Article

Cour de justice de l'Union européenne, 12/02/2008, R.D.C.-T.B.H., 2010/7, p. 667-670

Cour de justice de l'Union européenne ('CJUE') 12 février 2008

CONCURRENCE
Concurrence - Aide d'Etat - Obligation de notification - Aide illégale - Aide compatible - Pouvoirs et obligations du juge national
La Cour de justice clarifie dans deux arrêts les pouvoirs et obligations du juge national par rapport au rôle de la Commission européenne en matière de contrôle d'aides d'Etat. En présence d'une décision de la Commission déclarant compatible une aide octroyée illégalement ('aide illégale' car non notifiée au préalable à la Commission), le droit européen n'oblige pas le juge national à ordonner la récupération de l'aide illégale mais seulement le paiement d'intérêts d'illégalité couvrant la période pendant laquelle l'aide a été octroyée illégalement de manière anticipative. En revanche, si la décision de compatibilité de la Commission est annulée lorsque le juge national est appelé à statuer, il ne peut pas surseoir à statuer en attendant une éventuelle nouvelle décision positive de la Commission. Dans ce cas, le juge national est obligé de statuer immédiatement et d'ordonner la récupération, avec intérêts, de l'aide illégale même si celle-ci devait être, par la suite, déclarée compatible par la Commission.
MEDEDINGING
Mededinging - Staatssteun - Aanmeldingsplicht - Onwettige steun - Verenigbare steun - Bevoegdheden van de nationale rechter
Het Hof van Justitie verduidelijkt in twee arresten de rechten en plichten van de nationale rechter in het kader van het toezicht op staatssteun. Indien de Commissie een onwettig toegekende steun (het gaat om 'onwettige staatssteun' omdat die niet voorafgaand bij de Commissie is aangemeld) verenigbaar met de markt verklaart, verplicht het Europees recht de nationale rechter niet om de terugvordering van de onwettige steun te gelasten. Hij moet enkel de betaling bevelen van de interesten voor de periode vanaf de (onrechtmatige) toekenning van de steun tot de beslissing van de Europese Commissie. Indien de beslissing van de Commissie die de steun verenigbaar verklaart wordt vernietigd op een moment dat de zaak nog hangende is voor de nationale rechter, mag deze laatste de zaak niet opschorten in afwachting van een eventuele nieuwe beslissing van de Commissie. In dat geval is de nationale rechter er integendeel toe verplicht om zich onmiddellijk uit te spreken over de terugvordering van de onwettig toegekende steun (vermeerderd met de interesten), zelfs indien die de Commissie de steun in een latere fase alsnog verenigbaar zou verklaren.
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Centre d'exportation du livre français (CELF) et ministre de la Culture et de la Communication / Société internationale de diffusion et d'édition (SIDE)

Siég.: V. Skouris (président), P. Jann, C.W.A. Timmermans, A. Rosas, K. Lenaerts, G. Arestis, U. Lõhmus et L. Bay Larsen, rapporteur (présidents de chambre), A. Borg Barthet, M. Ilesic, J. Malenovsky, J. Klucka et E. Levits (juges)
Avocat général: J. Mazak
Pl.: Mes J. Molinié, O. Schmitt, P. Guibert, A. Tabouis et N. Coutrelis, V. Giacobbo et P. Biering, K. Lundgaard Hansen
Affaire : C-199/06

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7. De 1980 à 2002, le CELF a bénéficié de subventions d'exploitation accordées par l'Etat français pour compenser le surcoût de traitement des petites commandes passées par les libraires établis à l'étranger.

8. Au cours de l'année 1992, la SIDE, concurrente du CELF, a demandé à la Commission des Communautés européennes si les aides accordées à celui-ci avaient ou non été notifiées conformément à l'article 93, paragraphe 3, du traité CE (devenu art. 88, par. 3, CE).

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10. Elle a confirmé à la SIDE l'existence d'aides et l'a informée que les mesures en cause n'avaient pas été notifiées.

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“1) En premier lieu, l'article 88 [CE] permet-il à un état dont une aide à une entreprise est illégale, illégalité constatée par les juridictions de cet état en raison de ce que cette aide n'a pas fait l'objet d'une notification préalable à la Commission […] dans les conditions prévues à ce même article 88, paragraphe 3, de ne pas récupérer cette aide auprès de l'opérateur économique qui en a été le bénéficiaire en raison de ce que la Commission, saisie par un tiers, a déclaré l'aide compatible avec les règles du marché commun et a, ainsi, assuré de manière effective le contrôle exclusif qu'elle exerce sur cette compatibilité?

