Article

Cour d'appel Bruxelles, 30/04/2009, R.D.C.-T.B.H., 2010/6, p. 525-531

Cour d'appel de Bruxelles 30 avril 2009

REFERE
Nature de la mesure - Intervention du juge en matière de contrats à durée déterminée - Astreinte - Conditions - Assurances - Assurance crédit - Réassurance obligations conventionnelles - Effets - Obligation de faire
Le juge des référés a le pouvoir d'ordonner provisoirement l'exécution d'une obligation litigieuse si, comme en l'espèce, le droit dont se prévaut la partie demanderesse ne fait pas l'objet d'un doute sérieux.
Le principe selon lequel le juge des référés 'statue au provisoire' a pour unique portée que sa décision n'est pas revêtue de l'autorité de la chose jugée à l'égard du juge du fond, qui ne sera en conséquence pas lié par ce qu'aura décidé le juge des référés. Il s'en déduit que le juge des référés peut ordonner la poursuite d'un contrat d'assurance crédit à durée déterminée, si les conditions de l'article 584 du Code judiciaire sont réunies. En effet, à supposer que le juge du fond soit amené à statuer après ordonnance de référé, rien n'empêche que le demandeur en référé répare le préjudice subi par équivalent et rembourse les indemnités perçues le cas échéant.
Il ne suffit pas, pour que le juge des référés puisse intervenir et prescrire des mesures conservatoires en matière contractuelle qu'il y ait urgence, apparence de droit et risque de subir un préjudice irréparable ou à tout le moins des inconvénients sérieux. Dans le cadre contractuel, l'intervention du juge n'est possible que si une partie au contrat commet une voie de fait ou si la décision de rupture est manifestement fautive.
Hormis le cas de la faute grave, la rupture avant terme d'un contrat à durée déterminée, comme en l'espèce, constitue une faute contractuelle, donnant au créancier de l'obligation inexécutée le choix entre l'exécution forcée de la convention et sa résolution, outre des dommages et intérêts. L'exécution en nature des obligations contractuelles constitue le mode normal d'exécution tant des obligations de faire que de celles de ne pas faire et le juge doit, en principe, ordonner l'exécution en nature si elle est demandée par le créancier.
Dans l'examen de la balance des intérêts, le juge des référés doit rechercher si l'absence de suite donnée à la demande aurait pour effet d'entraîner une perturbation plus grande que le préjudice éventuel créé par l'accueil de l'action, ce qui suppose la confrontation de deux préjudices éventuels et la prise en considération de la situation des parties et de leur comportement. En l'espèce, l'assureur tente de reporter sur l'assuré l'imprudence qu'il a commise en concluant un contrat de réassurance annuel pour un contrat d'assurance de trois ans et de faire supporter ainsi à l'assuré le risque qu'il court en raison des difficultés économiques actuelles, ce qui ne peut être admis.




