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Réflexions sur la notion d'objectifs de gestion, R.D.C.-T.B.H., 2010/2, p. 163-168

INSTITUTIONS ET INTERMEDIAIRES FINANCIERS
Gestion de fortune et conseiller en placement - Convention - Mention des objectifs de gestion du client (arrêté royal du 5 août 1991) - Responsabilité du banquier (non) - Obligations de moyen - Intérêt exclusif du client (art. 79 § 1er de la loi du 6 avril 1995) et conflit d'intérêts - Pas d'interdiction
Satisfait à l'obligation de mentionner les objectifs du client visés aux articles 8 § 1er, 2° et 19 de l'arrêté royal du 5 août 1991 relatif à la gestion de fortune et au conseil en placements, la convention de gestion de fortune qui indique le choix par le client d'un portefeuille 'neutre' ou 'agressif'.
Dans l'exécution du contrat de gestion de fortune, sauf stipulation contractuelle expresse, le professionnel ne répond que d'une obligation de moyen.
Si les parties n'ont pas convenu d'un seuil de pertes, 'stop loss', il n'appartient pas au tribunal d'y suppléer et de dire a posteriori à partir de quel moment des titres auraient dû être cédés.
L'obligation de procéder à une diversification du portefeuille doit s'apprécier en fonction du profil de gestion choisi par le client. Elle ne vaut pas lorsque l'investisseur a volontairement choisi une gestion spéculative.
Les règles relatives aux conflits d'intérêts du gestionnaire de fortune n'ont pas pour effet d'interdire l'acquisition par celui-ci, pour le compte de son client, de titres d'organismes de placement collectif dont il est le promoteur. Le gestionnaire n'est pas tenu de s'abstenir de réaliser toute opération portant sur un instrument au placement duquel il serait personnellement intéressé.
FINANCIELE INSTELLINGEN EN TUSSENPERSONEN
Vermogensbeheer en beleggingsadviseurs - Overeenkomst - Vermelding van de doelstelling van de cliënt (koninklijk besluit van 5 augustus 1991) - Aansprakelijkheid van de bankier (neen) - Middelenverbintenis - Uitsluitend belang van de cliënt (art. 79 § 1 van de wet van 6 april 1995) en belangenconflicten - Geen verbod
Voldoet aan de verplichting tot vermelding van de doelstellingen van de cliënt voorzien in artikel 8 § 1, 2° en artikel 9 van het koninklijk besluit van 5 augustus 1991 over het vermogensbeheer en het beleggingsadvies, de overeenkomst tot vermogensbeheer die de keuze van de cliënt voor een 'neutrale' of 'agressieve' portefeuille aangeeft.
In de uitvoering van de overeenkomst van vermogensbeheer weegt er op de professionele, behoudens uitdrukkelijk contractuele beding, enkel een middelenverbintenis.
Indien de partijen geen enkele drempel van verliezen, 'stop loss', zijn overeengekomen, behoort het niet aan de rechtbank de overeenkomst aan te vullen en a posteriori te zeggen vanaf welk moment de effecten hadden moeten zijn overgedragen.
De verplichting om over te gaan tot een diversificatie van de portefeuille moet worden geëvalueerd op grond van het door de cliënt gekozen beheersprofiel. Zij geldt niet indien de belegger vrijwillig heeft gekozen voor een speculatief beheer.
De regels met betrekking tot de belangenconflicten van de vermogensbeheerder hebben niet tot gevolg dat het hem verboden is voor rekening van zijn cliënt effecten van instellingen voor collectieve belegging waarvan hij de promotor is aan te kopen. De beheerder is niet gehouden zich te onthouden van de uitvoering van elke operatie die betrekking heeft op een instrument in de belegging waarvan hij persoonlijk geïnteresseerd zou zijn.
Réflexions sur la notion d'objectifs de gestion

1.Deux jugements ont été rendus le même jour par la 8ème chambre du tribunal de première instance de Bruxelles et reposent sur des faits identiques. Les solutions adoptées le sont également. L'un de ces deux jugements est ici publié et commenté.

2.Plusieurs contrats de gestion de fortune ont été conclus, entre 1999 et 2001, entre les demandeurs, agissant tant en leur nom personnel qu'en qualité de représentants légaux de leurs enfants mineurs et une banque. Cette dernière s'est vu confier des fonds à gérer de façon discrétionnaire et 'neutre', dans un premier temps et 'agressive' ensuite.

