Tribunal de première instance de Bruxelles 11 avril 2008
INSTITUTIONS ET INTERMEDIAIRES FINANCIERS
Gestion de fortune et conseiller en placement - Convention - Mention des objectifs de gestion du client (arrêté royal du 5 août 1991) - Responsabilité du banquier (non) - Obligations de moyen - Intérêt exclusif du client (art. 79 § 1er de la loi du 6 avril 1995) et conflit d'intérêts - Pas d'interdiction
Satisfait à l'obligation de mentionner les objectifs du client visés aux articles 8 § 1er, 2° et 19 de l'arrêté royal du 5 août 1991 relatif à la gestion de fortune et au conseil en placements, la convention de gestion de fortune qui indique le choix par le client d'un portefeuille 'neutre' ou 'agressif'.
Dans l'exécution du contrat de gestion de fortune, sauf stipulation contractuelle expresse, le professionnel ne répond que d'une obligation de moyen.
Si les parties n'ont pas convenu d'un seuil de pertes, 'stop loss', il n'appartient pas au tribunal d'y suppléer et de dire a posteriori à partir de quel moment des titres auraient dû être cédés.
L'obligation de procéder à une diversification du portefeuille doit s'apprécier en fonction du profil de gestion choisi par le client. Elle ne vaut pas lorsque l'investisseur a volontairement choisi une gestion spéculative.
Les règles relatives aux conflits d'intérêts du gestionnaire de fortune n'ont pas pour effet d'interdire l'acquisition par celui-ci, pour le compte de son client, de titres d'organismes de placement collectif dont il est le promoteur. Le gestionnaire n'est pas tenu de s'abstenir de réaliser toute opération portant sur un instrument au placement duquel il serait personnellement intéressé.
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FINANCIELE INSTELLINGEN EN TUSSENPERSONEN
Vermogensbeheer en beleggingsadviseurs - Overeenkomst - Vermelding van de doelstelling van de cliënt (koninklijk besluit van 5 augustus 1991) - Aansprakelijkheid van de bankier (neen) - Middelenverbintenis - Uitsluitend belang van de cliënt (art. 79 § 1 van de wet van 6 april 1995) en belangenconflicten - Geen verbod
Voldoet aan de verplichting tot vermelding van de doelstellingen van de cliënt voorzien in artikel 8 § 1, 2° en artikel 9 van het koninklijk besluit van 5 augustus 1991 over het vermogensbeheer en het beleggingsadvies, de overeenkomst tot vermogensbeheer die de keuze van de cliënt voor een 'neutrale' of 'agressieve' portefeuille aangeeft.
In de uitvoering van de overeenkomst van vermogensbeheer weegt er op de professionele, behoudens uitdrukkelijk contractuele beding, enkel een middelenverbintenis.
Indien de partijen geen enkele drempel van verliezen, 'stop loss', zijn overeengekomen, behoort het niet aan de rechtbank de overeenkomst aan te vullen en a posteriori te zeggen vanaf welk moment de effecten hadden moeten zijn overgedragen.
De verplichting om over te gaan tot een diversificatie van de portefeuille moet worden geëvalueerd op grond van het door de cliënt gekozen beheersprofiel. Zij geldt niet indien de belegger vrijwillig heeft gekozen voor een speculatief beheer.
De regels met betrekking tot de belangenconflicten van de vermogensbeheerder hebben niet tot gevolg dat het hem verboden is voor rekening van zijn cliënt effecten van instellingen voor collectieve belegging waarvan hij de promotor is aan te kopen. De beheerder is niet gehouden zich te onthouden van de uitvoering van elke operatie die betrekking heeft op een instrument in de belegging waarvan hij persoonlijk geïnteresseerd zou zijn.