KORT GEDING
Aard van de gevorderde maatregel - Tussenkomst van de rechter in overeenkomsten van bepaalde duur - Dwangsom - Voorwaarden - Verzekeringen - Kredietverzekering - Herverzekering - Verbintenissen uit een overeenkomst - Effect - Verbintenis om iets te doen
De rechter in kort geding heeft de macht om voorlopig de uitvoering van een litigieuze verbintenis te bevelen indien, zoals ter zake, het recht waarop eisende partij steunt niet serieus in twijfel kan worden getrokken.
Het principe volgens dewelke de kortgedingrechter uitspraak doet bij 'voorraad' heeft als enige betekenis dat zijn vonnis geen gezag van gewijsde heeft ten opzichte van de bodemrechter, die bijgevolg niet gebonden is door hetgeen de kortgedingrechter besluit. Hieruit volgt dat de kortgedingrechter de gedwongen uitvoering van een kredietverzekeringsovereenkomst van bepaalde duur kan bevelen indien de voorwaarden van artikel 584 van het Gerechtelijk Wetboek vervuld zijn. Inderdaad, indien men aanneemt dat de bodemrechter een vonnis zou vellen na beschikking in kort geding, staat niets in de weg dat de eiser in kort geding de berokkende schade in natura vergoedt en desgevallend de ontvangen vergoedingen terugbetaalt.
Opdat de rechter in kortgeding zou kunnen tussenkomen en voorlopige bewarende maatregelen zou kunnen bevelen in contractuele zaken volstaan urgentie, schijn van recht en risico voor onomkeerbare schade, of tenmiste op een serieus nadeel, niet. In contractuele zaken is de tussenkomst van de rechter slechts mogelijk in geval van een feitelijkheid gepleegd door één der partijen of wanneer de opzeggingsbeslissing kennelijk foutief is.
Buiten in geval van grove tekortkoming, is de vroegtijdige opzegging van een contract van bepaalde duur, zoals in onderhavige zaak, een contractuele fout, die aan de schuldeiser van de niet uitgevoerde verbintenis de keuze opent tussen gedwongen tenuitvoerlegging van de overeenkomst of de ontbinding ervan, meer schadevergoeding. De uitvoering in natura van contractuele verbintenissen is de normale wijze van uitvoering zowel van verbintenissen om iets te doen als van verbintenissen om iets niet te doen, en de rechter moet, in beginsel, de uitvoering in natura bevelen indien deze wordt gevorderd door de schuldeiser.
In het afwegen van de belangen van de partijen, dient de kortgedingrechter te onderzoeken of het niet inwilligen van de eis als effect zou hebben om een grotere perturbatie met zich mee te brengen dan de eventuele schade die zou worden geleden ter gelegenheid van het inwilligen van de eis, hetgeen veronderstelt dat twee eventuele schademogelijkheden worden vergeleken, waarbij de houding en de situatie van de partijen in acht moet worden genomen. Ter zake probeert de verzekeraar zijn eigen onvoorzichtigheid in het sluiten van een éénjarige herverzekeringsovereenkomst voor een verzekering van drie jaar te laten dragen door zijn verzekerde, en zo het risico die hij loopt door de actuele economische moeilijkheden op zijn verzekerde te laten rusten, hetgeen niet kan worden toegelaten.

SA A / SA B et SA C

Siég.: H. Mackelbert, M.-Fr. Carlier et M. Morts (conseillers)
I. Décision entreprise

L'appel est dirigé contre l'ordonnance prononcée contradictoirement le [...] décembre 2008 par le président du tribunal de commerce de Bruxelles, siégeant en référé.

Les parties ne produisent aucun acte de signification de cette ordonnance.

II. Procédure devant la cour

L'appel est formé par exploits d'huissier, signifiés les 20 et 22 janvier 2009 à la requête de A, [...] et déposé au greffe de la cour, le 27 janvier 2009.

Les appels incidents sont introduits par conclusions, déposées par B au greffe de la cour le 16 février 2009 et par C, le 23 février 2009.

La procédure est contradictoire.

Il est fait application de l'article 24 de la loi du 15 juin 1935 sur l'emploi des langues en matière judiciaire.

III. Faits et antécédents de la procédure

1. L'activité de A […] a pour objet l'affacturage des sociétés du groupe A, qui lui cèdent leurs créances sur leurs clients. C'est donc elle qui assume le risque de non-paiement.

L'activité de B […] et C […] a pour objet l'assurance crédit. […]

Le 24 novembre 2006, A souscrit auprès de B une police d'assurance crédit couvrant les risques de non-paiement liés aux ventes conclues entre les filiales du groupe A et certains clients […].

En ce qui concerne la société D, un client important des filiales du groupe A, la limite de crédit est fixée à [… millions d'euros].

Le contrat est conclu pour une durée de trois ans qui s'étend du 1er octobre 2006 au 30 septembre 2009.

L'article 7.2. des conditions générales stipule que l'assureur peut à tout moment, résilier, suspendre ou réduire les limites de crédit ou les agréments de contrat. L'article 15.1. des conditions particulières prévoit cependant que pendant la durée de validité de la police, B s'engage à ne pas utiliser les articles 7.2., 7.3. et 7.4. des conditions générales sans accord préalable de l'assuré. L'assuré ne pourra pas refuser cet accord de façon déraisonnable.

Les risques pour le client de A sont co-assurés par B à concurrence de 76,1% et par C pour 23,9%, C mandatant B pour gérer la police.

2. Le 12 novembre 2008, B informe A que ses réassureurs se montrent très réticents à maintenir la poursuite de la couverture de D à partir du 31 décembre 2008.

Dès lors qu'elle ne dispose que d'un capital libéré de [… millions d'euros] sur un capital total de [… millions d'euros], B estime qu'elle ne peut se permettre de maintenir dans ses engagements une limite non sécurisée de [… millions d'euros] sur un débiteur unique.