A la fin de l'année 2000, la position des portefeuilles en titres Lernout & Hauspie a suscité l'inquiétude des demandeurs, qui s'en sont ouverts auprès de la banque et lui ont demandé de les reprendre à leur valeur d'acquisition, ce que cette dernière a refusé.

En dépit de la contestation apparemment née, de nouveaux contrats ont été conclus au début de l'année 2001, toujours, semble-t-il, dans la perspective d'une gestion agressive. A ce moment, les portefeuilles présentaient soit des pertes relativement limitées, soit une valeur pratiquement équivalente à celle des investissements originels, c'est-à-dire qu'ils ne dégageaient pas de gain véritable.

Les vicissitudes ultérieures des relations des parties ne sont pas connues mais il apparaît qu'à la moitié de l'année 2005, les procès ont été introduits et que la banque a résilié les contrats quelque temps après.

Devant le tribunal de première instance, les demandeurs ont poursuivi, à titre principal, l'annulation des contrats de gestion, en invoquant la violation, par la banque, de l'arrêté royal du 5 août 1991 en ses dispositions relatives à la convention de gestion de fortune et, plus particulièrement, celle concernant l'indication des objectifs de gestion du client.

Subsidiairement, c'est la résolution des contrats aux torts de la banque qui était demandée, l'inexécution fautive résultant, selon les demandeurs, de la passivité de la banque dans la gestion, de la méconnaissance de l'obligation de servir au mieux les intérêts du client, du manque de diversification dans le choix des instruments financiers acquis et du conflit d'intérêts affectant l'acquisition de certains titres.

3.Ces derniers thèmes sont régulièrement abordés devant les juridictions de fond et divers commentaires y ont déjà été consacrés. L'on y renverra pour ce qui concerne la responsabilité du gérant de fortune au regard de l'obligation de servir au mieux les intérêts de son client et des conflits d'intérêts ou du chef d'excès ou d'insuffisance d'actes de gestion [1].

La présente note a essentiellement pour objet l'examen de la notion d'objectifs de gestion qui, jusque récemment, n'a pas vraiment retenu l'attention et semble désormais générer des interprétations divergentes. Cette analyse est effectuée sous l'empire de l'arrêté royal du 5 août 1991 relatif à la gestion de fortune et au conseil en placements tel qu'il était applicable à l'époque des faits ayant donné lieu au jugement commenté, c'est-à-dire avant son abrogation à la faveur de l'entrée en vigueur, le 1er novembre 2007, des arrêtés royaux des 27 avril 2007 [2] et 3 juin 2007 [3], qui ont transposé les directives 2004/39 (MiFID) [4] et 2006/73 (directive d'exécution de la MiFID) [5]. Ces directives ont réformé le droit communautaire des services financiers et ont conduit, dans le droit belge, à une modification des lois des 6 avril 1995 [6] et 2 août 2002 [7] entre autres.

Les conséquences de ces modifications quant au sujet traité seront également abordées ci-après.

4.Les demandeurs faisaient grief à la banque de n'avoir pas respecté l'obligation de déterminer leurs objectifs de gestion, telle que cette obligation résultait de l'article 8 § 1er, 2° de l'arrêté royal du 5 août 1991.

Selon les termes de cet article, les sociétés de gestion de fortune [8] ne peuvent commencer à prester des services de gestion de fortune à un client avant d'avoir conclu avec celui-ci une convention écrite prévoyant, notamment, ses objectifs en matière de gestion conformément à l'article 19 du même arrêté royal.

Cette dernière disposition impose, quant à elle, aux gérants de fortune de demander à leurs clients, avant la conclusion de la convention de gestion, les informations utiles sur leur expérience en matière d'investissement et leurs objectifs en ce qui concerne les services demandés.

L'article 19 de l'arrêté royal constitue, de cette façon, une application particulière de la règle de conduite autrefois contenue à l'article 36 § 1er, 4° de la loi du 6 avril 1995 [9]. Dans le cadre réglementaire applicable à la gestion de fortune, l'obligation de définir, par convention, les objectifs de gestion du client puise donc sa source essentiellement dans l'arrêté royal du 5 août 1991.

