Article

Cour d'appel Bruxelles, 18/06/2009, R.D.C.-T.B.H., 2010/5, p. 411-413

Cour d'appel de Bruxelles 18 juin 2009

CONCURRENCE
Droit belge de la concurrence - Pratiques restrictives - Position dominante - Abus - Société de gestion collective de droits d'auteur - Fixation des tarifs - Prix minimum - Critères objectifs - Egalité de traitement - Orientation sur les coûts - Facilités essentielles
Pour que le refus d'une entreprise titulaire d'un droit d'auteur de donner accès à un produit ou à un service indispensable pour exercer une activité déterminée puisse être qualifié d'abusif, il suffit que trois conditions cumulatives soient remplies, à savoir que ce refus fasse obstacle à l'apparition d'un produit nouveau pour lequel il existe une demande potentielle des consommateurs, qu'il soit dépourvu de justification et de nature à exclure toute concurrence sur un marché dérivé.
Une méthode orientée sur les coûts pour calculer les redevances dues à une société de gestion collective de droits d'auteurs est incompatible avec les droits d'auteur, puisque la rémunération demandée l'est en compensation d'une simple autorisation de diffuser une oeuvre artistique qui ne génère aucun coût.
Des tarifs minima calculés sur une base objective justifient un refus d'accorder une autorisation de diffusion si ce tarif n'est pas accepté.
MEDEDINGING
Belgisch mededingingsrecht - Restrictieve mededingings­praktijken - Machtspositie - Misbruik - Vennootschap voor collectief beheer van auteursrechten - Vastlegging van tarieven - Minimumprijs per abonnee - Objectieve criteria - Gelijke behandeling - Kostengeoriënteerde tarieven - Onontbeerlijke diensten
Opdat de weigering van een onderneming die houder is van een auteursrecht om toegang te geven tot een product of een dienst die onontbeerlijk is voor de uitoefening van een bepaalde activiteit als misbruik kan worden aangemerkt, volstaat het dat is voldaan aan drie cumulatieve voorwaarden, namelijk dat deze weigering in de weg staat aan de introductie van een nieuw product waarnaar van de zijde van de consumenten een potentiële vraag bestaat, dat zij geen rechtvaardigingsgrond heeft en dat zij elke mededinging op een afgeleide markt uitsluit.
Een methode die gebaseerd is op kostengeoriënteerde tarieven om de heffingen die verschuldigd zijn aan een vennootschap voor collectief beheer van auteursrechten te berekenen, is onverenigbaar met de auteursrechten omdat de gevraagde vergoeding een compensatie is voor een gewone toelating om een artistiek werk uit te zenden die geen enkele kost genereert.
Minimumprijzen die berekend zijn op basis van objectieve criteria rechtvaardigen het weigeren van een toelating tot uitzending indien dit tarief niet wordt aanvaard.

Belgium Television (en abrégé BTV) / Société belge des Auteurs, Compositeurs et Editeurs (Sabam)

Siég.: H. Mackelbert, M.-F. Carlier et M. Moris (conseillers)
Plaid.: Mes J.L. Lodomez et E. Marissens
I. Rappel de la procédure

1. Par son arrêt du 4 mars 2009, la cour a ordonné la réouverture des débats pour permettre à la Sabam de donner toutes précisions utiles afin de prouver que les minima garantis imposés pour les années 2004 à 2008 correspondent à la valeur économique de la prestation fournie, au besoin par comparaison avec les minima imposés par les autres sociétés membres de la CISAC, et de préciser les audiences respectives de RTL, d'AB3 et d'AB4 pour les années 2004 et 2005, en termes de téléspectateurs abonnés au câble.

Au point 16 de son arrêt la cour avait en effet considéré que:

La Sabam se doit (...) d'établir que la somme forfaitaire qu'elle demande [à titre de minimum garanti] est dans un rapport raisonnable avec la valeur économique de la prestation fournie.

Les sommes forfaitaires réclamées par la Sabam pour les années 2002 et 2003 furent respectivement de 100.644,76 EUR et de 115.741,48 EUR. Ces montants avaient été fixés pour tenir compte des difficultés de démarrage de BTV.