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X et Y / SA Fortis Banque
Siég.: I. Jacquemin (juge) |
Pl.: J. Autenne, R. Hardy et B. Dessart, A.-P. André-Dumont loco J.-P. Buyle |
(…)
1. | Objet des demandes |
Attendu que la demande principale mue par les demandeurs tend, à titre principal, à entendre:
- dire pour droit que les contrats de gestion de fortune conclus les 27 avril 1999 et 24 janvier 2001 entre les parties sont frappés de nullité;
- condamner la défenderesse à leur payer la somme de 500.732,86 EUR, augmentée des intérêts judiciaires depuis le 28 février 2006;
- condamner la défenderesse à leur payer 1 EUR provisionnel, à titre de dommages et intérêts;
Attendu qu'à titre subsidiaire, les demandeurs sollicitent:
- qu'il soit dit pour droit que les contrats de gestion de fortune conclus les 27 avril 1999 et 24 janvier 2001 entre les parties sont résolus aux torts exclusifs de la défenderesse;
- que la défenderesse soit condamnée à leur payer la somme de 500.732,86 EUR, augmentée des intérêts judiciaires depuis le 28 février 2006;
- que la défenderesse soit condamnée à leur payer 1 EUR provisionnel, à titre de dommages et intérêts;
Attendu qu'à titre infiniment subsidiaire, les demandeurs sollicitent la désignation d'un expert judiciaire;
Attendu que la demande reconventionnelle introduite par la défenderesse tend à entendre condamner les demandeurs, in solidum, à lui payer 5.000 EUR à titre d'indemnité pour procédure téméraire et vexatoire.
2. | Les faits |
Attendu que les faits utiles à la solution du litige peuvent être synthétisés comme suit:
- le 27 avril 1999, les demandeurs ont conclu avec la défenderesse un contrat de gestion de fortune; ils ont demandé à la défenderesse d'orienter la gestion de manière neutre avec un maximum de 55% d'actions; les avoirs confiés dans le cadre de ce contrat s'élevaient à 23.000.000 FB;
- à la même date, les demandeurs ont également conclu avec la défenderesse un contrat de gestion de fortune aux noms de leurs quatre enfants; ils ont demandé à la défenderesse de gérer ce portefeuille de manière agressive avec un maximum de 80% d'actions; les avoirs confiés s'élevaient à 20.000.000 FB;
- à compter du mois de septembre 2000, le demandeur s'est inquiété de la position en titres Lernout & Hauspie; il a écrit divers courriers électroniques;
- le 15 novembre 2000, le frère du demandeur a également écrit à la défenderesse en lui enjoignant notamment de reprendre les parts Lernout & Hauspie au prix d'achat;
- la défenderesse a répondu, le 5 décembre 2000, aux griefs portés à son encontre;
- un échange de correspondances s'en est suivi entre parties;
- le 24 janvier 2001, les demandeurs ont signé un nouveau contrat de gestion de fortune sous la dénomination “Indivision X”; ils ont choisi un profil de risque élevé: 55 à 95% d'actions; les portefeuilles s'élevaient à cette époque à 19.444.965,35 FB et 18.799.853 FB;
- le 20 juin 2005, les demandeurs ont lancé citation;
- en 2006, la défenderesse a mis fin au contrat de gestion de fortune;
- le 27 février 2006, le portefeuille a été évalué à 250.065,90 EUR.
3. | Discussion |
1. | La demande principale |
Attendu que la défenderesse soulève un argument d'irrecevabilité de l'action introduite par la demanderesse en qualité de mandataire de M. X;
Que selon elle, la demanderesse ne justifierait pas de son intérêt et de sa qualité à agir au nom de son mari, ce qui rendrait l'action irrecevable compte tenu du caractère indivisible du litige;
Attendu qu'il apparaît pourtant que M. X a apporté la preuve du mandat qu'il avait confié à son épouse et a ratifié expressément les actes accomplis par son mandataire;
Que cette ratification opère avec effet rétroactif et s'étend aux rapports avec les tiers;
Que l'action est dès lors recevable;
Attendu que les demandeurs mettent en cause la responsabilité de la défenderesse en lui reprochant une violation des obligations du gestionnaire de fortune dans la phase précontractuelle ainsi qu'une mauvaise exécution de la convention de gestion de fortune.
