Cour d'appel de Bruxelles 14 mars 2008
BANQUE ET CREDIT
Opérations bancaires - Compte en banque - Extrait de compte - Preuve - Effet probatoire - Usages bancaires
En matière de tenue de comptes, l'usage veut que le silence conservé par le titulaire du compte - même non commerçant - au-delà d'un délai raisonnable permet de présumer qu'il a approuvé les opérations constatées par les extraits et relevés de compte qui lui ont été adressés. Cette présomption n'est pas irréfragable.
Le titulaire du compte qui néglige de prendre connaissance de ses extraits dans un délai raisonnable, se prive du droit de contester les opérations litigieuses.
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BANK EN KREDIETWEZEN
Bankverrichtingen - Bankrekening - Rekeninguittreksel - Bewijs - Bewijswaarde - Gebruiken
Inzake bankrekeningen geldt er een gebruik dat het stilzwijgen van de rekeninghouder, zelfs indien deze geen koopman is, na het verstrijken van een redelijke termijn als vermoeden geldt dat hij heeft ingestemd met de verrichtingen die uit de aan hem gerichte rekeninguittreksels blijken. Dit vermoeden is niet onweerlegbaar.
De rekeninghouder die nalaat om binnen een redelijke termijn kennis te nemen van zijn uittreksels, ontzegt zich het recht om de betrokken verrichtingen te betwisten.
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SA KBC Banque / M. Shalomson et Bank Leumi
Siég.: H. Mackelbert, M.-Fr. Carlier et Y. Demanche (conseillers) |
Pl.: Mes J.-P. Buyle, A.-P. André-Dumont et Ph. Szerer, Th. Lambert et L. Wynant |
I. | La décision attaquée |
L'appel est dirigé contre le jugement prononcé le 24 octobre 2003 par le tribunal de première instance de Bruxelles.
Les parties ne produisent pas d'acte de signification de ce jugement.
II. | La procédure devant la cour |
L'appel est formé par requête, déposée par la SA KBC Banque au greffe de la cour le 18 mars 2004.
M. Shalomson forme appel incident par conclusions déposées le 29 mars 2005.
La cause a été fixée sur pied de l'article 747 § 2 du Code judiciaire, par ordonnance du 3 août 2004.
Il est fait application de l'article 24 de la loi du 15 juin 1935 sur l'emploi des langues en matière judiciaire.
III. | Les faits et antécédents de la procédure |
1. M. Shalomson, domicilié en Israël, dispose de deux comptes, un compte à vue n° 427-3400220-36 et un compte crédit logement n° 427-3400221-37, à la SA KBC Banque (ci-après KBC) ouverts auprès de l'agence Coghen à Uccle.
Le 9 janvier 1996, la Bank Leumi procède à un virement, par le système Swift, de 220.000 USD au départ du compte d'un de ses clients, sur le compte n° 427-3400220-36. Pour M. Shalomson, ce virement serait le paiement du prix de vente d'un immeuble appartenant à l'une de ses sociétés, la SARL Gafny Offer.
Le même jour, la KBC émet un extrait de compte indiquant ce paiement, avec date valeur au 10 janvier 1996, et prélève des frais pour un montant de 147,36 USD, laissant un solde de 219.852,64 USD.
2. Le 10 janvier 1996, la Bank Leumi adresse un message Swift à la KBC, avec prière d'annuler l'opération et de créditer son compte du montant de 220.000 USD.
Le 11 janvier 1996, la KBC informe la Bank Leumi qu'elle contacte l'agence Coghen afin de recueillir de M. Shalomson l'autorisation de débiter le compte.
Le 17 janvier 1996, la KBC débite le compte à vue n° 427-3400220 36 de M. Shalomson du montant de 219.852,64 USD et émet un extrait de compte de cette opération, avec date valeur du même jour.
3. M. Shalomson expose qu'au mois de juin 1996, il s'est rendu en Belgique, a pris connaissance de ses extraits et a contacté le directeur de son agence bancaire pour obtenir des explications.
Le 11 juillet 1996, son conseil met en demeure la KBC de lui restituer le montant litigieux.
La KBC refuse par courrier du 1er août 1996, en signalant que M. Shalomson avait marqué verbalement son accord pour l'annulation du transfert et que, de plus, sa contestation était tardive.
4. M. Shalomson lance citation le 20 septembre 1999 à l'encontre de la KBC.
La KBC cite le 23 octobre 2002 la Bank Leumi en intervention forcée.
