Article

Cour de cassation, 08/03/2010, R.D.C.-T.B.H., 2010/8, p. 792-797

Cour de cassation 8 mars 2010

SAISIES ET VOIES D'EXECUTION
Saisies et voies d'exécution - Saisie en matière de contrefaçon
Le seul fait que [la défenderesse] dispose d'alternatives à la saisie-description ne fait pas en soi obstacle à cette mesure prévue par le Code judiciaire ni ne la rend déloyale ou ne prive [la défenderesse] de son intérêt à agir. Au regard des éléments de la cause, il ne peut donc pas être conclu à un abus de droit ou à un détournement de la procédure.
BESLAG EN EXECUTIE
Beslag en executie - Beslag inzake namaak
Het enkele feit dat [verweerster] over alternatieven beschikt voor het beslag inzake namaak vormt op zich geen obstakel voor deze maatregel voorzien in het Ger.W., noch maakt het dit onrechtmatig of ontneemt dit [verweerster] haar belang om op te treden. Met betrekking tot de elementen van deze zaak kan dus niet besloten worden tot rechtsmisbruik of een misbruik van procedure.

Coface Services Belgium SA / Infobase Europe, société de droit luxembourgeois

Siég.: P. Mathieu (président de section), Ch. Matray, M. Regout, A. Simon et M. Delange (conseillers)
MP: J.-M. Genicot (avocat général)
Pl.: Mes M. Mahieu et P.-A. Foriers
I. La procédure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 14 juillet 2008 par la cour d'appel de Bruxelles.

Par ordonnance du 28 janvier 2010, le premier président a renvoyé la cause devant la 3ème chambre.

Le conseiller Martine Regout a fait rapport.

L'avocat général Jean-Marie Genicot a conclu.

II. Les moyens de cassation

La demanderesse présente deux moyens libellés dans les termes suivants:

Premier moyen
Dispositions légales violées

- articles 1025 à 1034, 1369bis, 1395, 1396 et 1498 et, pour autant que de besoin, 569, 5°, du Code judiciaire;

- principes généraux du droit relatifs au respect des droits de la défense et au caractère contradictoire de l'instance;

- article 149 de la Constitution.

Décisions et motifs critiqués

L'arrêt décide que la [défenderesse] avait l'intérêt nécessaire pour faire la demande de désignation d'expert au premier juge et que ce dernier était compétent pour autoriser l'expert à vérifier la continuation de la contrefaçon déjà constatée par le juge du fond ou l'existence d'un maquillage de cette contrefaçon.

Il justifie cette décision par tous ses motifs réputés ici intégralement reproduits et en particulier par les considérations, en substance, que:

“Sur le principe de la saisie-description sollicitée

L'article 1369bis/1, § 3, du Code judiciaire dispose que:

'Le président, statuant sur une requête visant à obtenir des mesures de description, examine:

- si le droit de propriété intellectuelle dont la protection est invoquée est, selon toutes apparences, valable;

- s'il existe des indices selon lesquels il a été porté atteinte au droit de propriété intellectuelle en cause ou qu'il existe une menace d'une telle atteinte.'

En l'espèce, ces deux conditions sont réunies.

Au regard du jugement du tribunal de première instance de Nivelles du 15 novembre 2006 et de l'arrêt de la cour [d'appel] du 8 juin 2001, et ce, nonobstant l'arrêt de la cour [d'appel] du 8 avril 2003 dans le dossier Group Van Hecke, les droits de [la défenderesse] sur la base de données InfoBase, fussent-ils contestés, sont suffisamment vraisemblables.

De même, [la demanderesse] ne conteste pas qu'elle utilise des données provenant d'InfoBase. Elle nie par contre la contrefaçon, étant, selon la thèse qu'elle défend, légitime propriétaire de ces données qui lui ont été cédées par ORT, qui les a elle-même acquises de Help par la convention du 11 septembre 1990.

Il est constant que [la demanderesse] continue à exploiter sa base de données. Elle précise par ailleurs avoir mandaté ses informaticiens à l'effet de procéder à la modification de sa base de données afin de se conformer - sans aucune reconnaissance préjudiciable - au jugement du tribunal de première instance de Nivelles.