5.Dans le jugement examiné, le tribunal, après avoir posé le principe que les objectifs visés sont les objectifs de gestion des clients, relève que “parmi les quatre propositions d'objectifs de gestions proposées par la défenderesse, ils ont retenu et choisi celles intitulées 'portefeuille neutre' et 'portefeuille agressif'. Qu'ils reconnaissent expressément avoir été informés par la défenderesse des conséquences et risques inhérents à la gestion choisie et avoir reçu toute l'information et notamment un document expliquant les différents types d'instruments financiers et les risques y attachés”.

Parce qu'en outre, les demandeurs avaient eu la possibilité d'exprimer des desiderata particuliers et que les conventions n'en recelaient guère la trace, le jugement conclut “qu'il peut en être déduit qu'ils n'avaient pas d'autres objectifs que ceux mentionnés dans les conventions” et, en conséquence, que les exigences réglementaires ont été rencontrées.

6.Ainsi traduit par les motifs précités, le raisonnement appliqué en l'espèce rappelle la méthode inductive dont procèdent les présomptions de l'homme [10], puisque c'est, apparemment, de faits connus (le choix de portefeuilles neutres et agressifs et l'absence d'indication de desiderata particuliers), que les juges ont déduit l'existence du fait recherché (la mention des objectifs des demandeurs). D'une façon analogue, le tribunal de commerce de Bruxelles avait estimé, dans un jugement du 2 septembre 2004, qu'en sélectionnant “l'option portefeuille 'actions'”, les parties avaient clairement défini l'orientation de base de la gestion souhaitée et partant les objectifs poursuivis [11].

C'est, toutefois, sur un terrain étranger au domaine de la preuve - celui du respect formel de la réglementation - que le débat se trouvait avancé. Il est, en effet, de doctrine et de jurisprudence constantes que l'article 8 de l'arrêté royal confère au contrat de gestion de fortune un caractère solennel, en imposant non seulement l'établissement d'un écrit mais également diverses mentions à y faire figurer [12]. La disposition est tenue pour impérative dans l'intérêt du client, de sorte que l'omission de l'une de ces mentions obligatoires suffit, en principe, à ouvrir à ce dernier la voie d'une demande en annulation de la convention. S'agissant, dès lors, d'apprécier l'existence, contestée, d'une indication devant impérativement figurer ad solemnitatem, le recours aux présomptions ne pouvait s'avérer fécond [13].

Ces considérations à l'esprit, la portée des décisions examinées peut être située plutôt sous l'angle de l'interprétation de la loi, puisqu'elles admettent - de façon implicite - la correspondance entre le choix d'un portefeuille qualifié 'neutre' ou 'agressif' et la notion légale d'objectifs de gestion, ainsi qu'il ressort de la finale du raisonnement adopté (qu'il peut en être déduit qu'ils n'avaient pas d'autres objectifs que ceux mentionnés dans les conventions).

7.Cette interprétation ne paraît cependant pas pouvoir être suivie sans réserve.

Certes, l'arrêté royal du 5 août 1991 ne définit pas la notion d'objectifs, mais l'on sait qu'en l'absence de définition légale ou réglementaire, l'interprétation qui peut être donnée d'un terme reste balisée tant par l'économie générale de la loi que par le sens ordinaire de ce terme [14].

D'un point de vue strictement textuel, l'article 8 § 1er de l'arrêté royal du 5 août 1991 distingue, parmi les mentions à faire figurer dans la convention de gestion de fortune, les objectifs du client (art. 8 § 1er, 2°) notamment de l'objet de la convention (art. 8 § 1er, 1°), du type d'opérations autorisées ainsi que des marchés et instruments de placement sur lesquels porteront ces opérations et des éventuelles restrictions en matière de gestion (art. 8 § 1er, 3°) et du risque financier admis (art. 8 § 1er, 4°).

Ces différents éléments sont interdépendants, dans une certaine mesure, parce qu'ils concourent à établir la portée du mandat du gérant, mais ils demeurent néanmoins spécifiques et autonomes, ce que rappelle l'arrêté royal en les énumérant séparément. Le type de gestion théorique ou la composition générique d'un portefeuille financier se rapportent davantage aux instruments de placements concernés par la gestion et, le cas échéant, au risque financier admis par le client, de sorte que leur assimilation aux objectifs de gestion paraît exclue, en tant que telle, par l'article 8 de l'arrêté royal du 5 août 1991.

Elle l'est également conceptuellement.

