Cour d'appel de Liège 17 décembre 2007
INTERMEDIAIRES COMMERCIAUX
Concession - Concession de vente - Concession exécutée à l'étranger - Inapplicabilité de la loi du 27 juillet 1961 - Application du droit commun - Préavis raisonnable
Dès lors que la concession de vente litigieuse s'est exercée uniquement au Soudan et est soumise au droit belge, seul le droit commun belge est applicable, à l'exclusion de la loi du 27 juillet 1961 relative à la résiliation unilatérale des concessions de vente exclusive à durée indéterminée.
En règle, les contrats conclus pour une durée indéterminée et comportant des prestations successives sont résiliables par chacune des parties. Ce droit de résiliation emporte en règle générale l'obligation de respecter un préavis, dans la détermination duquel il y aura lieu de tenir compte des intérêts légitimes de chaque partie, toute comparaison avec les situations régies par la loi du 27 juillet 1961 étant hors de propos.
En l'espèce, le préavis raisonnable peut être fixé à deux mois. Par ailleurs, la réclamation d'une indemnité pour plus-value de clientèle est dépourvue de fondement légal.
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TUSSENPERSONEN (HANDEL)
Concessie - Verkoopconcessie - Concessie in het buitenland uitgevoerd - Niet-toepasselijkheid van de wet van 27 juli 1961 - Toepassing van het gemeen recht - Redelijke opzegtermijn
Daar de kwestieuze concessie enkel in Soedan uitgevoerd werd en onderworpen werd aan het Belgisch recht, is enkel het Belgisch gemeen recht van toepassing, met uitsluiting van de wet van 27 juli 1961 betreffende eenzijdige beëindiging van de voor onbepaalde tijd verleende concessies van alleenverkoop.
In de regel zijn overeenkomsten die aangegaan zijn voor onbepaalde duur en die opeenvolgende prestaties inhouden opzegbaar door iedere partij. Dit recht van opzegging brengt in beginsel de verbintenis mee een opzegtermijn na te leven waarbij bij de bepaling ervan rekening dient gehouden met de rechtmatige belangen van elke partij. Vergelijkingen met de situaties die door de wet van 27 juli 1961 worden geregeld zijn daarbij irrelevant.
Terzake kan een redelijke opzegtermijn van twee maanden worden toegekend. Overigens heeft de eis tot betaling van een cliënteelvergoeding geen wettelijke grondslag.
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Omdurman Medical Agencies / SA Laboratoires Lohman & Rauscher
Siég.: M. Ligot (président), F. Royaux et A. Jacquemin (conseillers) |
Pl.: Mes C. Hachez loco M. Polet et Ph. Evrard |
Le 22 novembre 2006, la société de droit soudanais Omdurman Medical Agencies, en abrégé OMA, interjette appel du jugement rendu le 17 février 2006 par le tribunal de commerce de Liège qui rejette en grande partie l'action qu'elle avait introduite par citation du 16 juin 2003 contre la SA Laboratoires Lohmann & Rauscher, anciennement dénommée Laboratoires Stella.
(…)
OMA qui a été le distributeur exclusif pour le Soudan de 1977 à octobre 2002 des produits pharmaceutiques et paramédicaux fabriqués par la SA Laboratoires Stella recherche l'indemnisation du préjudice qu'elle a subi en raison de la brusque rupture des relations entre parties survenue fin octobre 2002 par le fait de l'intimée qui a décidé à ce moment et sans le moindre avertissement préalable de se passer de ses services et de confier la distribution de ses produits au Soudan à une autre société.
Les parties s'opposent au sujet du droit applicable au contrat.
Sur cette question précise, c'est à bon droit et au terme de judicieux motifs auxquels la cour se réfère expressément (jugement du 17 février 2006, point 3.1.1., pp. 2 à 5) que le tribunal de commerce a décidé que le droit belge devait être appliqué 'par défaut' à l'exclusion toutefois de la loi du 27 juillet 1961 relative à la résiliation unilatérale des concessions de vente exclusive à durée indéterminée, dès lors que la concession s'est exercée uniquement au Soudan.
Les règles qui régissent en droit belge le droit de résiliation sont les suivantes:
“Chaque partie a en principe le droit de mettre fin à tout moment à un contrat à prestations successives de durée indéterminée; en vertu du principe de l'exécution de bonne foi des conventions, cette faculté de rompre ne peut toutefois s'exercer de manière constitutive d'un abus de droit et que tel est notamment le cas d'une rupture brutale, intempestive, spoliatrice ou arbitraire, sans ménagement quelconque.” (Bruxelles 8 février 2001, RDC 2003, 500).
“En règle, les contrats conclus pour une durée indéterminée et comportant des prestations successives sont résiliables par chacune des parties. La règle intéresse l'ordre public parce que le respect de la liberté individuelle s'oppose à ce que les parties soient définitivement engagées.
Le droit de résiliation n'est pas discrétionnaire: la bonne foi qui doit présider à la résiliation des contrats s'oppose à ce qu'il soit exercé sans prendre en considération les intérêts légitimes de l'autre partie; celui qui résilie le contrat doit en principe veiller à éviter que la rupture soit préjudiciable à son cocontractant.