Au regard de cette dernière précision, il ne peut être exclu, comme le soutient [la défenderesse], que [la demanderesse] tente en réalité de faire disparaître les indices d'une contrefaçon et non d'expurger des données contrefaisantes et commette concomitamment de nouveaux actes de contrefaçon.

S'agissant en outre d'une base de données en ligne ('on line'), chaque acte d'utilisation des données d'origine InfoBase est susceptible de constituer un nouvel acte de contrefaçon.

Il importe dès lors de vérifier quelle est la situation en 2008.

Il ne peut être exigé de celui qui demande une description qu'il prouve la contrefaçon, sa continuation effective et son étendue. La mesure de description doit au contraire lui servir à obtenir cette preuve, raison pour laquelle la loi prévoit qu'une simple menace de contrefaçon suffit pour justifier cette mesure.

Il existe dès lors des indices suffisants d'une atteinte actuelle aux droits de propriété intellectuelle de [la défenderesse].

Vainement [la demanderesse] objecte-t-elle que, par le biais de cette troisième demande de saisie-description, [la défenderesse] tente en réalité d'obtenir la preuve de l'absence d'exécution du jugement du 15 novembre 2006 par [la demanderesse]; elle en déduit que, ne s'agissant plus d'obtenir la preuve de la contrefaçon elle-même, [la défenderesse] ne dispose d'aucun intérêt actuel à postuler cette mesure et que seul le juge de l'exécution est compétent pour connaître de l'objet réel de la demande.

La partie au procès qui prétend être titulaire d'un droit subjectif a, ce droit fût-il contesté, l'intérêt et la qualité requis pour introduire une demande en justice; l'examen de l'existence ou de la portée du droit subjectif invoqué relève, non de la recevabilité, mais du bien-fondé de la demande (Cass. 26 février 2004, C.01.0402.N).

[La défenderesse] ne dispose pas de la description des données, qu'elle qualifie de contrefaites, sous leur présentation actuelle. Or, il ne peut être exclu que [la demanderesse] se fonde sur la nouvelle apparence de sa base de données qu'elle affirme avoir modifiée, pour conclure à l'absence de contrefaçon.

Cette mesure est également de nature à permettre à [la défenderesse] d'établir devant le juge du fond l'ampleur de la contrefaçon alléguée et du préjudice qui y est lié.

Dès lors que [la demanderesse] conteste la contrefaçon vantée, l'intérêt de [la défenderesse] est toujours actuel.

Son intérêt est également légitime, l'objet réel de la demande visant bien à obtenir la désignation d'un expert descripteur à l'effet de se réserver la preuve de la contrefaçon et de sa continuation.

Les accusations de [la demanderesse] d'espionnage industriel ne reposent, quant à elles, sur aucune preuve.

Ni la taille de [la défenderesse] ni le nombre de saisies-descriptions - du reste autorisées par les juridictions saisies à cet effet - ne permettent de présumer de l'existence dans le chef de [la défenderesse] d'une telle politique.

Deux observations s'imposent, en outre, à cet égard.

Il convient, d'une part, de ne pas perdre de vue qu'à l'origine, c'est [la défenderesse] qui se plaint d'être la victime d'une contrefaçon de sa base de données dans le cadre de la rupture de la convention du 11 septembre 1990.

D'autre part, la question du secret des affaires a été envisagée par le législateur à l'article 1369bis/6 du Code judiciaire et sera examinée ci-après.

Par identité de motifs, c'est en vain que [la défenderesse] soutient que le président du tribunal de commerce n'était et n'est pas compétent pour statuer sur l'objet réel de cette demande.

De même, le fait que la mesure sollicitée pourrait, le cas échéant, permettre à [la défenderesse] de démontrer devant le juge des saisies l'inexécution du jugement du 15 novembre 2006 par [la demanderesse] n'est pas de nature à la priver de son intérêt à agir et du bénéfice de la mesure de description demandée.

L'intentement préalable de la procédure au fond, par ailleurs actuellement au stade de l'appel, ne peut pas davantage, comme tel, faire obstacle à la mesure sollicitée, la loi ne l'interdisant pas.”