Elle sollicite dans ces conditions, conformément à l'article 15.1. des conditions particulières, l'accord de A pour résilier la police.

Par courrier du 21 novembre 2008, A fait part que la résiliation anticipée de la limite du crédit sur D, à aussi bref délai, lui serait éminemment et gravement préjudiciable. Elle rappelle qu'elle a tenu compte dans ses relations contractuelles avec ce client du caractère ferme de la durée de trois ans et des modalités de la garantie conclue avec B sur D. Dans ces conditions, elle ne peut donner son accord sur la résiliation anticipée qui est proposée.

Par courrier du 3 décembre 2008, B considère que ce refus est déraisonnable et confirme qu'elle ne couvrira plus le risque de D au-delà du 31 décembre 2008.

3. Par exploit du 12 décembre 2008, A fait citer B et C devant le président du tribunal de commerce de Bruxelles, siégeant en référé.

Elle lui demande de suspendre les effets de la résiliation unilatérale par B de la limite de crédit sur le groupe D, jusqu'à ce qu'une décision coulée en force de chose jugée intervienne sur le fond du litige et de condamner, en conséquence, B et C à continuer à couvrir les risques de non-paiement précités sous peine d'une astreinte de 2.500.000 EUR par jour où la couverture ne serait pas assurée.

Par la décision entreprise, le premier juge

- reconnaît que A a un intérêt direct et concret au maintien de la police et que la demande est recevable;

- dit qu'il y a urgence;

-constate que A n'établit pas que la résiliation par B serait manifestement abusive ou illicite ou constituerait une voie de fait et que, dans l'hypothèse de la survenance d'un sinistre, le maintien de la police causerait à B un préjudice plus grand, voire irréversible, que celui invoqué par A suite à la résiliation et, dès lors, déboute A de sa demande.

4. A interjette appel de cette décision et réitère sa demande devant la cour. B et C introduisent un appel incident, en ce que le premier juge a dit la demande recevable aux motifs que A avait un intérêt à agir et qu'il y avait urgence à statuer.

IV. Discussion
1. Sur l'urgence

5. L'article 584, alinéa 1er, du Code judiciaire dispose que le président du tribunal de première instance statue au provisoire dans les cas dont il reconnaît l'urgence. Il y a urgence, au sens de cette disposition légale, dès que la crainte d'un préjudice d'une certaine gravité, voire d'inconvénients sérieux, rend une décision immédiate souhaitable. On peut, dès lors, recourir au référé lorsque la procédure ordinaire serait impuissante à résoudre le différend en temps voulu, ce qui laisse au juge des référés un large pouvoir d'appréciation en fait et, dans une juste mesure, la plus grande liberté (Cass. 13 septembre 1990, Pas. 1990, I, p. 41; Cass. 21 mai 1987, Pas. 1987, I, p. 1160).

Il est actuellement définitivement admis, à la suite des arrêts de la Cour de cassation du 11 mai 1990 (deux arrêts de la même chambre, Pas. 1990, I, pp. 1045 et 1050) que l'urgence est une condition de la compétence matérielle du juge des référés qui s'apprécie, comme toute condition de compétence, en fonction de l'objet de la demande tel qu'il est libellé dans l'acte introductif d'instance, et non en fonction de l'objet réel de celle-ci. Par contre, si, après s'être déclaré compétent au vu du libellé de la demande, le juge des référés constate que l'urgence n'est pas réellement établie ou qu'elle a disparu en cours de procédure, il devra déclarer la demande non fondée (J. Englebert, Le référé judiciaire. Principes et questions de procédure, Ed. du Jeune Barreau de Bruxelles, 2003, n° 4).

6. L'urgence étant invoquée en termes de citation, le président du tribunal de commerce de Bruxelles était bien compétent pour statuer.

C'est donc à tort que C soutient que la demande était irrecevable.

7. L'urgence ne peut être sérieusement contestée.

Alors qu'elle bénéficiait d'un contrat d'assurance crédit sur le client D à concurrence de [… millions d'euros] jusqu'au 30 septembre 2009, A s'est vue brusquement privée du bénéfice de cette couverture et obligée d'assumer seule ce risque, sans possibilité par ailleurs de pouvoir agir sur les conditions de paiement, dès lors qu'elle s'était engagée, vis-à-vis de D, à ne pas recourir, jusqu'au 30 septembre 2009, à la clause de solvabilité lui permettant d'exiger un paiement anticipatif ou d'autres sûretés.

