des droits', cependant que le § 2, alinéa 1er, de ce même article ajoute que, 'lorsque l'auteur ou les titulaires de droits voisins n'ont pas confié la gestion de leurs droits à une société de gestion des droits, la société qui gère des droits de la même catégorie est réputée être chargée de gérer leurs droits';

Les dispositions précitées sont la transposition en droit national belge des articles 8 et 9 de la directive du Conseil de la Communauté européenne 93/83 du 27 septembre 1993 relative à la coordination de certaines règles du droit d'auteur et des droits voisins du droit d'auteur, applicables à la radiodiffusion par satellite et à la retransmission par câble (JOCE n° L 248 du 6 octobre 1993);

Le législateur, tant communautaire que national, a, ainsi, entendu introduire pour la retransmission par câble un système d'autorisation basé sur des contrats (considérant 27 du préambule de la directive susdite et art. 51 de la loi [sur le droit d'auteur et les droits voisins]);

Toutefois, pour éviter que des personnes détenant des droits sur certains éléments de programmes ne puissent à titre individuel mettre en cause, en faisant valoir leurs propres droits, le bon déroulement des arrangements contractuels qui permettent dans leur ensemble la continuité des retransmissions, il a été prévu que la liberté contractuelle des auteurs ainsi que des artistes-interprètes ou exécutants serait limitée en ce sens que le droit d'autoriser la retransmission par câble ne peut être exercé que par une société collective de gestion des droits (considérant 28 de l'exposé du même préambule et art. 53 de la loi [sur le droit d'auteur et les droits voisins]);

Ainsi, les sociétés de gestion collective des droits voisins disposent du droit exclusif d'autoriser ou d'interdire la retransmission par câble des prestations des titulaires desdits droits;

Ce droit exclusif est, toutefois, limité aux droits dont la gestion a été confiée aux sociétés de gestion collective et ne s'[étend] pas à ceux dont la gestion n'[a] pas été confiée à celles-ci par leur titulaire;

En effet, l'article 53, § 2, ne prévoit pas que la société de gestion exerce le droit de ces artistes d'autoriser ou d'interdire la retransmission par câble, comme c'est le cas pour les artistes qui lui ont confié la gestion de leurs droits, ainsi qu'en dispose le § 1er du même article, mais uniquement qu'elle 'est réputée être chargée de gérer leurs droits', ce qui, eu égard au caractère essentiellement fiduciaire de cette gestion, consiste, en réalité, essentiellement à percevoir la rémunération à laquelle ces prestations donnent lieu et à la remettre au titulaire des droits afférents à celles-ci;

2.2.a. Ce droit exclusif des sociétés de gestion collective d'autoriser ou d'interdire les retransmissions par câble n'existe évidemment que pour autant que les artistes-interprètes ou exécutants dont ils gèrent les intérêts [soient], eux-mêmes, toujours titulaires de ce même droit;

Ces sociétés collectives agissent pour le compte des artistes-interprètes ou exécutants qu'elles représentent et ne sauraient gérer plus de droits que ceux détenus par ces derniers;

Il s'ensuit que, si ces artistes ont cédé leur droit d'autoriser ou d'interdire la retransmission de leur prestation, ils ne peuvent en avoir confié la gestion à une société collective de gestion;

L'article 36, alinéa 1er, de la loi [sur le droit d'auteur et les droits voisins] dispose que, 'sauf convention contraire, l'artiste-interprète ou exécutant cède au producteur de l'oeuvre audiovisuelle le droit exclusif de l'exploitation audiovisuelle de sa prestation, y compris les droits nécessaires à cette exploitation, tels que le droit d'ajouter des sous-titres ou de doubler la prestation, sans préjudice des dispositions de l'article 34';

Cette disposition établit une présomption de cession des droits d'exploitation au profit du producteur de l'oeuvre audiovisuelle;

(La demanderesse) soutient, toutefois, à tort que cette présomption légale de cession des droits ne s'applique pas au droit spécifique de retransmission par câble;

En effet, rien dans le texte des articles 51 et 53 de la loi [sur le droit d'auteur et les droits voisins] ne permet d'exclure l'application de l'article 36 précité;

La cession des droits d'exploitation au producteur de l'oeuvre audiovisuelle s'inscrit parfaitement dans l'économie de la loi en ce qu'elle répond au souci du législateur d'éviter les risques d'un blocage de l'exploitation de l'oeuvre ou de la prestation par un artiste-interprète ou exécutant mécontent, d'une impossibilité d'exploiter une forme non prévue contractuellement ou nouvelle ou de ne pas pouvoir garantir aux distributeurs étrangers la cession adéquate des droits d'exploitation (A. Berenboom, Le nouveau droit d'auteur et les droits voisins, Larcier, 1995, 198);

