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OPA obligatoire, egalité entre actionnaires et droit européen, R.D.C.-T.B.H., 2010/10, p. 970-981

DROIT FINANCIER
Offre d'acquisition - Protection des actionnaires minoritaires - Sociétés cotées - Prise de contrôle - Offre obligatoire - Directive 2004/25/CE - Droit européen - Traité fonctionnement de l'Union européenne - Principes généraux - Non-discrimination
Les dispositions relatives à l'offre obligatoire de la directive 2004/25/CE, de même que les dispositions des directives 77/91/CE et 79/729/CE, s'appliquent à des situations spécifiques et sont dépourvues du caractère général par nature inhérent aux principes généraux du droit, de sorte qu'on ne peut en déduire l'existence d'un principe général d'égalité de traitement des actionnaires minoritaires.
L'obligation de l'actionnaire dominant acquérant ou exerçant le contrôle d'une société, d'offrir aux actionnaires minoritaires de racheter leurs actions aux mêmes conditions que celles convenues lors de l'acquisition d'une participation conférant ou renforçant le contrôle de l'actionnaire dominant ne constitue pas une expression spécifique, en matière de droit des sociétés, du principe général d'égalité de traitement.
L'obligation particulière dans le chef de l'actionnaire dominant au bénéfice des autres actionnaires et la détermination de la situation spécifique à laquelle une telle obligation se rattache présupposent des choix d'ordre législatif, concernant la nécessité de protéger les actionnaires minoritaires dans cette situation et le moyen d'y parvenir, et ne sauraient être dès lors déduites du principe général d'égalité de traitement.
Le droit communautaire ne contient pas de principe général de droit selon lequel les actionnaires minoritaires sont protégés par l'obligation de l'actionnaire dominant acquérant ou exerçant le contrôle d'une société d'offrir à ceux-ci de racheter leurs actions aux mêmes conditions que celles convenues lors de l'acquisition d'une participation conférant ou renforçant le contrôle de l'actionnaire dominant.

FINANCIEEL RECHT
Overname bod - Bescherming van minderheidsaandeelhouders - Genoteerde vennootschap - Verplicht bod - Richtlijn 2004/25/EG - Verdrag werking Europese Unie - Beginselen Europees recht - Non-discriminatie
De bepalingen van richtlijn 2004/25/EG betreffende het verplicht bod gelden, net zoals de bepalingen van richtlijn 77/91/EG en richtlijn 79/729/EG, voor welomschreven situaties en hebben bijgevolg niet het algemeen geldende karakter dat algemene rechtsbeginselen naar hun aard bezitten waardoor men er geen algemeen beginsel van gelijke behandeling van minderheidsaandeelhouders uit kan afleiden.
De verplichting van de dominante aandeelhouder die de controle over een vennootschap verkrijgt of uitoefent, om een bod op de aandelen van de minderheidsaandeelhouders uit te brengen tegen dezelfde voorwaarden als overeengekomen bij de verwerving van de deelneming die de dominante aandeelhouder controle verschaft of deze controle versterkt, is niet als zodanig een specifieke uitdrukking van het algemene beginsel van gelijke behandeling op het gebied van het vennootschapsrecht.
Deze bijzondere verplichting rustend op de dominante aandeelhouder ten voordele van de andere aandeelhouders en de vaststelling van de specifieke situatie waarin een der­gelijke verplichting geldt, veronderstelt dat wetgevende keuzes werden gemaakt betreffende, enerzijds, de noodzaak om minderheidsaandeelhouders in dergelijke situatie te beschermen en, anderzijds, de middelen nodig om dit te verwezenlijken. Derhalve kunnen deze regels niet afgeleid worden uit het algemene beginsel van gelijke behandeling.
Het Gemeenschapsrecht kent geen algemeen rechtsbeginsel volgens hetwelk minderheidsaandeelhouders worden beschermd door de verplichting die rust op de dominante aandeelhouder die de controle over een vennootschap verkrijgt of uitoefent, om een bod op hun aandelen uit te brengen tegen dezelfde voorwaarden als overeengekomen bij de verwerving van de deelneming die de dominante aandeelhouder controle verschaft of deze controle versterkt.
OPA obligatoire, egalité entre actionnaires et droit européen
Deborah Gol [1]
I. Introduction

Par l'arrêt annoté, la Cour de justice des Communautés européennes a dénié l'existence d'un principe général de droit communautaire d'égalité entre actionnaires, selon lequel les actionnaires minoritaires seraient protégés par l'obligation faite à l'actionnaire dominant, acquérant voire exerçant le contrôle d'une société, d'offrir de leur racheter leurs actions aux mêmes conditions [2].

Le souci de voir reconnaître à l'égalité des actionnaires, dans sa dimension dite externe, rang de principe général de droit n'est pas nouveau dans le domaine du droit des marchés financiers. Cette question a déjà fait l'objet de nombreux développements dans la doctrine et la jurisprudence belges. C'est sous l'angle du droit communautaire, toutefois, qu'elle est ici examinée.

L'arrêt rendu dans l'affaire Audiolux (II. et III.) nous offre l'occasion de mettre en perspective le raisonnement et la solution dégagée par la Cour de justice des Communautés européennes au regard de cette controverse déjà ancienne. Nous reviendrons succinctement, dans un premier temps, sur l'évolution qu'a connu la question au regard du droit belge (IV.A.). Si le mécanisme de l'OPA obligatoire est inscrit dans la législation belge depuis plus de vingt ans, nous tenterons ensuite, pour comprendre l'importance de la question soulevée devant la Cour de justice des Communautés européennes, de montrer l'impact qu'aurait eu la reconnaissance d'un principe général de droit communautaire d'égalité entre actionnaires, tel qu'invoqué par Audiolux, à l'égard du droit belge en cas de cession d'une participation de contrôle dans le capital d'une société cotée [3] (IV.B.) [4].

II. Les faits, la procédure nationale et les questions préjudicielles
A. Les faits

L'arrêt Audiolux est rendu sur questions préjudicielles formulées par la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg, dans le cadre d'un litige opposant les actionnaires minoritaires de la SA RTL Group essentiellement aux sociétés Groupe Bruxelles Lambert SA (ci-après 'GBL') et Bertelsmann AG.

Audiolux SA est actionnaire minoritaire de la SA de droit luxembourgeois RTL Group, cotée sur les marchés boursiers de Luxembourg, Bruxelles et Londres. RTL Group représente le plus grand groupe de télévision et radiodiffusion européen, propriétaire ou actionnaire d'une quarantaine de chaînes de télévision et d'une trentaine de réseaux de radio dans dix pays européens.

Plus précisément, le litige se noue autour de l'acquisition, en 2001, d'une participation de contrôle au sein de la SA RTL Group par le groupe allemand Bertelsmann. Avant l'opération litigieuse, le capital de la SA RTL Group était détenu à concurrence de 37% par le groupe Bertelsmann, 30% par la SA de droit belge Groupe Bruxelles Lambert (ci-après 'GBL'), 22% par Pearson Television, les 11% restants étant répartis dans le public, dont Audiolux.

Aux termes d'un accord intervenu au cours du premier semestre de l'année 2001, GBL convient d'échanger sa participation de 30% dans RTL Group avec Bertelsmann contre une participation de 25,1% dans le capital de cette dernière société [5]. Grâce à cette opération, Bertelsmann acquiert une participation de contrôle (67%) au sein de RTL Group.

B. La procédure nationale

Plusieurs actionnaires minoritaires, s'estimant lésés par l'échange, sollicitent devant le tribunal d'arrondissement de Luxembourg l'annulation des conventions conclues entre GBL et Bertelsmann ou, à titre subsidiaire, la condamnation des défendeurs à réparer le préjudice que ces minoritaires estiment avoir subi du fait de cette cession, en autorisant ceux-ci à vendre leurs parts à des conditions identiques.

Les minoritaires considèrent en effet que l'opération critiquée porte atteinte à leur droit à l'égalité de traitement au sein de la société, en ce qu'elle a été réalisée sans leur donner la possibilité de céder ou d'échanger leurs titres à des conditions identiques à celles offertes à GBL. Le préjudice causé par la cession fautive serait, aux yeux des demandeurs, constitué au premier plan par le fait que la cession réserve exclusivement à GBL le bénéfice d'une prime de contrôle payée par l'acquéreur Bertelsmann “trouvant sa justification et son origine dans la valeur intrinsèque de RTL Group et qui aurait dès lors dû bénéficier à tous les actionnaires”, en ce compris donc les minoritaires. Ce préjudice serait aggravé, dans leur chef, par le fait que la prise de contrôle opérée confère à Bertelsmann une majorité suffisante pour prendre toute décision affectant le sort, voire l'existence de la société. Ainsi, notamment, Bertelsmann obtiendrait le contrôle des mouvements de bourse et n'aurait à terme plus d'intérêt à maintenir l'inscription des actions de RTL Group sur le marché, avec en perspective le retrait de la cote de cette société [6].