Dans le processus d'élaboration du cadre contractuel de la gestion, la révélation de l'objectif du client doit normalement précéder l'analyse de la composition du portefeuille ou de la stratégie de gestion à mettre en oeuvre [15]. Ces dernières relèvent du domaine d'expertise du gérant, qui en établira la teneur au regard des informations clé dont il dispose pour ce faire, parmi lesquelles les objectifs de son client occupent une place importante. A ces objectifs correspondent, si l'on s'en tient à une acception normale, voire banale en réalité, les mobiles ayant déterminés le client à se défaire de la gestion d'une fraction de son patrimoine, soit ici le but, essentiellement économique, qu'il poursuit et pour lequel il sollicite l'intervention d'un spécialiste.

De tels mobiles paraissent difficilement réductibles au label accolé à un portefeuille-type ou à des pourcentages de répartition entre différentes catégories d'instruments financiers. Ainsi, le choix d'un portefeuille 'conservateur' ne révèle encore rien des desseins de son auteur. De même, la volonté d'investir dans un portefeuille majoritairement composé d'actions n'est guère plus explicite à cet égard, comme l'avait d'ailleurs constaté, quelque temps auparavant, le même tribunal de première instance, jugeant que “s'il peut être admis que les actions constituent des instruments financiers davantage sujets aux fluctuations que les obligations, cette caractéristique ne suffit pas à définir les objectifs d'un investisseur qui souhaite un portefeuille exclusivement composé d'actions”, ces objectifs devant être “raisonnablement significatifs pour permettre au gérant de réaliser au mieux les engagements souscrits envers le client” [16].

Appelé à gérer pour autrui d'une façon individualisée [17], le gérant doit pouvoir identifier les finalités particulières qui sous-tendent les choix personnels du client dans le cadre de la gestion. Celles-ci peuvent être variées, simples ou élaborées et leur réalisation peut être attendue pendant toute la durée de la gestion ou à l'issue de celle-ci seulement. Il peut s'agir, par exemple, de “conserver une épargne familiale ou spéculer sur une partie de son patrimoine, rechercher un revenu régulier ou tenter le coup financier, placer sur le long terme ou préférer la disponibilité permanente de son portefeuille en vue d'un investissement immobilier” [18].

En ce sens, la composition globale d'un portefeuille ou l'orientation à donner à la gestion ne sont jamais, en elles-mêmes, les objectifs du client, mais seulement le moyen supposé de la réalisation de ces objectifs et, par extension, une première esquisse de la stratégie à mettre en oeuvre par le gérant. Objectifs et modes de gestion sont ainsi différents à divers égards et rares sont les auteurs qui en ont promu l'amalgame [19].

8.La notion d'objectifs de gestion ne peut davantage être confondue avec celle du risque financier admis ou non par le client (art. 8 § 1er, 4° de l'arrêté royal). Tout au plus, les objectifs du client peuvent-ils s'assortir d'emblée d'un niveau de risque déterminé ou devoir être réévalués en fonction de ce dernier une fois identifié [20], mais le risque ne peut à lui seul exprimer la nature véritable des ambitions du client. Si la formulation d'un objectif (par exemple la conservation d'un capital et la production de fruits réguliers à titre de rente de complément), permet de déduire l'admission ou non d'un certain niveau de risque (en l'occurrence faible), l'inverse n'est, en effet, pas exact.

Au demeurant, la sélection de l'une ou l'autre catégorie d'instruments financiers à intégrer dans un portefeuille ne peut suffire à caractériser systématiquement ni l'orientation que doit prendre la gestion, ni les intentions spéculatives ou non du client, dès lors que ces instruments peuvent servir des finalités diverses. C'est le cas de certains produits dérivés, tels les contrats d'options ou les futures, qui, s'ils exposent potentiellement l'une des parties à un risque important, peuvent parfaitement s'inscrire dans une stratégie de conservation de valeur et de contrôle du risque de fluctuation [21].

9.Si l'on s'attache à faire la synthèse de ce qui précède, les notions d'objectifs, de type de gestion et de risque peuvent, en définitive, être distinguées par l'énonciation de trois questions de base devant normalement se poser entre les parties au contrat de gestion: que veut-on réaliser, comment le réaliser et jusqu'à quel point est-on prêt à perdre [22]? Et c'est vraisemblablement la réponse à la première de ces questions qui, seule, a vocation à satisfaire le prescrit de l'article 8 § 1er, 2° de l'arrêté royal du 5 août 1991.

10.Sans doute cette conclusion doit conduire parallèlement à un autre constat, puisqu'en n'adoptant pas de définition technique des termes 'objectifs de gestion', le législateur n'en a pas davantage imposé un sens rigide.