Le droit d'exploitation de l'oeuvre audiovisuelle dont le producteur est investi vise toutes les formes d'exploitation audiovisuelle, parmi lesquelles figure la télévision, quel que soit son mode de diffusion, notamment le câble (A. Berenboom, o.c., 199 et 279);

Il s'ensuit que la présomption de cession par l'artiste-interprète ou exécutant de ses droits exclusifs d'exploitation au producteur porte également sur le droit de retransmission des prestations par le câble;

Donner à l'article 36 précité une portée différente priverait cette disposition de tout effet utile, dès lors que les producteurs et les cocontractants de ceux-ci se verraient dans l'impossibilité d'exploiter utilement et efficacement l'oeuvre ou les prestations audiovisuelles des artistes-interprètes ou exécutants;

La présomption de cession des droits au producteur est parfaitement compatible avec l'application de l'article 53 susdit de la loi [sur le droit d'auteur et les droits voisins];

En effet, le droit d'autoriser ou d'interdire la retransmission par câble peut très bien être exercé par une société de gestion collective des droits des producteurs rencontrant, ainsi, le souci du législateur;

2.2.b. C'est à bon droit que (la demanderesse) soulève que la présomption de cession des droits d'exploitation prévue à l'article 36 de la loi [sur le droit d'auteur et les droits voisins] n'existe que pour autant qu'il y ait une relation contractuelle de production directe entre l'artiste-interprète ou exécutant et un producteur;

L'on peut, en effet, concevoir qu'un certain nombre d'artistes-interprètes ou exécutants ne recourent pas directement aux services d'un producteur, soit pour l'ensemble de leurs prestations, soit pour une partie seulement de celles-ci;

Toutefois, la présomption légale de cession des droits joue dès qu'une telle relation contractuelle -  qui ne requiert aucun écrit et peut être prouvée par toutes voies de droit - existe;

Il incombe à (la demanderesse) de démontrer l'absence de tels contrats dans le chef de chaque artiste pour lequel elle n'entend pas autoriser la retransmission par câble de l'entièreté ou d'une partie de ses prestations;

En effet, en sa qualité de société de gestion collective des droits demanderesse en cessation, il lui appartient d'établir que les artistes-interprètes et exécutants sont toujours titulaires de leurs droits d'exploitation, ce qu'elle reste en défaut de faire en l'espèce;

Elle ne saurait, en effet, refuser la retransmission par câble du répertoire géré par elle au seul motif qu'un certain nombre d'artistes-interprètes ou exécutants n'auraient pas conclu de contrat de production, alors qu'elle reste en défaut de préciser tant l'identité de ces artistes et les prestations de ceux-ci que la proportion de ces dernières dans l'ensemble de son répertoire;

2.2.c. Il est exact que, dès qu'un artiste a cédé son droit de retransmission par câble, il ne lui est plus possible de le céder une seconde fois;

(La demanderesse) ne saurait, cependant, être suivie lorsqu'elle soutient qu'en adhérant à une société de gestion collective, les artistes-interprètes cèdent leurs droits exclusifs à celle-ci et ne peuvent les céder au producteur audiovisuel;

En effet, l'article 36, alinéa 1er, précité de la loi [sur le droit d'auteur et les droits voisins] précise que l'artiste-interprète ou exécutant cède au producteur de l'oeuvre audiovisuelle le droit exclusif de l'exploitation audiovisuelle de la prestation, 'sauf convention contraire';

Dès lors que la présomption légale de cession des droits existe au bénéfice du producteur, elle ne peut être renversée que par une convention contraire conclue entre ce dernier et l'artiste;

Ainsi, le producteur qui a le droit de se prévaloir de la présomption légale ne saurait se voir opposer une convention à laquelle il est étranger, conclue par l'artiste avec une société de gestion collective des droits;

Une telle convention de gestion collective, fût-elle antérieure au contrat de production audiovisuelle, ne peut pas avoir pour effet de priver le producteur des droits exclusifs d'exploitation que la loi lui reconnaît;

Il s'ensuit que, tant qu'elle n'est pas confirmée par le contrat de production, la cession par l'artiste-interprète ou exécutant de ses droits à une société de gestion collective ne sortit pas ses effets à l'égard du producteur en ce qu'elle porte sur le droit d'autoriser ou d'interdire la retransmission par câble;

Toutefois, les natures respectives des cessions des droits voisins à une société de gestion, d'une part, et au producteur, d'autre part, permettent la coexistence de ces deux cessions;

La cession des droits des artistes-interprètes et exécutants à une société de gestion collective a un caractère essentiellement fiduciaire, cependant que la cession de ces droits au producteur de la prestation concerne l'exploitation de celle-ci;

