Article

Cour d'appel Bruxelles, 10/09/2009, R.D.C.-T.B.H., 2010/5, p. 414-422

Cour d'appel de Bruxelles 10 septembre 2009

CONCURRENCE
Droit belge de la concurrence - Pratiques restrictives - Position dominante - Abus - Société de gestion collective de droits d'auteur - Autorisation de reproduction - Contrat-cadre - Proportionnalité des mesures - Secret professionnel - Pouvoirs de contrôle - Conditions contractuelles - Action en cessation
Le refus d'autorisation de reproduction d'une oeuvre protégée par le droit d'auteur n'est abusif que si les trois conditions cumulatives suivantes sont remplies, à savoir que ce refus fasse obstacle à l'apparition d'un produit nouveau pour lequel il existe une demande potentielle des consommateurs, qu'il soit dépourvu de justification et de nature à exclure toute concurrence sur un marché dérivé. Le critère de proportionnalité des mesures de contrôle par rapport à l'objectif poursuivi ne figure pas comme tel parmi ces conditions.
Un contrat-cadre imposé par une société de gestion collective des droits d'auteurs pour pouvoir exercer une activité de duplication est justifié par la recherche de l'efficacité du contrôle du respect des conditions de reproduction des oeuvres protégées. Le refus de délivrer des autorisations de reproduction à ceux qui n'ont pas signé le contrat-cadre n'est pas abusif.
Un contrat-cadre ne doit pas prévoir les voies de recours car une société de gestion collective des droits d'auteurs ne dispose pas des attributs de la puissance publique mais seulement de pouvoirs de contrôle qui sont justifiés par le respect des conditions de reproduction.
MEDEDINGING
Belgisch mededingingsrecht - Restrictieve mededingingspraktijken - Machtspositie - Misbruik - Vennootschap voor collectief beheer van auteursrechten - Toestemming voor reproductie - Raamovereenkomst - Evenredigheid van de maatregelen - Beroepsgeheim - Controlebevoegdheden - Contractsvoorwaarden - Vordering tot staking
Het weigeren van een toelating tot reproductie van een werk dat beschermd is door het auteursrecht kan slechts als misbruik worden aangemerkt indien voldaan is aan de volgende drie cumulatieve voorwaarden, namelijk dat deze weigering in de weg staat aan de introductie van een nieuw product waarnaar van de zijde van de consumenten een potentiële vraag bestaat, dat zij geen rechtvaardigingsgrond heeft en dat zij elke mededinging op een afgeleide markt uitsluit. De evenredigheid van de controlebevoegdheden ten opzichte van het te bereiken doel maakt als zodanig geen deel uit van deze voorwaarden.
Een raamovereenkomst, opgelegd door een vennootschap voor collectief beheer van auteursrechten om te mogen reproduceren, is gerechtvaardigd door het zoeken naar de doeltreffendheid van de controle naar het respect van de voorwaarden van reproductie voor beschermde werken. Het weigeren van een toelating tot reproductie aan zij die de raamovereenkomst niet hebben ondertekend kan niet als misbruik worden aangemerkt.
Een raamovereenkomst moet de beroepsmiddelen niet voorzien omdat een vennootschap voor collectief beheer van auteursrechten niet over de attributen van de overheid beschikt maar enkel over controlebevoegdheden die gerechtvaardigd zijn door het respect van de voorwaarden voor reproductie.

3.14 SPRL / Société belge des Auteurs, Compositeurs et Editeurs (Sabam)

Siég.: H. Mackelbert, M.-F. Carlier et M. Moris (conseillers)
Plaid.: Mes N. Gerard-Frippiat, M. Van Den Abbeele et O. Sasserath
I. La décision attaquée

L'appel est dirigé contre le jugement du président du tribunal de commerce de Bruxelles siégeant en cessation, prononcé le 14 juin 2007 et signifié le 25 juin 2007.

(…)

III. Les faits et antécédents de la procédure

1. 3.14 a pour activité de faire presser ou de dupliquer sur un support sonore ou audiovisuel, des oeuvres d'artistes. Elle est essentiellement un intermédiaire entre ses clients et les usines de pressage auprès desquelles elle commande des CD au nom de ses clients. Elle effectue, par ailleurs, elle-même, des gravures de CD-R qui sont enregistrables.

Le 29 juillet 2001, elle a conclu avec la Sabam un contrat “pour le pressage ou la duplication de supports en sous-traitance”, auquel elle a mis fin le 22 septembre 2006, avec effet au 1er janvier 2007. L'origine de la rupture unilatérale de ce contrat se trouve dans un contrôle réalisé par un inspecteur de la Sabam le 12 décembre 2005. 3.14 reproche à la Sabam d'avoir effectué ce contrôle à une période de surcharge de travail.

2. Par un courrier du 23 décembre 2005, la Sabam informe 3.14 des pratiques contrevenantes au contrat-cadre qui ont été constatées lors du contrôle, à savoir que 3.14 procède au pressage d'un nombre d'exemplaires supérieur à celui pour lequel l'autorisation de reproduction a été délivrée et qu'elle procède à la destruction en vrac de ce stock supplémentaire sans qu'il soit possible d'identifier les numéros de catalogue qui ont été détruits et leur quantité.

A la suite de cette constatation, la Sabam propose à 3.14 de l'informer préalablement de tout surpressage et d'adopter une procédure de destruction des stocks supplémentaires qui permette d'identifier les numéros de catalogue détruits et leur quantité.

3.14 répond le 11 janvier 2006, notamment, qu'elle n'acceptera plus à l'avenir d'être contrôlée sans en avoir été préalablement avertie afin de préserver le bon déroulement de son commerce.

Dans un courrier du 31 mars 2006 qui fait suite à une réunion entre 3.14 et la Sabam, cette dernière propose d'autoriser des pressages excédentaires à la condition d'en être avertie préalablement, oeuvre par oeuvre, et, en cas de destruction, d'en être avertie préalablement afin qu'elle puisse envoyer à ses propres frais un contrôleur pour vérifier les quantités détruites. 3.14 n'a pas donné suite à ces propositions.