Lors de l'introduction du litige, aucune disposition de droit positif luxembourgeois ne reconnaissait formellement l'obligation, pour l'actionnaire majoritaire dont la participation atteignait un certain seuil, d'offrir aux minoritaires de racheter leurs actions aux mêmes conditions. Les demandeurs espéraient néanmoins amener le tribunal à reconnaître, à partir des références faites au principe d'égalité des actionnaires dans certains actes émanant d'institutions nationales ou communautaires, ainsi qu'au travers de la doctrine et de la jurisprudence, l'existence d'un principe général d'égalité des actionnaires, dont il serait alors possible de déduire, selon eux, une obligation pour l'actionnaire acquérant une participation de contrôle d'étendre sa proposition de rachat à l'ensemble des actionnaires de la société [7].

Le tribunal d'arrondissement de Luxembourg n'en déclare pas moins les prétentions des parties demanderesses irrecevables, au motif qu'elles ne reposent sur aucune norme ou principe de droit reconnu en droit luxembourgeois. La cour d'appel confirme le jugement entrepris, en précisant que l'égalité de traitement ne fait pas partie du droit positif au titre de principe général de droit et qu'il n'y a par ailleurs pas lieu de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle à ce propos.

Les demandeurs au principal forment alors un pourvoi en cassation contre cet arrêt, tirant moyen, notamment, de la violation ou de la fausse application du principe général d'égalité des actionnaires, spécialement dans le cas d'une société cotée.

C. Les questions préjudicielles

Par demande datée du 5 mars 2008 [8], la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg pose à la Cour de justice de l'Union européenne trois questions préjudicielles, impliquant un examen en cascade.

La première question consiste à déterminer si le principe d'égalité des actionnaires fait partie des principes généraux du droit communautaire et, plus précisément, “s'il existe en droit communautaire un principe général qui prescrit l'égalité de traitement entre les actionnaires et si ce principe protège également les actionnaires minoritaires d'une société en ce sens que ceux-ci ont le droit, en cas de prise du contrôle de la société, de céder leurs parts à des conditions identiques à celles des autres actionnaires” [9]. La question porte dès lors non seulement sur l'existence d'un tel principe général mais aussi sur la possibilité d'en tirer, le cas échéant, la conséquence recherchée par les parties requérantes.

En cas de réponse affirmative, la Cour devrait examiner la question de savoir si un tel principe général d'égalité s'applique uniquement dans les rapports entre la société et ses actionnaires ou s'étend également aux rapports entre les actionnaires majoritaires acquérant ou exerçant le contrôle d'une société et les actionnaires minoritaires de cette société.

Enfin, à considérer que les deux premières questions appellent une réponse affirmative, ce principe général pourrait-il être considéré comme s'imposant dès avant l'entrée en vigueur de la directive 2004/25/CE concernant les offres publiques d'acquisition prévoyant des dispositions expresses en la matière?

III. Les arguments d'audiolux, les conclusions de l'avocat général et l'arrêt de la Cour de justice
A. Arguments d'Audiolux

Devant la Cour de justice, Audiolux avance, en ce qui concerne la réponse à apporter à la première question préjudicielle, que les différents actes communautaires qu'elle énumère tendent à prouver l'existence d'un principe général d'égalité entre actionnaires au sein de l'ordre juridique communautaire.

Plus précisément, les requérants s'appuient sur la deuxième directive du conseil 77/91/CEE du 13 décembre 1976 et, particulièrement sur son cinquième considérant, en vertu duquel le législateur communautaire aurait, selon eux, considéré l'égalité des actionnaires comme un principe déjà existant. Audiolux invoque, en outre, les points 6 et 11 de la recommandation de la Commission du 25 juillet 1977 portant code de conduite européen concernant les transactions relatives aux valeurs mobilières. Le fait que le code de conduite ne soit qu'une recommandation ne s'opposerait pas, selon Audiolux, à ce qu'il constitue l'expression de principes généraux du droit communautaire. Enfin, la genèse de la directive 2004/25/CE montrerait qu'il existait un consensus sur la protection des actionnaires minoritaires prévue à l'article 5.

Quant à la deuxième question, Audiolux affirme que l'influence que l'actionnaire majoritaire exerce sur l'administration de la société atténue la différence entre les organes de la société et l'actionnaire majoritaire, de sorte que le principe d'égalité, traditionnellement opposable aux seuls organes sociaux, devrait l'être également à l'égard de l'actionnaire majoritaire.

Concernant la troisième question, le dixième considérant de la directive 2004/25/CE ne concernerait que son application dans le temps et n'affecterait pas, toujours selon Audiolux, le principe d'égalité des actionnaires dans la mesure où ce principe serait reconnu depuis trente ans et ferait l'objet d'un consensus depuis une décennie, comme l'attesterait l'adoption de la directive 2004/25/CE.

B. Conclusions de l'avocat général

L'avocat général exprime tout d'abord une réticence à appliquer, comme le demandait Audiolux, le principe général de droit communautaire d'égalité et de non-discrimination dans les relations entre particuliers. Elle rappelle à cet égard que les droits fondamentaux, dont fait partie le principe d'égalité, sont des droits que les particuliers peuvent opposer aux pouvoirs publics, de telle sorte qu'il serait “douteux de transposer directement (…) le principe d'égalité reconnu dans la jurisprudence de la Cour à un domaine qui relève du droit privé au sein des Etats membres. Le principe d'égalité ou le principe de non-discrimination ne font pas partie des principes directeurs traditionnels du droit privé” [10]. Indépendamment même de cette question, “une application par analogie du principe général d'égalité dans sa généralité est difficilement praticable pour trancher le litige au principal, étant donné que l'on ne saurait déduire de ce principe ni les conditions matérielles de son application, ni une conséquence juridique suffisamment précise qui découlerait de sa violation” [11].

L'avocat général se pose alors la question de l'existence d'un principe spécifique d'égalité de traitement dans le droit des sociétés de l'Union européenne, traduit par une obligation d'égalité de traitement entre actionnaires, assortie d'un rachat obligatoire en cas d'acquisition d'une participation majoritaire. Elle relève qu'aucune disposition de droit international public, en particulier les principes de gouvernement d'entreprise de l'OCDE, pas plus que de droit communautaire primaire, n'y font référence. De l'examen de la genèse de la directive 2004/25/CE d'harmonisation minimale en matière d'offres publiques d'acquisition, “il ressort clairement du rapport Winter I que, avant l'adoption de la directive 2004/25, il existait entre les Etats membres de nombreuses différences dans la réglementation des offres publiques d'achat (OPA), si bien qu'une OPA n'avait pas les mêmes chances de succès dans tous les Etats membres et que les actionnaires ne jouissaient pas partout de la même possibilité de céder leurs actions. Le groupe a par conséquence préconisé un mécanisme facilitant les OPA. De même, les dispositions des Etats membres relatives à la contrepartie à payer divergeaient fortement, les différences portant aussi bien sur le niveau que sur la nature d'une contrepartie à proposer. Dans l'intérêt d'une prévisibilité suffisante de cette contrepartie, qui s'impose, de l'avis du groupe, afin de permettre le bon fonctionnement des marchés financiers dans l'Union européenne, le groupe a expressément recommandé d'instaurer des critères harmonisés au niveau communautaire” [12].

L'avocat général retient pas moins de six critères pour disqualifier l'égalité entre actionnaires au regard de la notion de principe général de droit communautaire: l'absence de rang constitutionnel, l'absence de conviction commune dans la doctrine, l'absence de caractère absolu, l'interdiction de contourner la volonté du législateur, le respect de l'équilibre institutionnel et les exigences de la sécurité juridique.

Si l'avocat général reconnaît que la notion d'égalité entre actionnaires “apparaît en filigrane dans l'ensemble du droit des sociétés de la Communauté et des Etats membres et constitue manifestement un idéal important dans ce domaine (…)” [13], elle relève néanmoins que les dispositions invoquées n'ont pas de caractère absolu puisqu'elles se limitent à réglementer des cas de figure très précis. De plus, certaines d'entre elles, en particulier la recommandation de la Commission, ne sont pas juridiquement contraignantes. La notion d'égalité entre actionnaires se limite également dans son application à un domaine du droit donné - en l'occurrence, au droit des sociétés -. Elle est donc dépourvue du caractère général inhérent par nature aux principes généraux de droit.

