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La lettre de patronage: un engagement de qualité, R.D.C.-T.B.H., 2010/2, p. 188-191

SURETES
Sûretés personnelles - Lettre de patronage - Information - Obligation de moyen v. obligation de résultat - Qualité de l'émetteur de la lettre - Qualité du créancier bénéficiaire
Une même lettre de garantie peut contenir tant des obligations de résultat que des obligations de moyens. Les engagements repris dans une lettre de garantie ne procurent pas un débiteur complémentaire au créancier mais créent une obligation de faire ou de ne pas faire, dont le non-respect est sanctionné suivant le droit commun.
ZEKERHEDEN
Persoonlijke zekerheden - Patronaatsverklaring - Informatie - Middelenverbintenis v. resultaatsverbintenis - Hoedanigheid van de emittent van de verklaring - Hoedanigheid van de begunstigde van de verklaring
Eenzelfde patronaatsverklaring kan zowel middelen- als resultaatsverbintenissen bevatten. De in een patronaatsverklaring opgenomen verbintenissen verschaffen aan de schuldeiser geen bijkomende debiteur, maar scheppen een verbintenis iets te doen of niet te doen, waarvan de niet-nakoming wordt gesanctioneerd volgens het gemeen recht.
La lettre de patronage: un engagement de qualité

1.Le contentieux relatif à la matière des 'lettres de patronage', aussi appelées 'lettres de confort', n'a jamais été très abondant (en 2001, nous ne relevions que quelques dizaines de décisions publiées dans le monde). Dans un bref article paru au Journal des Tribunaux en 2007 [1], nous pensions pouvoir constater que ce contentieux s'était encore raréfié. On ne peut donc que remarquer l'arrêt de la 9ème chambre de la cour d'appel de Bruxelles du 25 avril 2008. La lettre de patronage qui lui était soumise était complexe. Les réponses apportées aux questions posées ne le sont pas moins.

2.Les faits et antécédents de la procédure sont bien résumés aux points 1 à 8 de la décision commentée. Il nous semble inutile d'en faire ici une nouvelle synthèse. Quant à la lettre de patronage elle-même, son texte intégral est rappelé au point 8. Il joue des différents registres possibles puisque la lettre litigieuse contient tant de l'information que de l'obligation, les deux concernant, suivant une nomenclature souvent évoquée en la matière:

    • la convention de crédit conclue avec Delta Lloyd Bank (ci-après la “banque”);
    • la participation de l'émetteur de la lettre, la Société régionale d'Investissement de Bruxelles (“S.R.I.B.”), dans le capital de la société patronnée (une SA Candyplast);
    • la gestion et la structure financière de la société patronnée.

    A l'instar des rares décisions belges publiées en la matière [2], l'arrêt annoté pose la délicate question de savoir si le garant s'est engagé à des obligations de moyen ou de résultat [3], la distinction déterminant le contenu des obligations et la charge de la preuve de leur inexécution [4]. A son égard, l'arrêt rappelle qu'elle est “sanctionnée par le droit commun de la responsabilité” (point 10 in fine). Cette référence est pertinente et opportune. Elle souligne que la lettre de patronage n'est pas ce monstre juridique parfois stigmatisé.

    Trois obligations sont identifiées, que nous reprenons ci-après dans l'ordre de l'arrêt.

    1. Obligation de soutien

    3.La vraie lettre de patronage n'a pas pour but d'amener l'émetteur à se substituer à la société patronnée [5], mais d'améliorer sa situation et celle de son créancier. Généralement, il faut reconnaître deux niveaux d'obligations. En amont: des obligations dites 'intermédiaires', à charge de l'émetteur [6]. En aval: une garantie en conséquence quant au paiement de la dette principale, qui reste le fait de la société patronnée [7]. C'est à chacun de ces niveaux que le travail de qualification de la lettre (obligation de moyen v. obligation de résultat) doit être réalisé.

    4.La cour est bien consciente de cette dichotomie lorsqu'elle souligne, au point 14, le fait que la S.R.I.B. s'est exprimée en deux temps:

    “Elle informe et confirme d'abord à la banque que majoritaire au sein de Candyplast, sa politique est de maintenir son soutien, voire d'éventuellement augmenter sa contribution, et de s'assurer à ce titre que les établissements prêteurs ne subissent pas de perte.

    Elle s'engage ensuite envers la banque à suivre cette politique quant à la ligne de crédit complémentaire accordée.”

    A juste titre, la cour examine alors isolément la première obligation souscrite (qualifiée d' 'obligation de faire') pour déterminer si elle est une obligation de moyen ou de résultat. Deux circonstances déterminent son appréciation:

      • d'une part, l'absence d''objet précis et déterminé' à l'engagement de la S.R.I.B.;
      • d'autre part, la qualité de la S.R.I.B., société créée par les pouvoirs publics n'ayant “pas pour vocation de diriger ou de maîtriser complètement l'activité [des sociétés aux financements desquels elle participe]”.

