Article

Cour d'appel Mons, 10/09/2007, R.D.C.-T.B.H., 2010/6, p. 500-503

Cour d'appel de Mons 10 septembre 2007

INTERMEDIAIRES COMMERCIAUX
Concession - Concession de vente - Détermination du préavis raisonnable - Incidence de la durée de la concession - Indemnité pour plus-value de clientèle - Fixation en équité
Ni la circonstance que le préavis raisonnable auquel le concessionnaire a droit se détermine dès la dénonciation du contrat ni l'équité qui doit guider le juge n'excluent que, lors de l'évaluation du préavis raisonnable, celui-ci tienne compte de tous les éléments dont il dispose au moment de sa décision.
La durée effective de la concession constitue l'un des éléments d'appréciation du caractère raisonnable du préavis en ce sens que la longue durée de la concession peut permettre au concessionnaire d'amortir les frais mis en oeuvre pour rentabiliser son entreprise et constitue un indice sérieux de la qualité des services du concessionnaire, dont il pourra se prévaloir pour retrouver une autre concession. En l'espèce, un préavis de 25 mois, pour une concession ayant duré 44 ans peut être considéré comme raisonnable.
Calculer l'indemnité pour plus-value de clientèle sur la base du bénéfice brut apparaît justifié dès lors que la clientèle est un actif dont la valeur est fonction de son aptitude à produire des bénéfices. En l'espèce, une indemnité égale à 10% du bénéfice brut des trois dernières années peut être retenue.
TUSSENPERSONEN (HANDEL)
Concessie - Verkoopconcessie - Bepaling van de redelijke opzegtermijn - Belang van de duur van de concessie - Cliënteelvergoeding - Bepaling naar billijkheid
Noch de omstandigheid dat de redelijke opzegtermijn waarop een concessiehouder gerechtigd is moet worden bepaald vanaf de opzegging, noch de billijkheid naar dewelke de rechter moet oordelen sluiten uit dat, ten tijde van de bepaling van de redelijke opzegtermijn, de rechter rekening houdt met alle elementen waarover hij beschikt op de dag van zijn beslissing.
De effectieve duur van de concessie maakt deel uit van de elementen aan de hand van dewelke de redelijkheid van de opzegtermijn zal worden getoetst, in de zin dat een langdurige concessie de concessiehouder kan toelaten zijn kosten in verband met het rendabel maken van zijn bedrijf af te schrijven, en in de zin dat zulke concessie een serieuze aanwijzing uitmaakt van de kwaliteit van de diensten van de concessiehouder, waarop deze zich zal kunnen beroepen om een andere concessie te vinden. Ter zake kan een opzeg­periode van 25 maanden als redelijk worden beschouwd voor een concessie die 44 jaar heeft geduurd.
Het is gerechtvaardigd de cliënteelvergoeding te berekenen op basis van de brutowinst vermits de cliënteel een actief is waarvan de waarde afhangt van de mogelijkheid om er winst uit te putten. In onderhavig geval kan een vergoeding gelijk aan 10% van de bruto winst over de drie laatste jaren weerhouden worden.

SPRL Billemont / SA D'Ieteren

Siég.: M. Castin (président), Y. Vanthuyne et M. Lemal (conseillers)
Pl.: Mes J. Van Hoof et Th. Van Innis

(…)

La cour, après avoir délibéré, rend l'arrêt suivant:

Vu les pièces de la procédure légalement requises et notamment:

- la copie certifiée conforme du jugement déféré, prononcé le 26 septembre 2005 par le tribunal de commerce de Tournai, jugement dont aucun exploit de signification n'est versé aux débats;

- la requête d'appel déposée le 19 juillet 2006;

Entendu les conseils des parties en leurs plaidoiries à l'audience du 25 juin 2007;

Vu les dossiers des parties.