Griefs
Première branche

L'article 1395 du Code judiciaire dispose que: “Toutes les demandes qui ont trait aux saisies conservatoires, aux voies d'exécution et aux interventions du service des créances alimentaires visées par la loi du 21 février 2003 créant un service des créances alimentaires au sein du ministère des Finances sont portées devant le juge des saisies. La mainlevée de la saisie pratiquée avant l'octroi du sursis de paiement peut par contre être accordée par le tribunal compétent en matière de concordat judiciaire.”

L'article 1396 du même code dispose que: “Sans préjudice des voies de nullité prévues par la loi, le juge des saisies veille au respect des dispositions en matière de saisies conservatoires et de voies d'exécution. Il peut, même d'office, se faire remettre un rapport sur l'état de la procédure par les officiers publics ou ministériels instrumentants ou commis.

S'il constate une négligence, il en informe le procureur du Roi, qui apprécie les suites disciplinaires qu'elle peut comporter.”

L'article 1498 du même code dispose que: “En cas de difficulté d'exécution, toute partie intéressée peut se pourvoir devant le juge des saisies, sans cependant que l'exercice de cette action ait un effet suspensif.”

Le Code judiciaire dispose de la sorte que seul le juge des saisies est compétent pour les causes relatives à l'exécution des jugements. Tout litige relatif à une contrefaçon précédemment consacrée, dans un litige au fond, par une décision judiciaire, doit en conséquence relever du juge d'appel, s'il s'agit de contester la décision prononcée, ou du juge des saisies, s'il s'agit de prétendre à la méconnaissance de l'interdiction de la contrefaçon constatée.

L'arrêt considère que:

“Vainement [la demanderesse] objecte-t-elle que, par le biais de cette troisième demande de saisie-description, [la défenderesse] tente en réalité d'obtenir la preuve de l'absence d'exécution du jugement du 15 novembre 2006 par [la défenderesse]; elle en déduit que, ne s'agissant plus d'obtenir la preuve de la contrefaçon elle-même, [la défenderesse] ne dispose d'aucun intérêt actuel à postuler cette mesure et que seul le juge de l'exécution est compétent pour connaître de l'objet réel de la demande”,

et fonde cette opinion sur les considérations suivantes:

“[La défenderesse] ne dispose pas de la description des données, qu'elle qualifie de contrefaites, sous leur présentation actuelle. Or, il ne peut être exclu que [la demanderesse] se fonde sur la nouvelle apparence de sa base de données, qu'elle affirme avoir modifiée, pour conclure à l'absence de contrefaçon.

Cette mesure est également de nature à permettre à [la défenderesse] d'établir devant le juge du fond l'ampleur de la contrefaçon alléguée et du préjudice qui y est lié. Dès lors que [la demanderesse] conteste la contrefaçon vantée, l'intérêt de [la défenderesse] est toujours actuel.

Son intérêt est également légitime, l'objet réel de la demande visant bien à obtenir la désignation d'un expert descripteur à l'effet de se réserver la preuve de la contrefaçon et de sa continuation.”

Il ressort cependant de l'arrêt que

- la contrefaçon a déjà été établie dans le chef de la [défenderesse] par un jugement prononcé le 15 novembre 2006 par le tribunal de première instance de Nivelles. Ce jugement, exécutoire par provision, a donné lieu à une décision du juge des saisies de Nivelles conduisant à la validation des commandements signifiés en exécution dudit jugement;

- la [défenderesse] a déposé une requête unilatérale le 5 novembre 2007 devant le président du tribunal de commerce de Bruxelles afin d'obtenir l'autorisation de faire pratiquer une troisième saisie-description dans les locaux de la [demanderesse]. Elle y a soutenu que, “malgré sa condamnation à cesser de porter atteinte à ses droits, tout indique que [la demanderesse] commet de nouveaux actes de contrefaçon, aggrave l'ampleur de la contrefaçon et modifie l'apparence des données contrefaisantes pour effacer les traces de la contrefaçon”;

- l'objectif qui ressort du libellé de la mission d'expertise est de décrire les modifications qu'a connues le fichier de la [demanderesse] depuis le rapport du 20 janvier 2005, qui clôturait la précédente procédure de saisie-description et qui a permis la condamnation, au fond, de la [demanderesse] pour contrefaçon. L'objectif de la nouvelle mission d'expertise vise, de la sorte, à déterminer si la [demanderesse] a exécuté le jugement la condamnant ou si elle a poursuivi, en tentant de surcroît de la maquiller, la contrefaçon litigieuse.