M. Shalomson demande la condamnation de la KBC à lui payer la contre-valeur en euros de la somme de 219.852,64 USD, au cours le plus élevé entre la date valeur au 17 janvier 1996 et la date du jugement, à majorer des intérêts moratoires à dater du 17 janvier 1996.
La KBC conclut au non-fondement de la demande. À titre subsidiaire, elle demande au tribunal d'ordonner à la Bank Leumi de l'éclairer sur le motif de l'annulation de l'ordre de virement ainsi que sur l'identité du bénéficiaire de cette annulation. À titre plus subsidiaire, elle sollicite que son offre d'indemniser le préjudice moral de M. Shalomson à concurrence de 1 EUR soit déclarée satisfactoire et que la Bank Leumi soit condamnée à la garantir de toutes les condamnations qui seraient prononcées contre elle.
La KBC forme également une demande reconventionnelle contre M. Shalomson tendant à ordonner à ce dernier d'apporter les mêmes éclaircissements que ceux demandés à la Bank Leumi.
La Bank Leumi demande au tribunal de se déclarer incompétent et de se dessaisir. Selon elle, la demande de la KBC est de la compétence d'un arbitre. A titre subsidiaire, elle invoque l'exception d'obscuri libelli et demande que le tribunal déclare la demande en intervention forcée irrecevable ou non fondée.
5. Par le jugement entrepris du 24 octobre 2003, le tribunal fait entièrement droit à la demande de M. Shalomson se fondant sur l'obligation de restitution imposée à la banque en sa qualité de dépositaire des fonds de ses clients.
Il dit la demande reconventionnelle recevable mais non fondée.
Statuant sur la demande en intervention et garantie, il se déclare incompétent et se dessaisit compte tenu de l'existence d'une clause d'arbitrage.
6. Devant la cour, par ses conclusions récapitulatives d'appel déposées le 28 février 2005, la KBC demande de dire la demande de M. Shalomson nulle, irrecevable ou non fondée et sa demande en intervention recevable et fondée, et, en conséquence, de déclarer l'arrêt commun et opposable à la Bank Leumi.
À titre subsidiaire, la KBC demande la production par M. Shalomson et/ou la Bank Leumi de certains documents, sous peine d'une astreinte de 250 EUR par jour de retard, passé le délai de 15 jours prenant cours à la signification de l'arrêt.
Plus subsidiairement, elle sollicite que la Bank Leumi soit condamnée en principal, intérêts et frais, à la garantir de toutes sommes auxquelles elle-même serait condamnée.
À titre infiniment subsidiaire, elle demande que l'arrêt soit déclaré commun et opposable à la Bank Leumi.
M. Shalomson demande, par ses conclusions de synthèse déposées le 29 mars 2005, la confirmation du jugement entrepris et forme un appel incident tendant à l'obtention du bénéfice de sa sommation en matière d'anatocisme.
La Bank Leumi demande, par ses conclusions de synthèse déposées le 31 mars 2005, quant à la recevabilité, la confirmation du jugement et de déclarer fondée son exception d'obscuri libelli. Quant au fond, elle estime l'appel non fondé.
IV. | Discussion |
A. | Quant à l'appel principal |
7. La banque qui, sans faute de sa part, débite le compte courant d'un de ses clients, sur la base d'un ordre de virement falsifié ou signé par une personne qui ne dispose pas de pouvoirs pour représenter le titulaire du compte, paie à un tiers qui n'est pas habilité par le titulaire à recevoir ce paiement.
Ce paiement n'est dès lors pas opposable au titulaire du compte conformément à l'article 1239, alinéa 1er du Code civil (Bruxelles 7 février 1992, DCCR 1992-93, 73; Bruxelles 18 novembre 1999, AJT 2001-02, p. 68; Bruxelles 16 octobre 2001, JLMB 2002, 844; Bruxelles 19 novembre 2002, RW 2005-06, 1626; Bruxelles 4 mars 2004, Dr.banc.fin. 2004, 227; Bruxelles 18 mars 2004, RDC 2005, 152 ; Bruxelles 5 mars 2005, Dr.banc.fin. 2006, 82).
Dans ces conditions, la banque est, en principe, tenue d'exécuter son obligation de restitution. Il s'agit d'une obligation de résultat, qui ne nécessite pas la démonstration d'une faute dans le chef de la banque (Bruxelles 5 mars 2005, l.c.; R. Steennot, “Vervalste overschrijvingsoprachten”, Dr.banc.fin. 2006, 61). Cette obligation s'attache à chacun des virements qui n'aurait pas été correctement exécuté et pas au solde du compte courant au moment de la demande de restitution formulée par le client de la banque, à défaut de quoi l'obligation de restitution serait vidée de sa substance.
