Article

Cour de justice de l'Union européenne, 11/03/2010, R.D.C.-T.B.H., 2010/7, p. 671-673

Cour de justice de l'Union européenne ('CJUE') 11 mars 2010

CONCURRENCE
Concurrence - Aide d'état - Obligation de notification - Aide illégale - Aide compatible - Pouvoirs et obligations du juge national
La Cour de justice clarifie dans deux arrêts les pouvoirs et obligations du juge national par rapport au rôle de la Commission européenne en matière de contrôle d'aides d'Etat. En présence d'une décision de la Commission déclarant compatible une aide octroyée illégalement ('aide illégale' car non notifiée au préalable à la Commission), le droit européen n'oblige pas le juge national à ordonner la récupération de l'aide illégale mais seulement le paiement d'intérêts d'illégalité couvrant la période pendant laquelle l'aide a été octroyée illégalement de manière anticipative. En revanche, si la décision de compatibilité de la Commission est annulée lorsque le juge national est appelé à statuer, il ne peut pas surseoir à statuer en attendant une éventuelle nouvelle décision positive de la Commission. Dans ce cas, le juge national est obligé de statuer immédiatement et d'ordonner la récupération, avec intérêts, de l'aide illégale même si celle-ci devait être, par la suite, déclarée compatible par la Commission.
MEDEDINGING
Mededinging - Staatssteun - Aanmeldingsplicht - Onwettige steun - Verenigbare steun - Bevoegdheden van de nationale rechter
Het Hof van Justitie verduidelijkt in twee arresten de rechten en plichten van de nationale rechter in het kader van het toezicht op staatssteun. Indien de Commissie een onwettig toegekende steun (het gaat om 'onwettige staatssteun' omdat die niet voorafgaand bij de Commissie is aangemeld) verenigbaar met de markt verklaart, verplicht het Europees recht de nationale rechter niet om de terugvordering van de onwettige steun te gelasten. Hij moet enkel de betaling bevelen van de interesten voor de periode vanaf de (onrechtmatige) toekenning van de steun tot de beslissing van de Europese Commissie. Indien de beslissing van de Commissie die de steun verenigbaar verklaart wordt vernietigd op een moment dat de zaak nog hangende is voor de nationale rechter, mag deze laatste de zaak niet opschorten in afwachting van een eventuele nieuwe beslissing van de Commissie. In dat geval is de nationale rechter er integendeel toe verplicht om zich onmiddellijk uit te spreken over de terugvordering van de onwettig toegekende steun (vermeerderd met de interesten), zelfs indien die de Commissie de steun in een latere fase alsnog verenigbaar zou verklaren.

Centre d'exportation du livre français (CELF) et ministre de la Culture et de la Communication / Société internationale de diffusion et d'édition (SIDE)

Siég.: J. C. Bonichot (président de la 4ème chambre), C. Toader, K. Schiemann, P. Küris et L. Bay Larsen, rapporteur (juges)
Avocat général: P. Cruz Villalon,
Pl.: Mes O. Schmitt, A. Tabouis et N. Coutrelis
Affaire : C-1/09

(…)

23. Par sa première question, la juridiction de renvoi demande si une juridiction nationale, saisie, sur le fondement de l'article 88, paragraphe 3, CE, d'une demande visant à la restitution d'une aide d'état illégale, peut surseoir à l'adoption de sa décision sur cette demande jusqu'à ce que la Commission se soit prononcée sur la compatibilité des aides avec le marché commun après l'annulation d'une précédente décision positive.

(…)

27. A cet égard, la Cour a déjà jugé en substance, dans l'arrêt du 11 juillet 1996, SFEI e.a. (C-39/94, Rec., p. I-3547, points 44 et 50 à 53), que:

- l'ouverture par la Commission d'une procédure d'examen ne saurait décharger les juridictions nationales de leur obligation de sauvegarder les droits des justiciables en cas de violation de l'obligation de notification préalable;

- lorsqu'il est vraisemblable qu'un certain temps s'écoulera avant que la juridiction nationale statue définitivement, par exemple lorsqu'elle demande des éclaircissements à la Commission aux fins de l'interprétation de la notion d'aide d'état qu'elle peut être amenée à donner ou lorsqu'elle pose à la Cour une question préjudicielle, il lui appartient d'apprécier la nécessité d'ordonner des mesures provisoires afin de sauvegarder les intérêts des parties.