Ainsi, la cession des droits à la société de gestion collective a pour effet que cette dernière a pour mission d'encaisser les rémunérations sans entraver la cession de ces mêmes droits au producteur qui se voit, quant à lui, investi du droit d'exploiter l'oeuvre audiovisuelle (Berenboom, o.c., 308);

(La demanderesse) n'établit pas que les conventions d'adhésion conclues par les différents artistes dont elle gère les droits, plus particulièrement les clauses relatives à la cession à son profit des droits exclusifs de l'exploitation audiovisuelle des prestations qu'elles contiennent, ont été confirmées par les contrats de production conclus avec les producteurs;

Elle ne démontre pas davantage que les artistes-interprètes ou exécutants, qui lui ont confié la gestion de leurs droits, se sont réservé l'exercice de ces mêmes droits d'exploitation dans leurs relations contractuelles avec leur producteur;

Cette preuve n'étant pas rapportée, la présomption légale prévue par l'article 36, alinéa 1er, de la loi [sur le droit d'auteur et les droits voisins] est maintenue en faveur du producteur;

2.2.d. L'article 36, alinéa 3, de la loi [sur le droit d'auteur et les droits voisins] dispose dans sa première partie que, 'sauf les prestations effectuées pour des réalisations audiovisuelles relevant de l'industrie non culturelle ou de la publicité, les artistes-interprètes ou exécutants ont droit à une rémunération distincte pour chaque mode d'exploitation';

C'est cependant à tort que (la demanderesse) soutient qu'à défaut de prévoir une telle rémunération distincte pour les différents modes d'exploitation, le contrat est nul, une telle nullité ne résultant pas des termes de la disposition précitée;

Si le contrat de production audiovisuelle doit énoncer la rémunération ou son mode de calcul pour chaque mode d'exploitation, le texte de loi susdit ne prévoit pas davantage qu'à défaut de satisfaire à cette obligation, la présomption de cession des droits pour ce mode d'exploitation ne sortit pas ses effets; à défaut d'une telle énonciation, le contrat ne se voit pas privé de son objet ni de sa raison d'être cependant que son exécution ne s'en voit nullement compromise, de sorte qu'il n'y a aucun motif de le priver de ses effets ou de le déclarer nul, l'artiste-interprète ou exécutant conservant l'entièreté de ses droits à rémunération;

Dans ce cas, le producteur sera tenu d'une participation sur les recettes brutes des modes d'exploitation qui ne sont pas expressément visés par la ou les rémunérations fixées dans le contrat (A. Berenboom, o.c., 201);

[...]

2.4. Eu égard à ce qui précède, (la demanderesse) n'est pas habilitée à exiger que la seconde (défenderesse) ne retransmette pas les prestations audiovisuelles des artistes-interprètes et exécutants, ainsi que définies ci-dessus, sans son autorisation;

[...]

6.1. Il ressort de ce qui précède que les seules violations aux droits voisins dont (la demanderesse) a la gestion, qui sont établies en l'espèce dans le chef de la seconde (défenderesse), sont les retransmissions par le câble sans l'autorisation de (la demanderesse) de la transmission initiale des prestations radiodiffusées des artistes-interprètes et exécutants pour autant que ces prestations ne soient pas audiovisuelles et ne soient pas exécutées dans des programmes produits par les radiodiffuseurs ou par la seconde (défenderesse);

La décision entreprise du 4 juillet 1997 n'est pas attaquée en ce que le premier juge a dit que les câblodistributeurs - et donc la seconde (défenderesse) - ne disposent pas à ce jour d'autorisation tacite de distribution par le câble émanant de (la demanderesse), de sorte que ce point est, eu égard à l'autorité de chose jugée dont cette décision est revêtue, définitivement acquis; eu égard aux motifs exposés ci-dessus (point 2.1.), cette violation ne concerne que les prestations des artistes qui ont expressément adhéré au contrat de gestion collective de (la demanderesse) et non celles des artistes qui n'ont pas confié la gestion de leurs droits à cette dernière;

Enfin, cette violation existe depuis le 1er novembre 1996, date de l'expiration de la dernière autorisation accordée à titre provisoire à la première (défenderesse) agissant dans le cadre des négociations menées à l'époque au nom et pour le compte de ses membres et donc de la seconde (défenderesse).”

Griefs
Première branche

L'article 36 de la loi du 30 juin 1994 relative au droit d'auteur et aux droits voisins, repris dans la section 2, intitulée 'Dispositions relatives aux artistes-interprètes ou exécutants', du chapitre relatif aux droits voisins, dispose que, sauf convention contraire, l'artiste-interprète ou exécutant cède au producteur de l'oeuvre audiovisuelle le droit exclusif de l'exploitation audiovisuelle de sa prestation, y compris les droits nécessaires à cette exploitation, tels que le droit d'ajouter des sous-titres ou de doubler la prestation, sans préjudice des dispositions de l'article 34.