2) En second lieu, si cette obligation de restitution est confirmée, y a-t-il lieu de tenir compte, dans le calcul du montant des sommes à restituer, des périodes pendant lesquelles l'aide en cause a été déclarée compatible avec les règles du marché commun par la Commission […] avant que ces décisions ne fassent l'objet d'une annulation par le tribunal de première instance des Communautés européennes?”

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36. L'interdiction prévue par cette disposition vise à garantir que les effets d'une aide ne se produisent pas avant que la Commission n'ait eu un délai raisonnable pour examiner le projet en détail et, le cas échéant, entamer la procédure prévue au paragraphe 2 du même article (arrêt du 14 février 1990, C-301/87, France / Commission, dit 'Boussac Saint Frères', Rec., p. I-307, point 17).

37. L'article 88, paragraphe 3, CE institue ainsi un contrôle préventif sur les projets d'aides nouvelles (arrêt du 11 décembre 1973, n° 120/73, Lorenz, Rec., p. 1471, point 2).

38. Alors que la Commission est tenue d'examiner la compatibilité de l'aide projetée avec le marché commun, même dans le cas où l'Etat membre méconnaît l'interdiction de mise à exécution des mesures d'aide, les juridictions nationales ne font que sauvegarder, jusqu'à la décision finale de la Commission, les droits des justiciables face à une méconnaissance éventuelle, par les autorités étatiques, de l'interdiction visée à l'article 88, paragraphe 3, CE (arrêt du 21 novembre 1991, C-354/90, Fédération nationale du commerce extérieur des produits alimentaires et Syndicat national des négociants et transformateurs de saumon, dit ' FNCE ', Rec., p. I-5505, point 14). Il importe, en effet, de protéger les parties affectées par la distorsion de concurrence engendrée par l'octroi de l'aide illégale (voir, en ce sens, arrêt du 5 octobre 2006, C-368/04, Transalpine Ölleitung in Österreich e.a., Rec., p. I-9957, point 46).

39. Les juridictions nationales doivent, en principe, faire droit à une demande de remboursement des aides versées en violation de l'article 88, paragraphe 3, CE (voir, notamment, arrêt du 11 juillet 1996, C-39/94, SFEI e.a., Rec., p. I-3547, point 70).

40. En effet, la décision finale de la Commission n'a pas pour conséquence de régulariser, a posteriori, les actes d'exécution qui étaient invalides du fait qu'ils avaient été pris en méconnaissance de l'interdiction visée par cet article. Toute autre interprétation conduirait à favoriser l'inobservation, par l'Etat membre concerné, du paragraphe 3, dernière phrase, de l'article 88 CE et le priverait de son effet utile (arrêt FNCE, précité, point 16).

41. Les juridictions nationales doivent donc garantir que toutes les conséquences d'une violation de l'article 88, paragraphe 3, dernière phrase, CE seront tirées, conformément à leur droit national, en ce qui concerne tant la validité des actes d'exécution des mesures d'aide que le recouvrement des soutiens financiers accordés au mépris de cette disposition (arrêts précités FNCE, point 12 et SFEI e.a., point 40, ainsi que arrêts du 21 octobre 2003, C-261/01 et C-262/01, van Calster e.a., Rec., p. I-12249, point 64 et Transalpine Ölleitung in Österreich e.a., précité, point 47).

42. Toutefois, des circonstances exceptionnelles peuvent se présenter, dans lesquelles il serait inapproprié d'ordonner le remboursement de l'aide (arrêt SFEI e.a., précité, point 70).

43. A cet égard, la Cour a déjà jugé, à propos d'une situation dans laquelle la Commission avait adopté une décision finale négative, que la possibilité, pour le bénéficiaire d'une aide illégale, d'invoquer des circonstances exceptionnelles, qui ont légitimement pu fonder sa confiance dans le caractère régulier de cette aide, et de s'opposer, par conséquent, à son remboursement ne saurait être exclue. Dans un tel cas, il appartient au juge national, éventuellement saisi, d'apprécier, le cas échéant après avoir posé à la Cour des questions préjudicielles d'interprétation, les circonstances de la cause (arrêt du 20 septembre 1990, C-5/89, Commission / Allemagne, Rec., p. I-3437, point 16).