La circonspection ainsi imposée à celui qui exerce le droit de résiliation comporte en règle générale l'obligation de respecter un préavis. Celui qui résilie, peut avoir, lui aussi, des intérêts légitimes de nature à justifier une rupture: l'inexécution d'obligations importantes du cocontractant, un dommage considérable qu'entraînerait la continuation, même provisoire, du contrat ou encore dans les contrats intuitu personae, un comportement inconciliable avec la poursuite des relations contractuelles. Le juge devra alors peser les intérêts qui s'affrontent en vue de décider, si le préavis doit être réduit ou même qu'il n'était pas nécessaire.” (Bruxelles 10 octobre 1994, JLMB 1995, p. 1248).
“Obligation d'information par la notification, octroi d'un délai de préavis raisonnable, respect des intérêts de l'autre partie, telles sont les principales exigences qui, même en l'absence de base légale spécifique, puisent leurs racines dans l'article 1134, alinéa 3, du Code civil.” (C. Delforge, L'unilatéralisme et la fin du contrat. Droit de rétractation, résiliation et résolution unilatérale: quand le pouvoir d'un seul anéantit ce que la volonté commune a édifié, CUP, volume 51, n° 108, p. 124).
En l'espèce, non seulement l'intimée n'a pas informé préalablement OMA de ce qu'il entrait dans ses intentions de la remplacer mais elle l'a placée devant le fait accompli en approvisionnant directement un autre distributeur et en informant directement les autorités soudanaises de ce qu'elle avait fait choix d'un autre agent.
La SA Laboratoires Lohmann & Rauscher a ainsi exercé son droit de mettre fin à la convention qui la liait à OMA de manière brutale et intempestive.
C'est en vain à cet égard que l'intimée tente de se justifier a posteriori en reprochant à OMA une “absence de dialogue qui a conduit à une chute verticale des ventes de produits Stella au Soudan”. Le dossier de l'intimée ne contient aucune pièce permettant de conclure “que la collaboration entre parties était loin d'être harmonieuse et qu'il était à l'époque pratiquement impossible d'avoir le moindre dialogue constructif avec l'appelante qui n'en faisait qu'à sa tête” (conclusions principales, L & R, p. 4).
(…)
Le jugement entrepris doit donc être approuvé en ce qu'il décide que la SA Laboratoires Lohmann & Rauscher a commis une faute dans la façon dont elle a rompu les relations qu'elle entretenait avec OMA. Celle-ci n'invoque aucun élément qui justifierait que OMA ait été privée d'un délai de préavis, même réduit.
Il reste qu'il doit être tenu compte des intérêts légitimes de l'intimée.
Lorsque l'on prend en considération la façon spectaculaire dont les ventes ont progressé (elles ont décuplé) avec l'intervention d'un nouveau distributeur, les raisons du choix économique fait par Lohmann & Rauscher apparaissent clairement.
Il n'en demeure pas moins qu'un préavis raisonnable aurait dû être accordé à OMA. Les premiers juges ont estimé la durée de celui-ci à deux mois. L'appelante en réclamait 24; en appel, elle estime qu'elle aurait dû bénéficier d'un préavis de 36 mois. Ces prétentions sont excessives; toute comparaison avec les situations régies par la loi du 27 juillet 1961 est ici hors de propos.
Le respect de la liberté individuelle et de la liberté du commerce s'accommode mal de délais trop longs qui entravent le libre jeu de la concurrence.
La licence délivrée par le ministère de la Santé de la République du Soudan expire le 31 décembre de chaque année. Lohmann & Rauscher aurait dû permettre à OMA de terminer l'année en cours.
C'est ainsi à bon droit que les premiers juges ont considéré que Lohmann & Rauscher eût dû uniquement donner un préavis de deux mois à OMA.
OMA estime son bénéfice brut annuel moyen pour les années 2000, 2001 et 2002 à 34.575,33 EUR (conclusions, p. 11). Les décomptes qu'elle produit et qui sont établis par un bureau de comptables et d'auditeurs d'entreprises soudanais sont contestés par l'intimée.
Les premiers juges ont estimé le bénéfice net annuel de OMA pour 2002 à 20% du volume des achats qu'elle a réalisés durant cette année. L'appelante ne produit aucune pièce probante justifiant que cette estimation, que l'intimée accepte pour faire bref procès, soit écartée. Ainsi, OMA ne donne aucune indication concernant ses frais généraux.
Vu l'enjeu final du litige, il ne peut être envisagé sérieusement de recourir à une mesure d'expertise qui devrait être réalisée au Soudan, ce qu'aucune des parties ne demande.
L'estimation faite par le tribunal de commerce de l'indemnité visant à réparer le dommage résultant de l'absence de préavis doit être entérinée.
Les premiers juges décident encore à bon droit que l'appelante ne justifie pas du fondement légal de réclamer une indemnité pour plus-value de clientèle ainsi qu'une indemnité pour les frais exposés (jugt., p. 7).
OMA ne justifie pas de l'existence d'un stock qu'elle n'aurait pu écouler.
De même, elle ne prouve pas avoir introduit sa demande de renouvellement pour 2003 de sa licence d'importation pour les produits Stella avant d'avoir appris la fin des relations entre parties. Le certificat qui lui a été délivré pour cette année porte que les honoraires, dont le montant n'est pas précisé, ont été payés le 26 novembre 2002 soit à un moment où OMA savait que l'intimée avait fait choix d'un autre distributeur.
Le jugement entrepris doit dès lors être confirmé dans toutes ses dispositions auxquelles la cour se réfère pour autant que de besoin.
Décision
La cour statuant contradictoirement,
Reçoit les appels;
Confirme le jugement entrepris;
Compense les dépens d'appel.
(…)