Cet article instaure notamment une présomption de cession des droits en faveur du producteur, dont la ratio legis consiste à éviter un blocage de l'exploitation de l'oeuvre audiovisuelle par un artiste-interprète ou exécutant mécontent.

Cette présomption ne vaut toutefois que dans les limites de la loi.

Selon l'article 51 de la loi du 30 juin 1994 relative au droit d'auteur et aux droits voisins, repris dans la section 'De la retransmission par câble', l'auteur et les titulaires de droits voisins disposent du droit exclusif d'autoriser la retransmission par câble de leurs oeuvres ou de leurs prestations.

L'article 53, § 1er, de la loi précitée, qui transpose l'article 9 de la directive 93/83/CEE du Conseil du 27 septembre 1993 relative à la coordination de certaines règles du droit d'auteur et des droits voisins du droit d'auteur applicables à la radiodiffusion par satellite et à la retransmission par câble, dispose quant à lui que le droit de l'auteur et des titulaires de droits voisins d'autoriser ou d'interdire la retransmission par câble ne peut être exercé que par une société de gestion des droits.

Il est, en outre, précisé au § 2 de cet article que, lorsque l'auteur ou les titulaires des droits voisins n'ont pas confié la gestion de leurs droits à une société de gestion des droits, la société qui gère des droits de la même catégorie est réputée être chargée de gérer leurs droits, la loi précisant que lorsque plusieurs sociétés de gestion des droits gèrent des droits de cette catégorie, l'auteur ou les titulaires de droits voisins peuvent désigner eux-mêmes celle qui sera réputée être chargée de la gestion de leurs droits. Ils auront dans cette hypothèse les mêmes droits et les mêmes obligations résultant du contrat conclu entre le câblodistributeur et la société de gestion de droits que les titulaires de droits qui ont chargé cette société de défendre leurs droits.

De la lecture de ces deux paragraphes, il ressort qu'en toute hypothèse le droit d'autoriser la retransmission par câble est exercé par une société de gestion collective, qui est par définition une société qui a l'obligation de gérer les droits, reconnus par la loi du 30 juin 1994, dans les conditions précisées aux articles 65 et 66 de la loi précitée, qu'il s'agisse d'une société à laquelle l'auteur ou les titulaires de droits voisins [ont] confié expressément la gestion de leurs droits ou d'une société qui gère des droits de la même catégorie qui sera réputée gérer les droits des auteurs ou titulaires qui n'ont pas confié la gestion de leurs droits à une société de gestion des droits, l'article 53, § 2, de la loi du 30 juin 1994 n'ayant d'autre objet que d'identifier la société de gestion des droits qui dans cette seconde hypothèse devra exercer le droit d'autoriser la retransmission de l'oeuvre audiovisuelle par câble.

Il s'ensuit que, dans la mesure où l'arrêt attaqué considère que “le droit exclusif des sociétés de gestion collective est limité aux droits dont la gestion a été confiée aux sociétés de gestion collective et ne s'étend pas à ceux dont la gestion n'a pas été confiée à celles-ci par leur titulaire”, “l'article 53, § 2, ne prévo(yant) pas que la société de gestion exerce le droit de ces artistes d'autoriser ou d'interdire la retransmission par câble, comme c'est le cas pour les artistes qui lui ont confié la gestion de leurs droits, ainsi qu'en dispose le § 1er du même article, mais uniquement qu'elle 'est réputée être chargée de gérer leurs droits', ce qui, eu égard au caractère essentiellement fiduciaire de cette gestion, consiste, en réalité, essentiellement à percevoir la rémunération à laquelle ces prestations donnent lieu et à la remettre au titulaire des droits afférents à celles-ci”, [cet arrêt] n'est pas légalement motivé en droit pour les motifs énoncés ci-dessus (violation des art. 51, 53, § 1er et 2, 65 et 66 de la loi du 30 juin 1994 relative au droit d'auteur et aux droits voisins et 9 de la directive 93/83/CEE du Conseil du 27 septembre 1993 relative à la coordination de certaines règles du droit d'auteur et des droits voisins du droit d'auteur applicables à la radiodiffusion par satellite et à la retransmission par câble), considérant en outre, en violation des articles précités, que cette gestion aurait un caractère essentiellement fiduciaire (violation des mêmes dispositions); à tout le moins la cour d'appel ne pouvait-elle retenir ce caractère essentiellement fiduciaire de la gestion sans avoir égard aux contrats de gestion concernés, le caractère fiduciaire relevant de la volonté des parties (violation des art. 1101, 1108 et 1134 du Code civil ainsi que du principe général du droit de l'autonomie de la volonté des parties).

