Article

Cour d'appel Bruxelles, 03/09/2008, R.D.C.-T.B.H., 2010/2, p. 169-178

Cour d'appel de Bruxelles 3 septembre 2008

INSTITUTIONS FINANCIERES ET INTERMEDIAIRES FINANCIERS
Gestionnaire de fortune et conseiller en placements - Responsabilité du gestionnaire de fortune - Pondération contractuelle d'instruments financiers - Approuvé implicite - Devoirs généraux du gestionnaire de fortune - Appréciation globale de la gestion - Conflit d'intérêts
Le gestionnaire de fortune n'est pas tenu de respecter strictement la pondération d'instruments financiers prévue contractuellement, dès lors que le contrat de gestion précise qu'il pourra s'en écarter en fonction des conditions du marché.
L'absence de contestation, par les clients, des rapports trimestriels de gestion ne déchoit pas ceux-ci de leur droit à agir, mais constitue une présomption de la conformité de la structure du portefeuille géré à leurs attentes.
L'appréciation d'une faute éventuelle du gestionnaire ne peut être opérée a posteriori, et doit être marginale. Le seul constat de mauvais résultats n'emporte pas la preuve d'une faute du gestionnaire.
La gestion s'apprécie en principe dans son ensemble et non opération par opération. Néanmoins, en cas d'opération susceptible d'être entachée d'un conflit d'intérêts, le juge examine si un analyste prudent et diligent, placé dans les mêmes circonstances, aurait procédé à l'opération.
FINANCIELE INSTELLINGEN EN TUSSENPERSONEN
Vermogensbeheer en beleggingsadviseurs - Aansprakelijkheid van de vermogensbeheerder - Contractuële weging van financiële instrumenten - Stilzwijgende goedkeuring - Algemene plichten van de vermogensbeheerder - Appreciatie van het beheer in zijn geheel - Belangenconflict
De vermogensbeheerder is er niet toe verplicht om de in de overeenkomst voorziene weging van financiële instrumenten strikt na te leven, als de overeenkomst van beheer bepaalt dat hij daarvan zal mogen afwijken naar gelang de markt­omstandigheden.
Het gebrek aan betwisting, door de klanten, van de trimestriële verslagen van beheer houdt geen verval van hun vorderingsrecht in, maar houdt een vermoeden in van de conformiteit van de structuur van het beheerde portefeuille met hun verwachtingen.
De appreciatie van een mogelijke fout van de beheerder mag niet a posteriori plaatsvinden, en moet marginaal zijn. De vaststelling van slechte resultaten op zich is geen bewijs van een fout van de beheerder.
Het beheer moet in principe in zijn geheel geapprecieerd worden, en niet verrichting per verrichting. Niettemin, ingeval een verrichting mogelijk door een belangenconflict aangetast kan zijn, oordeelt de rechter of een voorzichtig en zorgvuldige analist onder dezelfde omstandigheden die verrichting zou uitgevoerd hebben.

Ch. De Geeter et E. De Geeter / SA Dexia Banque Belgique et SA Dexia Asset Management Belgium

Siég.: H. Mackelbert, M.-Fr. Carlier et Y. Demanche (conseillers)
Pl.: G. Six, Fr. de Patoul et J.-P. Buyle

(…)

I. La décision attaquée

L'appel est dirigé contre le jugement prononcé le 30 septembre 2004 par le tribunal de commerce de Bruxelles.

Les parties ne produisent pas d'acte de signification de ce jugement.

II. La procédure devant la cour

L'appel est formé par requête, déposée par M. et Mme De Geeter au greffe de la cour, le 6 décembre 2004.

La procédure est contradictoire.

Il est fait application de l'article 24 de la loi du 15 juin 1935 sur l'emploi des langues en matière judiciaire.

III. Les faits et antécédents de la procédure

1. En décembre 1999, la Banque Artesia, actuellement Dexia Banque Belgique, adresse à M. et Mme De Geeter un document portant la date du 14 décembre 1999 et intitulé Processus d'investissement et proposition de gestion contenant une proposition de gestion de fortune.

Y sont présentées la Banque Artesia et Cordius Asset Management, société de gestion de patrimoine reconnue par la Commission bancaire et financière et (…) centre de la gestion de patrimoine d'Artesia Banking Corporation (ci-après dénommées “la banque” ou les “intimées”).

La procédure d'investissement 'Global Balanced' y est décrite comme suit. Elle comporte trois étapes majeures: l'analyse, l'affectation des actifs et la mise en oeuvre. L'objectif final de cette procédure est d'optimiser le processus d'affectation des actifs.

L'analyse s'appuie d'une part sur une approche fondamentale, d'autre part sur des données obtenues par les spécialistes des marchés.

Le Comité Global Balanced définit alors la stratégie de placement sur la base de ces données fondamentales et quantitatives ainsi qu'à la lumière des décisions des différents comités spécialisés.

(…)

La deuxième étape, l'affectation proprement dite des actifs, consiste à traduire les cotations effectuées lors de l'analyse en une affectation sur la base du scénario de placement et de paramètres de gestion spécifiques à chaque portefeuille.

(...)

La dernière étape est la construction du portefeuille: les gestionnaires appliquent l'affectation des actifs aux portefeuilles en concertation avec les spécialistes des marchés (...). Les gestionnaires d'actions se servent de l'analyse financière et sectorielle pour sélectionner des titres (...). La recherche joue un rôle très important dans tout ceci car elle décrit le scénario de développement que les principaux facteurs économiques suivront probablement à l'échelle mondiale (...).

Il est également indiqué que tous les portefeuilles de la Banque Artesia sont gérés par rapport à un benchmark. Ce type de gestion présente deux avantages: il permet tout d'abord de structurer le portefeuille en fonction des objectifs du client (horizon d'investissement, niveau de risque, liquidité,...) et ensuite de mesurer de façon claire, la valeur ajoutée apportée par Cordius. Cette valeur ajoutée provient à la fois du choix des titres sur l'ensemble des actifs du portefeuille et de la gestion active par rapport au benchmark. Cette gestion active est définie par des 'exposures' minimum et maximum par classe d'actifs autour du benchmark. De la définition de ces 'exposures' ou limites d'exposition dépendra le niveau de risque relatif ou 'tracking error' du portefeuille.