Par courrier du 22 septembre 2006, 3.14 informe la Sabam qu'elle ne renouvellera pas le contrat-cadre et qu'il prendra donc fin le 31 décembre 2006. En l'absence de contrat-cadre, la Sabam n'accordera plus d'autorisation de pressage à partir de janvier 2007. 3.14 lui a fait savoir que dans ce cas, elle l'assignerait en justice.

3. En décembre 2006, la Sabam informe 3.14 qu'elle est disposée à envisager des aménagements au contrat-cadre à la condition qu'ils garantissent le respect des droits d'auteur et son contrôle, et que le délai pour régulariser la situation est reporté jusqu'au 31 janvier 2007. En l'absence de propositions de 3.14, la Sabam lui signale, le 23 février 2007, que les autorisations de reproduction seront refusées à partir du 1er mars 2007.

Au cours du mois de mars 2007, 3.14 informe la Sabam que le refus de délivrer des autorisations de reproduction à défaut de contrat-cadre, constitue une exploitation abusive de sa position dominante. 3.14 propose toutefois des négociations et demande que les autorisations soient provisoirement accordées pendant ces négociations, ce que la Sabam accepte.

Une réunion a lieu le 14 mars 2007. Dans un courrier du 15 mars 2007, la Sabam invite 3.14 à lui faire part des éléments du contrat-cadre qui doivent être aménagés, ainsi que des pièces de son dossier qui établissent les reproches qu'elle formule.

Le 30 mars 2007, 3.14 adresse à la Sabam un projet de conditions générales de reproduction rédigé par elle qui prévoit notamment, l'obligation pour la Sabam de l'avertir d'un contrôle 15 jours à l'avance. Le 10 avril 2007, 3.14 fait savoir à la Sabam qu'elle refuse toute négociation à partir d'un autre point de départ que les conditions générales qu'elle a rédigées.

(…)

IV. Discussion
A. L'appel principal
1. Le cadre juridique, la position dominante de la Sabam et le marché concerné

9. 3.14 estime que l'obligation de signer un contrat-cadre avec la Sabam que celle-ci impose pour pouvoir exercer son activité économique de duplication, constitue une violation de l'article 3 de la loi sur la protection de la concurrence économique, coordonnée le 15 septembre 2006, qui interdit à une société d'exploiter de façon abusive une position dominante sur le marché belge concerné ou sur une partie substantielle de celui-ci.

Le marché concerné, d'après 3.14, est celui de la reproduction sur support sonore d'oeuvres littéraires ou artistiques.

Toujours selon 3.14, le système du contrat-cadre mis en place par la Sabam empêche le jeu normal de la concurrence entre les presseurs qui sont liés à la Sabam par un contrat et ceux qui ne le sont pas. Elle soutient qu'elle est en mesure d'offrir des tarifs plus avantageux que ses concurrents sur le marché de la reproduction. Le comportement de la Sabam, qui a pour effet d'exclure 3.14 du marché de la reproduction, oblige l'artiste ou son producteur à s'adresser à un presseur plus onéreux.

10. Selon l'article 3 de la loi précitée: “Est interdit, sans qu'une décision préalable soit nécessaire à cet effet, le fait pour une ou plusieurs entreprises d'exploiter de façon abusive une position dominante sur le marché belge concerné ou dans une partie substantielle de celui-ci.

Ces pratiques abusives peuvent notamment consister à:

1° imposer de façon directe ou indirecte des prix d'achat ou de vente ou d'autres conditions de transaction non équitables;

2° limiter la production, les débouchés ou le développement technique au préjudice des consommateurs;

3° appliquer à l'égard des partenaires commerciaux des conditions inégales à des prestations équivalentes, en leur infligeant de ce fait un désavantage dans la concurrence;

4° subordonner la conclusion de contrats à l'acceptation, par les partenaires, de prestations supplémentaires, qui, par leur nature ou selon les usages commerciaux, n'ont pas de lien avec l'objet de ces contrats.”

Cette disposition a le même contenu que celui de l'article 82 du traité CE, à la différence que celui-ci est applicable “dans la mesure où le commerce entre Etats membres est susceptible d'en être affecté”.

Les parties se réfèrent toutes les deux à la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes relative à l'article 82 du traité CE. Etant donné que, sous réserve du commerce entre Etats membres, l'article 3 de la loi du 15 septembre 2006 a le même contenu que l'article 82 du traité CE, la disposition de droit interne peut être interprétée à la lumière de la jurisprudence de la Cour européenne qui fait autorité en matière de concurrence.

Dans la partie de ses conclusions relative au droit de la preuve, 3.14 invoque d'ailleurs l'article 82 du traité CE parce que le marché belge de la perception et de la répartition des redevances de droits d'auteur sur lequel la Sabam exerce un monopole historique, représente une partie substantielle du marché commun. D'après 3.14, les pratiques incriminées de la Sabam peuvent donc affecter le commerce entre les Etats membres, d'autant plus que la Sabam gère également les droits d'auteur sur les territoires qui entrent dans le champ d'application des contrats de réciprocité avec les sociétés soeurs.

11. Il n'est pas contesté que la Sabam dispose d'un monopole de fait sur le marché des services relatifs à la protection des droits d'auteurs d'oeuvres musicales. Elle est la seule à pouvoir délivrer une autorisation de reproduction d'une oeuvre musicale dont elle assure la perception des droits et, sans avoir obtenu cette autorisation, les sociétés intermédiaires, comme 3.14, ne peuvent faire presser auprès d'une usine de pressage les supports contenant les oeuvres.

12. Le titulaire d'un droit de propriété intellectuelle dispose du droit exclusif de reproduction et l'exercice de ce droit par le titulaire peut donner lieu à un comportement abusif dans des circonstances exceptionnelles (CJCE 6 avril 1995, C-241/91, Magill, point 50).