Deuxième branche

Il ressort de l'article 53, § 1er, de la loi du 30 juin 1994 relative au droit d'auteur et aux droits voisins que le droit de l'auteur et des titulaires de droits voisins d'autoriser ou d'interdire la retransmission par câble ne peut être exercé que par une société de gestion des droits, l'article 53, § 2, de la loi précitée stipulant expressément que lorsque l'auteur ou les titulaires des droits voisins n'ont pas confié la gestion de leurs droits à une société de gestion des droits, la société qui gère des droits de la même catégorie est réputée être chargée de gérer leurs droits et ce, pour les motifs exposés à la première branche et considérés comme étant repris en la présente branche.

Cet article consacre dès lors le principe de l'exercice du droit d'autoriser la retransmission par câble des oeuvres ou des prestations des auteurs ou des titulaires de droits voisins par les sociétés de gestion des droits, à l'exclusion des titulaires dudit droit, cet exercice collectif étant, pour ainsi dire, inhérent audit droit d'autorisation, et ne fait aucune distinction selon que ce droit [a] été cédé ou non à un tiers, la seule exception à la règle de l'exercice du droit d'autorisation par la société de gestion des droits étant celle prévue au § 3 de l'article 53 de la loi du 30 juin 1994 en faveur de l'organisme de radiodiffusion à l'égard de ses propres émissions.

Partant, l'obligation de recourir à une société de gestion des droits pour l'exercice du droit d'autoriser la retransmission par câble d'une oeuvre ou d'une prestation vaut pour tout titulaire du droit, qu'il en soit le titulaire originaire ou le cessionnaire, y compris le producteur de l'oeuvre audiovisuelle.

En outre, le cédant ne peut transporter au cessionnaire que la créance telle qu'il la possède lui-même, ce en application de la règle 'Nemo plus iure ad alium transferre potest quam ipse habet'.

Il s'ensuit que le titulaire d'un droit voisin, qui cède son droit exclusif de l'exploitation audiovisuelle de sa prestation au producteur de l'oeuvre audiovisuelle conformément à l'article 36 de la loi du 30 juin 1994, ne peut pas lui transmettre plus de droits qu'il n'en a lui-même, de sorte que ledit producteur sera, tout comme le titulaire originaire du droit, tenu par la restriction découlant de l'article 53 de la loi précitée quant à l'exercice d'autoriser la retransmission par câble de la prestation du titulaire du droit voisin.

Il s'ensuit qu'en édictant la condition que les artistes-interprètes n'aient pas cédé leur droit d'autorisation ou d'interdiction de la retransmission par câble de leurs prestations pour que les sociétés de câblodistribution soient obligées de demander l'autorisation de retransmettre la prestation par câble aux sociétés de gestion des droits, alors que l'article 53 de la loi du 30 juin 1994 relative au droit d'auteur et aux droits voisins ne fait aucune distinction selon que le droit exclusif de l'exploitation audiovisuelle de la prestation de l'artiste-interprète ou de l'exécutant, y compris le droit d'autoriser la retransmission par câble de la prestation, [a] été cédé ou non à un tiers, l'arrêt attaqué ajoute à la loi une condition que celle-ci ne contient pas (violation des art. 36 et 53, § 1er, 2 et 3, de la loi du 30 juin 1994 relative au droit d'auteur et aux droits voisins). En considérant qu'en cas de cession du droit d'exploitation audiovisuelle de la prestation au producteur, celui-ci exerce, à l'exclusion de la société de gestion collective, le droit d'autoriser la retransmission de l'oeuvre par câble, l'arrêt attaqué méconnaît, en outre, les principes relatifs à la cession de tout droit, selon lesquels le cédant ne peut transporter au cessionnaire plus de droits qu'il ne possède lui-même, auxquels la loi du 30 juin 1994 n'a pas dérogé (violation des art. 1249 et 1689 du Code civil, 36 et 53 de la loi du 30 juin 1994 relative au droit d'auteur et aux droits voisins, ainsi que du principe général du droit, selon lequel personne ne peut transférer plus de droits qu'il n'en possède, tel qu'il résulte notamment des art. 40 et 109 de la loi hypothécaire).

Troisième branche

L'article 36, alinéa 1er, de la loi du 30 juin 1994 relative au droit d'auteur et aux droits voisins dispose expressément que, sauf convention contraire, l'artiste-interprète ou exécutant cède au producteur de l'oeuvre audiovisuelle le droit exclusif de l'exploitation audiovisuelle de sa prestation, y compris les droits nécessaires à cette exploitation, tels que le droit d'ajouter des sous-titres ou de doubler la prestation, sans préjudice des dispositions de l'article 34.