En outre, même si la Cour devait reconnaître au principe d'égalité entre actionnaires valeur de principe général de droit, celui-ci n'est pas suffisamment précis pour en tirer la conséquence juridique recherchée par les demandeurs. A contrario, si les dispositions invoquées avaient un caractère suffisamment précis, elles ne présenteraient pas le caractère de généralité requis pour constituer des principes généraux de droit.

L'avocat général relève au demeurant l'absence de conviction commune dans la doctrine quant à la notion d'égalité entre actionnaires. Celle-ci fait au contraire l'objet de profondes divergences quant à l'appréciation de ses contours exacts. Compte tenu de son caractère imprécis, en ce qui concerne son fondement, son champ d'application, son contenu et les conséquences juridiques d'éventuelles violations, ce principe doit nécessairement être concrétisé d'un point de vue conceptuel par le législateur ou la jurisprudence pour pouvoir être mis en oeuvre. L'adoption de la directive 2004/25/CE, prévoyant en son article 5 le principe de l'OPA obligatoire, témoigne de “la nécessité qu'il y avait à faire intervenir le législateur communautaire en la matière afin de fixer des obligations précises devant être respectées par les opérateurs et de définir les modalités selon lesquelles le traitement égal devait être réalisé”, et dès lors de l'absence, “tant avant qu'après l'adoption de cette directive, d'un principe général d'égalité des actionnaires se suffisant à lui-même d'un point de vue juridique” [14]. Notons que c'est là l'argument sur lequel la Cour appuiera essentiellement sa décision.

C'est également l'exigence du respect de la sécurité juridique, visant à garantir la prévisibilité des situations et des relations juridiques relevant du droit communautaire, qui plaide contre la reconnaissance d'un principe général d'égalité des actionnaires, lequel soulèverait de nombreuses questions quant à son champ d'application, matériel, personnel et temporel. En ce sens, “la reconnaissance d'un tel principe se traduirait en définitive par l'application rétroactive de l'article 5, § 1, de la directive 2004/25/CE, ce qui enfreindrait le principe de non-rétroactivité étant donné la décision claire du législateur en ce qui concerne la date exacte d'entrée en vigueur de cette disposition” [15].

Enfin, l'équilibre institutionnel au sein de la Communauté, reposant sur le principe de la séparation des fonctions, implique que la Cour respecte les compétences législatives du Parlement et du Conseil: “cela implique nécessairement qu'elle laisse au législateur communautaire la tâche de légiférer dans le domaine du droit des sociétés qui a été confiée à celui-ci par le traité et, d'autre part, qu'elle continue à faire preuve de la réserve nécessaire dans le cadre du développement des principes généraux du droit communautaire (…)” [16].

L'avocat général conclut dès lors à l'inexistence d'un principe général d'égalité des actionnaires en droit communautaire, protégeant les actionnaires minoritaires d'une société en cas de prise de contrôle, en leur conférant le droit de céder leurs titres à des conditions identiques à celles des autres actionnaires.

Sur la seconde question, relative au champ d'application personnel de l'égalité entre actionnaires, l'avocat général relève que ce sont en tout état de cause les organes de la société et non les actionnaires eux-mêmes qui sont tenus de respecter l'égalité de traitement. “En revanche, en ce qui concerne les rapports entre associés, il y a tout au plus une obligation de loyauté, en vertu de laquelle l'associé est tenu, dans l'exercice de ses droits sociaux, de tenir compte des intérêts de ses coassociés. Il n'est pas possible de dégager d'autres obligations de l'actionnaire envers ses coactionnaires.” [17].

C. Arrêt de la Cour de justice [18]

La Cour suit en substance la position de l'avocat général, en considérant que l'égalité entre actionnaires ne peut se voir reconnaître rang de principe général de droit communautaire à défaut d'en remplir les conditions d'existence.

En l'occurrence, la Cour a égard, pour former son jugement, à l'absence de portée générale des dispositions invoquées, dont le champ d'application est au contraire limité à des cas de figure très précis dans un domaine déterminé, de sorte qu'elles sont “dépourvues du caractère général par nature inhérent aux principes généraux du droit” [19].

En ce qui concerne l'instauration de l'obligation de l'actionnaire dominant et la fixation des conditions y afférentes, la Cour considère que ni le principe général d'égalité de traitement, ni une expression spécifique de ce principe en droit des sociétés, ne saurait “à lui seul faire naître une obligation particulière dans le chef de l'actionnaire dominant au bénéfice des autres actionnaires, ni déterminer la situation particulière à laquelle une telle obligation se rattache” [20]. Ces décisions “nécessiteraient une expression spécifique, conformément au principe de sécurité juridique, afin que les intéressés puissent connaître sans ambiguïté leurs droits et obligations et prendre leurs dispositions en conséquence”. En effet, comme le relève la Cour dans un point qui nous paraît essentiel, “à supposer que les actionnaires minoritaires nécessitent une protection particulière, il n'en reste pas moins que différents moyens d'assurer cette protection, parmi lesquels un choix s'impose, sont envisageables” [21].

Et la Cour de conclure que le principe invoqué par Audiolux “présuppose dès lors des choix d'ordre législatif et ne saurait être déduit du principe général d'égalité de traitement. En effet, les principes généraux du droit communautaire se situent au rang constitutionnel tandis que le principe préconisé par Audiolux est caractérisé par un degré de détail nécessitant une élaboration législative”.

IV. Une mise en contexte de l'arrêt annoté

Pour le juriste belge, cette décision pourrait constituer le dernier soubresaut, sous l'angle du droit communautaire cette fois, de la controverse relative à la reconnaissance d'un principe général d'égalité des actionnaires en matière de cession d'une participation de contrôle dans le capital d'une société cotée. Au regard du droit belge, en effet, l'idée n'est pas neuve. Apparue sous la forme d'une jurisprudence prétorienne de la Commission bancaire avant l'entrée en vigueur de la réglementation relative aux offres publiques d'acquisition, on la retrouve sous l'empire de celle-ci, au travers notamment de positions défendues dans le cadre de certains litiges, en vue d'amener les cours et tribunaux à étendre la protection des actionnaires minoritaires hors des cas spécifiquement visés par la loi.

Il n'est dès lors pas dénué d'intérêt, avant de mettre en lumière l'arrêt commenté au regard de la réglementation actuelle en matière d'OPA (C), de rappeler les principales étapes de cette controverse en droit belge, qui concerne principalement la question de savoir si un principe en voie d'émergence dans le seul domaine du droit financier (A) peut prétendre au statut de principe général de droit (B).

A. Evolution du principe d'égalité en droit des marchés financiers

Même s'il n'est pas expressément formulé en tant que tel par le droit belge [22] et malgré quelques controverses quant à son fondement, l'existence en droit des sociétés d'un principe d'égalité des actionnaires opposable aux organes sociaux (égalité interne) fait l'objet d'un large consensus en doctrine comme en jurisprudence [23]. Si plusieurs dispositions du droit des sociétés traduisent ce principe [24], un certain nombre de tempéraments en atténuent toutefois la portée [25].

La doctrine s'accorde généralement à considérer que les règles tendant à assurer l'égalité de traitement des actionnaires en droit des sociétés ne régissent que les rapports sociaux. Il n'y a dès lors pas, selon cette conception, d'égalité entre les actionnaires envers les autres actionnaires ou les tiers, sauf dans la mesure où la loi en dispose autrement [26].

La référence à l'égalité entre actionnaires, opposable aux autres actionnaires voire à des tiers n'ayant pas encore acquis cette qualité, n'en est pas moins particulièrement présente dans le domaine du droit des marchés financiers et, plus spécialement encore, dans la réglementation relative aux offres publiques d'acquisition.

En l'occurrence, contrairement au principe d'égalité dite interne - que l'on considère généralement comme fondé sur la notion d'affectio societatis [27] -, le principe d'égalité adopté dans le cadre du droit des marchés financiers se revendique plutôt d'un souci de protection d'un actionnaire minoritaire conçu comme un consommateur de produits financiers sur un marché donné. En matière de cessions de contrôle, c'est, plus spécifiquement, une volonté de protection des actionnaires minoritaires contre d'éventuelles discriminations qui préside à l'adoption de dispositions visant à assurer que la sortie du capital puisse avoir lieu dans des conditions égales pour tous [28].

