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Arrêt Eschig: assurance protection juridique, choix de l'avocat et “sinistre collectif”, R.D.C.-T.B.H., 2010/1, p. 38-41

VERZEKERINGEN - EUROPEES RECHT
Landverzekering - Schadeverzekering - Rechtsbijstandsverzekering - Vrije keuze van advocaat - Groot aantal verzekeringnemers - Massaschade
Artikel 4, lid 1, sub a) van richtlijn 87/344/EEG van de Raad van 22 juni 1987 betreffende de rechtsbijstandsverzekering moet aldus worden uitgelegd dat de rechtsbijstandsverzekeraar zich niet het recht kan voorbehouden zelf de rechtshulpverlener voor alle betrokken verzekerden te kiezen wanneer een groot aantal verzekeringnemers schade lijdt door eenzelfde feit.
ASSURANCES - DROIT EUROPEEN
Assurances terrestres - Assurances de dommage - Assurances assistance judiciaire - Libre choix d'un avocat - Grand nombre de preneur d'assurances - Sinistre collectif
L'article 4, paragraphe 1, sous a) de la directive 87/344/CEE du Conseil du 22 juin 1987 concernant l'assurance-protection juridique doit être interprété en ce sens que l'assureur de la protection juridique ne peut pas se réserver le droit, lorsqu'un grand nombre de preneurs d'assurance sont lésés par un même événement, de choisir lui-même le représentant légal de tous les assurés concernés.
Arrêt Eschig: assurance protection juridique, choix de l'avocat et “sinistre collectif”
Christophe Verdure [1]

Dans son arrêt Eschig du 10 septembre 2009, la Cour de justice a examiné le principe du libre choix de l'avocat dans le cadre de la directive 87/344/CE relative à l'assurance protection juridique. A cet égard, après un rappel des principes, le présent commentaire examinera la solution adoptée par la Cour de justice et confrontera la portée du principe de libre choix de l'avocat à la question des recours collectifs.

I. Introduction

Le développement du droit européen des assurances [2] a emporté dans son sillage de nombreuses évolutions dans des domaines divers, telles que l'assurance RC auto [3], l'intermédiation [4] et l'assurance vie [5]. Tandis que ces réglementations ont fait l'objet de diverses modifications, la réglementation en matière d'assurance protection juridique fait figure d'exception dès lors qu'elle n'a subi, depuis son adoption, aucun amendement [6].

La directive 87/344/CEE [7] fut adoptée, le 22 juin 1987, afin de faciliter la liberté d'établissement des entreprises d'assurances, par le truchement de la suppression des barrières qui résultaient des réglementations nationales interdisant le cumul de l'assurance protection juridique avec d'autres branches d'assurance. Elle avait également pour ambition de protéger les intérêts des preneurs d'assurance notamment en écartant le plus possible les conflits d'intérêts éventuels et en rendant possible la solution des différends entre assureurs et assurés [8].

Dans ce dessein, deux types de mesures furent adoptées. Les premières mesures, “organisationnelles et contractuelles”, concernaient la gestion des sinistres au sein des entreprises d'assurances et permettaient d'écarter d'éventuels conflits d'intérêts [9] en accordant à l'assuré la liberté de choix de son avocat, lorsqu'un sinistre couvert se déclare.

Les secondes mesures consistaient en des garanties spécifiques tendant à protéger l'assuré. Parmi ces garanties spécifiques, le choix de l'avocat est expressément reconnu dans le cadre d'une procédure judiciaire ou administrative (art. 4, par. 1, sous a) de la directive 87/344/CE), ainsi qu'en présence d'un conflit d'intérêts (art. 4, par. 1, sous b) de la directive 87/344/CE), mentionné ci-avant.

Le corollaire de la stabilité de la directive 87/344/CEE concerne également l'absence de contentieux communautaire. Jusqu'à l'arrêt Eschig du 10 septembre 2009 [10], la Cour de justice n'avait jamais été amenée à examiner une question relative à la directive 87/344/CEE. La présente contribution tend à présenter l'apport de cet arrêt et à jeter quelques bases prospectives.