L'existence d'une telle convention contraire, en d'autres termes l'exclusion du droit précité du contrat conclu avec le producteur, pourra résulter, non seulement de la convention conclue entre l'artiste et le producteur, prévoyant explicitement que l'artiste-interprète ou l'exécutant ne cède pas ledit droit au producteur, mais pourra, le cas échéant, tout aussi bien résulter d'une convention conclue antérieurement par l'artiste avec un tiers, l'artiste commettant d'ailleurs une faute s'il cédait le droit concerné au producteur après l'avoir déjà cédé à un tiers, sans qu'il soit nécessaire que ledit contrat confirme les clauses relatives à la cession, au profit de la société de gestion des droits, des droits exclusifs de l'exploitation audiovisuelle des prestations des artistes-interprètes ou exécutants, comprises dans les conventions d'adhésion, conclues par ces derniers avec ladite société de gestion des droits, ou que les artistes-interprètes ou exécutants se soient réservé l'exercice de ces mêmes droits d'exploitation dans leurs relations contractuelles avec leur producteur, ces relations contractuelles étant, dans l'hypothèse envisagée par l'arrêt attaqué, nécessairement postérieures au contrat d'adhésion.

Si, aux termes de l'article 1165 du Code civil, les conventions n'ont d'effet qu'entre les parties contractantes, les tiers sont en effet tenus de reconnaître l'existence desdits contrats et peuvent se prévaloir des effets que ceux-ci ont entre les parties.

En outre, aux termes de l'article 1690 du Code civil, tel qu'il a été modifié par la loi du 6 juillet 1994, la cession de créance est opposable aux tiers autres que le débiteur cédé par la seule conclusion de la convention de cession, l'article 1690 prévoyant précédemment que la cession [est] opposable aux tiers par la signification du transport au débiteur.

Il s'ensuit que l'existence du contrat qui aurait été conclu antérieurement par l'artiste-interprète ou l'exécutant et une société de gestion collective [relativement] à la cession du droit d'autoriser la retransmission de l'oeuvre audiovisuelle s'imposera au producteur et, partant, implique le renversement de la présomption légale, comprise dans l'article 36, alinéa 1er, de la loi du 30 juin 1994 relative au droit d'auteur et aux droits voisins.

Il s'ensuit qu'en estimant que la convention contraire, dont fait état l'article 36, alinéa 1er, de la loi du 30 juin 1994 relative au droit d'auteur et aux droits voisins, se réfère obligatoirement à une convention contraire entre l'artiste et le producteur, excluant de la sorte qu'il puisse résulter d'un contrat conclu antérieurement par l'artiste avec une tierce personne, telle une société de gestion collective, que celui-ci ne souhaite pas céder son droit d'autorisation au producteur, l'arrêt attaqué ajoute à la loi une condition que celle-ci ne contient pas (violation de l'art. 36, al. 1er, de la loi du 30 juin 1994 relative au droit d'auteur et aux droits voisins). Il viole, en outre, l'article 1165 du Code civil en considérant que le producteur ne saurait se voir opposer une convention à laquelle il est étranger, conclu par l'artiste avec une société de gestion collective (violation de l'art. 1165 du Code civil) et méconnaît l'article 1690 du Code civil, dont il ressort que la cession est opposable à tout tiers du fait même de la conclusion dudit contrat, la loi du 30 juin 1994 n'y dérogeant point (violation de l'art. 1690 du Code civil en sa version actuelle et, pour autant que de besoin, de l'art. 36 de la loi du 30 juin 1994 relative au droit d'auteur et aux droits voisins), à tout le moins dès sa signification au débiteur (violation de l'art. 1690 du Code civil, d'application avant sa modification par la loi du 16 juillet 1994, et, pour autant que de besoin, de l'art. 36 de la loi du 30 juin 1994 relative au droit d'auteur et aux droits voisins).

Quatrième branche

L'article 35, § 2, de la loi du 30 juin 1994 relative au droit d'auteur et aux droits voisins dispose qu'à l'égard de l'artiste-interprète ou exécutant, tous les contrats se prouvent par écrit. En outre, les dispositions contractuelles relatives aux droits de l'artiste-interprète ou exécutant et à leur mode d'exploitation sont de stricte interprétation.

L'article 36 de la loi précitée dispose quant à lui que, sauf convention contraire, l'artiste-interprète ou exécutant cède au producteur de l'oeuvre audiovisuelle le droit exclusif de l'exploitation audiovisuelle de sa prestation, y compris les droits nécessaires à cette exploitation, tels que le droit d'ajouter des sous-titres ou de doubler la prestation, sans préjudice des dispositions de l'article 34.