La crainte d'un préjudice sérieux est toujours actuelle dans la mesure où les sociétés du groupe de A ne seront en mesure d'activer efficacement la clause de solvabilité qu'après le 30 septembre 2009 et où, jusqu'à cette date, A restera exposée seule au risque de non-paiement, qui est loin d'être théorique, eu égard à la situation financière de D que les parties s'accordent à considérer comme critique.

L'urgence persiste donc au moment où la cour est appelée à statuer.

8. Aucune règle juridique n'impose à une partie de choisir obligatoirement une voie plutôt que l'autre, dès lors que deux magistrats seraient compétents (Liège 5 décembre 2001, JLMB 2003, p. 708). La possibilité d'obtenir un résultat équivalent devant une autre juridiction doit être examinée avec circonspection et in concreto, en ayant égard au critère d'efficacité de la décision qui serait la plus susceptible de mettre fin, dans les délais les plus courts, au préjudice grave ou aux inconvénients sérieux dont se plaint le demandeur.

Il ne peut donc être fait grief à A d'avoir préféré introduire d'abord sa demande devant le juge des référés plutôt que devant le juge du fond, sur la base de l'article 19, alinéa 2, du Code judiciaire.

De même, dès lors que le président du tribunal avait rejeté la demande en référé pour absence de droits apparents - et pas sur l'urgence - il n'était plus possible pour le juge du fond de statuer, avant dire droit et à titre provisoire, sur la même demande, dans le cadre de l'article 19, alinéa 2, du Code judiciaire. A n'avait d'autre alternative que d'interjeter appel de l'ordonnance de référé et on ne peut lui reprocher de ne plus avoir poursuivi sa demande devant le juge du fond, et d'être elle-même responsable, par inertie, de l'urgence qu'elle invoque.

En interjetant immédiatement appel, A a fait preuve de diligence pour obtenir, le plus rapidement possible, le rétablissement de sa couverture d'assurance. De ce fait, elle n'était pas contrainte de rechercher un nouvel assureur pour justifier l'urgence de la mesure qu'elle sollicite.

C'est à tort que C soutient que la demande de A doit s'interpréter comme une demande de référé provision et qu'elle devrait ainsi prouver qu'elle se trouverait dans un état grave d'impécuniosité qui la rendrait incapable de surmonter, à bref délai, sans la provision demandée, les difficultés qu'elle rencontre.

A ne postule pas le paiement d'une somme d'argent, mais la suspension d'une résiliation unilatérale d'un contrat à durée déterminée qu'elle considère comme brutale et illicite.

Il ne convient donc pas de déroger aux règles ordinaires du référé.

10. Le fait que B a prévenu A, le 12 novembre 2008, de son intention de ne plus poursuivre le contrat d'assurance au-delà du 31 décembre n'implique pas que la résiliation ne soit pas illicite et qu'il n'y avait pas urgence.

La rupture n'est en effet intervenue que le 3 décembre 2008 après que B a considéré que le refus de A d'accepter une résiliation bilatérale était déraisonnable, la mettant ainsi devant le fait accompli avec moins d'un mois de préavis et sans lui proposer quelque alternative que ce soit, comme, par exemple, une diminution de la limite de crédit.

A a cité en référé le 12 décembre 2008, soit dans un délai excessivement court. On ne peut donc lui reprocher une quelconque inertie procédurale.

Les appels incidents, en ce qu'ils visent l'urgence, ne sont pas fondés.

2. Sur l'intervention du juge des référés en matière contractuelle

11. La doctrine et la jurisprudence s'accordent pour reconnaître au juge des référés le pouvoir d'ordonner provisoirement l'exécution forcée d'une obligation litigieuse si le droit dont la partie demanderesse se prévaut ne fait pas l'objet d'un doute sérieux.