Dans le cadre des négociations entamées pour les années 2004 et suivantes, la Sabam s'est dit prête à conclure un nouvel accord si les montants forfaitaires étaient portés à 250.000 EUR pour les années 2004 et 2005, et à 350.000 EUR pour l'année 2006.

La Sabam n'explique pas sur quelles bases tous ces montants forfaitaires étaient calculés ni les raisons pour lesquelles elle a décidé, en définitive, de modifier la méthode de calcul pour les années 2004 et suivantes, en prenant en considération un montant forfaitaire par abonné au câble (qui n'est pas nécessairement un spectateur des chaînes AB3 ou AB4). Elle n'explique pas non plus pourquoi ce montant devait être augmenté de 40% en 2005 (0,14 EUR en 2004 et 0,1960 EUR en 2005).

II. Discussion

2. Pour que le refus d'une entreprise titulaire d'un droit d'auteur de donner accès à un produit ou à un service indispensable pour exercer une activité déterminée puisse être qualifié d'abusif, il suffit que trois conditions cumulatives soient remplies, à savoir que ce refus fasse obstacle à l'apparition d'un produit nouveau pour lequel il existe une demande potentielle des consommateurs, qu'il soit dépourvu de justification et de nature à exclure toute concurrence sur un marché dérivé (CJCE 29 avril 2004, C-418/01, IMS Health, point 38).

Dès lors que la Sabam a conditionné son accord de diffusion télévisée des oeuvres reprises dans son répertoire au paiement d'un minimum garanti, il convenait, avant tout, de vérifier si la détermination de ce minimum répondait à des considérations objectives, à défaut de quoi le refus de la Sabam pouvait être considéré comme dépourvu de justification et, partant, abusif.

1. Sur la méthode de calcul de la Sabam

3. La Sabam expose que le taux de 0,1960 EUR par abonné au câble qu'elle a demandé est égal au droit 'câble' fixé, pour la RTBF et la VRT pour l'année 2004, par le contrat 'câble' du 28 mai 2003, soit 0,1568 EUR, majoré de 25%.

4. Ce mode de calcul peut être considéré comme établi sur des bases objectives, dans la mesure où:

- une rémunération calculée uniquement sur une proportion des recettes publicitaires risque de ne pas rémunérer justement l'auteur en cas d'absence ou d'insuffisance de recettes, contraignant ainsi la Sabam à rechercher une autre méthode de calcul;

- la référence au droit 'câble' est nettement en faveur des radiodiffuseurs, dès lors qu'il est établi que ces droits secondaires sont cinq à six fois inférieurs aux droits primaires (cf. p. 7 des conclusions de la Sabam);

- la comparaison avec les chaînes publiques est également en faveur des radiodiffuseurs commerciaux puisque les premières paient, proportionnellement, plus de droits que les seconds (cf. point 20 de l'arrêt du 4 mars 2009);

- la référence au nombre d'abonnés au câble plutôt qu'au public effectif est la conséquence directe de la prise en considération du contrat 'câble' qui reprend la notion de public potentiel;

- une majoration des droits secondaires est tout à fait justifiée puisqu'ils ne visent que le droit de communication au public, alors que les droits primaires dus par les radiodiffuseurs contiennent les droits de diffusion proprement dits ainsi que les droits de fixation (cf. art. 35.B.2. du règlement général de la Sabam);

- une majoration de 25% des droits 'câbles' pour calculer les droits primaires est très raisonnable, dès lors que ceux-ci sont en général cinq à six fois plus élevés que les droits secondaires.

5. La Sabam expose en outre qu'elle n'a pas appliqué le taux de 0,1960 EUR pour la première année au motif que les résultats financiers de BTV démontraient qu'elle était toujours en période de démarrage et qu'il était dans son intérêt de n'arriver à ce taux que par paliers.

Les différences de droits entre 2004 et 2005 s'expliquent donc par l'instauration de ce palier en faveur de BTV - qui a bénéficié en 2004 d'une réduction de 40% - mais également par l'augmentation du nombre d'abonnés au câble (cf. calculs à la page 15 des conclusions de la Sabam). Elles ne peuvent dès lors constituer l'indice d'une décision arbitraire.