“Pour que le refus d'une entreprise titulaire d'un droit d'auteur de donner accès à un produit ou à un service indispensable pour exercer une activité déterminée puisse être qualifié d'abusif, il suffit que trois conditions cumulatives soient remplies, à savoir que ce refus fasse obstacle à l'apparition d'un produit nouveau pour lequel il existe une demande potentielle des consommateurs, qu'il soit dépourvu de justification et de nature à exclure toute concurrence sur un marché dérivé.” (CJCE 29 avril 2004, C-418/01, IMS Health, point 38).

La Sabam exerce pour le compte de ses membres, le droit exclusif de reproduction en ce qu'elle est la seule à pouvoir délivrer les autorisations nécessaires pour le pressage d'oeuvres musicales sur un CD. Elle est donc à ce titre, le partenaire obligé des entreprises qui, comme 3.14, ont pour activité la reproduction d'oeuvres musicales protégées par le droit d'auteur.

L'exercice du droit exclusif de reproduction par la Sabam pour le compte de ses membres n'exclut pas qu'elle puisse abuser de sa position dominante, dans des circonstances exceptionnelles, lorsque les trois conditions précitées définies par la Cour de justice sont réunies, ce que doit démontrer 3.14.

2. Les comportements de la Sabam considérés comme abusifs par 3.14
2.1. La proportionnalité des mesures par rapport à l'objectif poursuivi
a) L'existence du contrat-cadre

13. Selon 3.14, l'obligation de signer avec la Sabam un contrat-cadre qui organise les modalités et les mécanismes de contrôle avant qu'une autorisation de reproduction puisse être obtenue, est abusif parce que le but poursuivi, qui est d'assurer la protection des droits intellectuels des auteurs affiliés à la Sabam, peut être atteint autrement. Cette obligation n'est donc pas proportionnée à l'objectif poursuivi et crée des barrières à l'exercice de l'activité des entreprises qui ne remplissent pas les conditions imposées unilatéralement par la Sabam.

3.14 soutient que le fait d'imposer aux artistes ou aux producteurs de s'adresser à des presseurs liés contractuellement avec la Sabam excède ce qui est nécessaire pour assurer une gestion efficace des droits d'auteur parce que d'autres mécanismes de contrôle existent.

Elle relève à cet égard que:

1° l'article 74 de la loi sur le droit d'auteur (LDA) donne force probante, sauf preuve contraire, aux constats des agents assermentés désignés par les sociétés de gestion collective autorisées;

2° la Sabam peut effectuer des contrôles chez les presseurs ou les fabricants en obtenant l'autorisation du juge des saisies dans le cadre d'une saisie-description telle que prévue aux articles 1481 et suivants du Code judiciaire;

3° l'article 8 des conditions particulières liées aux autorisations de reproduction permet à la Sabam d'exercer un contrôle sur les activités des producteurs et des presseurs indépendamment de la signature d'un contrat-cadre relatif à ces mesures de contrôle. Cette disposition prévoit en effet que: “La Sabam exercera un contrôle absolu sur les opérations du producteur. Ce dernier autorisera ce contrôle, aussi bien sur sa propre exploitation, que sur celle de ses co-exploitants (presseurs, détaillants,...)”;

4° l'ensemble des CD et DVD qu'elle presse sont revêtus d'un code barre IFPI qui permet de réaliser la traçabilité parfaite de leur processus de fabrication;

5° pour les CD-R, le respect des droits de reproduction est assuré par le paiement d'une contribution forfaitaire. Les producteurs bénéficiant d'un contrat BIEM sont également soumis à un régime différent de celui de l'autorisation préalable applicable à 3.14.

14. Conformément à la jurisprudence précitée de la Cour de justice, le refus d'autorisation de reproduction d'une oeuvre protégée par le droit d'auteur n'est abusif que si les trois conditions cumulatives sont remplies. Le critère de proportionnalité des mesures de contrôle par rapport à l'objectif poursuivi ne figure pas comme tel parmi ces conditions. En revanche, celles-ci comprennent la justification du refus d'autorisation. Il convient dès lors d'examiner si l'obligation de conclure un contrat-cadre pour qu'une autorisation de reproduction puisse être obtenue, est justifiée.

Le contrat-cadre prévoit diverses obligations destinées à faciliter le contrôle par la Sabam du respect des droits d'auteur que le demandeur en autorisation s'engage à respecter. Le respect des droits du titulaire d'un droit de propriété intellectuelle nécessite des mesures de contrôle efficaces. Le contrat-cadre a pour but d'assurer l'efficacité du contrôle et le principe même de ce contrat-cadre serait dépourvu de justification si la Sabam pouvait effectuer le contrôle du respect des droits d'auteur avec un degré d'efficacité équivalent sans devoir recourir à ce contrat-cadre.

Comme l'expose la Sabam, les intermédiaires et les presseurs sont des maillons essentiels dans la chaîne de production des CD parce qu'ils centralisent les informations relatives aux demandes de reproduction de leurs clients, effectuent le travail de reproduction et expédient les supports sur lesquels les oeuvres ont été reproduites. Il est donc essentiel que les intermédiaires et les presseurs puissent être soumis à un contrôle efficace du respect des conditions de reproduction des oeuvres protégées, dont notamment la vérification de l'adéquation entre le nombre de supports pressés et le nombre de supports pour lesquels les droits de reproduction mécanique ont bien été payés.

15. Les prérogatives dont dispose la Sabam que 3.14 relève, n'offrent pas un degré d'efficacité comparable à celui des obligations prévues par le contrat-cadre. En effet, l'article 74 LDA qui confère une force probante renforcée aux constatations des agents assermentés désignés par la Sabam, ne leur donne pas de pouvoirs d'investigations, tels que la possibilité de pénétrer dans les locaux de l'intermédiaire pour y vérifier les stocks, ni le droit d'obtenir la production des documents utiles au contrôle de la reproduction.

Quant à la saisie-description, elle nécessite l'obtention d'une autorisation par le juge des saisies et l'intervention d'un huissier de justice, ce qui est de nature à entraver considérablement l'efficacité des contrôles de la Sabam. Elle serait en effet contrainte d'introduire une procédure judiciaire et d'exposer des frais à chaque fois qu'elle souhaite effectuer un contrôle chez un intermédiaire ou un presseur, alors que le contrat-cadre lui offre la possibilité de réaliser un tel contrôle sans frais ni formalités.

