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Actualité : Cour de justice de l'Union européenne, 25/02/2010 et 11/03/2010, R.D.C.-T.B.H., 2010/5, p. 446-448

Cour de justice de l'Union européenne 25 février 2010 et 11 mars 2010

DROIT JUDICIAIRE EUROPÉEN ET INTERNATIONAL
Règlement CE n° 44/2001 du 22 décembre 2000 - Compétence judiciaire, reconnaissance et exécution de décision en matière civile et commerciale - Compétence en matière contractuelle - Article 5, point 1, sous b) - Détermination du lieu d'exécution de l'obligation - Critères de distinction entre 'vente de marchandises' et 'fourniture de services' - Fourniture de services - Contrat d'agent commercial - Exécution du contrat dans plusieurs Etats membres

Car Trim GmbH / KeySafety Systems SRL

Aff.: n° C-381/08

Wood Floor Solutions GmbH / Silva Trade SA

Aff.: n° C-19/09

La jurisprudence, tant nationale qu'européenne, relative à l'article 5.1. du Règlement Bruxelles I s'étoffe systématiquement, en éclaircissant plusieurs doutes relatifs à la notion de lieu d'exécution de l'obligation litigieuse, fondamentale pour la détermination de la compétence internationale du juge en matière contractuelle. Deux décisions récentes viennent s'ajouter à une liste qui contient, entre autres, les arrêts rendus dans les affaires C-386/05, Color Drack, C-533/07, Falco, C-204/08, Redher et, en Belgique, le récent arrêt de la Cour de cassation du 12 octobre 2009 dans l'affaire Polycar.

Il convient de saluer les deux décisions rapportées rendues, respectivement le 25 février (aff. C-381/08 Car Trim) et le 11 mars 2010 (aff. C-19/09, Wood Floor Solutions), pour approche pragmatique et ouverte de l'article 5, point 1, sous b), qu'elle consacrent. Cette approche favorise l'application de ladite disposition même dans des cas complexes afin d'éviter, d'une part, l'application de l'article 5, point 1, sous a), qui implique le recours aux règles de droit international privé de l'Etat dont la juridiction est saisie et, d'autre part, l'abandon de l'article 5, point 1, tout entier, en faveur de l'application de la règle générale du domicile du défendeur établie à l'article 2 du Règlement Bruxelles I.

La première décision rapportée concernait, en substance, la qualification d'un contrat relatif à la livraison de marchandises à fabriquer ou à produire lorsque l'acheteur a formulé certaines exigences concernant l'obtention, la transformation et la livraison de ces marchandises, en tant que contrat de vente de marchandises ou, au contraire, comme contrat de fourniture de services au sens de l'article 5, point 1, sous b), du Règlement Bruxelles I.

Cette question s'est posée dans le cadre d'un litige entre un fabricant des systèmes d'airbags italien et son fournisseur allemand qui livrait, sur demande et suivant les instructions pour la production déterminées par le fabricant italien, des composants de ces airbags. La Cour a tranché en faveur de la qualification de cette convention comme vente de marchandises, relevant du premier tiret de l'article 5, point 1, sous b), du Règlement Bruxelles I, en se fondant sur trois critères. Premièrement, la Cour a effectué une analyse comparative de la qualification de ce type de contrat complexe dans différents actes juridiques européens et internationaux. Elle a notamment relevé qu'un contrat qui a pour objet la vente de marchandises qui doivent d'abord être fabriquées ou produites par le vendeur est considéré comme un contrat de vente par la directive 1999/44/CE du 25 mai 1999 sur certains aspects de la vente et des garanties des biens de consommation (JO L 171, p. 12), la convention de Vienne du 11 avril 1980 sur les contrats de vente internationale de marchandises et la convention de New York du 14 juin 1974 sur la prescription en matière de vente internationale de marchandises. Deuxièmement, la Cour a retenu comme critère pour la qualification du contrat l'origine des matériaux à transformer, en indiquant que si l'acheteur a fourni la totalité ou la majorité des matériaux à partir desquels la marchandise est fabriquée, cette circonstance peut constituer un indice en faveur de la qualification du contrat comme contrat de fourniture de services. Dans le cas contraire, en l'absence de fourniture de matériaux par l'acheteur, il existe, selon la Cour, un indice fort pour que le contrat soit qualifié de contrat de vente de marchandises. Finalement, la Cour a également tenu compte de la responsabilité du fournisseur et du fait que, dans les contrats de vente, le vendeur est responsable de la qualité et de la conformité au contrat de la marchandise, qui est le résultat de son activité, tandis que dans les contrats de fourniture de services, le fournisseur n'est responsable que de l'exécution correcte suivant les instructions de l'acheteur. La Cour a également précisé, quant à la définition du lieu où les marchandises ont été ou auraient dû être livrées, qu'en cas de vente à distance, ce lieu doit être déterminé sur la base des dispositions de ce contrat. S'il est impossible de déterminer le lieu de livraison sur cette base, ce lieu est - sans qu'il soit requis de se référer au droit matériel applicable au contrat - celui de la remise matérielle des marchandises par laquelle l'acheteur a acquis ou aurait dû acquérir le pouvoir de disposer effectivement de ces marchandises à la destination finale de l'opération de vente.