En effet, l'intervention du juge des référés dans l'exécution d'un contrat est subordonnée au caractère non sérieusement contestable du droit dont la mise en oeuvre est demandée, voire de son caractère évident. Mais il ne suffit pas, pour que le juge des référés puisse intervenir et prescrire des mesures conservatoires, en matière contractuelle, qu'il y ait urgence, apparence de droit et risque de subir un préjudice irréparable ou à tout le moins des inconvénients sérieux. Dans le cadre contractuel, l'intervention du juge n'est possible que si une partie au contrat commet une voie de fait ou que la décision de rupture est manifestement fautive ou a été prise dans des conditions irrégulières (Civ. Bruxelles (réf.) 6 juin 1997; Liège 15 septembre 1998; Bruxelles 23 janvier 1998 cités par J. Englebert, “Inédits de droit judiciaire”, JLMB 2000, pp. 356 et s.).

Dans le domaine des conventions, le président du tribunal apparaît donc essentiellement comme le protecteur de la relation contractuelle. Juge du maintien du 'statu quo', il enjoint la reprise ou la poursuite de prestations conventionnelles ayant déjà été exécutées dans le passé par une partie devenue récalcitrante et à laquelle on reproche une 'voie de fait', une politique du 'fait accompli' ou des voies de 'justice privées' (A.-M. Stranart, “Les référés commerciaux et le rôle préventif du tribunal de commerce” in L'évolution du droit judiciaire au travers des contentieux économique, social et familial, Bruxelles, Bruylant, 1984, p. 580, C 24).

12. Ainsi que cela sera développé ci-après, le contrat qui lie les parties est un contrat à durée déterminée, en sorte qu'il appartient en principe à chacune d'elles de le respecter jusqu'à son terme, aucune d'entre elles ne bénéficiant d'une faculté de résiliation unilatérale anticipée.

Toute rupture anticipée constitue une faute contractuelle, donnant au créancier de l'obligation inexécutée le choix entre l'exécution forcée de la convention et sa résolution, outre des dommages-intérêts. Le choix n'appartient qu'au créancier, le juge ne pouvant le tempérer que s'il constate un abus de droit (sur ces principes, voy. S. Stijns, “La résolution pour inexécution des contrats synallagmatiques, sa mise en oeuvre et ses effets”, Les obligations contractuelles, Editions du Jeune Barreau, 2000, pp. 375 et s., spéc. nos 8 et 9).

L'exécution en nature des obligations contractuelles constitue le mode normal d'exécution tant des obligations de faire que de celles de ne pas faire et le juge doit, en principe, ordonner l'exécution en nature si elle est demandée par le créancier (voy. J.-P. Wéry, L'exécution en nature des obligations contractuelles, Editions du Jeune Barreau, 2000, pp. 341 et s. et spéc. p. 346, n° 3; Cass. 13 mars 1998, JLMB 2000, p. 136).

La primauté de l'exécution en nature conduit la doctrine à admettre que le juge des référés puisse, lorsqu'il y a urgence, intervenir dans le contentieux de l'exécution des contrats, en ordonnant au débiteur de s'exécuter en nature, ce qui constitue du reste le seul moyen d'intervenir “à chaud et en temps utile” (voy. P. Van Ommeslaghe, “Examen de jurisprudence. Les obligations”, RCJB 1986, p. 1999; X. Dieux, “La formation, l'exécution et la dissolution des contrats devant le juge des référés”, RCJB 1988, pp. 250 et s.; G. de Leval, “Le référé en droit judiciaire privé”, Act.dr. 1992, pp. 855 et s.; P. Wéry, o.c., p. 357, n° 11 ; Civ. Liège 5 septembre 2000, JLMB 2000, p. 1399 et obs. J. Clesse).

13. La défense faite par l'article 1037 du Code judiciaire aux ordonnances de référé de porter préjudice au fond, n'interdit pas au juge d'examiner les droits des parties, sous réserve de ne point ordonner des mesures qui porteraient à celles-ci un préjudice définitif et irréparable (Cass. 9 septembre 1982, JT 1982, p. 727).

La précision légale selon laquelle le juge des référés 'statue au provisoire' a pour unique portée que sa décision n'est pas revêtue de l'autorité de la chose jugée à l'égard du juge du fond, qui ne sera en conséquence pas lié par ce qu'aura décidé le juge des référés. Cette précision dans l'article 584, alinéa 2, du Code judiciaire n'a donc pas d'autre portée que d'annoncer en quelque sorte la règle qui est clairement inscrite à l'article 1039, alinéa 1er, du même code qui veut que les ordonnances sur référé ne portent pas préjudice au principal (J. Englebert, Le référé judiciaire: principes et questions de procédure, Ed. du Jeune Barreau de Bruxelles, 2003, n° 27).