L'article 8 des conditions particulières des autorisations de reproduction ne garantit pas la possibilité d'effectuer un contrôle auprès des co-exploitants, tels que les presseurs et détaillants notamment. Ceux-ci sont des tiers par rapport au contrat conclu entre le producteur et la Sabam. Cette dernière pourrait seulement se retourner contre son co-contractant pour avoir omis de prévoir dans le contrat avec ses co-exploitants la possibilité de contrôle par la Sabam.

Le code IFPI que 3.14 affirme faire figurer sur chacun des supports ne suffit pas à contrôler le respect de toutes les conditions de l'autorisation de reproduction. En effet, même si un exemplaire de chaque CD est mis à la disposition de la Sabam et que chaque CD comporte un code IFPI, celle-ci devrait s'adresser au presseur pour obtenir la facture envoyée à l'intermédiaire afin de pouvoir vérifier si le nombre de CD commandés au presseur correspond bien au nombre de CD facturés par l'intermédiaire à son client. Sachant que la plupart des usines de pressage sont situées à l'étranger, dont celles auxquelles 3.14 recourt généralement, le travail de contrôle de la Sabam s'en trouverait considérablement alourdi.

L'exercice du contrôle auprès de l'intermédiaire en Belgique est le plus efficace parce qu'il dispose de la facture des presseurs, de la facture à ses clients et des stocks de CD.

Les CD-R ne constituent pas le même produit que les CD. 3.14 expose en effet dans ses conclusions que les CD-R ne sont pas principalement utilisés à des fins de diffusion commerciale mais de promotion de l'artiste et ils sont plus chers et de moindre qualité que les CD. La circonstance que les CD-R soient soumis à un régime différent de celui des CD n'est donc pas pertinente, dans la mesure où ces deux types de support ne constituent pas des produits substituables, comme le reconnaît d'ailleurs 3.14.

Le refus de délivrer des autorisations de reproduction pour des intermédiaires qui ne sont pas liés contractuellement à la Sabam est en l'espèce justifié par la nécessité de s'assurer de l'efficacité du contrôle du respect des droits d'auteur.

En conséquence, ce refus n'est pas abusif.

16. Surabondamment, contrairement à ce que prétend 3.14, la concurrence au sein du marché de pressage ou d'intermédiation existe dès lors qu'il y a 40 sociétés accréditées par la Sabam qui se font concurrence.

C'est également en vain que 3.14 soutient que le contrat-cadre a un caractère artificiel en ce que les 40 sociétés agréées par la Sabam font appel à des sous-traitants pour réaliser les opérations de duplication. Cette possibilité de recourir à des sous-traitants, pour autant qu'ils soient agréés, est expressément prévue à l'article 3 du contrat-cadre suivant lequel, “le pressage ou la duplication ne pourront être réalisés que par des fabricants liés contractuellement avec la Sabam, ou par des fabricants liés contractuellement avec une autre société d'auteurs membre du BIEM”.

b) Le contenu du contrat-cadre

17. D'après 3.14, diverses dispositions du contrat-cadre n'offrent pas les garanties légales d'objectivité et de transparence quant aux opérations de contrôle et ne présentent pas de rapport de proportionnalité avec les objectifs poursuivis par la Sabam.

Il a déjà été précisé que le principe même du contrat-cadre est justifié par la recherche de l'efficacité du contrôle du respect des conditions de reproduction d'oeuvres protégées, pour les motifs exposés au point précédent.

Il convient donc d'examiner ici chacune des dispositions du contrat-cadre discutées par 3.14.

18. 3.14 critique l'article 3 précité qui impose aux demandeurs en autorisation de reproduction de choisir des presseurs liés contractuellement à la Sabam ou à une autre société d'auteurs membre du BIEM, ce qui fausse la concurrence sur le marché de la duplication.

Le marché de la reproduction à prendre en considération est celui des opérateurs liés contractuellement à la Sabam puisqu'à défaut de contrat, elle ne délivre pas d'autorisation de reproduction, de sorte que l'oeuvre protégée ne peut être légalement reproduite. Or, il existe 40 opérateurs agréés par la Sabam, ce qui permet la concurrence.

Cette disposition n'est pas applicable lorsque la reproduction porte sur des oeuvres qui ne font pas partie du répertoire protégé. Dans ce cas, le demandeur en autorisation peut s'adresser au presseur de son choix, comme en atteste la pièce 56 du dossier de la Sabam comportant différentes réponses en ce sens à des demandes de reproduction d'oeuvres non protégées.

La pièce 41 de 3.14 qui est un courrier par lequel la Sabam invite un demandeur en reproduction d'oeuvres non protégées de s'adresser à un presseur agréé en Espagne, ne permet pas de conclure qu'il s'agit d'une pratique généralisée de la Sabam.

19. L'article 4.2. du contrat-cadre prévoit: “A compter de la signature de ce contrat, le sous-traitant sera autorisé à faire réaliser des pressages ou duplications pour le compte:,(...), des producteurs ayant obtenu des autorisations de presser ou de dupliquer émanant d'autres sociétés d'auteurs membres du BIEM, (...), le sous-traitant devant au préalable en obtenir la confirmation auprès de la Sabam.”

D'après 3.14, il est inutile de demander confirmation à la Sabam, dès lors que le presseur dispose d'une autorisation d'autres sociétés d'auteurs membres du BIEM.

Cette demande de confirmation a pour but de s'assurer que l'autorisation est régulière et permet au presseur de s'exonérer de sa responsabilité si elle ne l'est pas. La cour n'aperçoit pas en quoi cette disposition est abusive.

20. 3.14 incrimine les articles 5.2. et 5.3. du contrat-cadre suivant lesquels:

“Dans le cadre de ce contrat, la Sabam s'engage à:

5.2. Mentionner le sous-traitant sur la liste que la Sabam établit, répertoriant tous les sous-traitants et fabricants ayant conclu un contrat avec elle.