Antécédents
Les faits

Depuis 1959, l'importateur pour la Belgique des véhicules des marques Volkswagen et Audi en avait concédé la distribution à la SPRL Billemont dans une zone de responsabilité de la région de Tournai;

Un contrat écrit signé entre les parties le 18 juin 1996, la SA D'Ieteren ayant succédé à l'importateur originaire, précisa les conditions de cette concession et prévoyait notamment qu'elle était à une durée indéterminée et qu'en cas de résiliation la durée du préavis sur lequel les parties devaient s'accorder était d'un an minimum, conformément à l'article 5, § 2, 2), du règlement 1475/95 de la Commission européenne;

Par courrier du 24 septembre 2003, la SA D'Ieteren confirma à la SPRL Billemont sa volonté de résilier cette concession moyennant un préavis venant à échéance le 31 décembre 2005, soit deux ans, trois mois et six jours, au plus tard, ajoutant que tout en estimant cette durée raisonnable au sens de la loi de 1961, elle demeurait disposée à discuter d'un préavis d'une durée différente;

Par courrier du 19 juin 2004, le conseil de la SPRL Billemont contesta la durée du préavis accordé, estimant qu'il eût dû être fixé à un minimum de 42 mois eu égard à l'ensemble des circonstances généralement prises en compte en la matière, et réclama une indemnité de préavis de 15 mois soit 236.319,75 EUR sur la base de la moyenne du bénéfice net avant impôt des trois dernières années d'exploitation, ainsi qu'une indemnité complémentaire de préavis sur pied de l'article 3 de la loi du 27 juillet 1961, soit 327.395,31 EUR correspondant à la moyenne annuelle de la marge brute des trois dernières années d'exploitation, le tout à majorer des intérêts au taux légal depuis le 24 septembre 2003;

Le 14 juillet 2004, le conseil de la SA D'Ieteren fit part du refus motivé de sa cliente d'accéder aux demandes de la SPRL Billemont, invoquant notamment que depuis la libération du secteur sous l'effet du dernier règlement européen d'exemption, les possibilités de reconversion s'étaient accrues de manière spectaculaire et que les conditions légales pour obtenir une éventuelle indemnité pour plus-value notable de clientèle n'étaient - sauf amélioration notable des performances de la SPRL Billemont avant l'expiration du préavis - pas remplies;

Par courrier du 5 octobre 2004, le conseil de la SPRL Billemont contesta ce point de vue, considérant que la durée du préavis devait s'apprécier au moment de la résiliation sans tenir compte d'événements postérieurs, et mit la SA D'Ieteren en demeure de s'acquitter des montants repris à son courrier précité du 19 juin 2004.

La procédure

Par citation du 25 octobre 2004, la SPRL Billemont a assigné la SA D'Ieteren en paiement de 236.319,75 EUR à titre d'indemnité compensatoire de préavis et de 327.395,31 EUR à titre d'indemnité complémentaire de préavis;

Le jugement déféré, prononcé le 26 septembre 2005, a reçu la demande et l'a déclarée fondée à concurrence de 98.218,59 EUR en principal à titre d'indemnité pour plus-value notable de clientèle par application de l'article 3 de la loi du 27 juillet 1961.

Les appels
Objet et recevabilité

Par requête déposée le 19 juillet 2006, la SPRL Billemont a relevé appel du jugement déféré aux fins d'obtenir condamnation de l'intimée au paiement de l'intégralité des montants réclamés originairement;

Par conclusions déposées le 26 octobre 2006, la SA D'Ieteren a formé un appel incident, tendant à entendre déclarer non fondée la demande originaire;

Les appels, principal et incident, sont recevables.

Fondement

Le tribunal a considéré en substance que:

- si, en matière de concession de vente exclusive à durée indéterminée, le droit au préavis ou à l'indemnité compensatoire naissait au moment de la résiliation, le juge pouvait cependant tenir compte de tous les éléments connus au moment de sa décision;

- si divers éléments étaient de nature à rendre malaisée la reconversion de la demanderesse originaire, d'autres devaient être pris en considération qui relativisaient ces difficultés en sorte que le délai de préavis donné par la défenderesse originaire apparaissait raisonnable et justifié;

- l'indemnité complémentaire à laquelle le concessionnaire peut prétendre du chef de la plus-value notable de clientèle qu'il a apportée au concédant et qui reste acquise à ce dernier après expiration du contrat, est appréciée par le juge suivant les critères d'équité en tenant compte notamment de tous les éléments connus au moment de sa décision, dont la situation du concessionnaire après la cessation du contrat;

- compte tenu de ces éléments d'appréciation, il est acquis que la demanderesse originaire a apporté une plus-value de clientèle notable demeurant acquise à la défenderesse originaire, plus-value estimée à 10% du bénéfice brut des trois dernières années d'activité précédant la rupture, soit de 2000 à 2002 inclus soit 98.218,59 EUR.