44. En ce qui concerne la Commission, l'article 14, paragraphe 1, du règlement n° 659/1999 du Conseil du 22 mars 1999, portant modalités d'application de l'article [88 CE] (JO L 83, p. 1), prévoit expressément que, en cas de décision négative, elle n'exige pas la récupération de l'aide si, ce faisant, elle allait à l'encontre d'un principe général de droit communautaire.

45. Dans une situation telle que celle du litige au principal, où une demande fondée sur l'article 88, paragraphe 3, dernière phrase, CE est examinée après que la Commission a adopté une décision positive, le juge national, nonobstant la constatation de la compatibilité avec le marché commun de l'aide en cause, doit statuer sur la validité des actes d'exécution et sur le recouvrement des soutiens financiers accordés.

46. Dans un tel cas, le droit communautaire lui impose d'ordonner les mesures propres à remédier effectivement aux effets de l'illégalité. Cependant, même en l'absence de circonstances exceptionnelles, il ne lui impose pas une obligation de récupération intégrale de l'aide illégale.

47. En effet, l'article 88, paragraphe 3, dernière phrase, CE est fondé sur l'objectif conservatoire de garantir qu'une aide incompatible ne sera jamais mise à exécution. Cet objectif est atteint dans un premier temps, provisoirement, au moyen de l'interdiction qu'elle édicte, et, dans un second temps, définitivement, au moyen de la décision finale de la Commission, qui, lorsqu'elle est négative, fait obstacle pour l'avenir à la mise en oeuvre du projet d'aide notifié.

48. La prévention ainsi organisée vise donc à ce que seules des aides compatibles soient mises à exécution. Afin de réaliser cet objectif, la mise en oeuvre d'un projet d'aide est différée jusqu'à ce que le doute sur sa compatibilité soit levé par la décision finale de la Commission.

49. Lorsque la Commission adopte une décision positive, il apparaît alors que l'objectif visé aux points 47 et 48 du présent arrêt n'a pas été contredit par le versement prématuré de l'aide.

50. Dans ce cas, du point de vue des opérateurs autres que le bénéficiaire d'une telle aide, l'illégalité de celle-ci aura eu pour effet, d'une part, de les exposer au risque, en définitive non réalisé, d'une mise en oeuvre d'une aide incompatible et, d'autre part, de leur faire subir le cas échéant, plus tôt qu'ils ne l'auraient dû, en termes de concurrence, les effets d'une aide compatible.

51. Du point de vue du bénéficiaire de l'aide, l'avantage indu aura consisté, d'une part, dans le non-versement des intérêts qu'il aurait acquittés sur le montant en cause de l'aide compatible, s'il avait dû emprunter ce montant sur le marché dans l'attente de la décision de la Commission, et, d'autre part, dans l'amélioration de sa position concurrentielle face aux autres opérateurs du marché pendant la durée de l'illégalité.

52. Dans une situation telle que celle du litige au principal, le juge national est donc tenu, en application du droit communautaire, d'ordonner au bénéficiaire de l'aide le paiement d'intérêts au titre de la période d'illégalité.

53. Dans le cadre de son droit national, il peut, le cas échéant, ordonner en outre la récupération de l'aide illégale, sans préjudice du droit de l'Etat membre de mettre celle-ci à nouveau à exécution, ultérieurement. Il peut également être amené à accueillir des demandes d'indemnisation de dommages causés en raison du caractère illégal de l'aide (voir, en ce sens, arrêts précités SFEI e.a., point 75 et Transalpine Ölleitung in Österreich e.a., point 56).

54. S'agissant de l'aide elle-même, il doit être ajouté qu'une mesure qui consisterait uniquement en une obligation de récupération sans intérêts ne serait pas propre, en principe, à remédier aux effets de l'illégalité dans l'hypothèse où l'Etat membre mettrait à nouveau à exécution ladite aide postérieurement à la décision finale positive de la Commission. En effet, dès lors que la période écoulée entre la récupération et la nouvelle mise à exécution serait inférieure à celle écoulée entre la première mise en oeuvre et la décision finale, le bénéficiaire de l'aide supporterait, s'il était amené à emprunter le montant restitué, des intérêts d'un montant moins élevé que ceux qu'il aurait acquittés si, dès l'origine, il avait dû emprunter l'équivalent de l'aide accordée illégalement.