II. Cas d'espèce et position du problème

En l'espèce, la question préjudicielle posée à la Cour de justice concernait la première garantie spécifique précitée et, partant, l'interprétation de l'article 4, paragraphe 1, sous a) de la directive 87/344/CEE [11].

Cette disposition prévoit que tout contrat de protection juridique doit reconnaître explicitement que:

“Lorsqu'il est fait appel à un avocat ou à toute autre personne ayant les qualifications admises par la loi nationale, pour défendre, représenter ou servir les intérêts de l'assuré, dans toute procédure judiciaire ou administrative, l'assuré a la liberté de le choisir.”

En l'espèce, un assureur protection juridique autrichien avait refusé de rembourser les frais et honoraires d'avocat engagés par l'un de ses assurés, à l'occasion de la faillite de deux entreprises offrant des services d'investissements, dans lequel l'assuré avait investi.

La compagnie d'assurance motivait son refus en se référant à ses conditions générales qui l'habilitaient, selon elle, à choisir elle-même l'avocat intervenant, lorsque plusieurs de ses assurés avaient subi un préjudice issu d'un même fait générateur, en l'espèce les faillites précitées, et qu'il s'agissait dès lors d'un “sinistre collectif”.

La Cour de justice fut saisie de deux questions préjudicielles, mais n'a examiné que la première, par laquelle la juridiction de renvoi se demandait si:

“L'article 4, paragraphe 1, sous a), de la directive 87/344 [devait] être interprété en ce sens que l'assureur de la protection juridique peut se réserver le droit, lorsqu'un grand nombre de preneurs d'assurance sont lésés par le même événement, de choisir lui-même le représentant légal de tous les assurés concernés.” [12].

III. Le principe du libre choix de l'avocat

Ainsi que Guy Levie le relevait, l'article 4 est un “élément fondamental” de la directive 87/344/CEE [13]. La liberté de choix de l'avocat découle de l'indépendance de l'avocat et du climat de confiance qui doit s'instaurer entre celui-ci et l'assuré [14].

La directive européenne prévoit que lorsqu'il recourt aux services d'un conseil, l'assuré dispose de la liberté de faire appel à l'avocat de son choix [15]. Cette liberté est limitée, ainsi que le relève la Cour de justice, aux procédures judiciaires ou administratives, à l'exception notable de la survenance d'un conflit d'intérêts [16].

Dans le cas d'un conflit d'intérêts, la possibilité offerte à l'assuré de choisir librement un avocat s'étend, même en dehors de toute procédure judiciaire ou administrative. Ainsi, l'article 3, paragraphe 2, sous c) de la directive 87/344/CEE qui vise précisément cette hypothèse offre ainsi des droits plus étendus que ceux de l'article 4, paragraphe 1, sous a) [17].

La scission entre les deux dispositions est confirmée par le onzième considérant de la directive 87/344/CEE qui dispose que “le droit de choisir librement son représentant dans le cadre d'une procédure judiciaire ou administrative n'est pas lié à l'apparition d'un conflit d'intérêts”.

IV. Solution adoptée par la Cour de justice

La question centrale qui était posée en l'espèce concernait la liberté de choix de l'avocat dans le cadre d'un sinistre collectif. En effet, l'assureur protection juridique était amené à couvrir les frais d'avocat de plusieurs de ses assurés impliqués dans un même sinistre. Il souhaitait dès lors, afin de réduire les coûts et partant de réaliser des économies d'échelle, à ne faire appel qu'à un seul avocat pour l'ensemble de ses assurés impliqués dans le même sinistre.

L'assureur protection juridique a dès lors soutenu devant le juge national que la protection de l'article 4, paragraphe 1, sous a) de la directive 87/344/CEE ne pouvait s'appliquer compte tenu notamment de ce que les sinistres collectifs n'étaient pas connus au moment de l'adoption de la directive 87/344/CEE et n'avaient donc pas pu être pris en considération.