Sur l'indemnité compensatoire de préavis

L'article 2 de la loi du 27 juillet 1961 relative à la résiliation unilatérale des concessions de vente exclusive à durée indéterminée dispose que, hors le manquement grave d'une des parties à ses obligations, il ne peut être mis fin à une concession de vente soumise à la loi que moyennant un préavis raisonnable ou une juste indemnité à déterminer par les parties au moment de la dénonciation du contrat et qu'à défaut d'accord des parties, le juge statue en équité et, le cas échéant, en tenant compte des usages;

Le préavis raisonnable doit être fixé en équité, l'objectif du législateur étant d'assurer au concessionnaire la disposition du temps nécessaire à la réorientation de ses activités afin que la résiliation de la concession n'entraîne pas sa ruine; dès lors, afin de satisfaire au but de la loi, le préavis raisonnable doit permettre au concessionnaire de se procurer une source de revenus nets équivalente à celle qu'il a perdue, le cas échéant moyennant reconversion totale ou partielle de ses activités, le concessionnaire ne peut prétendre à un délai de préavis lui permettant dans tous les cas de retrouver une concession produisant des effets équivalents à la concession perdue et ce, quel que soit l'aléa de cette recherche (Cass. 10 février 2005, www.juridat.be , n° C030418F);

L'appelante au principal donne de cet arrêt du 10 février 2005 une interprétation inexacte, confondant les réponses données par la Cour de cassation aux deux moyens soulevés par la demanderesse en cassation;

Ni la circonstance que le préavis raisonnable auquel le concessionnaire a droit se détermine dès la dénonciation du contrat ni l'équité qui doit guider le juge n'excluent que, lors de l'évaluation du préavis raisonnable, celui-ci tienne compte de tous les éléments dont il dispose au moment de sa décision (Cass. 7 avril 2005, www.juridat.be , n° C040242F);

La durée effective de la concession au moment où le préavis est donné constitue l'un des éléments d'appréciation du caractère raisonnable de ce préavis, en ce sens:

- qu'au plus longue fut la concession, au plus court sera le préavis pour autant que la durée effective de la concession aura permis au concessionnaire d'amortir les frais mis en oeuvre pour rentabiliser son entreprise (Sénat, session 1959-60, proposition de loi sur les concessions de vente exclusive, Doc. 172);

- que la longueur de la concession constitue pour le concessionnaire un indice sérieux de la qualité de ses services, dont il pourra se prévaloir pour retrouver une autre concession;

En l'espèce, la concession litigieuse a duré 44 ans et l'appelante au principal reconnaît:

- qu'elle a inauguré ses nouvelles installations en 1998;

- que ses derniers investissements remontent à cinq années avant la réception du préavis et qu'ils sont “évidemment amplement amortis” (conclusions d'appel de la SPRL Billemont, p. 8);

La durée effective de la concession ne constitue dès lors pas en l'espèce un critère permettant de considérer que la durée du préavis accordé par l'intimée au principal serait insuffisante;

L'analyse des éléments soumis à l'appréciation de la cour révèle que l'appelante au principal ne justifie pas ses prétentions à une indemnité compensatoire de préavis;

En effet, d'une part:

- l'exploitation de la concession constituait l'intégralité de l'activité de l'appelante au principal et donc de ses revenus, ce qui implique une protection accrue du concessionnaire évincé;

- la concession portait sur des marques de véhicules ressortant d'une gamme de haute qualité et parmi les mieux vendues du pays;

- sur le territoire concédé à l'appelante au principal, d'autres concessions avaient été conclues par l'intimée au principal postérieurement à la concession litigieuse, ce qui relativise l'incidence de ce critère, même si les tableaux versés par l'intimée au principal indiquent que l'exploitation de l'appelante au principal était la plus importante de celles implantées sur ce territoire;

d'autre part:

- comme dit ci-avant, les investissements consacrés par l'appelante au principal en 1998 étaient amortis lors de la résiliation de la concession litigieuse;

- l'appelante au principal n'apporte aucun élément concret d'appréciation permettant d'établir qu'elle a préparé sa reconversion dès la réception ou pendant la durée du préavis avec la diligence et la détermination normalement requises et qu'elle aurait mis en oeuvre les possibilités offertes par le marché du secteur automobile ensuite de la restructuration engendrée par le règlement 1400/2002; ainsi l'intimée au principal souligne-t-elle à juste titre que diverses possibilités s'offraient à l'appelante au principal pour retrouver une source de revenus nets équivalente à celle qu'elle avait perdue: maintenir son statut de réparateur agréé des marques Audi et Volkswagen puisqu'elle disposait des infrastructures adéquates, devenir réparateur agréé d'une ou plusieurs autres marques, devenir succursale d'un ou plusieurs distributeurs agréés établis dans l'Union européenne, devenir vendeur de véhicules en qualité d'agent de distributeurs agréés;

De l'ensemble de ces considérations, il suit qu'à bon droit le tribunal a considéré que la durée du préavis donné par l'intimée au principal respectait les exigences de l'équité en permettant à l'appelante au principal de préparer utilement sa reconversion totale ou partielle;

L'appel principal n'apparaît pas fondé de ce chef.