55. Il convient donc de répondre à la première question posée que l'article 88, paragraphe 3, dernière phrase, CE doit être interprété en ce sens que le juge national n'est pas tenu d'ordonner la récupération d'une aide mise à exécution en méconnaissance de cette disposition, lorsque la Commission a adopté une décision finale constatant la compatibilité de ladite aide avec le marché commun au sens de l'article 87 CE. En application du droit communautaire, il est tenu d'ordonner au bénéficiaire de l'aide le paiement d'intérêts au titre de la période d'illégalité. Dans le cadre de son droit national, il peut, le cas échéant, ordonner en outre la récupération de l'aide illégale, sans préjudice du droit de l'Etat membre de mettre celle-ci à nouveau à exécution, ultérieurement. Il peut également être amené à accueillir des demandes d'indemnisation de dommages causés en raison du caractère illégal de l'aide.

(…)

57. Cette question concerne soit les aides éventuellement mises à exécution entre les deux dates en cause ainsi que les intérêts, si la conséquence tirée par le droit national de l'illégalité d'une aide, même dans l'hypothèse d'une constatation de la compatibilité de celle-ci avec le marché commun, est la récupération de ladite aide, soit les seuls intérêts des aides perçues pendant la même période, si la récupération d'une aide illégale compatible n'est pas prévue par le droit national.

(…)

59. La question posée met en présence, d'une part, le principe de la présomption de légalité des actes des institutions communautaires et, d'autre part, la règle édictée par l'article 231, 1er alinéa, CE.

60. La présomption de légalité des actes des institutions communautaires implique que ceux-ci produisent des effets juridiques aussi longtemps qu'ils n'ont pas été retirés, annulés dans le cadre d'un recours en annulation ou déclarés invalides à la suite d'un renvoi préjudiciel ou d'une exception d'illégalité (arrêt du 5 octobre 2004, C-475/01, Commission / Grèce, Rec., p. I-8923, point 18 et la jurisprudence citée).

61. En vertu de l'article 231, 1er alinéa, CE, lorsqu'un recours en annulation est fondé, le juge communautaire déclare nul et non avenu l'acte contesté. Il en résulte que la décision d'annulation du juge communautaire fait disparaître rétroactivement l'acte contesté à l'égard de tous les justiciables (arrêt du 1er juin 2006, C-442/03 P et C-471/03 P, P & O European Ferries (Vizcaya) et Diputación Foral de Vizcaya / Commission, Rec., p. I-4845, point 43).

62. Dans des circonstances telles que celles du litige au principal, la présomption de légalité et la règle de la rétroactivité d'une annulation s'appliquent successivement.

63. Les aides mises à exécution postérieurement à la décision positive de la Commission sont présumées légales jusqu'à la décision d'annulation du juge communautaire. Ensuite, à la date de cette dernière décision, conformément à l'article 231, 1er alinéa, CE, les aides en cause sont réputées ne pas avoir été déclarées compatibles par la décision annulée, de sorte que leur mise à exécution doit être considérée comme illégale.

64. Il apparaît ainsi que, dans ce cas, la règle résultant de l'article 231, 1er alinéa, CE met un terme, rétroactivement, à l'application de la présomption de légalité.

65. Après l'annulation d'une décision positive de la Commission, la possibilité, pour le bénéficiaire des aides illégalement mises à exécution, d'invoquer des circonstances exceptionnelles, qui ont légitimement pu fonder sa confiance dans leur caractère régulier, et de s'opposer, par conséquent, à leur remboursement ne saurait être exclue (voir, par analogie, arrêt Commission / Allemagne, précité, point 16, en ce qui concerne une décision finale négative de la Commission).

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68. Il doit être constaté que, pareillement, lorsqu'un recours en annulation a été introduit, le bénéficiaire ne peut nourrir une telle certitude tant que le juge communautaire ne s'est pas définitivement prononcé.

69. Il convient donc de répondre à la seconde question posée que, dans une situation procédurale telle que celle du litige au principal, l'obligation, résultant de l'article 88, paragraphe 3, dernière phrase, CE, de remédier aux effets de l'illégalité d'une aide s'étend également, aux fins du calcul des sommes à acquitter par le bénéficiaire, et sauf circonstances exceptionnelles, à la période écoulée entre une décision de la Commission constatant la compatibilité de cette aide avec le marché commun et l'annulation de ladite décision par le juge communautaire.

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