Suit alors la proposition proprement dite faite par la Banque Artesia à M. et Mme De Geeter, à savoir de placer leur portefeuille en gestion de fortune basée sur le benchmark 'Objectif 70' dont un modèle de portefeuille purement exemplatif est présenté; certaines valeurs [pouvant] être arbitrées ou changer de pondération.

Cette proposition est fondée sur les données de base suivantes:

- Monsieur et Madame De Geeter disposent d'un montant à gérer de 20 mio FF. Il est entendu qu'un montant de 30.000 FF par mois sera prélevé par ordre permanent et transféré vers le compte espèces du client afin d'assurer la rente souhaitée par le client;

- les revenus de placement seront capitalisés;

- les intérêts et dividendes sont soumis au précompte mobilier;

- l'horizon de placement est de minimum quatre ans;

- les rapports concernant les performances du portefeuille seront libellés en euro;

- Monsieur et Madame De Geeter acceptent un risque actions et marquent leur accord sur l'utilisation défensive de produits dérivés.

Sont enfin précisés les tarifs de Cordius.

2. Le 10 janvier 2000, M. et Mme De Geeter concluent avec la Banque Artesia et Cordius une convention de gestion de fortune.

Il y est notamment stipulé que:

- article 1er - Objet de la convention. Par la présente convention, la banque se voit confier par le client un mandat de gestion de fortune, conformément aux dispositions légales en la matière, en vue de la gestion des actifs du compte client. Ces actifs sont constitués des instruments financiers et avoirs en dépôt à la banque en compte spécial, ouvert au nom du client et mentionné à l'annexe 1 de la présente, ainsi que des actifs qui y seront ajoutés ultérieurement, ci-après dénommés globalement “les actifs”.

Le client marque expressément et irrévocablement son accord pour que la gestion effective des actifs soit assurée par Cordius en vertu d'une délégation et donne pouvoir à Cordius, qui accepte, de gérer de façon discrétionnaire, pour lui et en son nom, les actifs susmentionnés. Ce pouvoir emporte dans le chef de Cordius, le droit de poser sous actes d'administration et de disposition.

En acceptant la présente convention, Cordius et la banque contractent une obligation de moyens en ce qui concerne la gestion des actifs.

- article 2 - Objectifs. Les objectifs du client sont précisés à l'annexe 2 de la présente convention.

Le client déclare que, préalablement à la signature de la présente convention, il a informé la banque et Cordius de son expérience en matière de placements ainsi que des objectifs poursuivis dans le cadre de ce mandat.

Le client reconnaît avoir reçu un document l'éclairant sur les divers instruments et produits de placements, ainsi que sur les risques qui y sont liés.

- article 3 - Types d'opérations et de placements autorisés. En vertu du mandat susmentionné, Cordius peut à tout moment effectuer toutes les opérations qu'elle juge opportunes (...) Cordius peut en outre, de son propre chef acheter et vendre des titres d'organismes de placements collectifs et, si elle l'estime opportun, placer toutes liquidités sur le compte à vue ou à terme ouvert au nom du client auprès de la banque et mentionné à l'article 1er. (...)

Le client autorise la banque à agir en qualité de contrepartie.

La banque informera immédiatement le client et Cordius de toute opération effectuée ainsi que la situation du compte mentionné à l'article 1er.

- article 5 - Avoirs confiés - risques financiers - responsabilité - objectifs.

5.1. Les actifs confiés à la banque au moment de la signature de la présente convention sont énumérés à l'annexe 1 de la présente convention (...)

° Le client accepte le principe que le risque est inhérent à tout investissement. Le risque financier accepté par le client est déterminé en fonction de la stratégie qu'il a choisie, ainsi qu'il est précisé à l'annexe 2, compte tenu de l'horizon de placement qui y est mentionné. Si le client accepte des placements dans des produits dérivés, le profil de risques augmente sensiblement. Le rapport trimestriel dont il est question à l'article 6.2 est considéré comme une communication de Cordius du résultat intermédiaire de la gestion.

° Cordius et la banque ne peuvent être rendues responsables du résultat éventuellement défavorable des opérations réalisées pour le client, pour autant que Cordius ait exercé la gestion en tenant compte de la stratégie et des objectifs du client (...).

- article 6 - Contacts et rapports.

6.1. Un entretien aura lieu au moins une fois l'an entre le client, la banque et/ou Cordius afin de faire le point sur les opérations et, le cas échéant, de redéfinir la stratégie de gestion (...).

6.2. A la fin de chaque trimestre, Cordius remettra au client un rapport sur la composition des actifs gérés. Celui-ci sera établi sur la base de la situation au 31 mars, 30 juin, 30 septembre et 31 décembre de chaque année.

Un dernier rapport sera établi au moment où la convention de gestion de fortune prendra fin.

(…)

6.3. Le client est prié d'informer la banque et Cordius des remarques ou objections, qu'il souhaite éventuellement formuler au sujet du rapport trimestriel, des instruments de placement qui y sont mentionnés ou au sujet de la politique de placement qui ressort de ce rapport et ce immédiatement après sa réception et au plus tard dans le mois qui la suit.

- article 10 - Dépôt des avoirs, exécution des ordres, liquidation des opérations.

Dans le cadre de la présente convention de gestion de fortune, la banque agit en qualité de dépositaire des actifs du client déposés sur le compte mentionné à l'article 1er de la présente. La banque se charge de la liquidation des opérations que Cordius a initiées pour compte du client dans le cadre de la présente convention.

Toutes les opérations que la banque traite pour le compte du client en vertu de la présente convention, à savoir notamnent la conservation des actifs et la liquidation des opérations, sont régies par le règlement des opérations de la banque. Le client reconnaît avoir reçu un exemplaire de ce règlement et déclare en accepter toutes les dispositions.

Ce règlement des opérations fait partie intégrante de la présente convention, dans la mesure où la loi ne s'y oppose pas. En cas de contradiction entre la présente convention et ce règlement, la convention primera.