14. Il s'en déduit que le juge des référés peut, en l'espèce, ordonner la poursuite du contrat, si les conditions de l'article 584 du Code judiciaire sont réunies, puisque, à supposer que le juge du fond soit amené à statuer après que, par hypothèse, B aurait été contrainte de supporter un sinistre et qu'il entérine la résiliation unilatérale, rien n'empêche que A répare le préjudice subi par équivalent et rembourse les indemnités perçues.

C'est donc à tort que B soutient, dans son appel incident, que A n'aurait pas d'intérêt à agir, au motif que sa demande dépasserait le cadre du référé.

3. Sur les droits apparents
a. Sur la nature du contrat

15. Le contrat est à durée déterminée. Il ne peut donc être rompu avant terme que de l'accord des parties.

La nécessité d'obtenir un accord de A est confirmée par le fait que B a renoncé à ne pas utiliser la faculté de résiliation unilatérale qui lui était réservée par l'article 7.2. des conditions générales et à recueillir l'accord de A.

Il est constant que cette renonciation a été préalablement négociée par les parties, ce qui démontre qu'il s'agissait d'un élément essentiel. En effet, dans un premier temps, B a voulu imposer que le refus éventuel de A d'accepter une résiliation avant terme devait être fondé sur des motifs légitimes. Après discussion, les parties se sont accordées sur la formulation suivante; l'assuré ne pourra refuser cet accord de façon déraisonnable (comme par exemple l'arrêt d'un outil de production) [la parenthèse fut supprimée dans le texte final], ce qui n'est pas la même chose et a d'autres implications en droit.

C'est donc bien dans le chef de A qu'il y a lieu d'examiner si le refus d'accepter la résiliation anticipée excède les limites du raisonnable et pas de vérifier si les motifs invoqués par B sont légitimes ou conformes au principe d'exécution de bonne foi des conventions. Par ailleurs, l'appréciation de la position prise par A doit se faire de manière marginale.

16. Il ne ressort d'aucune pièce soumise à la cour que la possibilité pour B de maintenir une réassurance du risque D pendant toute la durée du contrat constituait une condition essentielle de son consentement, lui permettant de soutenir qu'à défaut de réassurance, le contrat pouvait être résilié avant terme.

Si tel avait été le cas, les parties n'auraient pas manqué d'insérer une clause résolutoire expresse.

Au demeurant, la réassurance ne constitue pas une condition de validité d'un contrat d'assurance.

Le fait que A était informée des démarches entreprises par B et que ses réassureurs formulaient certaines exigences n'implique pas que la réassurance du risque était entrée dans le champ contractuel.

Il en est de même des discussions qui sont intervenues en cours de contrat pour augmenter la ligne de crédit et de la proposition de A de faire intervenir un courtier spécialisé pour obtenir cette augmentation. En effet, cette intervention étant postérieure à la conclusion du contrat, elle n'a pu avoir aucune influence sur la détermination de la volonté de B.

Le mobile qui a inspiré B et l'a déterminée à contracter est l'obtention des primes d'assurances (… EUR) et pas la faculté de souscrire une réassurance. C'est donc à tort qu'elle invoque la théorie - controversée - de la caducité des obligations contractuelles par disparition de la cause, pour justifier une faculté de résiliation unilatérale de la convention.

b. Sur le refus de A

Dans sa réponse du 21 novembre 2008, A a estimé que la difficulté avancée par B de réassurer le risque ne pouvait être prise en considération, dès lors que le contrat avait été négocié pour une durée ferme de trois ans et que des modalités spécifiques avaient été convenues pour le client D, notamment l'obtention d'une garantie de la maison mère du groupe D.

A a également fait valoir que la résiliation à aussi bref délai lui était gravement préjudiciable dans la mesure où elle avait tenu compte dans ses relations contractuelles avec D du caractère ferme de l'assurance crédit [à savoir l'abandon de la clause de solvabilité, cf. infra].

A faisait enfin valoir qu'elle trouvait regrettable que B n'offre aucune solution alternative.