5.3. Adresser cette liste de sous-traitants, (...), à tout producteur national qui s'adresserait à la Sabam pour obtenir une autorisation de reproduction sur supports.”

Il s'agit d'obligations imposées à la Sabam et non aux sous-traitants. Selon 3.14, cette disposition fausse le jeu de la concurrence sur le marché de la duplication parce que le demandeur en autorisation est obligé de s'adresser à des opérateurs agréés, pour les mêmes motifs que ceux exposés par elle à propos de l'article 3 auxquels elle renvoie.

L'obligation de s'adresser à des opérateurs agréés ne fausse pas la concurrence pour les raisons déjà exposées précédemment à propos de l'article 3.

21. 3.14 critique l'article 6.1. du contrat-cadre suivant lequel le sous-traitant doit fournir à la demande de la Sabam une liste tenue à jour de ses clients. Elle fait valoir que la liste de tous les clients ne peut être exigée, parce que doivent en être exclus ceux dont les demandes ne portent pas sur le répertoire protégé par la Sabam et les sociétés étrangères qu'elle représente.

L'accès à la liste de tous les clients de 3.14 et pas uniquement des clients dont les demandes concernent le répertoire protégé par la Sabam est nécessaire pour s'assurer du respect des droits d'auteur. La production d'une liste non exhaustive de clients qui utilisent le répertoire protégé ne permet pas de contrôler efficacement l'application des droits de reproduction parce que cette liste serait établie unilatéralement par l'intermédiaire sans possibilité de vérification par la Sabam.

L'accès à la liste des clients de 3.14 n'est pas de nature à porter préjudice à ses activités commerciales parce que la Sabam n'est pas un concurrent et ses agents sont soumis au secret professionnel selon l'article 78 de la loi du 30 juin 1994 sur les droits d'auteur et les droits voisins. Cette obligation de confidentialité de la Sabam et de son personnel est d'ailleurs rappelée à l'article 10 du contrat-cadre.

22. 3.14 fait valoir que les obligations prévues aux articles 6.5. et 6.6. du contrat-cadre sont inutiles et ont pour seul but de donner à la Sabam la mainmise sur toute son activité de duplication.

D'après ces dispositions, “Le sous-traitant s'engage à:

6.5. S'abstenir de faire presser ou de faire dupliquer pour le compte d'un client national non signataire du contrat-type BIEM/IFPI auprès de la Sabam et qui n'a pas obtenu de cette dernière les autorisations nécessaires.

6.6. S'abstenir de faire presser ou de faire dupliquer pour le compte de clients étrangers non signataires d'un contrat-type BIEM/IFPI auprès d'une autre société d'auteurs, tant que la Sabam n'a pas confirmé que l'autorisation de pressage ou de duplication a été délivrée par une autre société d'auteurs membres du BIEM.”

L'article 6.5. est évidemment essentiel au respect des droits d'auteur parce qu'il évite la reproduction d'oeuvres du répertoire protégé pour le compte d'un client national sans que les autorisations nécessaires n'aient été obtenues auprès de la Sabam.

Pour les clients étrangers, la Sabam doit pouvoir contrôler que l'autorisation de reproduction délivrée par une autre société d'auteurs est authentique. S'agissant d'oeuvres protégées, la vérification a priori de la validité de l'autorisation délivrée par une société d'auteurs étrangère offre une plus grande efficacité dans la lutte contre la fraude que la découverte après coup d'une reproduction d'oeuvres sous le couvert d'une fausse autorisation. L'obligation prévue par cette disposition est en conséquence, justifiée.

23. L'article 6.12. impose au sous-traitant de déclarer à la Sabam tout pressage ou toute duplication en indiquant les éléments qu'il prévoit. D'après 3.14, cette obligation est disproportionnée par rapport à l'objectif poursuivi par la Sabam parce que cette déclaration ne peut viser les reproductions qui ne concernent pas le répertoire protégé par la Sabam.

Cette obligation est également une mesure nécessaire à l'efficacité du contrôle du respect des droits d'auteur. La Sabam doit être en mesure de vérifier que les droits de reproduction qui sont dus sont bien payés et pour ce faire, elle doit être informée de tous les pressages et duplications effectués par le sous-traitant.

24. Quant à l'article 6.14., il prévoit que le sous-traitant doit conserver pendant un an au moins un exemplaire de chaque support qu'il aurait fait presser ou dupliquer et le tenir à la disposition de la Sabam. Contrairement à ce que prétend 3.14, cette obligation est nécessaire pour vérifier que les conditions de reproduction des oeuvres protégées ont bien été respectées. Elle ne peut se limiter à la conservation des seuls supports qui contiennent des oeuvres protégées, sous peine de ruiner l'efficacité du contrôle pour les motifs déjà exposés aux points précédents.

25. D'après l'article 6.15., “la Sabam et le sous-traitant ont conjointement déterminé la forme que devra prendre la déclaration ainsi que cela est défini à l'annexe 1”. 3.14 soutient que s'agissant d'un contrat d'adhésion, les parties n'ont pas décidé conjointement de la forme de la déclaration.

L'annexe 1 du contrat conclu entre la Sabam et 3.14 prévoit la périodicité des déclarations et des documents qui seront fournis à la Sabam en vue de leur enregistrement. L'article 6.15. du contrat-cadre concerne les modalités de la déclaration de pressage, prévus par l'annexe 1 signée par les représentants de 3.14. Ces modalités ont donc été déterminées conjointement par les parties. L'existence de l'annexe 1 dont il est question à l'article 6.15. du contrat démontre que les modalités de la déclaration peuvent être discutées afin qu'elles soient adaptées à la nature et à l'ampleur des activités de reproduction du sous-traitant.

26. D'après les articles 9.1. et 9.2. du contrat-cadre: “La Sabam disposera du droit de contrôler toutes les opérations du sous-traitant régies par le présent contrat.

9.1. Les contrôleurs de la Sabam auront un droit d'accès aux stocks du sous-traitant et à ses bureaux; ce droit ne sera sous aucun prétexte ni entravé ni retardé.