      Et la cour d'en déduire (point 16 in fine):

      “Candyplast conservait donc une certaine autonomie et son activité ne dépendait pas que de la S.R.I.B.

      Il résulte de l'ensemble de ces éléments que l'engagement de la S.R.I.B. de maintenir sa politique de soutien de Candyplast pour que cette dernière soit en mesure de payer ses dettes comportait des aléas et doit s'analyser en une obligation de moyen.”

      5.Nous approuvons l'analyse s'appuyant sur la qualité particulière de l'émetteur de la lettre de patronage. Elle est rarement mise en oeuvre de façon aussi claire. La portée d'une lettre émise par une société publique, dont l'objet d'intérêt public est de favoriser la création, la réorganisation ou l'extension d'entreprises privées, ne saurait en effet être confondue avec celle d'une lettre émise par une société privée, détenant le contrôle total de la société filiale patronnée, contrôle dont on peut plus facilement déduire des engagements de résultat [8].

      6.Si les obligations intermédiaires (caractéristiques de la lettre de patronage) sont de moyen, la garantie quant au paiement de la dette principale elle-même, ne peut être que de moyen également. La cour d'appel relève alors (point 21):

      “Il appartient à la banque de démontrer une faute dans le chef de la S.R.I.B. dans l'exécution de son obligation de moyen, ce qu'elle demeure en défaut de faire; le seul fait de la faillite de Candyplast ne constitue pas une telle preuve.”

      7.En fin de point 21, la cour relève également que le lien de causalité entre la faute alléguée et le dommage vanté n'est pas établi. Cette considération ne vaut que pour autant que de besoin puisque, à défaut de faute, il ne pouvait y avoir de responsabilité. Etait-il encore nécessaire d'examiner l'existence d'un lien de causalité?

      2. Obligation d'information

      8.L'examen du contenu de cette obligation commence lui aussi par la distinction entre obligation de moyen et obligation de résultat. En l'espèce, l'obligation d'information ayant des contours juridiques et matériels précis, la cour en déduit à juste titre que l'obligation d'information est de résultat. C'est l'occasion de rappeler et de souligner qu'une même lettre de patronage peut contenir et des obligations de moyen, et des obligations de résultat.

      9.L'obligation d'information, qualifiée d'obligation de résultat, entraîne un renversement de la charge de la preuve: c'est à la S.R.I.B. de démontrer la force majeure ne lui ayant pas permis de l'exécuter correctement. En l'espèce, il semble que la cour ait été disposée à accepter la faute (absence de démonstration d'un élément de force majeure). Mais la mise en cause de la responsabilité de la S.R.I.B. est rattrapée par un examen du dommage dont la cour constate (point 29):

      “Tout au plus, ce dommage pourrait correspondre à la perte d'une chance d'obtenir paiement ou de prendre des mesures pour obtenir ledit paiement.

      Or, pour que la perte d'une chance soit indemnisable, encore faut-il que celle-ci soit sérieuse ou réelle, ce qui n'est point démontré en l'espèce.” [9].

      La vraie lettre de patronage n'ayant pas pour objet la substitution du débiteur principal, la sanction de son inexécution ne correspond pas nécessairement à son complet désintéressement. La qualification d'obligation de moyen ou de résultat a bien son importance pour mesurer la portée de la sanction. Mais elle n'est pas déterminante. L'arrêt annoté rappelle que la sanction de l'inexécution d'une obligation intermédiaire de résultat peut n'être qu'une partie de la dette principale (en l'espèce, la perte d'une chance de son complet paiement) - précisément parce que l'obligation n'est qu'intermédiaire (et alors même qu'elle est de résultat).

      10.De façon pertinente, la cour rappelle ici la qualité du bénéficiaire de la lettre de patronage, à savoir une banque parfaitement informée de la situation du débiteur principal (point 28, in fine). On regrette cependant que la cour n'en exprime pas la conséquence puisque cette parfaite connaissance était, selon nous, de nature à rompre le lien de causalité entre la faute (qui aurait été établie) et le dommage (qui pourrait avoir été constaté).

      3. Obligation de maintien du contrôle et de la participation

      11.La banque ne prétend pas que la S.R.I.B. n'aurait pas respecté cette obligation. Elle prétend cependant que le 'contrôle' vanté par la S.R.I.B. ne correspond pas à une réalité. Partant, la lettre contiendrait une information fausse constitutive de faute extracontractuelle dans le chef de celui qui l'a dispensée.

      12.A juste titre, la cour rappelle à nouveau ici la qualité du créancier bénéficiaire (point 32):

      “La banque, professionnelle du crédit, ne pouvait ignorer les objectifs de développement économique de la Région bruxelloise poursuivis par la S.R.I.B. et dès lors la nature réelle de son intervention au sein de Candyplast.

      La banque n'a dès lors pu se méprendre sur la portée à donner au vocable 'contrôle' utilisé par la S.R.I.B.”