Sur l'indemnité complémentaire pour plus-value de clientèle

Dans les cas prévus à l'article 3 de la loi du 27 juillet 1961, le concessionnaire peut prétendre à une indemnité complémentaire évaluée en fonction des éléments déterminés par cette disposition légale, notamment la plus-value notable de clientèle apportée par le concessionnaire et qui reste acquise au concédant après l'expiration du contrat; qu'à défaut d'accord des parties, le juge statue en équité et, le cas échéant, en tenant compte des usages;

La SA D'Ieteren soutient à tort que la SPRL Billemont n'apporte pas la démonstration de pareille plus-value notable de clientèle liée à son activité de concessionnaire et découlant d'autres circonstances que celles propres à l'évolution globale du marché automobile en général et à l'évolution des véhicules de marque Audi et Volkswagen sur ce marché en particulier;

En effet:

- l'appelante sur incident se fonde essentiellement sur la circonstance que, nonobstant l'existence d'investissements en infrastructure et de dépenses publicitaires, les performances de la SPRL Billemont, telles qu'apparaissant notamment des tableaux comparatifs établis sur les années précédant la résiliation, se sont avérées depuis 1998 inférieures aux moyennes nationales pour les deux marques de véhicules concernées;

- l'existence d'une plus-value de clientèle doit en réalité s'apprécier par rapport à la zone propre au concessionnaire et à la situation antérieure de la clientèle dans cette zone, en sorte que la circonstance que le taux de pénétration réalisé par le concessionnaire est inférieur à la moyenne nationale n'exclut pas le droit à l'indemnité de clientèle (P. Kileste et P. Hollander, “Examen de jurisprudence. La loi du 27 juillet 1961 relative à la résiliation unilatérale des concessions de vente exclusive à durée indéterminée (1997 à 2002)”, RDC 2003, p. 411, nos 101 et s.);

Il n'y a pas lieu de limiter l'analyse des conditions d'application de l'article 3 de la loi du 27 juillet 1961 aux dernières années d'exploitation;

Considérant en l'espèce que la concession a pris cours en 1959 soit à une époque où les marques concédées n'avaient pas la notoriété actuelle, qu'elle a duré 44 années, que durant une très longue période la SPRL Billemont a été le seul concessionnaire des marques litigieuses dans la zone concernée, que ses comptes révèlent l'existence de dépenses publicitaires non négligeables et qu'elle a consenti de réels efforts et investissements, il apparaît comme établi à suffisance que la réputation des marques distribuées par la SA D'Ieteren n'a pas suffit à elle seule à attirer et à maintenir depuis l'origine de la concession une clientèle notable dont il peut être considéré avec la certitude requise qu'elle demeurera acquise au concédant;

C'est en conséquence à bon droit que le tribunal a considéré que la demande originaire tendant à l'octroi d'une indemnité complémentaire du chef de plus-value de clientèle était fondée en son principe;

Les critères permettant une détermination parfaitement mathématique de pareille indemnité font en général défaut et plus particulièrement en l'espèce où une méthode telle que celle prônée par M. Willemart (JLMB 1999, p. 513) ne pourrait s'appliquer faute de données disponibles et, d'autre part, la jurisprudence n'a pas dégagé de critères uniformes de calcul de pareille indemnité;

Le calcul opéré par le tribunal sur la base du bénéfice brut apparaît justifié dès lors que la clientèle “est un actif dont la valeur est fonction de son aptitude à produire des bénéfices” (Bruxelles 22 novembre 2001, JT 2002, p. 242);

Les données prises en compte par le tribunal n'apparaissent ni sur- ni sous-estimées et sont en conséquence conformes à l'exigence d'équité en sorte que ni l'appel principal ni l'appel incident ne s'avèrent fondés;

(…)