Au § 3, il est précisé que, sauf pour les prestations effectuées pour des réalisations audiovisuelles relevant de l'industrie non culturelle ou de la publicité, les artistes-interprètes ou exécutants ont droit à une rémunération distincte pour chaque mode d'exploitation. Lorsque la rémunération convenue est proportionnelle aux recettes, le producteur fera parvenir, conformément aux usages honnêtes de la profession, aux artistes-interprètes ou exécutants, un relevé des recettes qu'il aura perçues selon chaque mode d'exploitation.

Il s'ensuit que la présomption légale, dont il est fait état à l'article 36, alinéa 1er, de la loi du 30 juin 1994, n'existe que pour autant qu'il y ait une relation contractuelle de production directe entre l'artiste-interprète ou l'exécutant et un producteur, qui doit se prouver par écrit.

Il ressort, en outre, de l'ensemble de ces dispositions qu'en l'absence de dispositions contractuelles relatives à la rémunération distincte par mode d'exploitation, tel que la retransmission par câble, la présomption légale y afférente ne sortit pas ses effets.

Il s'ensuit que l'arrêt attaqué, qui estime que “la présomption légale de cession des droits joue dès lors qu'une telle relation contractuelle - qui ne requiert aucun écrit et peut être prouvée par toutes voies de droit - existe”, ne motive pas légalement sa décision en droit (violation des art. 35, § 2, et 36, al. 1er, de la loi du 30 juin 1994 relative au droit d'auteur et aux droits voisins, 1316, 1341 (tel que d'application avant l'entrée en vigueur de l'arrêté royal du 20 juillet 2000), 1348 du Code civil et 876 du Code judiciaire). En outre, en considérant qu'il n'y a aucun motif de priver le contrat de ses effets ou de le déclarer nul, lorsque le contrat conclu avec le producteur ne prévoit pas de rémunération distincte pour chaque mode d'exploitation, et notamment pour la retransmission par câble, l'arrêt ne motive pas légalement en droit sa décision (violation des art. 35, § 2, et 36, al. 1er et 3, de la loi du 30 juin 1994 relative au droit d'auteur et aux droits voisins).

III. La décision de la Cour
Sur le second moyen
Quant à la première branche

En vertu de l'article 51 de la loi du 30 juin 1994 relative au droit d'auteur et aux droits voisins, l'auteur et les titulaires de droits voisins disposent du droit exclusif d'autoriser la retransmission par câble de leurs oeuvres ou de leurs prestations. Toutefois, conformément à l'article 53, § 1er, ce droit ne peut être exercé que par une société de gestion des droits.

L'article 53, § 2, 1er alinéa, dispose que, lorsque l'auteur ou les titulaires de droits voisins n'ont pas confié la gestion de leurs droits à une société de gestion des droits, la société qui gère des droits de la même catégorie est réputée être chargée de la gestion de leurs droits. Suivant l'article 53, § 2, 2ème alinéa, ils ont les mêmes droits et les mêmes obligations résultant du contrat conclu entre le câblodistributeur et la société de gestion des droits que les titulaires de droits qui ont chargé cette société de défendre leurs droits.

Ces dispositions constituent la transposition de l'article 9, § 1er et 2, de la directive 93/83/CEE du Conseil des Communautés européennes du 27 septembre 1993 relative à la coordination de certaines règles du droit d'auteur et des droits voisins du droit d'auteur applicables à la radiodiffusion par satellite et à la retransmission par câble.

En son arrêt C-169/05 du 1er juin 2006, la Cour de justice des Communautés européennes a dit pour droit que l'article 9, § 2, de la directive 93/83/CEE du Conseil du 27 septembre 1993 “doit être interprété en ce sens que, lorsqu'une société de gestion collective est réputée être chargée de gérer les droits d'un titulaire de droits d'auteur ou de droits voisins n'ayant pas confié la gestion de ses droits à une société de gestion collective, cette société dispose du pouvoir d'exercer le droit de ce titulaire d'accorder ou de refuser l'autorisation à un câblodistributeur de retransmettre par câble une émission, et, par conséquent, la gestion par ladite société des droits dudit titulaire ne se limite pas aux aspects pécuniaires de ces droits”.

L'arrêt considère que le droit exclusif, reconnu par l'article 53, § 1er, de la loi précitée aux sociétés de gestion collective des droits voisins du droit d'auteur, d'autoriser ou d'interdire la retransmission par câble des prestations est limité aux droits dont la gestion a été confiée à ces sociétés, mais que, lorsque tel n'a pas été le cas, ces dernières ne sont, en vertu de l'article 53, § 2, de ladite loi, que “réputée[s] être chargée[s] de gérer les droits” des titulaires concernés, “ce qui, eu égard au caractère essentiellement fiduciaire de cette gestion, consiste, en réalité, essentiellement à percevoir la rémunération à laquelle [les] prestations donnent lieu et à la remettre au titulaire des droits afférents à celles-ci”.

L'arrêt viole ainsi l'article 53, § 2.