L'arrêt décide à tort de la sorte que la [défenderesse] avait l'intérêt nécessaire pour justifier la demande de désignation d'expert et que le juge de première instance était compétent pour autoriser l'expert à vérifier la continuation de la contrefaçon déjà constatée par le juge du fond ou l'existence d'un maquillage de cette contrefaçon. Cette compétence est en effet du ressort exclusif du juge de l'exécution, en l'espèce le juge des saisies. La demande de la [défenderesse] visant une demande qui relève de la compétence du juge de l'exécution n'était donc pas de la compétence du premier juge.

Le jugement rendu au fond sur la contrefaçon exclut en conséquence la compétence du premier juge. En admettant cette compétence, l'arrêt viole dès lors les articles 1395, 1396 et 1498 du Code judiciaire.

Deuxième branche

L'article 1369bis/1, § 1er, du Code judiciaire dispose que: “Les personnes qui, aux termes d'une loi relative aux brevets d'invention, certificats complémentaires de protection, droit d'obtenteur, topographies de produits semi-conducteurs, dessins et modèles, marques, indications géographiques, appellations d'origine, droit d'auteur, droits voisins ou droit des producteurs de bases de données, sont habilitées à agir en contrefaçon, peuvent, avec l'autorisation, obtenue sur requête, du président du tribunal de commerce ou du président du tribunal de première instance, dans les matières qui sont respectivement de la compétence de ces tribunaux, faire procéder en tous lieux, par un ou plusieurs experts que désignera ce magistrat, à la description de tous les objets, éléments, documents ou procédés de nature à établir la contrefaçon prétendue ainsi que l'origine, la destination et l'ampleur de celle-ci.” Le Code judiciaire dispose ainsi qu'une saisie-description vise à récolter des preuves permettant d'établir une contrefaçon.

Les articles 1025 à 1034 du même code règlent la saisine d'une juridiction par voie de requête unilatérale. Il est constant que cette procédure, contrariant les principes généraux du droit relatifs au respect des droits de la défense et au caractère contradictoire de l'instance, ne peut être utilisée que dans les cas expressément prévus par la loi.

De plus, l'article 1369bis du Code judiciaire réglemente la procédure de saisie-description avec l'objectif que celle-ci permette de récolter la preuve d'une contrefaçon, et en particulier de son origine, de sa destination et de son ampleur, qui reste, par ailleurs, à établir devant les juridictions du fond. Cette procédure, peu respectueuse des droits de la défense et du principe du contradictoire, ne peut donc pas être appliquée dans l'hypothèse, non prévue par la loi, où la contrefaçon est déjà établie.

L'arrêt, décidant que “l'intentement préalable de la procédure au fond, par ailleurs actuellement au stade de l'appel, ne peut pas davantage, comme tel, faire obstacle à la mesure sollicitée, la loi ne l'interdisant pas”, néglige la circonstance - très différente du fait qu'une action a été intentée - qu'un jugement sur le fond du litige, étant le jugement prononcé le 15 novembre 2006, a déjà été prononcé qui, constatant l'existence d'une contrefaçon, fixe la réalité judiciaire à laquelle les deux parties doivent se soumettre.

Par conséquent, en disposant que la loi n'interdit pas une mesure de saisie-description dans le cas où une décision exécutoire par provision, et qui considère comme établie la contrefaçon, a déjà été rendue au fond, l'arrêt viole l'article 1369bis/1, § 3, qui dispose que la procédure de saisie-description vise à récolter des preuves en vue d'établir une contrefaçon, ce qui est déjà fait dans le cas d'espèce. En appliquant à tort les articles 1025 à 1034 du Code judiciaire, régissant la requête unilatérale, l'arrêt viole aussi ces règles légales.

Troisième branche

L'arrêt décide que “l'intentement préalable de la procédure au fond, par ailleurs actuellement au stade de l'appel, ne peut pas davantage, comme tel, faire obstacle à la mesure sollicitée, la loi ne l'interdisant pas”.