Certains auteurs soulignent que l'inflation, sous l'impulsion du droit européen [29], de dispositions protectrices des actionnaires minoritaires, fondées sur des considérations fortement empreintes d'éthique, voire d''équité', aboutit en réalité à 'privilégier' certains actionnaires au détriment, précisément, de l'égalité [30].

On relèvera qu'au-delà d'un souci de protection des minoritaires, c'est, mutatis mutandis, à l'instar des actions européennes en matière de protection des consommateurs, un objectif visant à assurer l'efficacité des marchés dans une optique de concurrence qui sous-tend cette 'moralisation' des marchés. En effet, le principe d'égalité des actionnaires “tend, non seulement à moraliser les transactions boursières mais aussi, et surtout, à préserver la confiance des investisseurs, à encourager la loyauté des intervenants sur les marchés boursiers, à assurer le dynamisme et l'efficience de ces marchés et à favoriser la capitalisation des sociétés” [31].

B. Inexistence d'un principe général d'égalité entre actionnaires en droit belge

En Belgique, les tentatives de voir reconnaître à cette conception de l'égalité entre actionnaires rang de principe général de droit n'ont pas été couronnées de succès.

On se souviendra des remous qu'avait suscité la pratique administrative développée par la Commission bancaire avant l'entrée en vigueur de l'arrêté royal de 1989 relatif aux offres publiques d'acquisition, élevant l'égalité entre actionnaires, dans son acception externe - c'est-à-dire s'imposant aux actionnaires entre eux et aux tiers -, au rang de norme déontologique du droit des affaires.

Aux termes de son Rapport annuel 1965, la CBFA, relevant que, dans plusieurs cas dont elle avait eu à connaître, les actionnaires majoritaires et les membres du conseil d'administration paraissaient s'être désintéressés de façon flagrante des intérêts “des actionnaires minoritaires et du public actionnaire, dans des conditions qui heurtent le sens le plus fruste de l'équité”, se posait la question de savoir si, “sur le plan de la déontologie des affaires, le principe d'égalité des actionnaires ne s'étend pas au-delà du fonctionnement interne de la société et si l'actionnaire majoritaire auquel la gestion des affaires sociales est confiée peut, dans les actes sortant de cette gestion mais susceptibles d'avoir des répercussions graves sur les intérêts de ses associés, auxquels le lie l'affectio societatis, ignorer entièrement ces intérêts pour ne poursuivre que la maximalisation de son intérêt propre” [32]. Dans la continuité de cette réflexion, la CBFA énonçait, dans son Rapport annuel 1978-79, quatre recommandations [33], parmi lesquelles l'obligation, lorsqu'une prime de contrôle était payée aux actionnaires vendeurs, de répartir celle-ci entre tous les actionnaires au moyen d'une offre publique d'achat ou d'une offre de retrait par la bourse [34].

Comme le relève C. Lempereur, la Commission bancaire se situait alors sur le plan de la déontologie des affaires et non du droit positif, et ne parlait pas expressément de responsabilité juridique, ni de sanctions. Selon cet auteur, il s'agissait, pour l'autorité de contrôle, de donner à un principe une portée plus large en termes de déontologie que celle qu'il a en droit strict [35]. Il reste que, comme le souligne X. Dieux, la Commission bancaire n'avait et n'a toujours pas d'autres pouvoirs que ceux que les dispositions légales et réglementaires qui la commissionnent lui confèrent [36], de sorte qu'elle ne pourrait, en tant qu'autorité de contrôle du secteur financier, statuer sur la base de principes généraux, en ce compris l'égalité de traitement [37], si ce n'est sous forme de recommandations en principe dépourvues de sanctions juridiques [38].

Fortement critiquée par la doctrine majoritaire [39], cette conception extensive du principe d'égalité entre actionnaires, dépassant le fonctionnement interne de la société, se vit également réserver un accueil pour le moins tiède au sein de la jurisprudence [40].

L'entrée en vigueur de l'arrêté royal du 8 novembre 1989 relatif aux offres publiques d'acquisition [41] devait clarifier la situation. En particulier, l'article 41, § 1, imposait désormais expressément à l'acquéreur d'une participation de contrôle au capital d'une société cotée, moyennant contrepartie supérieure au prix du marché, d'offrir à l'ensemble des actionnaires la possibilité de céder leurs titres à des conditions équivalentes [42]. Des dérogations pouvaient être accordées à cette obligation, soit de manière générale, par arrêté royal, soit dans des cas particuliers, par la Commission bancaire, mais toujours dans le respect des orientations générales de l'article 15 de la loi du 2 mars 1989 et, notamment, de l'égalité entre actionnaires. Ces orientations étaient toutefois interprétées comme n'offrant pas de prérogatives directes aux particuliers, à défaut d'être consacrées par une disposition spécifique de l'arrêté d'exécution [43].

L'existence d'un principe général d'égalité des actionnaires continua néanmoins d'être invoquée devant les juridictions, en vue d'étendre les solutions tirées de l'article 41 précité de l'arrêté royal du 8 novembre 1989 à des situations sortant du champ d'application de cette disposition, tant en ce qui concerne l'extension de l'offre d'achat aux minoritaires [44] que le fait de faire bénéficier ceux-ci des mêmes conditions d'achat [45].

L'existence de dispositions légales ou réglementaires protégeant expressément les actionnaires minoritaires dans certaines hypothèses déterminées devait au contraire renforcer la doctrine majoritaire dans son opinion: ces dispositions, applicables à des situations précises, démontraient que le législateur n'avait pas voulu étendre la protection offerte en dehors de leur champ d'application. En ce sens, selon M. Tison, “en limitant l'offre publique obligatoire à l'hypothèse de paiement d'une prime de contrôle, le législateur n'a pas voulu offrir en général la possibilité aux actionnaires minoritaires de quitter la société lors de la survenance de toute modification du contrôle. (…) Un actionnaire individuel aura toujours la possibilité de céder ses titres sur le marché secondaire mais il n'aura cependant pas la garantie de le faire aux mêmes conditions financières que le cédant de la participation de contrôle” [46].

Dans le prolongement de cette réflexion, c'est le risque de compromettre l'impératif de sécurité juridique qui justifierait, selon certains auteurs, de ne pas interpréter ces dispositions comme la consécration, en dehors de leur champ d'application propre, d'un véritable principe général [47].

La reconnaissance d'un principe général d'égalité entre actionnaires dans son acception extensive fut rejetée par la Cour de cassation, à l'occasion de la célèbre affaire de la Compagnie des Wagons-lits [48]. La Cour a considéré qu'en cas de cession de contrôle moyennant un prix supérieur à celui du marché, le droit subjectif des porteurs à la reprise de leurs titres trouve directement sa source dans l'article 41, alinéa 1er, de l'arrêté royal du 8 novembre 1989, et non dans un principe général d'égalité des actionnaires [49].

A l'occasion de la non moins célèbre affaire Tractebel, la cour d'appel de Bruxelles s'est exprimée, quant à elle, non pas sur l'existence mais sur les limites de l'application d'un principe général de droit, lorsque la situation à apprécier est réglée par une loi. Dans cette affaire, le président du tribunal de commerce siégeant en référé avait estimé que, même si les dispositions du Code des sociétés relatives aux conflits d'intérêts n'étaient pas applicables à l'avis d'OPE prescrit par l'article 15 de l'arrêté royal du 8 novembre 1989, les administrateurs liés à l'offre n'en auraient pas moins dû s'abstenir de participer à l'émission de cet avis, en vertu du “principe général de droit qui impose aux organes sociaux de respecter scrupuleusement dans leur mission une indépendance objective” [50]. Pour la cour d'appel, en revanche, “à supposer qu'il existe un principe général de droit prohibant les conflits d'intérêts, ce principe ne saurait faire obstacle à l'application de la loi, laquelle doit être privilégiée chaque fois qu'elle règle concrètement la situation à apprécier” [51].

Au regard des développements qui précèdent, on peut sans trop de risques considérer que la doctrine et la jurisprudence belges se sont prononcées majoritairement en défaveur de la reconnaissance d'un principe général d'égalité externe des actionnaires dans le domaine du droit des marchés financiers [52].

C. L'arrêt Audiolux au regard de la réglementation belge en matière d'OPA obligatoire

Les cessions de participation de contrôle dans les sociétés cotées n'auront donc pas à être passées au crible d'un principe général de droit communautaire d'égalité entre actionnaires. Ainsi en a décidé la Cour de justice des Communautés européennes dans son arrêt Audiolux.