9.2. Ce droit consistera à fournir aux contrôleurs de la Sabam tout document leur permettant de vérifier les informations relatives à la fabrication, et de contrôler par recoupement la fabrication, les recettes et les dépenses et les stocks de supports.”

3.14 se plaint de ce que par ces dispositions, la Sabam a accès à l'ensemble de l'activité de l'intermédiaire et à tous ses documents comptables même s'ils ne concernent pas la reproduction d'oeuvres protégées, ce qui est exorbitant.

Le droit d'accès aux stocks et aux bureaux du sous-traitant est nécessaire pour vérifier que le nombre de supports comprenant des oeuvres protégées correspond bien au nombre de supports pour lesquels une autorisation a été donnée. L'efficacité du contrôle justifie que ce droit d'accès puisse s'effectuer sans préavis ni entrave. La Sabam doit en effet pouvoir vérifier l'activité de l'intermédiaire en temps réel sans qu'il ait l'occasion de préparer un contrôle en dissimulant certains éléments de cette activité, le cas échéant. Contrairement à ce que soutient 3.14, la force majeure, pour autant qu'elle soit établie et qu'elle ne résulte pas d'une simple convenance, suspend les obligations liées à ces investigations sans qu'il soit nécessaire de le préciser dans le contrat.

Quant aux documents, l'obligation de communication est limitée à ceux qui permettent de vérifier les informations relatives à la fabrication et de contrôler par recoupement la fabrication, les recettes, les dépenses et les stocks de supports, comme le prévoit l'article 9.2. du contrat. Il est donc inexact de soutenir que l'accès aux documents est illimité, puisqu'il ne concerne que les documents en rapport avec la fabrication de supports. La Sabam ne peut donc pas exiger la communication de tout document concernant l'ensemble de l'activité de 3.14, mais seulement de ceux utiles à la vérification par recoupement de la fabrication des supports.

Contrairement à ce que soutient 3.14, les modalités d'exercice des pouvoirs de contrôle de la Sabam sont balisées. Ces pouvoirs ne peuvent s'exercer que dans la mesure de ce qui est nécessaire à leur objet, à savoir, vérifier le respect des conditions de reproduction d'oeuvres protégées. Le contrat-cadre ne peut prévoir de dispositions précises quant à la durée ou à la périodicité de ces contrôles parce que leurs modalités doivent être appropriées à l'objectif poursuivi dans chaque cas d'espèce qui peut varier en fonction des circonstances telles que l'ampleur de l'activité, la construction d'une relation de confiance avec le partenaire obligé qu'est la Sabam ou le sérieux de l'intermédiaire dans le respect des droits d'auteur.

Les pouvoirs de contrôle prévus par ces dispositions sont justifiés et la circonstance que 3.14 ne fait appel qu'à des usines de pressage agréées qui utilisent le code IFPI n'offre pas les mêmes garanties d'efficacité du contrôle dans la mesure où, comme il a déjà été exposé précédemment, ces usines sont situées à l'étranger.

Ces pouvoirs ont pour but de s'assurer qu'il n'existe pas de supports excédentaires par rapport à ceux pour lesquels une autorisation de pressage a été délivrée, ce qui n'est pas démenti par le courrier que la Sabam a adressé à 3.14 le 31 mars 2006 (pièce 5 du dossier de la Sabam). Dans ce courrier, la Sabam n'autorise pas purement et simplement le pressage de CD excédentaires mais permet à 3.14 d'y recourir moyennant les conditions prévues dans cette lettre dont l'obligation de la prévenir préalablement oeuvre par oeuvre.

3.14 invoque à tort la violation de la vie privée par ces mesures de contrôle. Ces mesures sont en effet limitées au contrôle du respect des droits d'auteur par des agents soumis au secret professionnel et restent dans des limites raisonnables par rapport au but légitime poursuivi.

C'est également en vain que 3.14 soutient que les contrôles sont exercés par des agents de la Sabam qui sont à la fois juges et parties. Ces agents ne peuvent qu'effectuer des constatations à l'occasion de contrôles et ni ceux-ci ni la Sabam ne disposent du pouvoir du préalable et de l'exécution forcée des autorités publiques. En cas de découverte d'une infraction aux conditions de reproduction, seul un tribunal peut trancher le litige et décerner à la Sabam un titre exécutoire à l'issue d'une procédure contradictoire dans laquelle les droits de la défense des parties sont respectés.

Quant au respect du secret des affaires, les agents de la Sabam sont tenus au secret professionnel (art. 78 LDA). Le courrier que la Sabam a adressé à la SPRL Espace Multimedia le 31 mai 2007 dont se prévaut 3.14, n'est pas constitutif de dénigrement à son égard, dans la mesure où la Sabam se contente d'informer cette société que 3.14 a résilié son contrat de pressage et qu'elle ne délivrera plus d'autorisation dans l'attente du jugement tranchant la question (pièce 47 du dossier de 3.14). Cette information a été communiquée à cette société en réponse à deux lettres de cette dernière et la Sabam rappelle dans cette réponse la finalité du contrat-cadre.

27. 3.14 reproche au contrat-cadre d'être muet sur les recours qu'elle peut exercer en cas de conflit avec la Sabam concernant les conclusions d'un contrôle ou le non-accomplissement de telle ou telle formalité.

Ce contrat n'a pas à prévoir les voies de recours ouvertes à chacune des parties en cas de litige parce qu'elles sont prévues par la loi. La Sabam ne dispose pas des attributs de la puissance publique, mais seulement de pouvoirs de contrôle qui sont justifiés par le respect des conditions de reproduction.

28. D'après 3.14, le caractère disproportionné du système mis en place par la Sabam résulte encore du fait que la SDRM (une société de droit français qui gère les droits de reproduction mécanique) n'impose pas aux presseurs la conclusion d'un contrat-cadre pour la délivrance d'autorisations de pressage. La pièce produite par 3.14 est la demande d'autorisation de reproduction 'oeuvre par oeuvre' (pièce 48 du dossier de 3.14). Elle concerne les demandeurs en autorisation de reproduction et non les intermédiaires.