      13.On rappellera qu'en raison de l'application, en Belgique, de l'interdiction du cumul des responsabilités contractuelles et extracontractuelles, l'intérêt d'une lettre de patronage peut être de canaliser dans le domaine exclusivement contractuel l'éventuelle responsabilité de l'émetteur, empêchant que celle-ci puisse encore être mise en cause sur le plan extracontractuel [10]. En ce sens, la lettre de patronage peut être le moyen de fixer non seulement les obligations, mais aussi les droits de son émetteur, s'apparentant finalement à une limitation de sa responsabilité [11].

      Il en est ainsi concernant la responsabilité en raison de l'apparence. Souvent, l'information contenue dans la lettre de patronage est précisément le moyen de réduire le risque des recours fondés sur une apparence fautive [12]. En refusant, en fait, toute mise en cause de la responsabilité extracontractuelle de la S.R.I.B., la cour prend une décision que, dans de nombreux cas, le droit permet tout autant de justifier.

      Laurent du Jardin

      Chargé de cours à l'Université catholique de Louvain

      Avocat Janson Baugniet

      [1] L. du Jardin, “Lettre de patronage: les bonnes pratiques font le bon droit”, JT 2007, pp. 389-390 .
      [2] Civ. Verviers (5ème ch.) 8 janvier 2001, Dr.banc.fin. 2001, p. 45, avec la note L. du Jardin, “Quelques précisions en matière de lettres de patronage”; Bruxelles 11 janvier 1995, RPS 1995, p. 140; Gand 15 novembre 1994, AJT 1994-95, p. 509, avec la note A. Verbeke, “De kameleon der zekerheidsrechten: over interpretatie van patronaatsverklaringen”; Bruxelles 23 février 1994, DAOR 1994, n° 31, p. 103; Gand 3 juin 1993, DAOR 1994, n° 31, p. 99; Bruxelles 12 janvier 1993, Pas. 1994, II, p. 142; Comm. Dinant 26 mai 1987, Rev.banque 3/1988, p. 29, avec la note G. Verheyden, JT 1988, p. 392, avec la note M.-F. Antoine et Y. Poullet, “La lettre de patronage: un nouvel 'être' juridique”, RRD 1988, p. 52 avec la note M.-F. Antoine et Y. Poullet (décision indiquée ici par erreur du 23 juin 1987); Comm. Bruxelles 30 octobre 1985, RDC 1987, p. 64.
      [3] L'obligation de résultat est traditionnellement définie comme étant l'obligation d'exécuter une prestation déterminée “aux contours juridiques et matériels précis”. J. Frossard, La distinction des obligations de moyen et des obligations de résultat, Paris, LGDJ, 1965, pp. 167 et s.
      [4] Lorsque l'obligation est de moyen, la charge de la preuve incombe au créancier alors que, lorsqu'elle est de résultat, elle incombe au débiteur qui ne peut s'en exonérer qu'en établissant la cause étrangère (art. 1147 et 1148 C.civ.).
      [5] Il n'y a pas d'adjonction d'un second débiteur au débiteur principal. Dans un tel cas, la lettre devrait normalement être requalifiée en cautionnement.
      [6] Exemples:

      - déclarations sur la connaissance de l'opération principale, la politique du groupe ou le niveau de participation dans le capital de la société patronnée;

      - engagement de conserver cette participation en capital ou de ne la céder qu'à certaines conditions (information préalable du créancier bénéficiaire, remboursement du crédit principal, etc.);

      - engagement de contrôler la gestion de la société patronnée (conformité à la politique du groupe, distribution des dividendes, etc.) ou de veiller à sa bonne structure financière (ratio de fonds propres), par un moyen précisé ou non (augmentation de capital, subordination de créance, etc.);

      - engagement de mettre à disposition de la société patronnée les moyens qui lui permettront de respecter ses engagements.
      [7] En raison et/ou à la suite des obligations intermédiaires, du type de celles qui sont mentionnée à la note qui précède, la société patronnée sera-t-elle en état de s'exécuter?
      [8] En ce sens: L. du Jardin, Un confort sous-estimé dans la contractualisation des groupes de sociétés: la lettre de patronage, Bibliothèque de la Faculté de droit de l'Université de Louvain XXXIV, Bruxelles, Bruylant, Paris, LGDJ, 2002, pp. 68 à 73.
      [9] Sur l'indemnisation de la perte d'une chance, voy. B. Dubuisson, “La théorie de la perte d'une chance en question: le droit contre l'aléa?”, JT 2007, pp. 489 à 496.
      [10] L. du Jardin, Un confort sous-estimé dans la contractualisation des groupes de sociétés: la lettre de patronage, Bibliothèque de la Faculté de droit de l'Université de Louvain XXXIV, Bruxelles, Bruylant, Paris, LGDJ, 2002, pp. 251 et s.
      [11] Ibid., pp. 257 et s.
      [12] Ibid., pp. 246 et s.