Si la Cour de justice avait, comme le lui demandait Audiolux, considéré l'OPA obligatoire comme l'expression d'un principe général de droit communautaire, quelles auraient été alors les conséquences de cette décision pour les sociétés soumises à la règlementation belge en matière d'OPA?

La réglementation actuelle en matière d'OPA est issue de la transposition de la directive 2004/25/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 avril 2004 concernant les offres publiques d'acquisition.

L'article 5 de la directive consacre le principe de l'offre obligatoire lorsqu'un actionnaire, à la suite d'une acquisition faite par lui-même ou avec d'autres personnes agissant de concert, atteint un pourcentage déterminé des droits de vote de la société, quel que soit le prix payé pour l'acquisition des titres et quelle que soit la manière dont le contrôle est exercé sur la société [53]. Cette disposition est transposée par l'article 5 de la loi du 27 avril 2007 relative aux offres publiques d'acquisition [54] et les articles 49 et suivants de l'arrêté royal d'exécution du 27 avril 2007 relatif aux offres publiques d'acquisition [55].

Les articles 50 à 52 de l'arrêté royal d'exécution du 27 avril 2007 fixent les conditions dans lesquelles l'acquéreur de la participation sera tenu de lancer une OPA sur la société cible, tandis que les articles 53 à 55 déterminent le prix de l'offre.

L'article 4.5. de la directive autorise quant à lui les Etats membres à prévoir des dérogations aux dispositions de transposition. Les autorités de contrôle du secteur financier ont également un pouvoir d'accorder des dérogations à ces règles. Les dérogations doivent néanmoins toujours respecter les principes généraux édictés par l'article 3.1., et notamment le principe selon lequel “tous les détenteurs de titres de la société visée qui appartiennent à la même catégorie doivent bénéficier d'un traitement équivalent” et “les porteurs de titres avec droit de vote ou donnant accès au droit de vote” doivent être protégés si une personne acquiert le contrôle de la société [56].

En application de cette disposition, des possibilités de déroger à l'offre obligatoire sont prévues en droit belge, comme par le passé, tant de manière générale (art. 52 de l'arrêté royal d'exécution du 27 avril 2007) que dans des cas particuliers, compte tenu du pouvoir de dérogation de la Commission bancaire, financière et des assurances issu de l'article 35 de la loi OPA. Dans quelle mesure ces dispositions auraient-elles pu cohabiter avec l'existence d'un principe général d'égalité entre actionnaires consacré par l'ordre juridique communautaire?

1° Dérogations à l'obligation de lancer une offre prévues par l'article 52 de l'arrêté royal du 27 avril 2007

L'article 52 de l'arrêté royal du 27 avril 2007 prévoit douze dérogations à l'obligation de lancer une offre.

Le Conseil d'Etat s'est interrogé quant à la conformité de ces dérogations avec la directive qui ne prévoit, quant à elle, qu'une seule exception à l'obligation de lancer une offre, à savoir ”lorsque le contrôle a été acquis à la suite d'une offre volontaire faite conformément à la présente directive à tous les détenteurs de titres pour la totalité de leurs participations” [57]. Comme le relèvent X. Dieux et D. Willermain, cette considération n'implique toutefois pas nécessairement que d'autres dérogations soient incompatibles avec la directive, compte tenu de l'article 4.5., autorisant les Etats membres à déroger aux règles qu'ils adoptent dans le cadre de la transposition, sous réserve du respect des principes généraux énoncés à l'article 3.1. de la directive. Or l'OPA obligatoire ne figure pas en tant que telle dans les principes généraux énumérés par l'article 3.1. de la directive [58].

Si la Cour de justice avait affirmé, comme le lui demandait Audiolux, que l'OPA obligatoire constituait l'expression d'un principe général de droit communautaire d'égalité entre actionnaires, il eût été plus délicat de considérer que “les Etats membres demeurent libres de considérer que des mécanismes, autres que celui de l'OPA obligatoire, assurent une protection adéquate des actionnaires minoritaires, conformément aux objectifs de la directive, en cas de modification de contrôle. Tel est le cas, en particulier, lorsque la modification du contrôle résulte d'une augmentation de capital quel que soit l'organe qui en décide ou d'une fusion” [59]. Ainsi, s'il est admis qu'un actionnaire minoritaire ne pourrait se prévaloir, devant la CBFA ou la cour d'appel de Bruxelles, de l'éventuelle incompatibilité des exceptions prévues par l'article 52 de l'arrêté royal avec la directive compte tenu de l'absence d'effet direct de celle-ci [60], la reconnaissance d'un principe général d'égalité entre actionnaires par la Cour de justice des Communautés européennes aurait peut-être alimenté un contentieux portant sur la compatibilité de certaines de ces dérogations avec la directive 2004/25/CE.

Encore faut-il nuancer cette affirmation dans la mesure où, d'une part, la majorité des dérogations prévues par l'article 52 de l'arrêté royal interprètent la règle de l'OPA obligatoire plutôt qu'elles n'y dérogent. On pense notamment aux situations n'entraînant pas en tant que telles de modification du contrôle de la société, telles que les transactions entre sociétés liées [61], ou les cas dans lesquels il est démontré qu'un tiers détient le contrôle ou une participation supérieure [62]. Les véritables dérogations n'interviennent essentiellement que dans des hypothèses, telles que la fusion ou l'augmentation de capital, dans lesquelles le législateur a estimé que la protection des actionnaires minoritaires était adéquatemment assurée par d'autres mécanismes du droit des sociétés.

D'autre part, à considérer que ces dispositions soient véritablement incompatibles avec la directive, encore faut-il examiner la possibilité, pour des particuliers, d'invoquer directement un principe général de droit communautaire puisque, comme le relève l'avocat général Trstenjak dans ses conclusions, les principes généraux du droit communautaire ne lient en principe que les institutions communautaires et les Etats membres, ainsi que leurs émanations, mais non les particuliers entre eux [63]. Même si la jurisprudence récente de la Cour de justice montre une certaine ouverture vers l'attribution d'effets horizontaux à l'interdiction de discrimination [64], il serait hasardeux d'attribuer à ces arrêts une portée générale à l'égard de tous les domaines du droit communautaire [65].

A défaut de pouvoir se prévaloir d'un principe général de droit communautaire, resterait alors à l'actionnaire minoritaire qui s'estimerait préjudicié à invoquer la responsabilité de l'Etat belge pour n'avoir pas correctement transposé la directive européenne [66].

2° Pouvoir de dérogation de la Commission bancaire, financière et des assurances

L'article 4.5., ii), de la directive 2004/25/CE dispose que les Etats membres peuvent par ailleurs autoriser “leurs autorités de contrôle, dans leur domaine de compétence, à déroger à ces règles nationales, pour tenir compte des circonstances visées au point i) ou dans d'autres circonstances particulières, une décision motivée étant exigée dans ce dernier cas”. Cette disposition est transposée par l'article 35 de la loi OPA.

La Commission bancaire disposait déjà, en vertu de l'article 15, § 3, de l'ancienne loi du 2 mars 1989, du pouvoir d'accorder dans certains cas des dérogations motivées aux dispositions des arrêtés royaux d'exécution de la loi.

L'article 35 de la loi du 1er avril 2007 confirme ce pouvoir de dérogation de la CBFA en l'étendant. Il porte en effet désormais non seulement, comme par le passé, sur les dispositions des arrêtés d'exécution de la loi, mais aussi sur celles de la loi elle-même. Comme sous l'empire de l'arrêté royal du 8 novembre 1989 [67], se pose la question de savoir dans quelle mesure la CBFA peut déroger au droit des actionnaires minoritaires de la société visée au lancement d'une OPA obligatoire par la ou les personnes qui acquièrent des titres de cette société et franchissent ainsi le seuil de 30% des titres avec droit de vote émis par elle.