Outre que cette décision néglige la circonstance, très différente du fait qu'une action a été intentée, qu'un jugement sur le fond du litige a déjà été rendu qui, constatant l'existence d'une contrefaçon, fixe la réalité judiciaire à laquelle les deux parties doivent se soumettre, l'arrêt ne répond pas, de la sorte, aux moyens de la demanderesse énonçant que, puisqu'une décision au fond a été rendue à propos d'une partie des actes de contrefaçon pour lesquels la [défenderesse] postule une mesure de saisie-description, seul le juge de l'exécution est compétent.

A tout le moins, l'arrêt, se référant implicitement aux conclusions de la demanderesse, leur impute une énonciation selon laquelle l'intentement préalable d'une procédure au fond ne fait pas obstacle à la mesure sollicitée, qui ne s'y trouve pas, et contredit une énonciation qui s'y trouve, selon laquelle une décision au fond fait obstacle à la compétence du président du tribunal de commerce.

Il viole ainsi l'article 149 de la Constitution.

Second moyen
Dispositions légales violées

- principe général du droit selon lequel nul ne peut abuser de son droit;

- article 149 de la Constitution.

Décisions et motifs critiqués

L'arrêt décide que ne constitue pas un abus de droit dans le chef de la défenderesse le fait de recourir à une troisième procédure de saisie-description, alors que d'autres voies de droit plus respectueuses des droits de la défense étaient disponibles.

Il justifie cette décision par tous ses motifs réputés ici intégralement reproduits et en particulier par la considération, en substance, que:

“C'est également vainement que [la demanderesse] reproche à [la défenderesse] de recourir abusivement à la procédure de saisie-description (laquelle implique la saisine du tribunal par voie de requête unilatérale sans devoir satisfaire aux conditions imposées par le droit commun et le respect du principe du contradictoire) et de porter atteinte à la loyauté qui s'impose aux parties dans le déroulement de l'instruction du procès civil.

Le seul fait que [la défenderesse] dispose d'alternatives à la saisie-description ne fait pas en soi obstacle à cette mesure prévue par le Code judiciaire, ni ne la rend déloyale, ni ne prive [la défenderesse] de son intérêt à agir.

Au regard des éléments de la cause, il ne peut être conclu à un abus de droit ou un détournement de procédure.”

Griefs
Première branche

Il est constant que, pour déterminer s'il y a abus de droit, le juge doit, dans l'appréciation des intérêts en présence, tenir compte de toutes les circonstances de la cause. Il est de plus constant que l'appréciation par le juge des avantages respectifs des parties doit pouvoir se déduire des énonciations formulées par lui.

L'existence de l'abus de droit suppose qu'il soit constaté, soit que le droit est exercé alors que l'avantage que l'on en retire est hors de toute proportion avec le préjudice que l'on cause à autrui, soit qu'entre plusieurs manières d'exercer un droit, le titulaire du droit choisit la manière la plus dommageable pour autrui sans que ce choix soit justifié par un intérêt suffisant dans son chef. Enfin, il peut y avoir abus d'un droit même lorsque celui-ci se fonde sur la loi et est revendiqué par la voie d'une procédure régulière. L'absence de l'abus de droit, invoquée par une partie sur la base de ces constatations, implique que le juge constate que ces circonstances ne sont pas établies.

La demanderesse énonçait dans ses conclusions que:

“Pour se réserver la preuve d'un défaut (allégué) d'exécution d'un jugement, obtenir la désignation d'un expert judiciaire et d'un expert judiciaire de son choix, faire remettre à ce dernier des éléments et en obtenir une description éclairée susceptible de faire foi et autorité devant les tribunaux, [la défenderesse] a usé de la technique procédurale de la saisie-description qui lui permettait d'introduire la procédure par voie de requête unilatérale mais sans devoir satisfaire aux conditions imposées par le droit commun pour user de cette voie et sans devoir surtout respecter le principe du contradictoire. [La défenderesse], qui pouvait user d'autres voies moins préjudiciables pour la défense, a ainsi fait preuve d'un comportement qui a porté atteinte à la loyauté qui s'impose aux parties dans le déroulement de l'instruction du procès civil et qui doit conduire les parties à ce procès à respecter l'égalité des armes et son corollaire naturel, le principe de contradiction. Cette violation des grands principes affecte bien évidemment la validité de l'ordonnance rendue qui doit dès lors être rapportée pour cette raison également.”

