Article

Tribunal de commerce Bruxelles, 03/12/2008, R.D.C.-T.B.H., 2010/2, p. 105-107

Tribunal de commerce de Bruxelles 3 décembre 2008

BANQUE ET CREDIT
Opérations bancaires - Virements - Article 1239 du Code civil
L'article 1239 du Code civil ne limite par la responsabilité du créancier (client bancaire). L'exécution par la banque d'un ordre falsifié s'explique comme étant la conséquence d'un emploi abusif de documents bancaires perdus ou volés.
La clause qui met la responsabilité pour les conséquences d'une perte ou de vol des formules de virement à charge du titulaire du compte, est d'application.
BANK EN KREDIETWEZEN
Bankverrichtingen - Overschrijvingen - Artikel 1239 BW
Artikel 1239 BW beperkt de verantwoordelijkheid van de schuldeiser (cliënt van de bank) niet. De uitvoering door de bank van vervalste overschrijvingsorders dient uitgelegd als een gevolg van misbruik van verloren of gestolen bankdocumenten.
Het exoneratiebeding dat de verantwoordelijkheid voor de gevolgen in geval van verlies of diefstal van documenten bij de rekeninghouder legt, is dus van toepassing.

SA TEI et SA Fabricom GTI Infra Sud / SA ING Belgique

Siég.: Fr. Jacques de Dixmude (juge), M. Brykman et Ph. Van der Mersch (juges consulaires)
Pl.: Mes Th. Bontinck et J.-P. Buyle, B. Dessart

(…)

1. Objet de la demande

La demande tend à entendre condamner la défenderesse à payer aux demanderesses la somme de 46.193 EUR, majorée des intérêts moratoires au taux légal depuis le 13 juin 2005 et des intérêts judiciaires;

Les demanderesses postulent également la capitalisation des intérêts échus depuis un an en application de l'article 1154 du Code civil.

2. Les faits

Les demanderesses ont constitué entre elles une association momentanée; cette association est titulaire d'un compte bancaire n° 370-1136353-85 ouvert dans les livres de la défenderesse;

Le 10 août 2004, le service comptabilité des demanderesses a établi manuscritement les deux formules de virement suivantes:

- transfert d'une somme de 46.792,24 EUR par le débit du compte précité en faveur du compte n° 375-0550133-28 de TEI;

- transfert d'une somme de 56.609,85 EURpar le débit du même compte précité en faveur du compte n° 271-0025020-26 de Fabricom;

Ces virements ont été adressés par la poste à une agence ING de Tournai;

À un moment indéterminé entre leur établissement et leur exécution, les deux virements ont été falsifiés;

Les numéros des comptes bénéficiaires et le nom de leurs titulaires ont été modifiés;

Les deux ordres ainsi falsifiés ont été exécutés et le compte des demanderesses a été débité le 19 août 2004 des deux montants;

L'un des comptes indiqués par les faussaires était également un compte ouvert auprès de la défenderesse; l'agence auprès de laquelle ce compte était géré s'est étonnée du montant reçu, jugé inhabituel au regard du profil du client; Cette agence a en conséquence pris l'initiative de contacter l'agence de Tournai à partir de laquelle les virements avaient été exécutés; Le 20 août 2004, cette agence a pris contact avec les demanderesses et leur a envoyé les copies des deux virements litigieux;

Constatant la falsification, les demanderesses ont demandé le même jour à leur agence bancaire de 'régulariser ces paiements';

L'agence de la défenderesse gérant le compte du pseudo-bénéficiaire a pu intercepter et récupérer les fonds détournés à l'aide du premier virement falsifié; la somme de 46.792,24 EUR a été reversée sur le compte des demanderesses;

Le second virement avait été falsifié afin de laisser apparaître comme compte bénéficiaire un compte ouvert auprès d'une autre banque, la KBC; Avertie de la falsification, cette banque n'a pu récupérer que la somme de 9.045,02 EUR sur le compte litigieux; une somme de 46.193 EUR avait donc été détournée au préjudice des demanderesses; c'est cette somme dont le remboursement est actuellement réclamé à la défenderesse;

Une plainte contre inconnu a été déposée le 20 août 2004 par un représentant des demanderesses auprès de la police d'Uccle; Le parquet du procureur du Roi près le tribunal de première instance de Tournai, chargé de l'enquête, a classé le dossier sans suite le 24 janvier 2007, un auteur présumé de l'infraction étant décédé et le (ou les) autre(s) auteur(s) n'ayant pas été identifié(s) avec certitude;

Entre-temps, un échange de correspondances avait eu lieu entre parties, les demanderesses sollicitant de la défenderesse une indemnisation suite au détournement de fonds subi;

La défenderesse a refusé toute indemnisation aux demanderesses, estimant n'avoir commis aucune faute ni erreur;

La citation a été signifiée le 12 octobre 2007.