En tout état de cause, il convient de vérifier si la banque a bien agi en qualité de mandataire du titulaire du compte. En effet, si la banque a agi sans mandat, les actes posés par elle, comme le débit du compte, ne peuvent être imputés à ce dernier puisque la représentation n'a lieu que dans les limites du mandat confié (O. Creplet, “Les conséquences juridiques de l'exécution d'un faux virement dans le rapport entre le titulaire du compte débité et la banque”, Dr.banc.fin. 2006, 81).
Le banquier peut cependant tenter de se décharger de son obligation de restitution sur la base de cinq moyens: la ratification, le profit tiré par le titulaire du compte, le paiement effectué à un créancier apparent (théorie de la représentation), l'invocation d'une clause exonératoire insérée dans le règlement général des opérations, ou enfin la faute du titulaire du compte.
1. Quant à l'éventuelle application du règlement général des opérations |
8. La KBC invoque qu'au moment de l'ouverture de son compte à vue en 1990, M. Shalomson a approuvé son règlement général des opérations de l'époque (version du 15 avril 1982) qui dispose en son article 15(4) que le défaut d'opposition immédiate du titulaire du compte ou de son mandataire aux données indiquées sur les extraits de compte régulièrement reçus, vaut approbation tacite des opérations et soldes y indiqués et abandon de tout droit à contestation ultérieure (souligné par la cour).
La KBC précise qu'elle pouvait en vertu de ce règlement, le modifier à tout moment, ce qu'elle a fait en 1993.
La version du 18 août 1993 du règlement général prévoit en son article 3.3 que le défaut de protêt dressé dans un délai raisonnable par le titulaire du compte ou son mandataire contre les données figurant sur les extraits de compte ou les supports magnétiques régulièrement reçus, entraîne l'approbation tacite des opérations et soldes y indiqués et l'abandon de tout droit à contestation ultérieure (souligné par la cour).
La KBC soutient que ce délai de contestation prend cours, non à dater du moment où M. Shalomson a pris connaissance de ses extraits, mais à partir du moment où elle a mis l'information à sa disposition.
Elle précise que l'extrait de compte de la contre-passation de l'écriture de transfert de la somme litigieuse a été émis le 17 janvier 1996, et que conformément aux instructions de M. Shalomson, il a été mis à sa disposition par dépôt au guichet de son agence.
La KBC invoque aussi que M. Shalomson a pris connaissance de ses extraits à l'intervention du mandataire qu'il avait en Belgique, lequel n'a pas formulé la moindre contestation.
Elle en conclut que la contestation est tardive pour n'avoir été émise que six mois plus tard.
9. M. Shalomson se prévaut du fait que le banquier dépositaire de fonds a une obligation de restitution, qui est une obligation de résultat, analogue à celle de l'article 1937 du Code civil en matière de dépôt, et que la KBC viole ses obligations contractuelles lorsqu'elle débite le compte de son client sans instruction.
Pour M. Shalomson, en contre-passant l'écriture, la KBC a débité son compte sans instruction de sa part et, dans ces conditions, elle est tenue d'exécuter son obligation de restitution de la somme litigieuse.
M. Shalomson conteste avoir été avisé de l'existence d'un règlement général des opérations (tant celui de 1982 que celui de 1993) et partant d'en avoir eu connaissance. Il invoque aussi que la KBC reste en défaut de prouver un assentiment quelconque de sa part à un document de cette nature.
10. Tant la KBC que M. Shalomson se rejettent mutuellement la charge de la preuve.
Pour la KBC, en application de l'article 1315 du Code civil, c'est à M. Shalomson qui invoque une faute contractuelle de sa part, à la prouver. Pour M. Shalomson, c'est à la KBC qu'il appartient de prouver qu'il a marqué son accord sur le règlement général des opérations qui lui imposait une réaction à bref délai lors de l'émission de l'extrait de compte litigieux.
11. La thèse de M. Shalomson doit être retenue.
Dès lors que la KBC invoque l'application de son règlement général des opérations (soit version 1982, soit version 1993) pour en déduire la tardiveté de la réaction de M. Shalomson, c'est à elle qu'incombe la charge de la preuve que ce règlement est entré dans le champ contractuel, l'examen de la prétendue faute contractuelle de la banque n'intervenant - s'il y lieu - qu'ensuite.