A cet égard, le Rapport annuel CBFA 1995-96 relate une décision du tribunal de commerce de Bruxelles, dans un litige opposant les actionnaires minoritaires d'une société cotée de droit belge PCB, à la société de droit luxembourgeois Brugefi Invest, à la SA de droit français OCP et à la SA de droit belge Brugefi. Sur la dérogation accordée par la Commission à OCP en juillet 1992 quant à l'obligation d'effectuer une OPA à la suite de l'acquisition du contrôle conjoint sur Brugefi Invest en 1991 dans des circonstances dont certains éléments lui avaient été celés à l'époque, le tribunal invoque notamment le fait que le pouvoir de dérogation accordé à la Commission par l'article 15, § 3, de la loi du 2 mars 1989, doit s'exercer dans le respect des objectifs de la loi, à savoir l'égalité de traitement des actionnaires, la protection des épargnants et la transparence du marché. En l'occurrence, la Commission a eu égard aux efforts financiers consentis ou encore à faire par OCP pour assurer le sauvetage de PCB, ces considérations étant étrangères aux objectifs poursuivis par le législateur et n'entrent pas dans la sphère de compétence de la Commission [68].

L'article 35 de la loi OPA semble confirmer le pouvoir de la CBFA d'accorder des dérogations, quand bien même celles-ci porteraient sur des droits subjectifs, étant cependant entendu que la Commission doit motiver expressément ces dérogations au regard des orientations générales de la loi OPA et que ces dérogations sont susceptibles de faire l'objet d'un recours devant le pouvoir judiciaire [69]. A cet égard, on voit mal comment le pouvoir de dérogation de la CBFA, reconnu tant par la loi OPA que par la directive 2004/25/CE, aurait pu s'exercer, dans le domaine des cessions de participation de contrôle, si la reconnaissance de l'OPA obligatoire en tant qu'expression d'un principe général d'égalité entre actionnaires avait été admise par la Cour de justice des Communautés européennes.

V. Conclusions

Nous retiendrons de l'arrêt commenté essentiellement des considérations de deux ordres, les premières sur le plan de la notion de principe général de droit communautaire et les secondes dans le domaine plus précis du droit des marchés financiers.

Tout d'abord, la Cour précise utilement les contours de la notion de principe général de droit communautaire, essentiellement sur le plan de ses conditions d'existence. La prudence dont témoigne l'arrêt Audiolux à cet égard peut être comprise comme une réaction aux critiques qu'avait suscitées, récemment, l'usage des principes généraux du droit communautaire par la Cour de justice [70].

L'arrêt commenté n'apporte par contre pas de précision concernant l'évolution de la jurisprudence de la Cour vers la reconnaissance d'une 'horizontalisation' des libertés communautaires [71]. En l'occurrence, dans la mesure où la Cour a considéré que les conditions d'existence d'un principe général de droit communautaire n'étaient pas remplies, elle n'a pas eu à se pencher sur la question de son hypothétique champ d'application.

En ce qui concerne, plus spécifiquement, le domaine des offres publiques d'acquisition, la Cour de justice des Communautés européennes a considéré, à juste titre selon nous, que l'adoption de la directive 2004/25/CE démontre, précisément, que le législateur européen n'a pas entendu consacrer, dans l'ordre juridique communautaire, l'existence d'un principe général d'égalité entre actionnaires tel qu'invoqué par Audiolux. Du reste, la reconnaissance d'un tel principe eût été difficilement conciliable avec le système mis en place par la directive, instituant des règles d'harmonisation minimale, mais autorisant les Etats membres ainsi que les autorités de contrôle nationales du secteur financier à déroger aux dispositions de transposition, notamment sous l'angle de l'obligation de lancer une OPA obligatoire en cas d'acquisition d'une participation de contrôle au capital d'une société cotée.

En l'occurrence, la matière des offres publiques d'acquisition se prête particulièrement mal, compte tenu de la diversité des réalités qu'elle recouvre, à la reconnaissance de principes généraux, quels qu'ils soient. Au contraire, ainsi que le prévoit le 6ème considérant de la directive, “Il convient que, pour être efficaces, les règles relatives aux offres publiques d'acquisition soient souples et permettent de faire face aux nouvelles réalités lorsque celles-ci se présentent, et que, par conséquent, elles prévoient la possibilité d'exceptions et de dérogations.” Cette constatation n'empêche pas que des orientations générales soient édictées, traduisant des objectifs à atteindre, mais dépourvues de conséquences juridiques à défaut d'une consécration par une disposition légale ou réglementaire spécifique [72].