18. Prima facie, il ne peut être soutenu que les raisons invoquées par A étaient déraisonnables.

En effet, tout contractant a un intérêt légitime à voir son contrat exécuté jusqu'à son terme et à ne pas accepter qu'il soit résilié anticipativement au seul motif que son exécution serait, éventuellement, devenue plus onéreuse pour l'autre partie, en raison de la modification des conditions économiques. En l'espèce, la position de A n'était pas abusive dans la mesure où la rupture du contrat d'assurance crédit entraînait un risque financier très important pour elle, dès lors qu'elle se retrouvait, seule, exposée en première ligne, à une éventuelle défaillance de D.

Il se déduit de ce qui précède qu'il existe une apparence suffisante de droit que le contrat a été manifestement rompu fautivement et que A peut, dans ces conditions, en exiger l'exécution en nature.

4. Sur le préjudice subi par A

19. Les contrats d'approvisionnement conclus par les filiales du groupe de A prévoient une clause de solvabilité qui s'applique à partir du moment où la notation du client par les agences Standard and Poors ou Moody's tombe en dessous d'un certain coefficient. Dans ce cas, et lorsque la ligne de crédit est dépassée, des paiements anticipatifs ou des sûretés peuvent être demandés par le vendeur.

En contrepartie de la garantie donnée par la maison mère de D, exigée par B, les sociétés affiliées ont dû s'engager à ne pas faire appel à cette clause pendant toute la durée du contrat, étant cependant entendu qu'elle pourrait être remise en vigueur en cas de retard de paiement de plus de trois jours.

Alors que A cherchait à se prémunir d'un risque de crédit en dehors de tout retard de paiement, elle se voit contrainte de l'assumer immédiatement et ce tant que les sociétés affiliées ne seront pas en mesure d'imposer, après un retard de paiement de trois jours, des paiements anticipatifs ou des sûretés complémentaires, ou encore de suspendre leurs livraisons.

Les conditions consenties à D, en contrepartie de l'exigence d'une garantie de sa maison mère, impliquent que non seulement les livraisons non payées ne sont plus garanties par une assurance crédit mais qu'en outre celles intervenues depuis une livraison non payée ne le seront pas non plus. En effet, les conditions de paiement prévoient un règlement à 30 jours fin de mois, ce qui suppose que plusieurs livraisons peuvent être concernées avant la constatation d'un défaut de paiement de plus de trois jours. C'est donc à tort que B soutient que le risque subi par A ne serait que de trois jours de crédit. Sur la base d'un chiffre d'affaires de […] millions d'euros et d'un paiement à 30 jours fin de mois, il est d'au moins […] millions d'euros, si pas de [...] millions, si on tient compte des livraisons intervenues avant l'échéance de la première facture impayée.

Contrairement à ce que soutient B, A a donc un préjudice propre qui est différent de celui des sociétés affiliées.

Par ailleurs, A expose que le groupe de A ne peut suspendre ses livraisons sans subir un préjudice plus important que la perte correspondante de chiffre d'affaires. En effet, il est engagé dans des contrats à long terme et ne peut, en raison des capacités limitées de stockage de [ses produits], arrêter ou limiter la chaîne de production sans subir des pertes importantes. C'est la raison pour laquelle il a cherché à conclure des contrats d'approvisionnement à moyen ou long terme qu'il a demandé à A de sécuriser par la conclusion d'un contrat d'assurance crédit d'un minimum de trois ans. La perte des contrats des sociétés affiliées ou leur obligation de payer des dommages et intérêts à leurs clients entraînent un dommage par répercussion dans le chef de A.

Il est dès lors établi que la rupture brutale du contrat d'assurance crédit risque d'entraîner pour A un préjudice considérable.

5. Sur la balance des intérêts

21. Le juge des référés doit rechercher si l'absence de suite donnée à la demande aurait pour effet d'entraîner une perturbation plus grande que le préjudice éventuel créé par l'accueil de l'action, ce qui suppose la confrontation de deux préjudices éventuels et la prise en considération de la situation des parties et de leur comportement (Liège 22 mai 2001, JLMB, p. 11685).

22. En l'espèce, il convient de constater qu'aucun besoin de réassurance n'est invoqué par C qui n'était d'ailleurs pas au courant de l'initiative prise en son nom par B. Il s'en déduit que l'impossibilité de réassurance n'est pas aussi certaine qu'alléguée par B. En toute hypothèse, le risque de B n'est que de 76,1% de […] EUR, soit moins que son capital libéré, ce qui, compte tenu du capital non libéré, lui laisse encore une faible mais néanmoins réelle marge de manoeuvre, sans compter les éventuels fonds propres qui excèderaient le capital souscrit.