Le moyen, en cette branche, est fondé.

Quant à la deuxième branche

L'arrêt précité de la Cour de justice des Communautés européennes énonce, au point 24, que, “comme le précise le 28ème considérant de la directive, celle-ci ne s'oppose pas à une cession du droit de retransmission, [que] cette cession peut intervenir tant sur la base d'un contrat qu'en vertu d'une présomption légale [et qu'] ainsi, la directive ne s'oppose pas à ce qu'un auteur, artiste-interprète, exécutant ou producteur perde, en vertu d'une disposition nationale, telle que l'article 36, alinéa 1er, de la loi [du 30 juin 1994], sa qualité de 'titulaire' de ce droit au sens de l'article 9, § 2, de la directive, avec pour conséquence la rupture de tout lien juridique existant en vertu de cette disposition entre lui et la société de gestion collective”.

L'article 53 de ladite loi ne prive pas l'auteur ou les titulaires de droits voisins de leur droit d'autoriser la retransmission par câble de leurs prestations, de sorte qu'ils restent habilités à céder ce droit.

Cette disposition se borne à prévoir que ledit droit ne peut être exercé que par une société de gestion des droits mais n'impose pas que cette société soit celle qui gérait ou était réputée gérer les droits du cédant.

L'arrêt attaqué, qui considère que l'article 53 précité ne s'oppose pas à la cession par les artistes-interprètes et exécutants de leur droit d'autoriser ou d'interdire la retransmission par câble de leurs prestations à un producteur et que ce droit “peut très bien être exercé par une société de gestion collective des droits des producteurs, rencontrant, ainsi, le souci du législateur”, justifie légalement sa décision.

Le moyen, en cette branche, ne peut être accueilli.

Quant à la troisième branche

Suivant l'article 36, alinéa 1er, de la loi du 30 juin 1994, sauf convention contraire, l'artiste-interprète ou exécutant cède au producteur de l'oeuvre audiovisuelle le droit exclusif de l'exploitation audiovisuelle de sa prestation, y compris les droits nécessaires à cette exploitation.

Cette disposition établit une présomption de cession au producteur d'une oeuvre audiovisuelle du droit exclusif de l'exploitation audiovisuelle de toute prestation qui y est intégrée, sauf si le producteur et l'artiste-interprète ou exécutant ont conclu une convention par laquelle ce dernier s'est réservé ce droit d'exploitation.

Le moyen qui, en cette branche, soutient que la convention contraire prévue par ladite disposition peut résulter de la seule affiliation de l'artiste-interprète ou de l'exécutant à une société de gestion des droits, antérieure à la conclusion du contrat de production de l'oeuvre audiovisuelle, manque en droit.

Quant à la quatrième branche

En tant qu'il est pris de la violation des articles 1316, 1341 et 1348 du Code civil et 876 du Code judiciaire, sans indiquer en quoi l'arrêt violerait ces dispositions, le moyen, en cette branche, est, comme les défenderesses le soutiennent, irrecevable. Pour le surplus, d'une part, en vertu de l'article 35, § 2, alinéa 1er, de la loi du 30 juin 1994, à l'égard de l'artiste-interprète ou exécutant, tous les contrats se prouvent par écrit.

Il suit de l'article 36, alinéa 1er, précité que cette disposition est étrangère à la convention entre l'artiste-interprète ou exécutant et le producteur d'une oeuvre audiovisuelle.

D'autre part, suivant l'article 36, alinéa 3, l'artiste-interprète ou exécutant dont la prestation est intégrée dans une oeuvre audiovisuelle a droit, en règle, à une rémunération distincte pour chaque mode d'exploitation.

Cette disposition, qui constitue une règle de fond, n'établit pas une condition d'application de la présomption de cession prévue par l'article 36, alinéa 1er, mais détermine les effets de la cession, expresse ou présumée, du droit de l'exploitation audiovisuelle de la prestation de l'artiste-interprète ou exécutant.

Dans la mesure où il est recevable, le moyen, en cette branche, manque en droit.

Par ces motifs,

La Cour

Casse l'arrêt attaqué en tant qu'il limite l'ordre de cessation qu'il prononce aux prestations des artistes-interprètes ou exécutants qui ont confié à la demanderesse la gestion des droits voisins dont ils sont titulaires;

Rejette le pourvoi pour le surplus;

Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l'arrêt partiellement cassé;

Condamne la demanderesse au tiers des dépens et réserve les deux tiers restants pour qu'il soit statué sur ceux-ci par le juge du fond;

Renvoie la cause, ainsi limitée, devant la cour d'appel de Mons.

Les dépens taxés à la somme de 581,06, EUR envers la partie demanderesse et à la somme de 162,09 EUR envers les parties défenderesses.

(…)