Cette convention comporte trois annexes:

- la première définit le patrimoine remis à la banque à savoir 3.811.000 EUR;

- la deuxième précise que:

° l'expérience de M. et Mme De Geeter, en matière d'instruments financiers est moyenne;

° la stratégie retenue est une stratégie 'Objectif 70', c'est-à-dire “recherche d'une plus-value au travers d'un portefeuille diversifié. L'horizon de placements s'élève à 5 ans minimum. La gestion est appréciée sur la base d'un cadre de références prévoyant une exposition de 70% en actions. La part des actions en portefeuille pourra être augmentée ou réduite en fonction des conditions du marché. Cette stratégie présente un profil de risques encore plus grand”;

° l'utilisation de produits dérivés est autorisée, étant entendu que l'utilisation de produits dérivés n'entraînera pas une exposition du portefeuille de plus de 100% sur les marchés financiers. Les produits dérivés ne sont jamais utilisés sans couverture adéquate (titres et liquidités).

L'utilisation de produits dérivés sur actions peut considérablement modifier l'exposition du portefeuille en actions. Les produits dérivés sont décrits dans la brochure remise au client.

- L'annexe 3 est relative au système de protection des dépôts et des instruments financiers.

3. La mise en oeuvre du portefeuille est effectuée au cours du premier trimestre de l'année 2000.

4. Toutes les opérations font l'objet de l'envoi d'un bordereau à M. et Mme De Geeter. Elles sont également mentionnées dans les extraits de compte qui sont mis à disposition conformément à leurs instructions.

Ainsi, la Banque Artesia et Cordius transmettent à M. et Mme De Geeter:

- en avril 2000, la première évaluation de leur portefeuille, arrêtée au 31 mars 2000; cette évaluation fait apparaître que le portefeuille est composé à 75,14% d'actions; l'accroissement ('return') cumulé des 3 premiers mois de gestion du portefeuille est de 4,16%;

- en juillet 2000, l'évaluation du portefeuille arrêtée au 30 juin 2000; le portefeuille est composé à 75,62% d'actions; l'accroissement cumulé depuis le début de l'année est de -1,46%;

- en octobre 2000, l'évaluation de leur portefeuille arrêtée au 30 septembre 2000; le portefeuille est composé à 76,72% d'actions; l'accroissement cumulé depuis le début de l'année est de -4,52%;

- en janvier 2001, l'évaluation du portefeuille arrêtée au 31 décembre 2000; le portefeuille est composé à 77,67% d'actions; l'accroissement cumulé depuis le début de l'année est de -12,64%;

- en avril 2001, l'évaluation du portefeuille arrêtée au 31 mars 2001; le portefeuille est composé à 73,95% d'actions; l'accroissement cumulé depuis le début de l'année 2001 est de -6,63%;

- en juillet 2001, l'évaluation du portefeuille arrêtée au 30 juin 2001; le portefeuille est composé à 74,64% d'actions; l'accroissement cumulé depuis le début de l'année 2001 est de -5,32%;

- en octobre 2001, l'évaluation du portefeuille arrêtée au 30 septembre 2001; le portefeuille est composé à 67,81% d'actions; l'accroissement cumulé depuis le début de l'année 2001 est de -19,04%;

- en décembre 2001, l'évaluation du portefeuille arrêtée au 11 décembre 2001; le portefeuille est composé de 71,14% d'actions; l'accroissement cumulé depuis le début de l'année 2001 est de -13,05%.

5. Parallèlement, la banque Artesia adresse à M. et Mme De Geeter, les 24 juillet 2000 et 12 octobre 2001, un commentaire succinct du contexte économico-financier et de la stratégie d'investissement.

6. Selon les dires de M. et Mme De Geeter, le 28 février 2001, se tient une réunion au cours de laquelle ils formulent des réserves quant au respect par leur gestionnaire de fortune des engagements souscrits et à la dévalorisation importante de leur portefeuille.

7. Le 3 août 2001, M. et Mme De Geeter adressent une lettre à la banque Artesia dans laquelle ils l'interpellent à propos des résultats obtenus dans le cadre de la gestion de leur portefeuille. Ils s'expriment en ces termes:

Vous nous avez adressé par courrier daté du 12 juillet, l'état trimestriel de notre portefeuille boursier établi à la fin juin 2001.

Nous sommes contraints de prendre acte du résultat désastreux après un an et demi de gestion discrétionnaire par votre établissement via Cordius.

Force est de constater qu'au-delà des risques inhérents à la bourse et au titre de portefeuille choisi à l'origine, des anomalies graves apparaissent et nous amènent à dresser nos premières réserves circonstanciées.

Début janvier 2000, nous vous avions confié 3.791.894 EUR en gestion avec stratégie 'Objectif 70', soit exposition de 70% du portefeuille en actions.

Cette décision faisait suite à votre proposition de gestion du 16 décembre 1999, dans laquelle vous aviez développé une répartition de portefeuille avec stratégie 'Objectif 70'.

Cette proposition (composée pour moitié de Sicav d'actions et pour moitié d'actions en ligne directe) représentait 70% du portefeuille.

La partie 'actions en ligne directe' qui représentait 35% du capital, devait être investie en 35 actions en ligne directe représentant 1% du capital maximum (...).

Ces actions étaient toutes des valeurs réputées et de plus, elles étaient réparties dans les différents secteurs d'activités, secteur TMT ne représentant que 40% des actions détenues en ligne directe.

Or, la proposition initiale n'a pas été respectée.

Pour exemple, l'ensemble des actions représente plus de 75% du capital au lieu des 70% prévus.

Par ailleurs, seulement 10 actions sur les 35 de la proposition initiale ont été achetées et la répartition entre les différents secteurs d'activités n'a pas été respectée.

Vous avez investi en TMT, plus de 60% des actions en ligne directe (au lieu des 40% prévus).

De plus, à titre d'exemple vous avez investi de façon inconsidérée dans des actions à haut risque de moindre renommée, et ceci dans des proportions dépassant largement les 37.919 EUR prévus pour chaque ligne (93.153 EUR en Lernaut et Hauspie, 62.994 EUR en CMGI,...).

Le capital que nous vous avions confié a chuté sur l'ensemble de l'année 2000, de -12,64%.