Or, si le formalisme organisé par l'article 8 de l'arrêté royal du 5 août 1991 est destiné à protéger le consentement du client, il n'établit, en revanche, aucune restriction à l'autonomie de la volonté que ce dernier peut manifester dans le cadre de la définition de ses objectifs en matière de gestion, sauf les limites traditionnelles que sont l'ordre public et les bonnes moeurs.

Dans ces limites, il est concevable qu'un client n'ait aucun objectif particulier, autre que la conservation d'un capital et la production de fruits plus importants que ceux que procurent les comptes d'épargne ou à terme. Il peut aussi n'avoir pas d'objectifs précis ou présenter à son gérant des objectifs multiples et même contradictoires, auquel cas il incombe au gérant de l'aider à dégager des priorités ou à formuler des objectifs compréhensibles [23].

Qu'elle résulte des déclarations du client ou de l'analyse qu'en fait le gérant au terme de leurs entretiens, la conclusion à laquelle les parties aboutissent peut les conduire à sélectionner l'un des modèles de portefeuilles ou de gestion établis par le gérant. Dans leurs expressions les plus simples, à savoir 'conserver un capital' ou 'réaliser des gains importants', les objectifs du client peuvent ainsi sembler se confondre avec une formule standard de gestion, de type 'conservatrice' ou 'agressive'.

L'on soulignera immédiatement que de telles expressions, bien qu'étant rudimentaires, sont toujours plus précises que la seule référence au qualificatif 'conservateur', 'neutre' ou 'agressif' attribué à une forme de gestion. La généralité des cas susceptibles d'être visés par la documentation préétablie par le gérant et par les modèles de gestion de base auxquels il recourt ne dispense donc pas de la transcription exacte des objectifs réellement identifiés, surtout si cette documentation n'en assure qu'une représentation graphique ou chiffrée. Telle semble avoir été également l'opinion de la Commission bancaire et financière qui, tout en admettant l'utilisation de contrats standards en fonction du type de gestion (par exemple gestion conservatoire ou gestion dynamique), précisait à l'attention des gérants de fortune que chaque contrat individuel de gestion doit en tous cas mentionner clairement les objectifs du client [24].

La définition des objectifs du client par la sélection d'un portefeuille-type ou d'un mode standard de gestion doit ainsi être évitée, à moins qu'elle ne corresponde entièrement à la réalité, ce qui suppose, à tout le moins, que le document dans lequel les différents types de portefeuille ou de gestion sont présentés, ou tout autre document de nature (pré)contractuelle dont le client a eu connaissance et qu'il a accepté, décrive de façon claire les objectifs correspondants.

Le jugement commenté paraît s'inscrire dans cette perspective, mais les éléments qui s'y trouvent relevés sont insuffisants pour fonder la conclusion à laquelle il parvient. De la seule constatation que les demandeurs ont choisi des portefeuilles 'neutres' et 'agressifs', il ne pouvait, selon nous, être déduit que la convention de gestion de fortune mentionnait adéquatement leurs objectifs de gestion et, partant, que la réglementation avait bien été respectée, ces portefeuilles fussent-ils présentés comme des 'propositions d'objectifs' non autrement explicitées.

Dans ces conditions, la circonstance que les conventions ne précisaient pas si les demandeurs avaient formulé des desiderata particuliers devenait, en quelque sorte, sans portée utile, ne pouvant établir l'existence de la mention précisément manquante. A cet égard, s'il incombe au client de faire preuve d'une diligence normale en veillant à faire connaître au gérant ses objectifs particuliers et en l'interrogeant s'ils ne lui paraissent pas correctement transposés dans la convention, c'est généralement le gérant qui tient la plume lors de l'établissement de la documentation contractuelle et l'on s'accorde pour considérer que c'est lui qui assume la responsabilité du caractère complet et adéquat de cette documentation [25]. Les qualités du client, c'est-à-dire son profil d'investisseur, son âge, ses ressources financières, etc. peuvent être prises en considération pour évaluer cette adéquation. Un profane en matière d'investissement peut ne pas être en mesure de percevoir correctement les énonciations techniques de la convention, voire de formuler des desiderata particuliers s'il n'est pas informé de cette faculté.