La seconde décision concerne l'application de l'article 5, point 1, sous b), dans le contexte de la fourniture des services dans plusieurs Etat membres. Sur fond d'un litige entre une société luxembourgeoise assignée en Autriche par son agent qui, tout en étant domicilié à Amstteten (Autriche), exerçait ses activités dans plusieurs pays, la Cour a été amenée à se prononcer sur l'applicabilité de la disposition en question et la détermination du lieu d'exécution de l'obligation litigieuse.

Tout d'abord, en écartant les arguments tirés de l'arrêt C-256/00, Besix, soulevés par la société commettante, la Cour a tranché en faveur de l'applicabilité de l'article 5, point 1, dans le cas d'une obligation qui se caractérise par la multiplicité des endroits d'exécution. Rappelons que dans l'affaire Besix, la Cour avait exclu l'application de l'article 5, point 1, dans le cas des litiges portant sur une obligation qui ne comporte pas de limitation géographique, en l'occurrence l'obligation découlant d'une clause de non-concurrence, en forçant ainsi le demandeur à assigner le défendeur devant les tribunaux du domicile de ce dernier, conformément à l'article 2 du Règlement Bruxelles I.

En second lieu, en soulignant le rôle des principes de prévisibilité et de proximité comme les principes fondamentaux du système de règles de compétence internationale créé par le Règlement Bruxelles I, la Cour a remarqué que ces deux principes sont réalisés, d'une part, par la concentration de la compétence judiciaire au lieu de la fourniture des services, en vertu du contrat en cause, et, d'autre part, par la détermination d'une compétence judiciaire unique pour toutes les prétentions fondées sur ce contrat. En poursuivant son raisonnement dans cet esprit, la Cour a tenté de déterminer un endroit unique qui pourrait être considéré, en l'espèce, comme le lieu de l'exécution du contrat de fourniture de services au sens l'article 5, point 1, sous b). A ce titre, la Cour a remarqué que dans le cas où les dispositions du contrat ne permettent pas de déterminer le lieu de la fourniture principale des services, soit parce qu'elles prévoient une pluralité de lieux de fourniture, soit parce qu'elles ne prévoient explicitement aucun lieu spécifique de fourniture, mais que l'agent a déjà fourni de tels services, il convient, à titre subsidiaire, de prendre en considération le lieu où il a effectivement déployé, de manière prépondérante, ses activités en exécution du contrat. En cas d'impossibilité de déterminer le lieu de la fourniture principale des services sur la base tant des dispositions du contrat lui-même que de son exécution effective, il faut retenir, selon la Cour, le lieu où cet agent est domicilié. Ce lieu est, d'après la Cour, toujours susceptible d'être identifié avec certitude et est donc prévisible. De plus, il présente un lien de proximité avec le litige dès lors que l'agent y fournira, selon toute probabilité, une partie non négligeable de ses services.