La situation au 30 juin 2001, que nous avons revue est encore plus inquiétante. Le capital a à nouveau chuté de 5,32% sur le premier semestre 2001 et ne représente plus au 30 juin 2001, que 3.136.383 EUR, soit une baisse de 655.511 EUR par rapport au capital initial.

De plus, nous avons constaté que sur le deuxième trimestre 2001, vous avez liquidé nombres d'actions avec pertes considérables:

- CMGI: prix de revient: 62.994 EUR; vendu: 2.045 EUR;

- Lucent: prix de revient: 56.222 EUR; vendu: 7.012 EUR;

- Marconi: prix de revient: 54.091 EUR; vendu: 16.818 EUR.

Ces valeurs, vendues pour des montants dérisoires, n'auraient pu que remonter dans une optique à moyen et long terme telle que la nôtre. Leur vente correspond à une perte sèche.

De plus, vous avez réinvesti sur ce dernier trimestre dans des lignes déjà surexposées (Nokia, Vodaphone,...).

Nous serons amenés à vous adresser, le cas échéant, d'autres observations relatives aux anomalies d'ores et déjà constatées.

Face à cette situation qui nous cause un grave préjudice, nous vous proposons de:

- faire le point de nos relations, début septembre, à l'occasion d'un rendez-vous que vous voudrez bien nous fixer et ce, pour examiner ensemble les conditions futures d'exécution de votre mission;

- veiller dans cette attente à ce que le gestionnaire de notre portefeuille agisse prudemment en bon père de famille;

- examiner les modalités d'une répartition appropriée.

Par une télécopie du 25 septembre 2001, M. et Mme De Geeter demandent qu'à la suite de la réunion qui s'est tenue en leur domicile le 14 septembre 2001, une réponse écrite soit apportée à chacun des points évoqués dans leur lettre du 3 août 2001.

Par une lettre du 27 septembre 2001, la Banque Artesia répond que:

Suite à notre agréable entretien du 14 septembre dernier, et également en réponse à votre lettre du 3 août 2001, ainsi qu'à votre fax du 25 septembre 2001, nous vous prions dans un premier temps de trouver ci-joint sous forme de rapport, l'historique des dernières transactions effectuées dans votre portefeuille entre le 31 juillet et le 25 septembre 2001, et ce suivant vos recommandations de gestion 'de bon père de famille' conformément à votre lettre du 3 août 2001.

Nous vous joignons également pour information, l'analyse de Cordius Asset Management suite aux dramatiques événements du 11 septembre 2001 aux États-Unis.

Nous vous confirmons dans un deuxième temps qu'un dossier complet vous sera transmis dans les premiers jours du mois d'octobre. Ce dossier prendra en considération le rapport trimestriel (triple A) de votre portefeuille à la fin septembre 2001 et permettra ainsi de réaliser une analyse de son évolution répondant ainsi à votre lettre du 3 août 2001.

Par une lettre du 22 octobre 2001, la Banque Artesia confirme à M. et Mme De Geeter qu'elle leur enverra par courrier dans le courant de la semaine prochaine, un dossier complet concernant [leur] portefeuille-titres actuellement en gestion auprès de [sa] filiale Cordius Asset Management. Ce dossier complètera le rapport trimestriel (triple A) qui [leur] a déjà été envoyé par courrier. [La Banque propose] de [les] recontacter vers la fin de ce mois d'octobre.

Dans une lettre du 23 octobre 2001, le conseil de M. et Mme De Geeter écrit à la Banque Artesia, notamment que [ses] clients constatent une nouvelle accentuation de la perte de valorisation de leur portefeuille qui s'établit à -19,04% du 1er janvier 2001 au 30 septembre 2001 et à -29,28% depuis janvier 2000, soit une perte de 1.110.250 EUR!

Il lui reproche de ne toujours pas apporter d'explications exhaustives sur la gestion de ce portefeuille depuis le mois de janvier 2000 [et de ne pas répondre] aux deux autres points soulevés par Monsieur et Madame De Geeter, à savoir: d'une part les modalités de la poursuite de[s] relations contractuelles; et d'autre part, la réparation du préjudice subi.

Il met également en cause la responsabilité de la banque pour ne pas avoir respecté la répartition du portefeuille en actions telle que présentée et développée dans stratégie 'Objectif 70' qui constitue pourtant la base de l'accord de [ses] clients dans le cadre de la convention de gestion de portefeuille et avoir commis des erreurs de stratégie en investissant inconsidérément dans des sociétés à hauts risques et de piètres renommées, en liquidant des actions à fortes pertes, en réinvestissant dans des sociétés technologiques,…

Le 23 octobre 2001, la Banque Artesia transmet un dossier à M. et Mme De Geeter.

Le 29 octobre suivant, elle avise le conseil de M. et Mme De Geeter de l'envoi de ce dossier.

Suivent encore divers courriers et une réunion, le 13 décembre 2001, desquels il ressort qu'aucun règlement amiable n'est possible.

8. Le 22 mars 2002, M. et Mme De Geeter citent la SA Artesia Ranking Corporation et la SA Cordius Asset Management, devenue Dexia Asset Management, devant le tribunal de commerce de Bruxelles. En termes de conclusions, ils demandent de dire et juger que:

- Dexia (Banque Artesia) et DAM (Cordius) ont manqué à leurs obligations contractuelles et ont violé leurs engagements contractuels à l'égard de Monsieur et Madame De Geeter dans le cadre de l'exécution du contrat de mandat du 10 janvier 2000;

- Dexia (Banque Artesia) et DAM (Cordius) n'ont pas respecté l'obligation de prudence et de diligence qui s'impose à tout professionnel financier; qu'en outre ils n'ont pas respecté l'intérêt de leurs clients et ont privilégié leur intérêt personnel;

- la rupture des relations entre les parties intervenue le 13 mai 2002 est imputable à Dexia;

- Dexia (Banque Artesia) et DAM (Cordius) ont commis des fautes engageant leur responsabilité et doivent être condamnées solidairement à réparer l'intégralité du préjudice subi par Monsieur et Madame De Geeter.

En conséquence:

A titre principal

- Condamner solidairement les parties défenderesses à [leur] payer:

- la somme de 901.895 EUR augmentée des intérêts au taux légal à compter du 1er juillet 2001;

- la somme de 295.912 EUR et augmentée des intérêts au taux légal à compter du 30 mars 2002.