Par ailleurs, BTV ne peut se plaindre d'un traitement discriminatoire en sa qualité de nouvel entrant. Il est en effet établi que, pour une part de marché de près du double de celle de BTV, la chaîne SBS - qui s'est vue appliquer le même taux minimum au début de ses activités, mais qui réalise depuis des recettes suffisantes pour justifier la perception de 2,8% de ses rentrées publicitaires - a payé, en 2005, 1.113.897 EUR de droits à la Sabam, alors que, pour la même période, BTV n'en a payé que 404.897,44 EUR, soit bien moins que la moitié. Toutes proportions gardées, BTV est donc mieux traitée que SBS.

6. C'est à tort que BTV soutient que les redevances demandées par la Sabam devraient être orientées sur les coûts.

Une telle méthode est incompatible avec les droits d'auteur, puisque la rémunération demandée l'est en compensation d'une simple autorisation de diffuser une oeuvre artistique qui ne génère aucun coût, sauf les coûts de la société de gestion collective qui n'entrent pas en ligne de compte dans le cadre de cette autorisation puisqu'ils sont prélevés sur les droits d'auteur.

7. Certes, la comparaison avec les redevances demandées par les autres sociétés de gestion des droits d'auteur de la Communauté européenne peut fournir des indications valables en ce qui concerne l'abus éventuel de la position dominante d'une société nationale de gestion de droits d'auteur. Encore faut-il que la comparaison des niveaux des tarifs puisse être effectuée sur une base homogène, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.

En effet, il ressort des pièces déposées par BTV que les sociétés citées par elle pratiquent des tarifs fort peu semblables. Ainsi, la SACEM ne pratique pas de prix minimum, mais applique une redevance proportionnelle de 5%, beaucoup plus élevée que la Sabam qui ne demande que 2,8%. Il en est de même de la SUISA, dont les tarifs varient de 1 à 9% en fonction d'un seuil de recettes publicitaires et de l'ampleur du temps d'antenne consacré à des oeuvres musicales. Quant à la SGAE espagnole, il est impossible de calculer les prix minima puisqu'ils dépendent de chaque centre émetteur, donnée inconnue.

Il n'est donc pas établi que le tableau présenté par BTV à la page 6 de ses conclusions a été dressé sur une base homogène et que, pour un programme semblable et un mode de diffusion identique, les autres sociétés de gestion auraient demandé des minima manifestement moins élevés et que, partant, les tarifs de la Sabam seraient susceptibles d'affecter le commerce entre les Etats membres, ce qui n'est, par ailleurs, pas démontré.

2. Sur l'accès aux facilités essentielles

8. Dès lors qu'il a été reconnu que les tarifs minima de la Sabam avaient été calculés sur une base objective, son refus d'accorder une autorisation de diffusion si ce tarif n'était pas accepté ne peut être considéré comme dépourvu de justification, au sens de l'arrêt IMS Health. C'est donc à tort que BTV soutient que la Sabam lui refuserait l'accès au marché de la radiotélévision (cf. points 45 à 47 de ses conclusions de synthèse avant réouverture des débats) et il est sans utilité de statuer sur la question de savoir si la Sabam détient ou non des facilités essentielles au sens du droit de la concurrence.

En toute hypothèse, le refus de la Sabam n'est pas de nature à exclure toute concurrence sur le marché dérivé de la radiotélévision, eu égard au nombre d'acteurs qui y sont présents et qui acceptent ses tarifs.

Il s'en déduit que l'appel de BTV n'est pas fondé, de même que sa demande originaire, portée devant le président du tribunal de commerce de Bruxelles qui n'avait pas épuisé sa saisine.

(…)

III. Dispositif

Pour ces motifs, la cour,

1. Dit les appels introduits par BTV dans les causes inscrites au rôle général sous les numéros 2005/AR/1719 et 2005/AR/2436 non fondés et l'en déboute.

2. Vu l'effet dévolutif de l'appel, dit la demande en cessation introduite par BTV devant le président du tribunal de commerce de Bruxelles non fondée et l'en déboute.

3. Met les dépens des deux instances à charge de BTV. Lui délaisse les frais qu'elle a exposés et la condamne à payer à la Sabam 334,60 EUR (indemnité de procédure pour la procédure en cessation - LPCC) + 10.000 EUR (indemnité de procédure d'appel).

(…)