28. Elle a ainsi souligné l'obligation du juge national de ne pas différer l'examen des demandes de mesures de sauvegarde.

(…)

30. L'objet de la mission des juridictions nationales est, par conséquent, de prononcer les mesures propres à remédier à l'illégalité de la mise à exécution des aides, afin que le bénéficiaire ne conserve pas la libre disposition de celles-ci pour le temps restant à courir jusqu'à la décision de la Commission.

31. Une décision de sursis à statuer produirait, de facto, le même résultat qu'une décision de rejet de la demande de mesures de sauvegarde. Elle aboutirait, en effet, à ce qu'aucune décision sur le bien-fondé de cette demande ne soit prise avant la décision de la Commission. Elle reviendrait à maintenir le bénéfice d'une aide pendant la période d'interdiction de mise à exécution, ce qui serait incompatible avec l'objet même de l'article 88, paragraphe 3, CE et priverait cette disposition de son effet utile.

32. Dès lors, le juge national ne saurait surseoir à statuer, sauf à priver l'article 88, paragraphe 3, CE de son effet utile, en méconnaissance du principe d'effectivité des procédures nationales applicables.

33. L'annulation par le juge communautaire d'une première décision positive de la Commission ne saurait justifier une solution différente, qui serait inspirée par la considération selon laquelle, dans ce cas, l'aide pourrait ultérieurement être à nouveau déclarée compatible par la Commission.

34. En effet, l'objectif de l'article 88, paragraphe 3, CE est clairement inspiré par la considération selon laquelle, jusqu'à l'adoption par la Commission d'une nouvelle décision, le contenu positif de celle-ci ne peut être préjugé.

35. L'obligation de statuer sans attendre sur la demande de mesures de sauvegarde n'impose pas à la juridiction saisie d'adopter effectivement de telles mesures.

36. Une obligation d'adopter des mesures de sauvegarde n'existe que si les conditions justifiant de telles mesures sont réunies, à savoir si la qualification d'aide d'état ne fait pas de doute, si l'aide est sur le point d'être ou a été mise à exécution et si ne sont pas constatées des circonstances exceptionnelles rendant inappropriée une récupération. Si ces conditions ne sont pas réunies, la juridiction nationale doit rejeter la demande.

37. Lorsqu'il statue sur la demande, le juge national peut ordonner ou bien la restitution des aides avec intérêts, ou bien, par exemple, ainsi que l'a suggéré la Commission au point 62 de sa communication 2009/C 85/01 relative à l'application des règles en matière d'aides d'état par les juridictions nationales (JO 2009, C 85, p. 1), le versement des fonds sur un compte bloqué, afin que le bénéficiaire n'en conserve pas la disposition, sans préjudice du paiement d'intérêts pour la période comprise entre la mise en oeuvre anticipée de l'aide et son versement sur ce compte bloqué.

38. En revanche, l'obligation de 'standstill' édictée à l'article 88, paragraphe 3, CE ne serait pas respectée, à ce stade, par une simple condamnation au paiement d'intérêts sur des sommes qui demeureraient dans les comptes de l'entreprise. En effet, il n'est nullement acquis qu'une entreprise ayant perçu illégalement une aide d'état aurait pu, à défaut, obtenir un prêt d'égal montant auprès d'un établissement financier aux conditions normales du marché et ainsi disposer dudit montant antérieurement à la décision de la Commission.

39. En définitive, l'obligation première du juge national est de statuer, positivement ou négativement.

40. Il convient donc de répondre à la première question qu'une juridiction nationale, saisie, sur le fondement de l'article 88, paragraphe 3, CE, d'une demande visant à la restitution d'une aide d'état illégale, ne peut pas surseoir à l'adoption de sa décision sur cette demande jusqu'à ce que la Commission se soit prononcée sur la compatibilité de l'aide avec le marché commun après l'annulation d'une précédente décision positive.

41. Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l'adoption par la Commission de trois décisions successives déclarant une aide compatible avec le marché commun, qui ont ensuite été annulées par le juge communautaire, est, en soi, susceptible de constituer une circonstance exceptionnelle de nature à justifier une limitation de l'obligation du bénéficiaire de restituer cette aide, lorsque celle-ci a été mise à exécution en méconnaissance de l'article 88, paragraphe 3, CE.

42. Il convient de rappeler que, dans l'arrêt CELF I, la Cour a réservé la possibilité de prendre en compte des circonstances exceptionnelles lors de l'examen de l'étendue de l'obligation de remédier à l'illégalité d'une aide, y compris lorsque cette obligation est limitée au versement d'intérêts.

(…)

47. L'articulation de cette motivation était ainsi de nature à suggérer que trois décisions positives suivies de recours en annulation exercés dans les délais, dont les deux premiers avaient été accueillis et le troisième était encore pendant, n'étaient pas constitutives d'une circonstance exceptionnelle.

48. Le libellé de la seconde question posée dans la présente affaire fait apparaître que la juridiction de renvoi envisage, au contraire, qu'une succession de trois décisions positives pourrait constituer une circonstance exceptionnelle.

49. Or, à la date du prononcé de l'arrêt CELF I, les trois décisions positives de la Commission avaient déjà été adoptées.

50. Un seul événement nouveau s'est produit avant le second arrêt de renvoi, à savoir l'annulation de la troisième décision positive par l'arrêt du tribunal du 15 avril 2008, SIDE / Commission, précité.

51. Un tel événement n'est pas, en soi, de nature à faire naître une confiance légitime et à constituer une circonstance exceptionnelle. En effet, la succession peu courante de trois annulations traduit, a priori, la difficulté de l'affaire et, loin de faire naître une confiance légitime, apparaît plutôt de nature à accroître les doutes du bénéficiaire quant à la compatibilité de l'aide litigieuse.

52. Il peut, certes, être admis qu'une succession de trois recours aboutissant à trois annulations caractérise une situation très rare. De telles circonstances s'inscrivent néanmoins dans le fonctionnement normal du système juridictionnel, lequel offre aux sujets de droit estimant subir les conséquences de l'illégalité d'une aide la possibilité d'agir en annulation de décisions successives qu'ils considèrent être à l'origine de cette situation.

53. Dans une situation telle que celle de l'affaire au principal, l'existence d'une circonstance exceptionnelle ne saurait davantage être retenue au regard du principe de sécurité juridique, la Cour ayant déjà jugé, en substance, que, aussi longtemps que la Commission n'a pas pris une décision d'approbation et que le délai de recours contre une telle décision n'est pas expiré, le bénéficiaire n'a pas de certitude quant à la légalité de l'aide, de sorte que ne peuvent être invoqués ni le principe de protection de la confiance légitime ni celui de sécurité juridique (voir arrêt du 29 avril 2004, C-91/01, Italie / Commission, Rec., p. I-4355, points 66 et 67).

54. Dans une situation telle que celle de l'affaire au principal, l'existence d'une circonstance exceptionnelle ne peut, enfin, être retenue au regard du principe de proportionnalité. En effet, la suppression d'une aide illégale par voie de récupération est la conséquence logique de la constatation de son illégalité, de sorte que la récupération de cette aide, en vue du rétablissement de la situation antérieure, ne saurait, en principe, être considérée comme une mesure disproportionnée par rapport aux objectifs des dispositions du traité CE en matière d'aides d'état (voir, notamment, arrêt du 29 avril 2004, C-298/00 P, Italie / Commission, Rec., p. I-4087, point 75 et jurisprudence citée).

55. Il y a donc lieu de répondre à la seconde question que l'adoption par la Commission de trois décisions successives déclarant une aide compatible avec le marché commun, qui ont ensuite été annulées par le juge communautaire, n'est pas, en soi, susceptible de constituer une circonstance exceptionnelle de nature à justifier une limitation de l'obligation du bénéficiaire de restituer cette aide, lorsque celle-ci a été mise à exécution en méconnaissance de l'article 88, paragraphe 3, CE.

(…)