L'article VII des dispositions générales de l'autorisation SDRM prévoit: “la SDRM aura le droit de contrôle le plus absolu sur les opérations entrant dans l'objet de la présente demande d'autorisation, le producteur et/ou le donneur d'ordre s'engagent à lui assurer ce contrôle également auprès de tous tiers concernés par la réalisation et la commercialisation des phonogrammes (studios d'enregistrement, presseurs ou duplicateurs, distributeurs et détaillants)” (pièce 48 du dossier de 3.14).

Le donneur d'ordre, identifié dans la demande d'autorisation comme l'intermédiaire entre le producteur et le fabricant, s'expose, en vertu de l'article VII précité, au contrôle le plus absolu de la SDRM sur les opérations qui font l'objet de la demande. Ainsi, conformément à cette disposition générale, les intermédiaires sont soumis aux obligations destinées à permettre le contrôle le plus absolu de la SDRM en rapport avec la demande d'autorisation. La SDRM comme la Sabam poursuit le même objectif qui est le contrôle du respect des conditions d'autorisation d'oeuvres protégées et dispose pour ce faire, de pouvoirs d'investigation à l'égard des intervenants dans l'activité de reproduction, dont les intermédiaires.

A défaut de produire les conditions auxquelles sont soumis les intermédiaires vis-à-vis de la SDRM dans le cadre de leurs activités de reproduction, 3.14 n'établit pas l'existence d'une différence dans la mise en oeuvre des modalités de contrôle défini comme absolu, telle que le système du contrat-cadre adopté par la Sabam serait abusif.

2.2. Les pratiques de la Sabam jugées discriminatoires par 3.14

29. D'après 3.14, la Sabam applique des conditions inégales à des prestations équivalentes en ce qu'elle privilégie certains presseurs ou certains de leurs clients. Elle relève que la Sabam lui a refusé une autorisation de pressage pour un client le 5 mars 2007, alors qu'elle a accepté une autorisation de pressage le 8 mars 2007 pour un autre client.

Le refus d'autorisation du 5 mars 2007 résulte de la décision de la Sabam de ne plus délivrer d'autorisation à défaut de contrat-cadre entre elle-même et 3.14. Par courrier du 6 mars 2007, l'avocat de 3.14 a mis la Sabam en demeure de délivrer des autorisations pendant la période de négociations. L'autorisation délivrée le 8 mars 2007 ne résulte pas nécessairement d'une discrimination entre les clients de 3.14 mais peut se justifier par la mise en demeure précitée. Dans un courrier adressé à l'avocat de 3.14 le 15 mars 2007, la Sabam a en effet confirmé qu'elle acceptait les demandes d'autorisation pendant la période de négociations entre les parties.

La Sabam a constaté la fin des négociations le 23 avril 2007 et a en conséquence, informé 3.14 que plus aucune autorisation ne serait décernée à partir de ce jour. Elle a toutefois autorisé le pressage par 3.14 d'un CD pour l'ASBL Botanique le 27 avril 2007. Cette autorisation ne démontre pas une pratique discriminatoire de la Sabam en fonction des clients, mais résulte de circonstances particulières. En effet, la demande d'autorisation a été introduite le 18 avril 2007, soit à un moment où la période de négociation n'avait pas encore pris fin et où des autorisations étaient encore délivrées pour 3.14. Les CD “Les Nuits Botaniques” devaient être insérés dans le magazine français “Les Inrockuptibles” et devaient donc être impérativement livrés avant le 26 avril à 18 h (pièce 28 du dossier de 3.14). Averties par 3.14 de l'absence d'autorisation, les ASBL Botanique et Wallonie Bruxelles Musiques ont fait valoir auprès de la Sabam l'importance de la diffusion de ce CD pour la promotion des artistes belges et le fait que le festival des Nuits Botaniques est connu (pièces 34 et 35 du dossier de la Sabam). La Sabam a délivré l'autorisation pour ce CD en raison de ces circonstances exceptionnelles.

Quant à l'autorisation délivrée le 24 avril 2007, la Sabam expose qu'elle l'a été par erreur, compte tenu du nombre de demandes à traiter par ses préposés. La délivrance d'une seule autorisation non justifiée ne suffit pas à démontrer une politique anarchique et discriminatoire dans le chef de la Sabam.

30. C'est à tort que 3.14 soutient que la Sabam manque à son devoir de transparence en ce que les tarifs appliqués pour la reproduction ne seraient pas publiés ni accessibles. Ces tarifs figurent, en effet, à l'article 5 des conditions générales de reproduction reprises sur le formulaire de demande d'autorisation (pièce 22 du dossier de la Sabam).

31. 3.14 fait valoir que la Sabam accorde à certains clients importants des autorisations sans paiement préalable des droits de reproduction, ce qui n'est pas tout à fait exact. En effet, la pièce 32 du dossier de 3.14 concerne l'octroi d'une autorisation de reproduction sans paiement préalable des droits, mais cette autorisation était conditionnelle. Cette pièce qui est un courrier de la Sabam, précise que l'autorisation définitive sera notifiée dès réception du paiement des droits et que toute reproduction effectuée sans avoir obtenu le formulaire est illicite.

32. La pièce 41 du dossier de 3.14 est un courrier par lequel la Sabam invite un demandeur à s'adresser à un presseur agréé en Espagne pour une oeuvre traditionnelle non protégée. 3.14 en déduit que la Sabam abuse de sa position dominante en orientant la personne concernée vers un presseur déterminé malgré l'absence de droits à percevoir. S'agissant d'une oeuvre non protégée, ce que la Sabam admet dans cette pièce, la personne concernée pouvait lui demander une attestation de non-intervention et s'adresser au presseur de son choix. Les suites de ce courrier ne sont pas connues et il n'est pas établi que la Sabam a finalement délivré à la personne concernée une autorisation de reproduction avec les obligations qui en découlent, au lieu d'une attestation de non-intervention. Cette pièce ne démontre dès lors pas que la Sabam abuserait de sa position dominante en imposant des obligations injustifiées aux personnes qui introduisent des demandes de reproduction d'oeuvres non protégées.