A titre subsidiaire

- Désigner un expert judiciaire avec pour mission de, après avoir entendu les parties et s'être fait communiquer tous renseignements utiles:

° Apprécier le préjudice subi par [eux] sur la base des fautes relevées par le tribunal et sur la base des fautes éventuelles complémentaires que l'expert constaterait à l'occasion de sa mission.

° Consigner ces observations en un rapport à déposer au plus tard à la fin du 4ème mois suivant sa désignation.

- D'ores et déjà condamner les parties défenderesses au paiement d'une somme provisionnelle de 500.000 EUR.

En tout état de cause:

- Condamner les parties défenderesses à [leur] verser la somme de 15.000 EUR à titre de dommages et intérêts pour les dommages causés.

9. Par courrier du 13 mai 2002, M. et Mme De Geeter mettent fin à la convention de gestion de fortune aux torts de la Banque Artesia.

10. Par le jugement entrepris, le tribunal de commerce de Bruxelles déclare l'action recevable. Il écarte l'essentiel des griefs adressés par M. et Mme De Geeter et ordonne une réouverture des débats aux fins de permettre aux parties de s'expliquer sur l'influence que pourrait avoir l'inculpation de Dexia dans le dossier Lernout & Hauspie et sur l'application de l'adage selon lequel “Le criminel tient le civil en état”.

11. En degré d'appel, M. et Mme De Geeter demandent à la cour de faire droit à leurs demandes telles que formulées devant le premier juge.

Dexia Banque Belgique et Dexia Asset Management Belgium concluent au non-fondement de l'appel.

IV. Discussion
1. Quant au droit applicable

12. Aux termes de l'article 12 de la convention de gestion de fortune, signée le 10 janvier 2000, seule la législation belge est applicable pour l'application, l'interprétation et l'exécution de ladite convention.

2. Quant aux manquements invoqués
2.1. Position de M. et Mme De Geeter

13. M. et Mme De Geeter articulent leur demande sur deux axes.

D'une part, ils reprochent à la banque d'avoir violé ses engagements contractuels. Selon eux, la stratégie 'Objectif 70' proposée le 14 décembre 1999 et acceptée le 10 janvier suivant, impliquait une répartition de leur portefeuille de la manière suivante:

- 70% en actions ('equities');

- 35% en actions réparties sur 35 valeurs réputées (1% chacune) dont 42,86% en valeurs technologiques (TMT);

- 35% en sicav actions dont 16,83% en valeurs technologiques (TMT);

- 29% en obligations;

- 1% en cash ou options.

A l'appui desdits documents et d'un rapport établi à leur demande par M. Cats, ils font grief à la banque de ne pas avoir respecté, dans le compartiment actions ('equities'), la répartition convenue non seulement quant à la proportion 30/70%, mais également quant au nombre d'actions souscrites, à leur nature, aux secteurs d'investissements choisis (35 valeurs solides et de bonne réputation, à hauteur de 1% chacune). Ils lui reprochent également une surexposition de leur portefeuille en valeurs technologiques (TMT) leur ayant fait courir un risque bien plus important que celui qu'ils avaient accepté.

D'autre part, ils soutiennent que la banque a manqué à ses obligations professionnelles, et plus spécifiquement à l'obligation générale de prudence et de diligence qui s'impose à tout gestionnaire de fortune en ne diversifiant pas le portefeuille, en ne respectant pas les règles élémentaires d'achat et de vente et en ne recentrant pas le portefeuille en fonction du contexte économique.

Ils voient dans le comportement de la banque une accumulation d'erreurs, dans la composition et la gestion de leur portefeuille, à l'origine d'une perte financière considérable.

2.2. Sur le portefeuille-type

14. Si le portefeuille-type présenté dans la proposition du 14 décembre 1999 fait incontestablement partie des éléments pris en considération par M. et Mme De Geeter dans leur prise de décision de confier une mission de gestion de fortune à la banque et dans la détermination de leur stratégie d'investissement et de prise de risques, la banque ne s'est toutefois pas contractuellement engagée à leur constituer un portefeuille identique, le portefeuille-type étant purement exemplatif; certaines valeurs [pouvant] être arbitrées ou changer de pondération.

Ces termes sont clairs en sorte que M. et Mme De Geeter n'ont pu verser dans l'erreur. Comme le relève la banque, ils ne poursuivent pas la nullité de la convention.

15. La nature même de la mission confiée par M. et Mme De Geeter à la banque qui est de gérer discrétionnairement les avoirs qui leur ont été confiés en tenant compte de la stratégie et des objectifs du client, fait également obstacle à leur raisonnement. Donner une valeur obligatoire à ce portefeuille-type reviendrait à vider la convention de gestion de fortune de son essence.

16. Il ne peut dès lors être imputé à faute à la banque de ne pas avoir composé pour M. et Mme De Geeter un portefeuille identique à celui mentionné dans ladite proposition.

2.3. Sur l'exposition 70% en actions

17. Quant à l'exposition 70% en actions, ce taux n'a, en outre, conventionnellement qu'une valeur indicative. Les parties ont, en effet, convenu que la part des actions en portefeuille pourra être augmentée ou réduite en fonction des conditions du marché (annexe 2 du contrat du 10 janvier 2000).

Du reste comme le dit M. Warren Buffet, qualifié par certains de gourou boursier, conserver à tout prix un rapport de 50/50 ou de 70/30 entre actions et obligations n'a pas de sens. Les investisseurs doivent juger les actions, les obligations et les autres outils d'investissement sur leur valeur sous-jacente et en fonction de cela, ajuster la répartition de leur portefeuille. La meilleure manière de limiter les risques consiste à bien réfléchir (pièce 9.2 de la banque).

Le seul dépassement du seuil de 70% en actions n'est dès lors pas constitutif d'une faute dans le chef de la banque.

18. Il n'est pas non plus démontré que la banque se serait écartée de manière déraisonnable de ce pourcentage et donc des objectifs déclarés du client et des risques acceptés.