1° Dans la phase précontractuelle |
Attendu que selon les demandeurs, les conventions de gestion de fortune litigieuses ne respecteraient pas l'obligation de déterminer les objectifs du client;
Que cette obligation trouve son fondement dans l'article 8 § 1er de l'arrêté royal du 5 août 1991 relatif à la gestion de fortune et conseil en placements;
Attendu qu'aux termes de l'article 8 de l'arrêté royal du 5 août 1991, une convention écrite de gestion de fortune doit être conclue préalablement à tout service et indiquer, notamment, son objet, les objectifs du client en matière de gestion conformément à l'article 19, les modalités de l'activité de gestion, les règles relatives à la rémunération et la périodicité de son paiement, la durée du contrat et les règles à suivre lorsqu'il y est mis fin, le type de rémunération que la société reçoit...;
Qu'il résulte de la combinaison des articles 8 § 1er, 2° et 19 dudit arrêté royal que le gestionnaire de fortune doit se renseigner sur l'expérience du client en matière d'investissements et sur ce qu'il attend de la gestion;
Que les objectifs visés sont les objectifs de gestion;
Attendu qu'en l'espèce, en signant les conventions de gestion de fortune litigieuses, les demandeurs ont reconnu que la défenderesse “s'est informée de son expérience en matière d'instruments financiers et de ses objectifs en ce qui concerne les services demandés”;
Que parmi les quatre propositions d'objectifs de gestion proposées par la défenderesse, ils ont retenu et choisi celles intitulées “portefeuille neutre” et “portefeuille agressif”;
Qu'ils reconnaissent expressément avoir été informés par la défenderesse des conséquences et risques inhérents à la gestion choisie et avoir reçu toute l'information et notamment un document expliquant les différents types d'instruments financiers et les risques y attachés;
Que les demandeurs avaient également la possibilité de mentionner leurs désideratas; qu'ils ne l'ont pourtant pas fait;
Qu'il peut en être déduit qu'ils n'avaient pas d'autres objectifs que ceux mentionnés dans les conventions;
Attendu qu'il apparaît dès lors de ces conventions que les exigences réglementaires ont été rencontrées;
Que les griefs formulés par les demandeurs ne sont donc pas fondés.
2° Dans l'exécution du contrat |
Attendu que les demandeurs soutiennent que la défenderesse n'aurait pas exécuté la convention de gestion de fortune comme elle aurait dû;
Qu'ils lui reprochent de ne pas avoir respecté l'obligation de servir au mieux les intérêts de ses clients et de respecter leurs désidératas, d'avoir fait preuve de passivité, de ne pas avoir suffisamment diversifié les valeurs acquises et de ne pas avoir agi dans l'intérêt exclusif du client;
Attendu que dans le cadre de la gestion de fortune, il est admis que - sauf stipulation contractuelle expresse - le professionnel ne répond que d'une obligation de moyen;
Que pour mettre sa responsabilité en cause, le client doit dès lors prouver que le professionnel a commis une faute que n'aurait pas commise un professionnel normalement prudent et diligent placé dans les mêmes circonstances.
1. Obligation de servir au mieux les intérêts de ses clients et de respecter leurs désidératas |
Attendu que les demandeurs reprochent à la défenderesse de n'avoir pas conservé la valeur du portefeuille remis en gestion et de ne pas avoir respecté leurs désidératas de ne pas acquérir des titres TMT (technologies, médias, télécommunications) et, en particulier, des actions Lernout et Hauspie;
Attendu qu'il ressort cependant des pièces déposées au dossier que la défenderesse avait uniquement pris un engagement de gérer au mieux le portefeuille des demandeurs;
Qu'elle n' était pas tenue d'en conserver la valeur de départ;
Que les demandeurs n'avaient en effet nullement choisi une gestion défensive;
Qu'au contraire, tout au long des relations contractuelles, ils n'ont eu de cesse de choisir un objectif de gestion de plus en plus risqué;
Attendu de même qu'il n'apparaît pas que les demandeurs aient exclu les valeurs technologiques des actifs pouvant être acquis par la défenderesse;
Attendu qu'enfin, les demandeurs n'ont jamais donné pour instruction à la défenderesse de vendre les actions Lernout & Hauspie;
Qu'il n'est au demeurant pas démontré que la banque ne se serait pas comportée comme un gestionnaire de fortune normalement prudent et diligent en réalisant des opérations sur les actions litigieuses;
Que l'analyse qu'elle a réalisée ne peut être considérée comme fautive;
Que le grief formulé à l'encontre de la défenderesse n'est pas établi à suffisance de droit.
2. Passivité |
Attendu que les demandeurs reprochent à la défenderesse de ne pas avoir appliqué de 'stop loss' aux valeurs se trouvant en portefeuille et à celles qui ont été acquises ainsi que de ne pas avoir réagi en dépit des importantes moins-values enregistrées;
Attendu que les reproches adressés à la défenderesse ont trait aux actions Lernout & Hauspie, lesquelles représentent une partie minime du portefeuille des demandeurs;
Qu'il résulte en outre des éléments du dossier que la défenderesse n'est nullement restée passive quant à l'évolution du cours de la société Lernout & Hauspie;
Qu'il n'est pas démontré que l'achat et la vente de ces titres constituent une faute pouvant générer une responsabilité dans le chef de la défenderesse;
Que le gestionnaire de fortune n'engage pas sa responsabilité “lorsqu'il n'acte pas tout de suite les pertes enregistrées par certains titres, en réalisant ceux-ci sans avoir de réelles chances de récupérer ces pertes dans d'autres investissements, vu le contexte négatif général” (Comm. Bruxelles 2 septembre 2004, RDC 2006, p. 119 );
Que si les parties n'ont pas convenu d'un seuil de pertes, 'stop loss', il n'appartient pas pour autant au tribunal d'y suppléer et de dire a posteriori à partir de quel moment un tel titre aurait raisonnablement dû être cédé;
Qu'aucune faute en relation causale avec le dommage allégué n'est démontrée à suffisance de droit dans le chef de la défenderesse.