11.Quant à la clause par laquelle les demandeurs ont reconnu que la banque s'est informée de leurs objectifs, il convient de rappeler que l'obligation du gérant découlant des articles 8 § 1er, 2° et 19 de l'arrêté royal du 5 août 1991 est double. Préalablement à la conclusion du contrat de gestion, elle consiste en une démarche tendant à recueillir les informations utiles relatives aux objectifs du client et, concomitamment à l'établissement de la convention écrite, elle conduit à la transcription du résultat de ces investigations.

Dès lors, si comme le relève, justement, le tribunal de première instance, il résulte de la combinaison des articles 8 § 1er, 2° et 19 de l'arrêté royal du 5 août 1991 que le gérant de fortune doit se renseigner sur l'expérience du client en matière d'investissements et sur ce qu'il attend de la gestion et si aucune disposition de l'arrêté royal du 5 août 1991 n'impose la consignation des informations recueillies avant la phase d'élaboration de la convention de gestion, les objectifs du client font partie, contrairement à l'expérience de ce dernier, des éléments devant obligatoirement figurer dans la convention de gestion de fortune. La clause de style selon laquelle la banque “s'est informée de l'expérience du client en matière d'instruments financiers et de ses objectifs en ce qui concerne les services demandés” ne présente, par conséquent, qu'une efficacité partielle car elle ne peut pallier l'absence de mention expresse des objectifs du client dans la convention de gestion.

12.La nouvelle réglementation issue des arrêtés royaux des 27 avril et 3 juin 2007 aborde la notion d'objectifs d'investissement d'une façon plus conforme à son sens naturel.

Dans le régime en vigueur aujourd'hui, la gestion de portefeuille demeure un contrat au contenu réglementé, du moins lorsqu'il est conclu avec un client dit 'de détail' [26] et les objectifs poursuivis par ce client comptent toujours parmi les mentions obligatoires de ce contrat [27].

Mais c'est surtout au travers du renforcement de l'obligation précontractuelle de connaissance du client ('know your customer') que se révèle la manière dont il faudra désormais déterminer les objectifs du client. L'article 27 § 4 de la loi du 2 août 2002 oblige toute personne agréée pour prester le service de gestion de portefeuille (dénommée, dans ce contexte 'entreprise réglementée') à se procurer, au préalable, les informations nécessaires concernant les connaissances et l'expérience du client en matière d'investissement en rapport avec le type spécifique de produit ou de service, sa situation financière et ses objectifs d'investissement, de manière à pouvoir lui fournir un service de gestion adéquat [28].

Cette obligation est développée par l'article 15 § 1er, (a) de l'arrêté royal du 3 juin 2007, en vertu duquel l'entreprise réglementée doit obtenir de ses clients ou clients potentiels toute l'information nécessaire pour connaître les faits essentiels les concernant et disposer d'une base suffisante pour considérer, compte tenu de la nature et de l'étendue du service fourni, que la transaction engagée dans le cadre du service de gestion de portefeuille répond aux objectifs d'investissement du client en question.

Précisant le contenu de la notion, le quatrième paragraphe du même article énonce que “Les renseignements concernant les objectifs d'investissement du client ou du client potentiel doivent, le cas échéant, inclure des informations portant sur la durée pendant laquelle le client souhaite conserver l'investissement, ses préférences en matière de risques, son profil de risque, ainsi que le but de l'investissement.” En dépit de la locution 'le cas échéant', les objectifs d'investissement du client se rapportent, avant tout, au but de l'investissement. La durée de l'investissement, comme le profil de risque ou les préférences en matière de risque [29], ne seraient, quant à eux, à inclure dans les renseignements concernant les objectifs du client que le cas échéant. En toutes hypothèses, le degré de risque qui se reflétera dans l'exercice par le gérant de son pouvoir discrétionnaire et toute contrainte particulière y afférente demeurent des éléments à indiquer, dans la convention de gestion de portefeuille, d'une manière distincte des objectifs de gestion [30].