Comme le relève à juste titre le premier juge, il résulte des évaluations périodiques transmises par la banque qu'au cours de la gestion, la part des actions du portefeuille de M. et Mme De Geeter a oscillé entre 77,67% (au 4ème trimestre 2000) et 67,81% (au 3ème trimestre 2001).

2.4. Sur l'absence de contestation des rapports trimestriels

19. Par ailleurs, M. et Mme De Geeter, dont l'expérience en matière d'instruments financiers est qualifiée de moyenne, n'ont émis aucune réserve à la réception des rapports trimestriels faisant clairement état de la répartition de leur portefeuille et ce, jusqu'au mois d'août 2001. S'ils avaient jugé cet écart excessif, ils se devaient de le signaler dans les meilleurs délais. Aux termes de l'article 6.3. de la convention de gestion de fortune, le client est, en effet, prié d'informer la banque et Cordius des remarques ou objections, qu'il souhaite éventuellement formuler au sujet du rapport trimestriel, des instruments de placement qui y sont mentionnés ou au sujet de la politique de placement qui ressort de ce rapport, et ce immédiatement après sa réception et au plus tard dans le mois qui la suit.

20. A bon droit, le premier juge considère que si cet article ne prive pas nécessairement les demandeurs de toute possibilité de contestation du mode de gestion adoptée - pas plus que l'article 5 du règlement général des opérations -, l'absence de réaction de M. et Mme De Geeter, jusqu'au mois d'août 2001, constitue, à tout le moins, une présomption complémentaire de ce que la structure de leur portefeuille était jusque là conforme à leur attente.

Il ne peut être admis que l'action de M. et Mme De Geeter serait tardive et qu'ils seraient déchus de leur droit à agir, comme le soutient la banque. En effet, eu égard à son caractère radical, la déchéance doit être expressément prévue par la loi, le règlement ou le contrat qui instaure le délai (J. Linsmeau, “Points délicats des règlements généraux des opérations de banque” in Droit bancaire, cambiaire et financier, CUP, mai 1998, p. 133). Tel n'est pas le cas en l'espèce.

De même, s'il n'est pas invraisemblable que M. et Mme De Geeter aient signifié à la banque leur insatisfaction quant au rendement (négatif) de leur portefeuille lors de la réunion du 28 février 2001, ils n'établissent toutefois pas avoir mis en cause, à cette époque, la responsabilité de celle-ci quant à sa gestion de leurs avoirs. La banque conteste formellement avoir reçu le compte rendu établi par M. De Geeter et la preuve contraire n'est pas rapportée. Dans leur lettre du 3 août 2001, M. et Mme De Geeter ne font pas allusion audit compte rendu et précisent, en outre, qu'il s'agit de leurs premières réserves circonstanciées.

21. L'observation relative à l'absence de contestation avant le courrier du 3 août 2001 et ses conséquences vaut également pour les griefs relatifs au nombre d'actions souscrites, à leur nature et aux secteurs d'investissements choisis.

2.5. Sur le portefeuille mis en oeuvre

22. En toute hypothèse, il n'est pas établi que le portefeuille constitué par la banque se différenciait de manière déraisonnable du benchmark choisi ou que les principes de prudence et de diligence qui s'imposent à tout gestionnaire de fortune aient été méconnus.

23. Il convient de rappeler que l'appréciation d'une faute dans le chef de la banque ne peut être opérée a posteriori. Celle-ci doit être effectuée en fonction des circonstances de fait auxquelles la banque se trouvait confrontée au moment où elle a adopté le comportement qui lui est reproché.

Cette appréciation se doit ensuite d'être marginale, en ce sens que doit être respectée la marge d'appréciation du professionnel normalement diligent et prudent.

Le seul constat des mauvais résultats de la gestion n'emporte pas la preuve d'une faute dans le chef du gestionnaire ou d'une absence de valeur ajoutée.

En outre, la responsabilité du gestionnaire doit être appréciée en fonction d'un résultat global et non pas opération par opération (B. Feron, “La responsabilité civile de l'intermédiaire financier en matière de gestion de fortune et de conseil en placement” in La responsabilité civile liée à l'information et au conseil, FUSL, 2000, p. 88).

24. En l'espèce, il ressort de l'analyse du portefeuille de M. et Mme De Geeter, au regard des rapports trimestriels et du rapport de M. Cats, que celui-ci était diversifié à suffisance; en effet

- plus de 50% du portefeuille était composé d'organismes de placement collectifs ('equity funds et bonds funds'), ce qui assure par nature une plus grande diversification;

- il comportait plus d'une vingtaine d'actions différentes;

- aucune action ne dépasse, en pondération globale, 2,5% à la date d'inventaire; vainement M. et Mme De Geeter invoquent-ils le prix de revient des actions Vivendi et Olivetti pour contrer cette affirmation, prix de revient et pondération globale étant deux notions distinctes;

- différents secteurs de l'économie sont représentés (biens de consommation, énergie, finances, télécommunications, technologies);

- différentes régions géographiques sont présentes (Europe, USA, Asie).

25. Quant à l'exposition du portefeuille de M. et Mme De Geeter aux TMT, tant en actions qu'en fonds de placement, il est exact qu'elle a été d'emblée importante. Comme le relève à juste titre le premier juge, les plus-values que les valeurs TMT connaissaient jusqu'en 2000 étaient telles que la quasi-totalité des opérateurs financiers les intégraient dans leurs investissements, et particulièrement en cas de gestion à risque. Il n'est dès lors pas acquis que lors de la mise en oeuvre du portefeuille, une telle orientation apparaissait déraisonnable.

26. Par la suite, ainsi qu'il a déjà été exposé précédemment, M. et Mme De Geeter n'ont pas critiqué cette répartition, ni quant à la nature des titres ni quant à leur nombre, alors qu'elle ressortait clairement des rapports trimestriels, ce qui permet de présumer, compte tenu de l'article 6.3 de la convention, qu'elle ne s'écartait pas de manière déraisonnable de la commune intention des parties.

27. M. et Mme De Geeter reprochent à la banque d'avoir continué à acheter des actions TMT entre mars et juin 2001 (British Telecom et Vodafone) alors que leur valeur baissait. Or, à l'époque, de nombreux analystes financiers recommandaient l'achat de Vodafone (cf. pièce 4.9 de la banque). M. et Mme De Geeter ne démontrent pas l'inverse.