12. La KBC admet n'avoir pu retrouver le contrat d'ouverture de compte signé par M. Shalomson qui démontrerait son adhésion à ce règlement général des opérations (p. 10, pt. 23 de ses conclusions récapitulatives d'appel).
13. Vainement produit-elle des modèles de fiche client et de fiche de demande d'ouverture de compte, utilisés à l'époque qui précisent, d'une part, que le règlement est remis au client et, d'autre part, qu'il en a pris connaissance pour en déduire qu'il ne fait aucun doute que M. Shalomson les a signés, rappelant qu'il s'agit d'un contrat d'adhésion que le client n'a d'autre choix que d'accepter.
La KBC ne rapporte pas de cette manière la preuve qui lui incombe.
14. La KBC soutient aussi que M. Shalomson aurait approuvé le règlement puisqu'il a signé pour accord la lettre de confirmation du 22 novembre 1990 du crédit logement attribué au n° 427-3400221-37 qui prévoit que les opérations avec la Kredietbank [devenue KBC] sont régies par les dispositions de son règlement général des opérations.
A bon droit, M. Shalomson conteste cet argument.
En effet, le présent litige ne concerne pas ce compte, mais le compte à vue n° 427-3400220-36.
De plus, le document d'ouverture du crédit logement stipule que le règlement des opérations peut être consulté ou obtenu dans toutes les agences.
Or, la simple connaissance de l'existence de celui-ci ne suffit pas à démontrer l'acceptation de ces clauses (cf. Linsmeau, “Points délicats des règlements généraux des opérations de banque” in Droit bancaire, cambiaire et financier, CUP, 1998, nos 5 et s., p. 108).
15. La KBC demande enfin que M. Shalomson soit condamné, sous astreinte de 250 EUR par jour de retard après l'écoulement d'un délai de quinze jours après la signification du présent arrêt, à produire copie des documents suivants:
- contrat de compte signé lors de l'ouverture du compte n° 427-3400220-036;
- la fiche de signature signée lors de l'ouverture de ce compte;
- la fiche intitulée “demande d'ouverture de compte et/ou de dépôt de titres”;
- de tous autres documents par lui signés à l'occasion de l'ouverture du compte n° 427-3400220-36.
En ce qui concerne les trois premières demandes, M. Shalomson soutient que ces documents n'existent pas.
En ce qui concerne la 4ème demande, celle-ci est vague et imprécise. Il ne peut en conséquence y être fait droit.
La demande de production de documents n'est dès lors pas fondée.
16. Il résulte de ce qui précède que la KBC reste en défaut de prouver que son règlement général des opérations (version 1982 et/ou 1993) a été accepté par M. Shalomson.
Elle ne peut dès lors en revendiquer l'application et s'appuyer sur ce document pour soutenir que le virement effectué par elle a été ratifié par M. Shalomson.
2. Quant au parère de l'Association belge des banques |
17. La KBC invoque aussi l'obligation qu'a M. Shalomson de protester, dans un délai n'excédant pas, en toute hypothèse, 3 mois, s'il conteste la situation de compte figurant dans ses extraits de compte.
Elle se réfère au parère délivré le 7 juin 2004 par l'Association belge des banques qui précise:
Attestation d'usage concernant l'obligation pour un client de signaler les erreurs qu'il constate dans ses extraits de compte.
Toutes les banques prévoient une obligation faite au client de signaler les erreurs qu'il constate dans un de ses extraits de compte.
L'ensemble des banques fixent en outre un délai dans lequel le client doit signaler les erreurs constatées. Ce délai est dans la majorité des banques un délai qualifié de 'raisonnable'.
Ce délai raisonnable est évalué à 1 mois dans plus de 60% des banques, le délai prévu est pour 25% des banques plus court (de 5 à 10 jours), pour les 15% des banques restants, le délai est plus long (2 à 3 mois).
M. Shalomson considère qu'il ne peut exister d'usage, à défaut d'indication d'un délai précis dans lequel le client doit signaler l'existence d'une erreur. Par ailleurs, il soutient qu'il n'est pas prouvé que cet usage existait au moment des faits.
18. L'usage est une pratique, en général locale ou professionnelle, habituellement suivie que l'on sous-entend dans les actes juridiques, pour interpréter ou compléter la volonté des parties ou celle de l'auteur de l'acte (Van Ryn et Heenen, Principes de droit commercial, T. I, 1976, n° 21, 7°, p. 35).