3. En droit

Les demanderesses invoquent l'article 1239 du Code civil et plaident que l'exécution par la défenderesse des deux virements falsifiés leur est inopposable; Elles demandent en conséquence la condamnation de la défenderesse à leur rembourser toute somme qui n'a pu être appréhendée sur les comptes des faussaires;

Les demanderesses fondent également leur demande sur l'obligation de restitution pesant sur la défenderesse à leur égard; elles soutiennent que la défenderesse ne pouvait payer valablement les deux faussaires dès lors que ces paiements n'étaient pas conformes aux ordres de transfert qu'elles avaient donnés;

Les demanderesses plaident enfin qu'elles sont également en droit, au vu des faits de la cause, d'invoquer l'existence d'une faute lourde dans le chef de la défenderesse;

La défenderesse repousse la demande en faisant tout d'abord valoir qu'il faut au préalable que les demanderesses démontrent que les virements litigieux ont bien été falsifiés;

Cet élément de fait est acquis aux débats; dès le 20 août 2004, et sans jamais être contredites sur ce point, les demanderesses ont affirmé que les paiements litigieux étaient le fruit de l'exécution de formules de virement falsifiées; à l'appui de leur affirmation, elles ont, le jour même, communiqué par fax à l'agence de la défenderesse la copie des deux 'copies client' des deux virements qu'elles avaient conservées et qui laissent bien apparaître que les bénéficiaires originaires et leurs numéros de compte étaient différents que ceux figurant sur les virements litigieux; En outre, la défenderesse a considéré ce fait acquis in tempore non suspecto, en acceptant de bloquer les sommes faisant l'objet du transfert litigieux, puis en acceptant de contrepasser l'opération de paiement et de restituer les fonds sur le compte des demanderesses;

Ainsi que cela a été dit, les demanderesses invoquent tout d'abord l'article 1239, alinéa 1er du Code civil; Elles font valoir que le paiement par la banque à un tiers qui n'est pas habilité à le recevoir est considéré comme inopposable au titulaire du compte, sans que ce dernier n'ait à établir une quelconque faute dans le chef de son banquier;

Les demanderesses en concluent que la banque qui a effectué un paiement dans ces conditions est tenue de rembourser à son client la somme indûment versée au tiers; elles semblent fonder cette obligation de remboursement sur l'obligation de restitution pesant sur le banquier dans le cadre d'un contrat de compte;

La défenderesse soutient alors que les demanderesses n'apporteraient pas la preuve qu'elle aurait manqué à son obligation de restitution;

Elle explique que l'obligation de restitution pesant sur elle ne peut avoir d'autre portée que celle de l'obliger à restituer à son client les sommes figurant au crédit de son compte au jour de la demande de restitution, le contrat de compte liant les parties autorisant une modification quasi permanente du solde du compte; Elle déduit de ce qui précède que dans l'hypothèse où le client (en l'espèce, les demanderesses) prétend que son compte a été irrégulièrement débité, il tend en réalité à mettre en cause la responsabilité contractuelle de la banque, pour avoir manqué à son obligation de vérifier l'exactitude d'un virement avant de l'exécuter; La défenderesse ajoute que dans cette hypothèse, il incombe aux demanderesses de rapporter la preuve d'une faute dans son chef;

Les demanderesses ne contestent pas cette analyse; Elles soutiennent en effet (p. 16 de leurs conclusions additionnelles et de synthèse) qu'elles ont supporté “la charge de la faute de la banque, en voyant à deux reprises leur compte débité des sommes (…)”;

En réponse à cette mise en cause de sa responsabilité contractuelle, la défenderesse excipe du Règlement Général des Opérations d'ING Belgique, dont il n'est pas contesté par les demanderesses qu'il est applicable aux relations contractuelles nouées entre parties;