2.6. Sur la méthode des moyennes mobiles et les opérations de 'nettoyage'

28. M. et Mme De Geeter entendent également stigmatiser le comportement de la banque dans le cadre de la vente à perte des titres Lucent, CMGI et Marconi et l'achat de Lernout & Hauspie entre mars et septembre 2000. Ils soulignent à cet effet que leur gestionnaire de fortune n'a pas tenu compte du signal de vente émis au courant de l'année 2000 pour ces titres - en application de la méthode des moyennes mobiles -, pour brader les Lucent, CMGI et Marconi le vendredi 29 juin 2001, à la clôture du trimestre. En d'autres termes, ils lui font grief de ne pas avoir vendu suffisamment à temps, ce qui aurait permis de diminuer la perte subie sur ces valeurs.

29. Il convient de relever que ce reproche est en contradiction avec leurs premières affirmations reprises dans leur courrier du 3 août 2001 selon lesquelles ces valeurs (Lucent, CMGI et Marconi) n'auraient pu que remonter dans une optique à moyen et long terme.

Il ressort ensuite des graphiques produits par la banque (cf. pièces 6.11 à 6.13) que les titres Lucent, CMGI et Marconi ont, de manière globale, continué à descendre après leur vente.

Ceci démontre:

- d'une part, le caractère non déraisonnable de la décision de vendre; conserver les titres aurait augmenté la perte;

- et d'autre part, l'inévitable part d'aléa dans la prise d'une telle décision.

Quant à Lernout & Hauspie, cette société était présentée, fin des années 90, comme l'un des fleurons de l'industrie technologique en Flandres (il sera toutefois revenu sur la question des achats des titres Lernout & Hauspie ci-après).

M. et Mme De Geeter, sur qui repose la charge de la preuve, n'établissent par ailleurs pas que la méthode de la moyenne mobile eut été la plus appropriée dans le cadre de la gestion de leur portefeuille. Comme le relève la banque, cette méthode se concentre uniquement sur la valeur étudiée sans avoir égard aux comportements des autres valeurs du portefeuille et les analystes peuvent avoir une appréciation différente.

Enfin, à bon droit, le premier juge considère que la seule coïncidence de date de vente des titres ne démontre pas à suffisance de droit que ces opérations procéderaient d'une manoeuvre de nettoyage opérée par la banque.

2.7. Sur le contrat de gestion de fortune conclu avec la Deutsche Bank

30. Il ne peut pas davantage être opéré de comparaison utile avec le portefeuille que M. et Mme De Geeter avaient confié à la Deutsche Bank, la stratégie choisie étant différente (“portefeuille croissance comprenant minimum 50% d'actions, c'est-à-dire à risque élevé”).

2.8. Sur la gestion personnalisée et le rééquilibrage

31. M. et Mme De Geeter reprochent également à la banque de ne pas avoir assuré, en violation de ses obligations tant contractuelles que professionnelles, une gestion personnalisée de leur portefeuille, de n'avoir apporté aucune valeur ajoutée et de ne pas avoir procédé aux réajustements qui s'imposaient en raison du contexte économique de l'époque.

32. Or, il ressort du rapport trimestriel du 30 septembre 2001 que dès que M. et Mme De Geeter ont manifesté, en août 2001, leur désapprobation quant au pourcentage d'actions, le nécessaire a été fait pour que la proportion d'actions se rapproche des 70%. Au 30 septembre 2001, elle est de 67,81%.

Il ne peut pas non plus être fait grief à la banque de ne pas avoir, par la suite, acquiescé à leur demande de dédommagement. Etre d'un avis contraire n'est pas en soi nécessairement fautif.

Il apparaît que la banque a du reste proposé de modifier le placement initial en placement en produits structurés garantissant le capital. Si elle n'a pas témoigné d'un grand empressement, ce comportement peut s'expliquer par le caractère conflictuel qu'avait pris leur relation à cette époque.

Une faute ne peut être retenue.

33. Par ailleurs, il n'apparaît pas non plus qu'avant le courrier du 3 août 2001, la banque se serait écartée des principes contenus dans le processus de gestion évoqué ci-avant.

Le seul constat des pertes enregistrées ne permet pas de conclure à une faute de la banque.

De même, il n'apparaît pas que la performance du portefeuille de M. et Mme De Geeter se soit écartée significativement de l'évolution des indices des différents marchés financiers dans un contexte économique de forte dégradation, tant avant qu'après le courrier du 3 août 2001 (cf. pièce 6.2 de la banque).

34. Il convient enfin de souligner que le risque financier accepté par M. et Mme De Geeter était déterminé en fonction d'une stratégie de placement, celle de 'Objectif 70', compte tenu d'un horizon de placement de 5 ans minimum (cf. art. 5.2 de la convention et annexe 2). Il s'agit donc d'un risque élevé.

En recherchant la responsabilité de la banque après moins de deux ans de gestion, M. et Mme De Geeter ont empêché de procéder à une analyse de celle-ci sur la durée convenue. Rien ne permet d'affirmer que le résultat escompté n'aurait pas été atteint en 5 ans.

2.9. Sur la transparence des rapports trimestriels

35. Quant aux rapports trimestriels, ils sont parfaitement lisibles. C'est en vain que M. et Mme De Geeter affirment que la présentation des résultats serait tronquée à défaut de reprendre leur évolution depuis le début de la gestion.

2.10. Sur les titres Lernout & Hauspie

36. M. et Mme De Geeter reprochent également à la banque d'avoir recherché son intérêt personnel au détriment du leur, en augmentant entre mars et septembre 2000, leur participation dans le titre Lernout & Hauspie, dont la valeur avait déjà sensiblement diminué. Ils soutiennent que la banque a tenté de maintenir le cours de cette action avec les fonds de ses clients, Artesia ayant consenti un important prêt à la société Lernout & Hauspie.

37. Dès lors que cette question, non tranchée par le premier juge, est expressément invoquée en termes de conclusions d'appel, il ne peut être considéré que M. et Mme De Geeter auraient renoncé à ce grief.