Par opposition avec les règles coutumières ou usages de droit, les usages conventionnels doivent être prouvés si leur existence est contestée. La preuve peut en être faite par témoins ou, plus généralement, par la production d'un 'parère', c'est-à-dire d'un certificat délivré par des entreprises commerciales notables ou par un groupement professionnel. Si le juge constate l'existence d'un usage auquel les parties n'ont pas dérogé, il ne peut refuser de l'appliquer. L'usage conventionnel tire sa force de l'autonomie de la volonté et suggère une intention non exprimée par laquelle on supplée, dans les contrats commerciaux, les obligations résultant de celui-ci à moins que les parties ne les aient écartées soit expressément, soit tacitement (en adoptant des règles différentes) (Van Ryn et Heenen, Publicité foncière…, n° 21, 7°, p. 35).
Le parère de l'Association belge des banques définit l'usage concernant la contestation par le client des extraits de compte qu'il reçoit.
M. Shalomson n'invoque pas qu'il ait été dérogé à celui-ci.
19. C'est vainement qu'il soutient qu'il n'était pas d'application au moment des faits litigieux.
En effet, il est de jurisprudence que cet usage existait à l'époque des faits litigieux (cf. Comm. Bruxelles 30 mars 1988, RDC 1990, p. 61: acquiescement du client résultant de son absence injustifiée de protestation pendant plusieurs mois; Comm. Bruxelles 23 avril 1996, RDC 1997, p. 737: défaut de protestation dans un délai raisonnable après réception d'un relevé de compte: cette décision précisant par ailleurs: Attendu que si la partie demanderesse ne pouvait prendre connaissance de son courrier à l'adresse qu'elle avait elle-même donnée à la banque, il lui appartenait d'informer la banque en temps utile afin que le courrier soit adressé à une autre adresse).
20. C'est aussi vainement que M. Shalomson conteste l'existence de cet usage parce que le parère ne donnerait pas un délai précis dans lequel la contestation doit être formulée.
Le délai de protestation qui découle d'un usage ne peut être fixé par un nombre de jours ou de mois strictement défini. Il s'entend comme étant un délai 'court', voire 'normal' de réaction.
En toute hypothèse, le parère prend en considération un délai, fixé, dans plus de 60% des cas, à un mois, et dans 15% des cas, à un délai maximum de trois mois. Celui mis par M. Shalomson, a été de six mois. Il excède ainsi manifestement le délai qui peut être considéré comme raisonnable.
21. M. Shalomson soutient enfin que les extraits de compte font preuve contre la banque mais non contre lui, même s'il les a reçus sans protester, et que son silence ne vaudrait qu'à titre d'effet probatoire et n'entraînerait pas la déchéance du droit de contester. Il s'opérerait simplement un renversement de la charge de la preuve qui mettrait à sa charge l'obligation de prouver qu'il n'a ni donné, ni autorisé l'ordre litigieux.
En matière de tenue de comptes bancaires, l'usage veut que le silence conservé par le titulaire du compte - même s'il est non commerçant - au-delà d'un délai raisonnable permet de présumer qu'il a approuvé les opérations constatées par les extraits et relevés de compte qui lui ont été adressés (cf. Bruxelles 4 mars 2004, Dr.banc.fin. 2004, IV, 227).
Il s'agit d'un cas d'application du principe général de sécurité juridique dans les relations contractuelles.
Il en découle une présomption d'acceptation qui ne peut être confondue avec une déchéance du droit, qui - elle - doit être expressément prévue par la loi, le règlement ou le contrat qui institue le délai (J. Linsmeau, “Points délicats des règlements généraux”, Droit bancaire, cambiaire et financier, Vol. 24, CUP, 1998, n° 48).
Cette présomption n'est au demeurant pas irréfragable et peut être renversée si le titulaire du compte prouve que son silence ne peut être considéré comme une acceptation implicite. Ce peut être le cas s'il prouve que pour des raisons totalement indépendantes de sa volonté, il n'a pu prendre connaissance de ces extraits et/ou protester.
22. En l'espèce, il n'est pas contesté que les extraits ont été mis à disposition de M. Shalomson au sein de son agence où il pouvait en prendre connaissance. Il ne résulte pas des éléments du dossier que ces extraits devaient être portés à sa connaissance par un autre mode (expédition postale, etc.).
M. Shalomson admet d'ailleurs que ses extraits de comptes bancaires étaient conservés par [la KBC] chez laquelle il les avait domiciliés (p. 20 de ses conclusions de synthèse).