[1] Avocate au barreau de Liège, Maître de Conférences à l'ULg.
[2] L'arrêt peut être consulté dans son intégralité à l'adresse suivante:
http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=CELEX:62008J0101:FR:HTML .
[3] Concernant l'analyse des conséquences de cet arrêt en droit luxembourgeois, voy. I. Corbisier, “Arrêt Audiolux: inexistence d'un principe général de droit communautaire protégeant les actionnaires minoritaires en cas de cession d'une participation de contrôle”, JTDE 2010, pp. 9 et s.
[4] L'auteur remercie vivement M. Nicolas Thirion, professeur à la Faculté de droit de l'Université de Liège, de l'aide précieuse apportée pour la rédaction de cette note.
[5] Le montage juridique par le biais duquel cet échange a été concrétisé est relaté dans le jugement du tribunal d'arrondissement de Luxembourg du 8 juillet 2003 (publié au DAOR 2003/65, pp. 88 et s.). Ce jugement a été suivi d'une procédure en appel (cour d'appel 12 juillet 2006, BDB 2006, n° 38) puis d'un pourvoi en cassation (Cass. Luxembourg 21 février 2008, BIJ 2008, p. 93).
[6] Il est apparu en cours de procédure que ces craintes n'étaient pas sans fondement puisque Bertelsmann a effectivement acquis, dans le courant du mois de décembre 2001, la participation détenue par Pearson TV et que RTL a procédé au retrait de ses titres de la cote de la bourse de Londres dans le courant de l'année 2002. Ce 'delisting' a fait l'objet d'une procédure distincte et d'un jugement du tribunal d'arrondissement de Luxembourg du 30 mars 2004, lequel a rejeté les demandes introduites par Audiolux (Civ. Luxembourg 30 mars 2004, R. nos 77.618, 78.179 et 79.213). En appel, cette affaire a été jointe à l'appel du jugement du 8 mars 2003.
[7] La question ne se poserait plus dans les mêmes termes aujourd'hui, au regard du droit luxembourgeois, compte tenu de la transposition de la directive 2004/25/CE du Parlement et du Conseil du 21 avril 2004 concernant les offres publiques d'acquisition par la loi du 19 mai 2006 (Mém. A, 22 mai 2006, p. 1510). L'art. 5 de cette loi transpose en effet l'obligation faite à l'acquéreur d'une participation dépassant un pourcentage des droits de vote au sein d'une société cotée (en l'occurrence 33,3%) de faire une offre en vue de protéger les actionnaires minoritaires de la société visée. A ce sujet, voy. A. Schmitt, “Les offres publiques d'acquisition au Grand-Duché de Luxembourg”, JT 2006, pp. 445 et s.
[8] Demande de décision préjudicielle présentée par la Cour de cassation (Grand-Duché de Luxembourg) le 5 mars 2008, JOCE 9 mai 2008, C-101/08.
[9] Telle que reformulée par l'avocat général Verica Trstenjak dans ses onclusions présentées le 30 juin 2009, http://curia.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=CELEX:06008C0101:FR:HTML .
[10] Point 77 et note (51) des conclusions de l'avocat général.
[11] Point 120, note (23) des conclusions de l'avocat général.
[12] Voy. le rapport du groupe de haut niveau d'experts en droit des sociétés sur les questions liées aux offres publiques d'acquisition, baptisé du nom de son président 'groupe Winter', Bruxelles 10 janvier 2002, http://ec.europa.eu/internal_market/company/docs/takeoverbids/2002-01-hlg-report_fr.pdf .
[13] Point 88 des conclusions de l'avocat général.
[14] Point 102 des conclusions de l'avocat général.
[15] Points 111 et s. des conclusions de l'avocat général.
[16] Point 107 des conclusions de l'avocat général.
[17] Point 119 des conclusions de l'avocat général.
[18] CJCE 15 octobre 2009, C-101/08, http://curia.europa.eu .
[19] Point 50 de l'arrêt.
[20] Point 57 de l'arrêt.
[21] Point 59 de l'arrêt.
[22] L'art. 42 de la deuxième directive 77/91/CEE du Conseil du 13 décembre 1976 en droit des sociétés aux termes duquel “Pour l'application de la présente directive, les législations des Etats membres garantissent un traitement égal des actionnaires qui se trouvent dans des conditions identiques” n'est, comme le fait remarquer L. Simont, formulé que pour l'application de la directive (L. Simont, “L'égalité entre les actionnaires de la société anonyme”, RPS 1997, p. 241). A cet égard, le législateur avait estimé ne pas avoir à transposer ce principe par voie de disposition légale expresse, estimant qu'il apparaissait déjà clairement de la loi et de la jurisprudence, Doc.parl. Ch. repr. 1979-80, n° 388/1, p. 12.
[23] Voy. notamment L. Fredericq, Traité de droit commercial belge, vol. V, Gand, Rombaut-Feycher, 1950, p. 698; J. Van Ryn et J. Heenen, Principes de droit commercial belge, vol. I, Bruxelles, Bruylant, 1981, pp. 235 et s.; L. Simont, l.c., pp. 235 et s.; H. Laga, “Het gelijkheidsbeginsel in het vennootshaps- en effectenrecht”, RW 1991-92, col. 1161 et s.; J.-M. Nelissen Grade, “Het gelijkheidsbeginsel in het bijzonder bij inkoop van eigen aandelen en kapitaalvermindering” in Jan Ronse Instituut (éd.), Knelpunten van dertig jaar vennootshapsrecht, Kalmhout, Biblo, 1999, p. 632; Y. De Cordt, “L'égalité entre actionnaires”, RPS 2003, p. 109; Y. De Cordt, L'égalité entre actionnaires, Bruxelles, Bruylant, 2004.
[24] A titre d'exemple, voy. les art. 32, 593 et 594, 521, 612 du Code des sociétés. Voy. à ce sujet notamment L. Simont, l.c., pp. 235 et s.
[25] Ainsi, pour commencer, sa définition même, comme “l'identité des droits et obligations afférents aux actions d'une même catégorie dont jouissent les actionnaires en proportion du nombre d'actions de cette catégorie qu'ils possèdent dans la société considérée” (Y. De Cordt, “L'égalité entre actionnaires”, RPS 2003, p. 107), laisse entendre qu'il ne fait pas obstacle à la création de différentes catégories de titres conférant à leurs détenteurs des droits différents. Pour de nombreux autres exemples d'atténuation de l'égalité, voy. Y. De Cordt, l.c., pp. 116 et s.; L. Simont, l.c., pp. 244 et s.
[26] L. Simont, o.c., p. 245; H. Laga, l.c., col. 1178 et 1179; M. Tison, “L'égalité de traitement dans la vie des affaires sous le regard du droit belge”, JT 2002, p. 703 , n° 27.
[27] Voy. L. Simont, o.c., p. 245; Y. De Cordt, o.c., pp. 100 et s. et les nombreuses références citées.
[28] Y. De Cordt, o.c., p. 122 et les nombreuses références citées; A. Bruyneel, “Les offres publiques d'acquisition, réforme de 1989”, JT 1990, pp. 141 et s.; G. Jakhian, “Chronique de jurisprudence. Les offres publiques d'acquisition (1989-2000)”, Dossiers JT, n° 26, Bruxelles, Larcier, 2001.
[29] Le droit européen est à la pointe en ce qui concerne la protection des actionnaires minoritaires. La recommandation 77/534/CE de la Commission portant code de conduite européen concernant les transactions relatives aux valeurs mobilières (recommandation de la Commission du 25 juillet 1977, JOCE L. 212/37, 20 août 1977) pose, en son point 11.C., l'égalité de traitement des actionnaires comme principe général, en ce spécialement compris dans le cas d'une cession de participation de contrôle. La 17ème disposition complémentaire dudit code fait mention de la parité de traitement à offrir aux autres actionnaires en cas de transfert d'une participation de contrôle. Par ailleurs, la plupart des directives dans le domaine des valeurs mobilières inscrivent entre autres au rang de leurs objectifs, dans la perspective de l'achèvement du marché intérieur et d'un marché européen de capitaux, l'égalité de traitement entre actionnaires (A. Bruyneel, l.c., p. 144). Voy. également la directive 79/279/CE du Conseil du 5 mars 1979 portant coordination des conditions d'admission de valeurs mobilières à la cote officielle d'une bourse de valeurs, JOCE L. 66, p. 21, citée par les requérants dans l'affaire Audiolux). L'exposé des motifs de la directive 2004/25/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 avril 2004 concernant les offres publiques d'acquisition va jusqu'à élever la protection des actionnaires minoritaires comme l'un des “objectifs fondamentaux poursuivis par le législateur européen” (exposé des motifs, JOCE C. 045 E, 25 février 2003, pp. 1-17).
[30] H. Laga, l.c., col. 1168; B. Feron et P. della Faille, “Transparence et égalité de traitement des actionnaires en matière d'OPA (suite)”, JT 2006, p. 70 , nos 40 et 41.
[31] Y. De Cordt, l.c., p. 122; Y. De Cordt et P. Colard, “Chronique de droit européen des sociétés”, JTDE 2010, p. 89. Voy. également J.-M. Nelissen Grade, “Het gelijkheidsbeginsel in het bijzonder bij inkoop van eigen aandelen en kapitaalvermindering” in Jan Ronse Instituut (éd.), Knelpunten van dertig jaar vennootschapsrecht, Kalmhout, Biblo, 1999, p. 632.
[32] Commission bancaire, Rapport annuel 1965, p. 104.
[33] La Commission bancaire émettait ces recommandations dans le cadre de l'action générale de recommandation et de conseil développée en matière de cessions privées de contrôle, action fondée non pas sur une compétence formelle mais sur le rôle confié à la CBFA dans le domaine de la protection de l'épargne publique (A. Bruyneel, o.c., p. 144, n° 11).
[34] Commission bancaire, Rapport annuel 1978-79, pp. 112-115.
[35] C. Lempereur, “La Commission bancaire et les cessions privées de participation de contrôle”, RPS 1979, pp. 127-129.
[36] En l'occurrence, la loi du 2 août 2002 relative à la surveillance du secteur financier et aux services financiers confirme cette situation.
[37] Ainsi, en matière de prospectus, la Commission n'a pas d'autre mission que celle de contrôler la qualité de l'information que le promoteur de l'opération se propose de diffuser dans le public. Elle ne peut, sous couvert de promouvoir un principe d'égalité entre investisseurs, refuser d'approuver un prospectus au motif que l'opération comporterait, à ses yeux, une violation même flagrante de l'égalité de traitement.
[38] X. Dieux, “Examen de jurisprudence. Droit financier (1990-2003)”, RCJB 2004/2, p. 247.