38. Il convient ensuite de préciser à cet égard que la banque a acheté pour le compte de M. et Mme De Geeter:

- le 10 mars 2000, 410 actions au cours de 117,6 USD, lesquelles deviendront, à la suite d'une division ('split') 820 actions au cours de 58,8 USD;

- le 17 juillet 2000, 780 actions au cours de 34,98 USD;

- le 22 septembre 2000, 800 actions au cours de 14,5 USD;

soit un total de 2.400 actions.

Il résulte par ailleurs des pièces auxquelles la cour peut avoir égard (pièces 1.35 du dossier de M. et Mme De Geeter) que dès 1999 et encore en février 2000, le Wall Street Journal s'est fait l'écho des critiques et doutes entendus dans les milieux boursiers new-yorkais à l'encontre de Lernout & Hauspie sur le plan de ses pratiques comptables ou encore sur celui des performances réelles du groupe yprois.

En février 2000, J.-Y. H. écrivait dans l'Écho qu'un peu moins de confusion dans la politique de communication et plus de transparence en général achèveraient sans doute de dissiper la méfiance qu'inspire encore le groupe flamand aux non-initiés, commentent unanimement les observateurs.

Au cours de l'été 2000, le Wall Street Journal fera toutefois de nouvelles révélations portant à la lumière ce qui s'avèrera être un scandale financier international. Diverses procédures judiciaires seront diligentées à travers le monde (action collective ou 'class action' aux États-Unis,...). Un dossier répressif sera ouvert notamment en Belgique. Les fondateurs et dirigeants de Lernout & Hauspie mais également la banque Dexia/Artesia seront inculpés.

Au regard de ces éléments, il appert que si une gestion doit, en principe, s'apprécier dans son ensemble et non opération par opération, l'achat des titres Lernout & Hauspie constitue, en l'espèce, un cas spécifique et y fait exception.

Si les achats en mars et juillet 2000 de titres Lernout & Hauspie par la banque ne peuvent être qualifiés de fautifs dès lors qu'en mars 2000, le cours du titre Lernout & Hauspie révélait un important accroissement et que les achats de juillet 2000 peuvent s'expliquer par la volonté de compenser la perte subie depuis le mois de mars (cf. évolution du cours actions Lernout & Hauspie, pièce 6.14 de la banque), il n'en va pas de même de l'achat du 22 septembre 2000.

A cette époque, le Wall Street Journal avait fait état d'informations particulièrement alarmantes quant à Lernout & Hauspie.

A l'inverse de la banque, un analyste financier prudent et diligent, placé dans les mêmes circonstances, n'aurait à l'évidence pas acheté de tels titres à cette date.

Même dans le cadre de l'exercice du seul contrôle marginal opéré par la cour, il ressort que la banque aurait, au contraire, dû procéder à leur vente afin de réduire, si faire se peut, la perte déjà enregistrée, pratique que la banque avait du reste déjà mise en oeuvre pour d'autres titres du portefeuille de M. et Mme De Geeter.

Partant, si la preuve d'une collusion entre la banque Dexia et sa filiale, Cordius, n'est pas rapportée, il n'en demeure pas moins que leur responsabilité est engagée dans le cadre spécifique des titres Lernout & Hauspie.

39. Si la banque avait vendu les titres en portefeuille, elle aurait pu, au moins, en récupérer la valeur au 22 septembre 2000, soit 14,5 USD. De même, si elle s'était abstenue d'acheter des titres complémentaires, les liquidités n'auraient pas diminué à due concurrence. Le dommage subi par M. et Mme De Geeter à la suite du comportement fautif de Dexia et de Cordius, toutes deux signataires de la convention du 10 janvier 2000 et ayant la qualité de commerçants, s'évalue à la somme de 2.400 x 14,5 USD = 34.800 USD.

Il y a lieu d'allouer à M. et Mme De Geeter la contre-valeur en euros de cette somme, majorée des intérêts compensatoires au taux légal à dater du 22 septembre 2000.

Les autres montants réclamés n'étant nullement justifiés, il n'y a aucun motif de les octroyer.

3. Quant à la désignation d'un expert

40. L'expertise ne pouvant servir à une partie à obtenir les preuves dont elle ne dispose pas et ne présentant pas d'utilité sur le plan du calcul du dommage, il n'y a pas lieu de recourir à cette mesure.

4. Quant à la rupture de la relation contractuelle

41. M. et Mme De Geeter postulent qu'il soit dit pour droit que la rupture des relations entre parties intervenue le 13 mai 2002 est imputable à Dexia.

Ils n'en tirent toutefois aucune conséquence sur le plan juridique.

En l'absence d'autres éléments, il n'y a aucun motif d'y faire droit.

5. Quant aux dépens

42. Chaque partie sollicite l'octroi du montant de base de l'indemnité de procédure, soit 15.000 EUR compte tenu de la valeur de la demande qui dépasse 1.000.000 EUR.

Au regard de la solution adoptée ci-avant, il appartient à Dexia et à Cordius de supporter cette indemnité de même que les dépens de première instance.

V. Dispositif

Pour ces motifs, la cour,

Reçoit rappel et le dit fondé dans la mesure ci-après indiquée;

Réforme le jugement entrepris, sauf en tant qu'il reçoit la demande;

Statuant en application de l'article 1068 du Code judiciaire;

Dit la demande fondée dans la mesure ci-après indiquée;

Condamne solidairement Dexia Banque Belgique et Dexia Asset Management Belgium à payer à M. et Mme De Geeter la contre-valeur en euros au taux le plus élevé au jour du paiement de 34.800 USD, majorée des intérêts compensatoires au taux légal à dater du 22 septembre 2000 jusqu'à la date du présent arrêt et ensuite des intérêts moratoires au taux légal jusqu'au parfait paiement;

Déboute M. et Mme De Geeter du surplus de leur demande;

Met à charge de Dexia Banque Belgique et Dexia Asset Management Belgium les dépens de première instance et d'appel;

Condamne Dexia Banque Belgique et Dexia Asset Management Belgium à payer à M. et Mme De Geeter 281,01 EUR (frais de citation) + 349,54 EUR (indemnité de procédure de première instance) + 186 EUR (frais de requête d'appel) + 15.000 EUR (indemnité de procédure d'appel);

(…)