23. Il se contente d'invoquer qu'il a contesté l'opération litigieuse dès qu'il a pris connaissance des extraits, soit 6 mois après leur mise à disposition.
24. Le délai qu'il a mis pour vérifier ses extraits de compte et pour protester excède le délai qui peut être considéré comme raisonnable.
Il résulte uniquement de la passivité de M. Shalomson qui n'invoque aucune circonstance indépendante de sa volonté qui l'aurait empêché de prendre connaissance de ses extraits.
Le fait qu'il soit domicilié en Israël n'empêchait nullement qu'il puisse en prendre connaissance, soit par un mandataire désigné, soit en les faisant expédier.
25. Le titulaire du compte qui néglige de prendre connaissance de ses extraits, d'en vérifier l'exactitude et de protester, s'il échet, commet une négligence. Il se prive ainsi du droit de contester les opérations litigieuses dès lors qu'il n'a pas estimé devoir en prendre connaissance dans un délai raisonnable.
Il est ainsi établi qu'en ne protestant pas dans un délai raisonnable après la réception de ses extraits de compte, M. Shalomson a implicitement mais certainement approuvé les opérations que ces extraits constataient. Il ne peut donc plus les remettre en cause et soutenir que la KBC n'aurait pas respecté son obligation de restitution à son égard.
26. L'appel est donc fondé et la demande originaire n'est pas fondée.
B. | Quant à l'appel incident de M. Shalomson |
27. Il résulte de ce qui précède que celui-ci n'est pas fondé.
C. | Quant à la demande en déclaration d'arrêt commun à l'égard de la Bank Leumi |
28. La KBC demande à titre principal de déclarer l'arrêt commun et opposable à la Bank Leumi.
Celle-ci conteste cette demande en arguant du fait qu'il ne s'agit pas d'une intervention forcée conservatoire mais agressive puisque la KBC sollicite aussi, à titre subsidiaire, sa condamnation à la garantir. Elle estime, par ailleurs, que cette demande n'est pas recevable car une procédure d'arbitrage est prévue dans pareil cas, entre parties.
29. La citation de la KBC était une intervention forcée agressive puisqu'elle demandait que la Bank Leumi soit condamnée à la garantir de toutes condamnations prononcées à sa charge.
Cependant, par ses conclusions de synthèse du 25 juillet 2003, la KBC a modifié sa demande en application de l'article 807 du Code judiciaire, et a sollicité - en ordre principal - que l'arrêt soit déclaré commun et opposable à la Bank Leumi. Elle a ainsi transformé son intervention agressive en une intervention conservatoire qui est recevable.
30. Si tant est que la clause d'arbitrage puisse être utilement invoquée, une convention d'arbitrage ne fait pas obstacle à ce qu'une des parties qui l'ont souscrite puisse appeler l'autre devant la juridiction ordinaire en déclaration de jugement commun, lorsqu'elle est assignée par un tiers devant les tribunaux ordinaires. Il s'agit en effet d'une mesure conservatoire; cette intervention ne tend pas à obtenir une condamnation (Fettweis, Manuel de procédure civile, 1987, n° 1095).
La demande de déclaration d'arrêt commun et opposable est dès lors fondée.
31. La Bank Leumi invoque aussi que l'action menée à son encontre est entachée d'obscuri libelli car il ne lui est rien reproché, puisqu'il lui est simplement demandé de fournir des explications, ainsi que - sans lien de cause à effet - de l'obliger à garantir la KBC. Elle estime ainsi s'être trouvée dans l'impossibilité de déterminer les éventuels griefs formés à son encontre.
Les demandes formées par la KBC sont clairement expliquées dans la citation puisqu'elle précise qu'il y a lieu de faire intervenir la Bank Leumi à la cause principale pour qu'elle explique ce qu'est devenu cet argent et que si besoin en était, il y a lieu de condamner la [Bank Leumi] à garantir toutes les condamnations qui pourraient être prononcées à sa charge.
La citation doit contenir au moins l'exposé sommaire des demandes, ce qui est le cas en l'espèce.
L'exception n'est pas fondée.
Il en résulte que la demande en déclaration d'arrêt commun est fondée, s'agissant d'une mesure de nature conservatoire.
Pour ces motifs, la cour
Dit l'appel recevable et fondé.
Met à néant le jugement entrepris.
Dit la demande originaire de M. Shalomson, recevable mais non fondée et l'en déboute.
Dit le présent arrêt commun et opposable à la Bank Leumi.
(…)