33. 3.14 soutient que la Sabam l'a empêchée de participer au Midem à défaut de signer le contrat-cadre. Elle a par contre accepté la participation du gérant de 3.14 à cet événement international pour Boomerangmusic (pièce 37 du dossier de 3.14). Il a donc pu promouvoir des artistes belges ainsi que son label Boomerang.

Ce que la Sabam a refusé, c'est que 3.14 figure dans le guide qu'elle distribue aux participants belges du Midem et qu'elle dispose d'une boîte aux lettres et d'un espace de rendez-vous au stand de la Sabam. Ce refus est légitime et ne peut pas être considéré comme abusif dans la mesure où 3.14 n'est plus accréditée par la Sabam en l'absence de contrat-cadre.

34. Dans ses conclusions de synthèse, 3.14 relève que la Sabam ne produit pas les contrats-cadres conclus avec les 40 entreprises titulaires d'un contrat de pressage et de duplication et qu'elle craint que les conditions prévues par ces contrats varient d'une entreprise à l'autre puisque la Sabam a elle-même demandé que les aménagements au contrat-cadre lui soient soumis lors des négociations avec 3.14.

La Sabam a, après y avoir été invitée par la cour, communiqué à 3.14 l'ensemble des contrats qu'elle a conclus avec les intermédiaires. A l'audience du 24 juin 2009, 3.14 a admis que ces contrats ne présentent pas de différences avec celui qu'elle a conclu avec la Sabam et qu'elle a résilié.

35. La Sabam a également produit les contrats conclus avec les producteurs dont 3.14 soutient qu'ils sont plus favorables que les contrats réservés aux intermédiaires, alors que certains de ces producteurs sont actifs dans la reproduction de CD et sont dès lors des concurrents de 3.14.

Le contrat BIEM est applicable aux producteurs, à savoir, ceux qui introduisent les demandes d'autorisation de reproduction auprès de la Sabam. Le présent litige vise les activités d'intermédiaire de 3.14, soit l'opérateur qui se charge pour le compte d'un client, dont les producteurs, de faire presser les CD. L'existence de différences notables entre le contrat BIEM applicable aux producteurs et le contrat-type des intermédiaires ne constitue pas une discrimination injustifiée parce que les producteurs et les intermédiaires font partie de deux catégories différentes d'opérateurs auxquelles par conséquent, un régime différent peut être légitimement appliqué.

3.14 s'estime discriminée parce qu'elle n'a pas accès au statut de producteur alors qu'elle soutient réaliser une quantité de pressage nettement plus importante que la plupart des petits producteurs repris dans la liste de la Sabam.

Elle n'établit toutefois pas qu'elle a demandé à la Sabam de pouvoir bénéficier du contrat BIEM pour les producteurs et que ce contrat lui a été refusé. Elle ne peut donc se contenter d'affirmer qu'elle est exclue de ce statut pour se prévaloir d'une discrimination.

(…)

3. En conclusion

37. La Sabam satisfait au principe de transparence.

Les éléments relevés par 3.14 ne sont pas constitutifs d'un abus de position dominante dans le chef de la Sabam, contraire à l'article 3 de la loi sur la protection de la concurrence économique et à l'article 82 du traité CE. A défaut d'un acte contraire aux usages honnêtes en matière commerciale visé à l'article 93 LPCC, il n'y a pas lieu d'ordonner à la Sabam la cessation du refus de délivrer des autorisations pour la reproduction par 3.14 d'oeuvres protégées.

Ce refus n'étant pas abusif, 3.14 ne peut se prévaloir de la circonstance que les demandeurs en reproduction du répertoire de la Sabam se dirigent vers d'autres opérateurs belges ou vers le marché étranger.

38. En conséquence, la demande de publication de l'arrêt dans un ou plusieurs journaux du choix de 3.14, ne peut être admise, de même que la demande de 3.14 de lui donner acte de ce qu'elle se réserve le droit de réclamer la réparation du préjudice que lui a causé la Sabam et qu'elle évalue, sous toutes réserves, à 75.000 EUR à titre provisionnel.

B. L'appel incident

39. La Sabam demande la condamnation de 3.14 au paiement d'une indemnité de 6.000 EUR sur la base de l'article 1382 du Code civil. Selon elle, l'action en justice de 3.14 est téméraire et vexatoire en ce qu'elle a pour but de priver la Sabam des moyens de contrôle de son activité de reproduction et se fonde sur un certain nombre d'arguments sans rapport avec le litige ou inexacts.

Le dommage invoqué par la Sabam consiste en la défense qu'elle a dû développer pour faire face à la présente action.

Comme l'a décidé le premier juge, l'action en cessation introduite par 3.14 ne peut être considérée en tant que telle comme téméraire et vexatoire. 3.14 a en effet pu se méprendre sur le caractère justifié des mesures de contrôle dont dispose la Sabam et sur la nécessité de conclure un contrat-cadre pour garantir l'efficacité de ces mesures.

Quant au dommage résultant de la défense que la Sabam a dû mettre en oeuvre pour faire face aux nombreux arguments développés par 3.14 au fil de la procédure, elle ne démontre pas qu'il est autre que celui d'avoir été obligée de se défendre en justice et de recourir ainsi aux services d'un avocat.

Depuis l'entrée en vigueur de la loi du 21 avril 2007 relative à la répétibilité des honoraires et frais d'avocat, aucune partie ne peut plus être tenue au paiement d'une indemnité pour l'intervention de l'avocat de l'autre partie au-delà du montant de l'indemnité de procédure. La Sabam ne peut donc revendiquer que l'octroi d'une indemnité de procédure.

(…)

V. Dispositif

Pour ces motifs, la cour,

Reçoit les appels principal et incident et les dit non fondés;

Déboute 3.14 et la Sabam de leur appel;

Condamne 3.14 aux dépens d'appel de la Sabam, en ce compris l'indemnité de procédure fixée à 10.000 EUR.

(…)