3. Obligation de diversification |
Attendu que les demandeurs reprochent à la défenderesse de ne pas avoir suffisamment diversifié leur portefeuille;
Qu'ils affirment également que parmi les titres choisis par cette derrière figure une proportion importante de valeurs TMT, soit des titres hautement spéculatifs;
Attendu que l'obligation de procéder à une diversification suffisante du portefeuille doit s'apprécier en fonction du profil de gestion choisi par le client (B. Feron, “La responsabilité civile de l'intermédiaire financier en matière de gestion de fortune et de conseil en placements” in La responsabilité civile liée à l'information et au conseil, FUSL, 2000, p. 89);
Qu'elle ne vaut pas lorsque l'investisseur a volontairement choisi une gestion spéculative;
Que de même le reproche d'avoir acquis des secteurs sujets à fluctuations importantes manque de fondement lorsque l'investisseur a choisi une telle gestion;
Qu'en l'espèce, les demandeurs restent en défaut d'établir que la défenderesse se serait écartée des objectifs choisis lors de la conclusion des conventions ou aurait manqué à son obligation de moyen relativement à la gestion de leur portefeuille.
4. Manquement d'avoir agi dans le seul intérêt du client |
Attendu que les demandeurs soutiennent que la défenderesse n'aurait pas agi dans le seul intérêt du client; qu'ils fondent leur reproche sur le fait que la défenderesse aurai investi dans des sicavs émises par des sociétés liées à cette dernière et sur la circonstance que la défenderesse a, dans le cadre de ses activités de crédit, participé à un prêt accordé à la société Lernout & Hauspie; que ces comportements constitueraient une violation de l'article 79 § 1er, alinéas 1 et 2 de la loi du 6 avril 1995;
Attendu cependant que les règles relatives aux conflits d'intérêt du gestionnaire de fortune n'ont pas pour effet d'interdire l'acquisition par le gestionnaire, pour le compte de son client, de titres d'organismes de placement collectif dont il est le promoteur;
Qu'il n'est pas tenu de s'abstenir de réaliser toute opération portant sur un instrument au placement duquel il serait personnellement intéressé;
Qu'en outre, les demandeurs ne démontrent nullement que la perte subie ne se serait pas manifestée si la défenderesse avait investi dans des sicavs non promues par elle;
Attendu, quant à l'argument de 'manipulation de cours', qu'il apparaît qu'il n'est pas établi;
Attendu qu'il ressort des considérations qui précèdent que les manquements reprochés à la défenderesse ne sont pas établis à suffisance de droit et que la demande principale sera par conséquent déclarée recevable mais non fondée.
2. | La demande reconventionnelle |
Attendu que la défenderesse postule la condamnation des demandeurs au paiement d'une somme de 5.000 EUR, à titre d'indemnité pour procédure téméraire et vexatoire;
Attendu qu'il convient de rappeler que l'action en justice constitue un droit dont l'exercice ne dégénère en acte illicite susceptible de donner lieu à des dommages et intérêts que lorsqu'elle a été intentée avec une légèreté coupable suite à une erreur d'appréciation à ce point évidente sur ses chances de succès qu'elle devait être aperçue et évitée par tout homme normalement prudent et réfléchi ou si elle répond à une intention téméraire, malicieuse ou faisant apparaître la mauvaise foi;
Qu'il ne résulte pas à suffisance de droit des éléments du dossier que tel serait le cas en l'espèce;
Que la demande sera dite non fondée.
Par ces motifs,
Le tribunal,
(…)
Donne acte à M. X de son intervention volontaire;
Déclare la demande principale recevable mais non fondée; en déboute les demandeurs;
Déclare la demande reconventionnelle recevable mais non fondée; en déboute la demanderesse sur reconvention.
(…)