Une éventuelle faillite de B, en cas de survenance d'un sinistre, n'est que largement hypothétique dans la mesure où il n'est pas raisonnable de soutenir qu'elle serait abandonnée par sa maison mère, […], qui pourrait la soutenir financièrement. Elle est d'ailleurs l'un de ses réassureurs. A cet égard, il convient de rappeler qu'en ces temps de crise financière, les états interviennent massivement, avec l'assentiment de la Commission européenne, pour recapitaliser les banques et les compagnies d'assurances en difficulté, et éviter ainsi un préjudice plus important encore aux entreprises et à l'emploi. On n'aperçoit pas pourquoi il n'en serait pas de même pour B et pour toutes les entreprises qui auraient sécurisé leurs transactions internationales en faisant appel à elle.

En réalité, B tente de reporter sur son client l'imprudence qu'elle a commise en concluant un contrat de réassurance annuel pour un contrat d'assurance de trois ans et de lui faire supporter le risque qu'elle court aujourd'hui en raison des difficultés économiques actuelles, ce qui ne peut être admis. Il suffit de rappeler que la théorie de l'imprévision n'est pas admise en droit belge.

En revanche, le risque encouru par A, en cas d'absence de couverture d'un accident de crédit, est immédiat et inévitable puisqu'elle sera contrainte d'indemniser les sociétés affiliées du groupe de A pour le non-paiement de leurs factures sur D.

23. Outre que toutes les autres conditions du référé sont réunies, la balance des intérêts commande également de réformer l'ordonnance entreprise.

6. Sur les astreintes

24. Vainement les intimées soutiennent-elles que leur condamnation ne pourrait être assortie d'une astreinte.

A poursuit en effet l'exécution en nature d'une obligation de faire et ne sollicite pas le paiement d'une somme d'argent.

En cas de survenance d'un sinistre, A ne pourra se prévaloir du titre exécutoire que constituera le présent arrêt pour réclamer l'indemnité correspondante aux factures impayées, mais sera contrainte de solliciter un autre titre exécutoire. Il est donc erroné de soutenir que l'action a pour objet le paiement d'une indemnité d'assurance.

Le montant d'astreinte demandé par A, soit 2.500.000 EUR par jour de retard, est de nature à contraindre B à exécuter la condamnation.

La mise en oeuvre de celle-ci ne requiert d'ailleurs aucun effort ou investissement particuliers puisqu'il suffira à B d'adresser une lettre à A, aux termes de laquelle elle et C renonceront, certes sous réserve de tous leurs droits au fond, à invoquer jusqu'au 30 septembre 2009 le bénéfice de la résiliation unilatérale du contrat d'assurance notifiée le 3 décembre 2008.

7. Sur les indemnités de procédure

25. La présente décision constituant un jugement définitif (G. de Leval, Eléments de procédure civile, Larcier, 2005, n° 336), il y a lieu de condamner la partie qui succombe - en l'espèce B et C - aux dépens des deux instances.

S'agissant d'une demande non évaluable en argent ne présentant pas un caractère complexe, il ne convient pas d'augmenter le montant de base, prévu par l'arrêté royal du 26 octobre 2007 fixant le tarif des indemnités de procédure.

Dispositif

Pour ces motifs, la cour,

1. Dit l'appel principal recevable et fondé;

2. Met l'ordonnance entreprise à néant, sauf en tant qu'elle a dit la demande recevable;

Statuant à nouveau;

1. Dit la demande de A fondée;

2. Ordonne, à titre provisoire, la suspension des effets de la résiliation unilatérale par B de la limite de crédit sur le groupe D, sous la police globale n° […] du 24 novembre 2006, jusqu'au prononcé d'une décision coulée en force de chose jugée sur le fond du litige, sans préjudice de l'échéance de la police le 30 septembre 2009 et, en conséquence, condamne B et C, chacune pour leur part, à continuer à couvrir les risques de non-paiement précités, sous peine d'une astreinte de 2.500.000 EUR par jour de retard où la couverture ne serait pas rétablie, avec un maximum de [… millions d'euros], à dater du cinquième jour ouvrable qui suivra la signification du présent arrêt.

3. Dit les appels incidents non fondés.

4. Condamne conjointement B et C aux dépens des deux instances, […].

(…)