Elle en invoque l'article 22, alinéa 3, qui se lit comme suit:

“Sous réserve des limitations de responsabilité qui lui seraient reconnues par la loi, le client assume toutes les conséquences pouvant résulter du vol ou de la perte de ces documents [cf. al. 1er: documents de toute nature - tels que formules, moyens de paiement et cartes diverses - mis à sa disposition par la Banque] (...), ainsi que de l'emploi abusif qui pourrait être fait des uns ou des autres.”;

Les demanderesses repoussent l'application de cet article;

Elles soutiennent tout d'abord que cet article ne viserait pas le cas de l'exécution par la banque d'un ordre falsifié; cette lecture n'est pas conforme à la rédaction de la clause, qui vice expressément les conséquences de l'emploi abusif des documents; l'exécution par la banque d'un virement falsifié entre donc bien dans le champ d'application de la clause d'exonération visée à l'article 22, alinéa 3 du RGO, laquelle indique que c'est le client qui assume les conséquences de cette exécution;

Les demanderesses soutiennent alors que l'entame de l'alinéa litigieux (“Sous réserve des limitations de responsabilité qui lui seraient reconnues par la loi”) leur permettrait de faire échec à l'application de la clause, en invoquant l'article 1239 du Code civil; Elles plaident que cet article devrait être considéré comme une limitation à la responsabilité du client; Le tribunal ne partage pas cette analyse; l'article 1239 du Code civil est étranger à la question de la responsabilité du créancier;

Les demanderesses soutiennent alors qu'en toute hypothèse, l'article 22, alinéa 3 du RGO ne pourrait sortir ses effets dès lors qu'en l'espèce, la défenderesse aurait commis une faute lourde ou dolosive engageant sa responsabilité, ainsi que le prévoit l'article 3, alinéa 1er du RGO (“La responsabilité de la banque est engagée par toute faute lourde ou intentionnelle - à l'exclusion des fautes légères - commise, dans l'exercice de ses activités commerciales, par elle ou par ses préposés.”);

Selon les demanderesses, la faute lourde invoquée consiste dans le fait que les virements ont été exécutés par la banque, alors que la falsification était grossière, notamment du fait de grattage, ajouts et d'altération des données relatives aux bénéficiaires;

Les originaux des deux formules litigieuses sont jointes au dossier; le tribunal n'estime pas que la falsification puisse être qualifiée de “grossière”; Ni grattage, ni ajouts ne sont visibles; les faussaires ont au contraire agi soigneusement, utilisant le même moyen d'écriture, sans surcharge ni utilisation de tipp-ex;

En outre, la défenderesse a rappelé en conclusions, sans être contredite sur ce point, que lorsqu'un banquier reçoit un virement à exécuter, il doit avant tout vérifier si la signature du donneur d'ordre correspond au spécimen de signature qui lui a été remis lors de l'ouverture du compte; il lui incombe également, si le bénéficiaire est également de ses clients, de vérifier la concordance entre le nom et le numéro de compte de ce bénéficiaire; En revanche, il ne peut être contraint de vérifier l'identité du bénéficiaire, ni, a fortiori, de vérifier si le bénéficiaire est bien créancier du donneur d'ordre;

En l'espèce, il y a lieu de relever que sur les formules de virement litigieuses, le nom du donneur d'ordre, son numéro de compte, les signatures autorisées, la date et les communications étaient demeurées originales et n'avaient subi aucune altération suite à la falsification; En outre, il n'est pas contesté par les demanderesses qu'il était habituel pour elles de recourir à des virements sur papier pour procéder à leurs paiements;

Dans ces conditions, il ne peut être soutenu que la falsification était grossière, ni, en conséquence, qu'en exécutant les virements, la défenderesse aurait commis une faute lourde ou intentionnelle;

En application de l'article 22, alinéa 3 du RGO régissant les relations des parties, il convient dès lors de constater que les demanderesses doivent assumer les conséquences de l'usage abusif des deux virements falsifiés;

La demande de réparation à charge de la défenderesse manque de fondement;

Par ces motifs,

Le tribunal,

(…)

Statuant contradictoirement,

Reçoit la demande, la dit non fondée et en conséquence, en déboute les demanderesses;

(…)