Marc-David Weinberger

Avocat au barreau de Bruxelles

Assistant à l'Université Libre de Bruxelles

Chercheur associé du Centre de droit privé et de droit économique de l'ULB

[1] Notamment: B. Caulier, “Gestion de fortune, instruments financiers 'maison' et approuvé implicite”, RDC 2009, pp. 55 à 58; M.-D. Weinberger, Gestion de portefeuille et conseil en investissement. Aspects contractuels et de responsabilité, Waterloo, Kluwer, 2008; J.-P. Buyle et M. Delierneux, “Observations”, RDC 2006, pp. 123 à 124; O. Poelmans et D. Blommaert, “Chronique de jurisprudence en droit bancaire”, DAOR 2003, liv. 66, pp. 123-124; B. Feron et N. De Crombrugghe, “La responsabilité du gestionnaire de fortune”, Questions de responsabilité des dirigeants et conseillers, Vanham & Vanham, février 2003.
[2] Arrêté royal visant à transposer la directive européenne concernant les marchés d'instruments financiers.
[3] Arrêté royal portant les règles et modalités visant à transposer la directive concernant les marchés d'instruments financiers.
[4] Directive 2004/39/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 avril 2004 concernant les marchés d'instruments financiers.
[5] Directive 2006/73/CE de la Commission du 10 août 2006 portant mesures d'exécution de la directive 2004/39/CE du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne les exigences organisationnelles et les conditions d'exercice applicables aux entreprises d'investissement et la définition de certains termes aux fins de ladite directive.
[6] Loi du 6 avril 1995 relative aux marchés financiers, au statut des entreprises d'investissement et à leur contrôle, aux intermédiaires et aux conseillers en placements.
[7] Loi du 2 août 2002 relative à la surveillance du secteur financier et aux services financiers.
[8] Cette obligation, à l'instar de la plupart des dispositions de l'arrêté royal du 5 août 1991 relatives à la convention de gestion, s'applique également aux établissements de crédit, en vertu de l'art. 28 de cet arrêté royal.
[9] Cette disposition énonce que, dans leurs opérations sur instruments financiers, les intermédiaires financiers doivent veiller (…) à recueillir d'une manière appropriée auprès des clients qu'ils conseillent, toute information utile concernant la situation financière de leurs clients, leur expérience en matière d'investissement et leurs objectifs de placement qui raisonnablement sont significatifs pour pouvoir réaliser au mieux leurs engagements vis-à-vis de leurs clients en ce qui concerne les services demandés. Il existe une controverse relative au champ d'application et à la portée des règles contenues à l'art. 36 de la loi du 6 avril 1995 et à la règle relative à la connaissance du client en particulier: voy. B. Feron et B. Taevernier, Principes généraux du droit des marchés financiers, Bruxelles, Larcier, 1997, p. 295; E. Wymeersch, “Les règles de conduite relatives aux opérations sur instruments financiers. L'art. 36 de la loi du 6 avril 1995”, Rev.banque 1995, pp. 574 à 592; M. Fyon, “Les obligations déontologiques des intermédiaires financiers au regard des règlements de marché”, Rev.banque 1997, p. 401.
[10] Voy. l'art. 1349 du Code civil.
[11] RDC 2006, p. 119 .
[12] Voy. notamment P. Wéry, “La gestion de fortune au regard du droit commun du mandat”, Bankcontracten, die Keure, 2004, p. 328; A. Van Oevelen, “De contractuele en de buitencontractuele rechtsbescherming van de particuliere belegger in financiële instrumenten”, Dr.banc.fin. 2003, p. 118, sp. n° 21; B. Feron, “La responsabilité civile de l'intermédiaire financier en matière de gestion de fortune et de conseil en placement”, Responsabilité liée à l'information et au conseil. Questions d'actualité, FUSL, 2000, p. 80; D. Roger et M. Salmon, “Réflexions relatives à la responsabilité contractuelle des gérants de fortune et des conseillers en placements”, JT 1998, pp. 395-396 ; Bruxelles 16 mars 2009, inédit; Civ. Bruxelles 23 septembre 2004, RDC 2006, p. 125 ; Comm. Bruxelles 25 juin 1999, RDC 1999, p. 735; (a contrario) Comm. Bruxelles 31 août 1995, RDC 1996, p. 1096; Civ. Bruxelles 23 septembre 2004, RDC 2006, p. 125 ; Civ. Verviers 29 mai 2006, RDC 2008, p. 96 .