L'arrêt n'a pu légalement décider, sur la base des énonciations qu'il contient, que la défenderesse n'avait pas commis d'abus de droit. Il viole ainsi le principe général prohibant l'abus de droit. A tout le moins, ne contient-il pas les constatations nécessaires pour que la Cour puisse vérifier la légalité de cette décision, puisqu'il se limite à constater, sans les préciser, qu' “au regard des éléments de la cause, il ne peut être conclu à un abus de droit ou un détournement de procédure”. Il viole ainsi l'article 149 de la Constitution.

Seconde branche

L'arrêt ne répond pas aux conclusions de la demanderesse et, dès lors, viole l'article 149 de la Constitution en ce que, pour rejeter le moyen de défense opposé par la [demanderesse] à la demande, il se borne à considérer que “le seul fait que le demandeur dispose d'alternatives à la saisie-description ne fait pas en soi obstacle à cette mesure prévue par le Code judiciaire, ni ne la rend déloyale, ni ne prive [la défenderesse] de son intérêt à agir”, alors que les conclusions de la demanderesse exposaient de manière détaillée que, dans les circonstances de fait propres à la cause, “un expert désigné dans le cadre d'une mesure contradictoire de droit commun est parfaitement en mesure de déterminer s'il a été mis fin à l'acte de contrefaçon et, si oui, à quelle date. L'informatique laisse en effet toujours des traces et, pour cette raison, rien ne justifie qu'un expert désigné unilatéralement parvienne à mieux achever sa mission qu'un expert désigné dans le cadre d'une procédure contradictoire”, pour en déduire qu'entre plusieurs manières d'exercer un droit, le titulaire du droit ayant choisi la manière la plus dommageable pour autrui sans que ce choix soit justifié par un intérêt suffisant dans son chef adopte un comportement qui constitue un abus de droit.

Il viole de la sorte l'article 149 de la Constitution.

III. La décision de la Cour
Sur le premier moyen
Quant à la première branche

En vertu de l'article 1369bis /1, § 1er, du Code judiciaire, les personnes habilitées à agir en contrefaçon peuvent, avec l'autorisation, obtenue sur requête, du président du tribunal de commerce ou du tribunal de première instance, faire procéder à la description de tous objets, éléments, documents ou procédés de nature à établir la contrefaçon prétendue ainsi que l'origine, la destination et l'ampleur de celle-ci.

L'arrêt énonce, d'une part, qu' “il ne peut être exclu [...] que [la demanderesse] tente en réalité de faire disparaître les indices d'une contrefaçon et non à expurger des données contrefaisantes et commette concomitamment de nouveaux actes de contrefaçon”, que, “s'agissant [...] d'une base de données en ligne [...], chaque acte d'utilisation des données d'origine InfoBase est susceptible de constituer un nouvel acte de contrefaçon”, qu' “il importe dès lors de vérifier quelle est la situation en 2008”, et, d'autre part, que la défenderesse “ne dispose pas de la description des données, qu'elle qualifie de contrefaites, sous leur présentation actuelle [alors qu'] il ne peut être exclu que la [demanderesse] se fonde sur la nouvelle apparence de sa base de données, qu'elle affirme avoir modifiée, pour conclure à l'absence de contrefaçon” et que la mesure de saisie-description demandée “est également de nature à permettre à [la défenderesse] d'établir devant le juge du fond l'ampleur de la contrefaçon alléguée et du préjudice qui y est lié”.

Il considère ainsi que la mesure d'expertise est demandée en vue d'établir, non l'inexécution par la demanderesse du jugement du 15 novembre 2006 constatant l'existence d'actes de contrefaçon, mais la commission par la demanderesse de nouveaux actes de contrefaçon constituant une atteinte actuelle aux droits de propriété intellectuelle de la défenderesse ainsi que l'ampleur de la contrefaçon alléguée et du préjudice qui y est lié.

L'arrêt en déduit légalement que le premier juge était compétent pour connaître de la demande de saisie-description.