La Cour de justice ne va pas accueillir cet argument pour deux raisons. La première relève du fait que des cas de sinistre collectif étaient concomitants à l'adoption de la directive 87/344/CEE [18]. Par conséquent, il ne s'agissait pas d'un phénomène inconnu du législateur européen.

La seconde raison précise que, même si les circonstances actuelles menaient à l'émergence de recours collectifs [19] visant à défendre les intérêts des membres d'un groupe de personnes, de telles circonstances ne sauraient, en l'état actuel du droit communautaire, limiter la liberté des assurés en protection juridique de participer ou de ne pas participer à un tel recours et de choisir, le cas échéant, un représentant légal [20].

Enfin, la Cour de justice va rappeler que même si la directive 87/344/CEE ne procède pas à une harmonisation totale [21], et que partant les Etats membres disposent d'une marge de manoeuvre, celle-ci devait toutefois s'inscrire dans le respect de ladite directive. Ainsi, les Etats membres ne peuvent contrevenir à la directive elle-même et en particulier à son article 4.

V. Conclusion et prospectives

La solution adoptée par la Cour de justice dans l'arrêt Eschig s'inscrit dans la lignée des principes édictés par la directive 87/344/CEE.

Il est néanmoins intéressant de confronter cette solution avec la volonté actuelle du législateur d'insérer en droit belge un mécanisme de “class action” [22]. A cet égard, il convient de relever que le principe même d'une “class action” suppose qu'un avocat unique (ou un cabinet unique) soit désigné pour représenter le groupe d'individus concernés [23].

La participation à un recours collectif dont les frais d'avocat seraient pris en charge par l'assureur protection juridique supposerait l'acceptation, par l'assuré, de l'avocat désigné pour représenter le groupe d'individus concernés.

Dans ce cas, il pourrait être objecté que l'assuré ne disposerait plus du libre choix de son avocat. Toutefois, il nous semble que ce principe serait toujours respecté dans la mesure où la participation à une “class action” n'est, en soi, pas obligatoire et que le libre choix de l'avocat découlerait, à tout le moins implicitement, du choix de participer à la “class action”.

A défaut pour l'assuré d'accepter l'avocat désigné, il reste en effet libre d'intenter un procès en son nom. Il conviendra néanmoins de s'assurer que cette possibilité est effective. En effet, dès lors que la participation à une “class action” pourrait mener à une diminution des coûts de procédure, l'assuré pourrait être enclin à se joindre à la “class action”, quand bien-même l'avocat choisi ne rencontrerait pas ses faveurs.

C'est là l'importance du débat. Sous couvert de l'accès à la justice, il convient de ne pas dénier à l'assuré la réelle possibilité de choisir l'avocat qui représentera ses intérêts.