[13] Il serait même interdit par l'art. 1341 du Code civil, qui demeure d'application à l'égard du client, s'agissant de prouver outre le contenu de l'acte (voy. P. Van Ommeslaghe, “Examen de jurisprudence. Les obligations (1974 à 1982)”, RCJB 1988, p. 158; D. Mougenot, Droit des obligations. La preuve, tiré à part du Rép.not., Bruxelles, Larcier, 2002, pp. 108, 124 et 130).
[14] Fagnart rappelle qu'il est de principe que si le législateur ne confère pas aux mots qu'il emploie un sens technique par une définition spécifique, les mots de la loi doivent être entendus dans leur sens usuel (J.-L. Fagnart, “Le projet de loi sur les pratiques du commerce et sur l'information et la protection du consommateur”, RDC 1991, p. 262, citant F. Ost et M. van de Kerchove, Entre la lettre et l'esprit. Les directives d'interprétation en droit, Bruxelles, Bruylant, 1989, pp. 98 et 99.
[15] Elle précèdera même l'établissement de la convention de gestion, ainsi que le requiert l'art. 19 de l'arrêté royal du 5 août 1991.
[16] Civ. Bruxelles 23 septembre 2004, RDC 2006, p. 125 .
[17] Voy. la définition de la gestion de fortune par l'art. 46, 1°, 3. de la loi du 6 avril 1995 et aujourd'hui la définition de la gestion de portefeuille par l'art. 46, 1°, 4. et 8° de la même loi.
[18] Ph. Bourin, La gestion de portefeuille, Louvain-la-Neuve, Anthemis, 2009, p. 83.
[19] Seuls deux auteurs, à notre connaissance, ont estimé, au lendemain de la promulgation de l'arrêté royal du 5 août 1991, qu'il était opportun de définir contractuellement les objectifs du client en termes généraux, du type 'gestion dynamique' ou 'gestion conservatrice' mais ce pour des raisons moins théoriques que pratiques, à savoir que les objectifs peuvent évoluer au cours de l'exécution du contrat (M. De Luyck en Tr. Paelinck, “Het KB van 5 augustus 1991 betreffende het vermogensbeheer en het beleggingsadvies”, TRV 1992, p. 64). L'on comprend, de cette position, que le recours à des formulations générales permettrait d'éviter des modifications trop fréquentes du contrat mais elle ne satisfait pas pour autant aux exigences de l'arrêté royal.
[20] La notion de risque peut elle-même s'avérer très relative, eu égard aux fluctuations du marché, comme l'ont rappelé B. Féron et B. Taevernier (Principes généraux du droit des marchés financiers, Bruxelles, Larcier, 1997, pp. 344-345).
[21] Notamment par le mécanisme du hedging. Voy. P. Philippart et B. Colmant, Les instruments financiers optionnels, Bruxelles, Larcier, 2003, pp. 9 à 11; A. Engel, “Rapport introductif: description, définition, état de la question, marchés réglementés”, Produits dérivés, Cahiers AEDBF, Bruxelles, Bruylant, 1999, pp. 11 à 13; K. Ottevaere, “Afgeleiden en hun gebruik in beleggingsportefeuilles”, Rev.banque 1995, pp. 148 à 156.
[22] Toute autre est la question de savoir si les objectifs du client sont compatibles avec ses exigences particulières, son profil d'investisseur ou le degré de risque qu'il accepte ou si ces objectifs présentent un caractère réaliste.
[23] En ce sens également, Ph. Bourin, La gestion de portefeuille, Louvain-la-Neuve, Anthemis, 2009, p. 83.
[24] Circulaire B A/1/92 relative à la gestion de fortune et au conseil en placements, du 14 août 1992, p. 9; voy. aussi la circulaire B 92/4 aux banques et S 92/3 aux banques d'épargne, du 14 août 1992, p. 9.
[25] D. Roger et M. Salmon, “Réflexions relatives à la responsabilité contractuelle des gérants de fortune et des conseillers en placements”, JT 1998, pp. 395-396 ; X. Dieux, “Questions relatives à l'intermédiation financière en droit positif”, Les intermédiaires commerciaux, Bruxelles, CJB, 1990, p. 301.
[26] Sur cette notion, voy. V. Colaert, “Welke bescherming voor welke belegger?”, Dr.banc.fin. 2007/VI, pp. 396 à 422.
[27] Art. 20 de l'arrêté royal du 3 juin 2007, spécialement le § 2, 3°.
[28] Voy. P. della Faille, La modernisation des marchés financiers, Louvain-la-Neuve, Anthemis, 2008, pp. 219 à 223; M.-D. Weinberger, Gestion de portefeuille et conseil en investissement, Waterloo, Kluwer, 2008, pp. 183 à 193.
[29] Sur la possible nuance entre ces deux notions, voy. Ph. Bourin, La gestion de portefeuille, Louvain-la-Neuve, Anthemis, 2009, p. 84.
[30] Art. 20 § 2, 3° de l'arrêté royal du 3 juin 2007.