Le moyen, en cette branche, ne peut être accueilli.

Quant à la deuxième branche

Aucune des dispositions visées au moyen n'interdit au juge de faire droit à une demande de saisie-description, formée par requête unilatérale, portant sur de nouvelles contrefaçons ou permettant d'établir l'ampleur de la contrefaçon alléguée et du préjudice qui y est lié, dans le cas où, comme en l'espèce, une procédure au fond a déjà été intentée par la partie demanderesse et où un jugement, par ailleurs frappé d'appel, a déjà constaté l'existence de certaines contrefaçons.

Le moyen qui, en cette branche, soutient le contraire, manque en droit.

Quant à la troisième branche

Le moyen qui, en cette branche, fait grief à l'arrêt de violer la foi due aux conclusions de la demanderesse mais omet d'invoquer la violation des articles 1319, 1320 et 1322 du Code civil, est, dans cette mesure, comme le soutient la défenderesse, irrecevable.

Par les motifs reproduits en réponse à la première branche du moyen et par la considération que “c'est en vain que [la demanderesse] soutient que le président du tribunal de commerce n'était et n'est pas compétent pour statuer sur l'objet réel de [la] demande”, l'arrêt répond aux conclusions de la demanderesse qui invoquait la compétence exclusive du juge de l'exécution dès lors qu'une décision au fond avait déjà été rendue constatant l'existence d'une contrefaçon.

Dans la mesure où il est recevable, le moyen, en cette branche, manque en fait.

Sur le second moyen
Quant aux deux branches réunies

L'arrêt considère que “c'est également vainement que [la demanderesse] reproche à [la défenderesse] de recourir abusivement à la procédure de saisie-description”, que “le seul fait que [la défenderesse] dispose d'alternatives à la saisie-description ne fait pas en soi obstacle à cette mesure prévue par le Code judiciaire ni ne la rend déloyale ou ne prive [la défenderesse] de son intérêt à agir” et qu' “au regard des éléments de la cause, il ne peut être conclu à un abus de droit ou à un détournement de la procédure”.

Il considère, lors de l'examen des éléments de la cause, qu'il existe des indices suffisants d'une atteinte actuelle aux droits de propriété intellectuelle de la défenderesse, que l'intérêt à agir de celle-ci est toujours actuel et qu'il est légitime. Il relève plus particulièrement que “les accusations de [la demanderesse] d'espionnage industriel ne reposent [...] sur aucune preuve. Ni la taille de [la défenderesse] ni le nombre de saisies-descriptions, du reste autorisées par les juridictions saisies à cet effet, ne permettent de présumer de l'existence dans le chef de [la défenderesse] d'une telle politique”, qu' “à l'origine, c'est [la défenderesse] qui se plaint d'être victime d'une contrefaçon de sa base de données” et que “la question du secret des affaires a été envisagée par le législateur [...] et sera examinée ci-après”.

Il apprécie ainsi les intérêts en présence et recherche, compte tenu de toutes les circonstances de la cause, si, en introduisant sa demande de saisie-description par requête unilatérale, la défenderesse n'exerce pas son droit sans intérêt raisonnable et suffisant, d'une manière qui excéderait manifestement les limites de l'exercice normal de ses droits par une personne prudente et diligente.

Sur la base de cette appréciation qui gît en fait, l'arrêt, qui répond aux conclusions de la demanderesse qui soutenait que la défenderesse avait choisi la manière d'agir la plus dommageable pour autrui en demandant la désignation d'un expert au terme d'une procédure unilatérale, motive régulièrement et justifie légalement sa décision que la défenderesse n'a pas commis d'abus de droit.

Le moyen ne peut être accueilli.

Par ces motifs,

La Cour

Rejette le pourvoi;

condamne la demanderesse aux dépens.

Les dépens taxés à la somme de 725,22 EUR envers la partie demanderesse et à la somme de 165,79 EUR envers la partie défenderesse.

(…)

Note / Noot

Cet arrêt rejette le pourvoi en cassation contre Bruxelles 14 juillet 2008, annoté par T. De Haen, “Le pouvoir du juge sur les mesures de description dans le cadre de la saisie en matière de contrefaçon”, RDC 2009, p. 413 .