[1] Chercheur aux Facultés universitaires Saint-Louis, Académie Louvain (Projet ARC, “L'européanisation du droit, de l'action publique et des normes sociales”) et chercheur associé à l'UCL.
[2] Pour un aperçu, voy. J.-M. Binon, “Les contrats d'assurances dans un marché unique intégré” in D. Servais (dir.), Commentaire J. Mégret. Intégration des marchés financiers, 3ème éd., Bruxelles, Ed. de l'Université de Bruxelles, 2007; G. Levie, Droit européen des assurances, coll. Travaux de l'UCL, n° 2, Bruxelles, Bruylant, 1991, 256 p.
[3] Directive 2009/103/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009 concernant l'assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation de véhicules automoteurs et le contrôle de l'obligation d'assurer cette responsabilité, JO 7 octobre 2009, L. 263, p. 11.
[4] Directive 2002/92/CE du Parlement européen et du Conseil du 9 décembre 2002 sur l'intermédiation en assurance, JO 15 janvier 2003, L. 9, p. 3.
[5] Directive 2002/83/CE du Parlement européen et du Conseil du 5 novembre 2002 concernant l'assurance directive sur la vie, JO 19 décembre 2002, L. 345, p. 1, telle que modifiée en dernier lieu par la directive 2008/19/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 2008 modifiant la directive 2002/83/CE concernant l'assurance directe sur la vie, en ce qui concerne les compétences d'exécution conférées à la Commission, JO 19 mars 2008, L. 76, p. 44.
[6] Sur l'assurance protection juridique, voy. not. C. Paris, Le régime de l'assurance protection juridique, Bruxelles, Larcier, 2004, 576 p.
[7] Directive 87/344/CEE du Conseil du 22 juin 1987 portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant l'assurance protection juridique, JO 4 juillet 1987, L. 185, p. 77. La directive et les principes qu'elle édicte furent transposés en droit national par l'arrêté royal du 12 octobre 1990 relatif à l'assurance protection juridique (MB 8 novembre 1990, p. 21.201), dont certaines dispositions ont ensuite été intégrées dans la loi du 25 juin 1992 (art. 90 à 93). En droit belge, voy. Ph. Colle, “De rechtsbijstandsverzekering in het KB van 12 oktober 1990” in Ph. Colle (ed.), De nieuwe reglementering inzake rechtsbijstandsverzekering, Antwerpen, Maklu, 1991, p. 29.
[8] Quatrième considérant de la directive 87/344/CEE.
[9] Voy. S. Decamp, Les solutions aux conflits d'intérêts en assurance protection juridique en Belgique, Louvain-la-Neuve, Academia-Bruylant, 1993, 132 p.
[10] CJCE 10 septembre 2009, C-199/08, Eschig, non encore publié au Rec.
[11] Pour un examen de la directive 878/344/CEE, voy. not. E. Ceux, “La directive C.E.E. du 22 juin 1987, concernant l'assurance protection juridique”, Bull.ass. 1989, n° 286, p. 16; B. Cerveau et H. Margeat, “Commentaire de la directive du Conseil des Communautés européennes portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant l'assurance protection juridique”, Gaz.Pal. 1987, p. 580.
[12] CJCE, C-199/08, Eschig, o.c., pt. 27.
[13] G. Levie, “La directive sur l'assurance de la protection juridique du 22 juin 1987” in Mélanges Roger O. Dalcq, Bruxelles, Larcier, 1994, p. 376.
[14] La Cour de justice a d'ailleurs rappelé l'importance, pour l'avocat, de “sa mission de conseil, de défense et de représentation de son client” (CJCE 26 juin 2007, C-305/05, Ordre des barreaux francophones et germanophone e.a., Rec. 2007, p. I-5305, pt. 32).
[15] Art. 4, par. 1, sous a) de la directive 87/344/CEE.
[16] CJCE, C-199/08, Eschig, o.c., pt. 47.
[17] CJCE, C-199/08, Eschig, o.c., pt. 50.
[18] CJCE, C-199/08, Eschig, o.c., pt. 63.
[19] Livre vert de la Commission du 27 novembre 2008 sur les recours collectifs pour les consommateurs, COM (2008) 794 final.
[20] CJCE, C-199/08, Eschig, o.c., pt. 64.
[21] Sur cette notion, voy. not. J. Rochfeld, “Les ambiguïtés des directives d'harmonisation totale: la nouvelle répartition des compétences communautaire et interne”, Recueil Dalloz 2009, p. 2047.
[22] Un avant-projet d'arrêté royal a été élaboré à cet effet. Sur la question de la “class action”, voy. not. G. Closset-Marchal et J. Van Compernolle (dir.), Vers une “class action” en droit belge?, Bruges, la Charte, 2008.
[23] W. Eyskens et N. Kaluma, “La class action et le droit belge - Va-et-vient de part et d'autre de l'Atlantique”, JT 2008, p. 483 ; B. Allemeersch et M. Piers, “Class action - Eenvoudiger rechtstoegang voor de consument?”, DCCR 2008, n° 79, p. 15.