[39] Selon D. Schmidt, notamment, reconnaître l'existence d'un principe général d'égalité externe entre actionnaires aboutirait à des situations inadmissibles. Par exemple, si un minoritaire désire céder sa participation, d'autres minoritaires pourront-ils exiger du cessionnaire le rachat de leurs droits? Si deux actionnaires cèdent leurs titres à un même acquéreur, pourront-ils exiger que celui-ci paye à chacun le même prix? Les minoritaires sont certes dans une situation moins favorable dans la mesure où leurs titres sont moins recherchés; toutefois, selon cet auteur, cette situation ne crée pas une rupture d'égalité mais simplement une différenciation de la valeur des droits sociaux (D. Schmidt, “Quelques remarques sur les droits de la minorité dans les cessions de contrôle”, Dalloz Sirey 1972, Chron. XXXIII). En ce sens également: L. Simont, l.c., pp. 245-246, n° 20. Selon H. Laga, l'autonomie contractuelle, en vertu de laquelle chacun est libre de contracter avec qui il veut et selon les conditions qu'il souhaite, prime sur le principe d'égalité dans les relations entre les actionnaires d'une société entre eux ou à l'égard d'un tiers acquéreur (H. Laga, l.c., col. 1175-1176). Voy. également M. Huys et G. Keutgen, “La cession de contrôle”, Rev.banque 1974, pp. 779 et s.; P. Van Ommeslaghe, “Les devoirs des administrateurs et des actionnaires prépondérants envers les actionnaires d'une société en cas de contrôle de celle-ci” in Festschrift für Johannes Bärmann, pp. 1013-1015. La Commission bancaire, ainsi que certains auteurs, tentèrent néanmoins de justifier l'égalité de traitement des actionnaires en cas de cession d'une participation de contrôle sur la base, notamment, d'un devoir fiduciaire dans le chef des administrateurs ou des actionnaires de contrôle envers les actionnaires pris individuellement quant à la défense de leurs intérêts patrimoniaux en cas d'OPA. Voy. Commission bancaire, Rapport annuel 1970-71, p.142; Commission bancaire, Rapport annuel 1978-79, pp. 102-103; J. Ronse et Van Hulle, “Overzicht van rechtspraak”, TPR 1978, p. 937, nos 348 et 349. Certains auteurs considèrent que, si l'actionnaire n'est pas tenu d'un devoir fiduciaire à l'égard de la société et peut donc légitimement poursuivre ses intérêts personnels dans l'exercice de son droit de vote en vue de la maximisation de ses intérêts patrimoniaux, la bonne foi pourrait toutefois apporter des limites à l'exercice de ce droit de vote et obliger un actionnaire à prendre en compte l'intérêt des autres actionnaires. Voy. J.-M. Nelissen Grade, l.c., pp. 645-646. En ce sens également: Y. De Cordt, l.c., p. 119, selon lequel la bonne foi implique que les actionnaires assument une obligation réciproque de loyauté.
[40] Voy. Comm. Bruxelles 24 juillet 1978, RPS 1978, pp. 178 et s. et Comm. Charleroi 15 janvier 1980, RPS 1980, pp. 144 et s., qui rejetèrent cette conception. On relèvera une décision selon laquelle, si aucune disposition n'interdit à l'actionnaire majoritaire de se faire octroyer exclusivement une prime de contrôle par l'acquéreur et qu'en conséquence la convention de cession ne peut être frappée de nullité, ce comportement constitue néanmoins une violation d'une norme de déontologie des affaires ressortant du principe d'égalité de traitement, dont la violation est susceptible d'entraîner la responsabilité du cédant (Comm. Bruxelles 31 janvier 1980, JCB 1980, p. 420). Il convient de préciser, à propos de cette dernière affaire, que le cédant avait commis une infraction pénale en violant des dispositions relatives à l'information à donner à la Commission bancaire. Ce jugement fut réformé en appel, par un arrêt de la cour d'appel de Bruxelles du 8 février 1985, RPS 1985, pp. 178 et s.
[41] Arrêté royal du 8 novembre 1989 relatif aux offres publiques d'acquisition et aux modifications du contrôle des sociétés (art. 41), adopté en exécution de la loi du 2 mars 1989 relative à la publicité des participations importantes dans les sociétés cotées en bourse et réglementant les offres publiques d'acquisition. Notons que l'art. 15 de la loi du 2 mars 1989 inscrit l'égalité entre actionnaires comme objectif à imprimer à l'action réglementaire, dans le cadre de l'élaboration de l'arrêté d'exécution de cette loi. Plusieurs dispositions de l'arrêté royal d'exécution traduisent en effet expressément cet objectif de protection. Cette réglementation a été abrogée et remplacée à l'occasion de la transposition, en droit belge, de la directive 2004/25/CE relative aux offres publiques d'acquisition. A ce sujet, voy. infra, pp. 978 et s.
[42] L'art. 41, § 1er, de l'arrêté royal imposait en effet à l'acquéreur d'une participation de contrôle moyennant un prix supérieur au prix du marché “d'offrir au public la possibilité de céder tous les titres qu'il possède contre paiement du même prix ou attribution de la même contrepartie si l'acquisition des titres a été effectuée en une fois ou contre paiement d'un prix égal au prix le plus élevé ou attribution de la contrepartie la plus élevée qui a été donnée par l'acquéreur au cours des douze mois précédant l'obtention du contrôle, si l'acquisition des titres résulte de plusieurs opérations ou transactions”.
[43] Conformément à l'interprétation qui était donnée de l'art. 15 de la loi du 2 mars 1989, dans le cadre de la transposition de la directive 2004/25/CE, le législateur a expressément indiqué dans l'exposé des motifs, en ce qui concerne les orientations générales reprises dans la loi du 1er avril 2007 relative aux OPA, que ces orientations “ne sont pas de nature à créer des droits dans le chef de parties spécifiques”.
[44] Comm. Anvers 26 octobre 1995, TRV 1996, pp. 409 et s. Comme le relèvent B. Feron et P. della Faille, la Commission bancaire (devenue, à cette époque, la Comission bancaire et financière) avait tenté, dans le cadre de cette affaire, de faire revivre sa doctrine élaborée avant l'entrée en vigueur de l'arrêté royal du 8 novembre 1989 et d'étendre le champ d'application de cet arrêté, par le biais d'une obligation à caractère déontologique d'égalité de traitement des actionnaires, aux cessions de participation de contrôle de sociétés n'ayant pas fait appel public à l'épargne. Cette position n'a pas été suivie par le tribunal de commerce d'Anvers, dont la position est largement approuvée par la doctrine: voy. M. Tison, l.c., p. 704, selon lequel “Il faut se garder de voir dans la réglementation concernant le transfert de contrôle la consécration d'un principe général d'égalité de traitement tel qu'il s'articulait déjà dans la jurisprudence prétorienne de la Commission bancaire. Par conséquent, la personne qui acquiert le contrôle d'une société et qui n'entre pas dans le champ d'application de l'arrêté royal du 8 novembre 1989 ne sera pas tenue de reprendre les titres des actionnaires minoritaires et, plus généralement, de respecter l'égalité entre actionnaires.” En ce sens, H. Laga, l.c., col. 1176; J.-M. Nelissen Grade, “Het openbaar bod: zes jaar ervaring” in K. Byttebier et R. Feltkamp (éds.), De regulering van het beursapparaat, Bruges, la Charte, 1997, pp. 87-88.
[45] Comm. Bruxelles (réf.) 8 novembre 1993, TRV 1994, pp. 96 et s.; Comm. Bruxelles (réf.) 20 octobre 1993, TRV 1994, pp. 89 et s.; Comm. Bruxelles (réf.) 12 mars 1993, TRV 1993, pp. 326 et s.
[46] M. Tison, l.c., p. 704.
[47] X. Dieux écrit ainsi que l'art. 4 de l'arrêté royal du 31 mars 2003 relatif aux obligations des émetteurs d'instruments financiers admis aux négociations sur un marché réglementé, suivant lequel “les émetteurs assurent un traitement égal des détenteurs d'instruments financiers qui se trouve dans une situation identique”, ne saurait être interprété comme la consécration, en dehors de son champ d'application propre, d'un tel principe général au risque de sacrifier “l'impératif de sécurité juridique à des constructions juridiques très incertaines” (X. Dieux, l.c., p. 248). En sens inverse, on a vu resurgir la théorie des devoirs fiduciaires imposant aux administrateurs ou aux actionnaires de contrôle de veiller aux intérêts patrimoniaux des autres actionnaires (voy., à cet égard, J.-M. Gollier, “L'OPA volontaire de l'actionnaire minoritaire - Commentaire des affaires Tractebel et Cobepa”, RPS 2001, p. 23).
[48] Cass. 10 mars 1994, Pas. 1994, I, pp. 235 et s.; H. Laga, “Het cassatiearrest van 10 maart 1994 inzake Wagons-Lits en het verplicht openbaar bod (art. 41 KB van 8 november 1989)”, TRV 1995, pp. 184 et s. Voy. également: F. Glansdorff, note sous Cass. 10 mars 1994, RDC 1995, pp. 20 et s.; A. Bruyneel, “Wagons-Lits… (Où en est la réglementation belge des OPA après l'arrêt du 10 mars 1994?)”, Rev.banque 1994, pp. 255 et s.; F. Mourlon Beernaert, “La querelle des anciens et des modernes. A propos de l'affaire Wagons-Lits”, DAOR 1994, n° 32, pp. 59 et s.
[49] Plus récemment, la Cour constitutionnelle, saisie notamment d'une question préjudicielle portant sur la compatibilité avec les articles 10 et 11 de la Constitution de l'art. 513, § 1er, du Code des sociétés, en ce qu'il établit une différence de traitement entre, d'une part, les actionnaires qui détiennent 95% des titres d'une société cotée et qui sont en droit de lancer une offre publique de reprise et, d'autre part, les autres actionnaires minoritaires d'une même société qui ne peuvent exiger un tel rachat, la Cour a estimé qu' “est conforme à l'objectif que poursuit le législateur en instaurant la règle de l'offre de reprise forcée, la mesure qui réserve ce droit au groupe d'actionnaires le plus concerné par l'objectif de favoriser le bon fonctionnement et l'évolution de la société. Faute d'un intérêt identique de leur part, les actionnaires minoritaires qui détiennent moins de 5 pour cent des titres constituent une catégorie objectivement définie qu'il est raisonnablement justifié de traiter différemment. Compte tenu de la protection particulière déjà offerte à ces actionnaires minoritaires dans le cadre de la législation sur les sociétés, la mesure n'apparaît pas disproportionnée à l'objectif que poursuit le législateur” (CA 14 mai 2003, n° 64/2003, spéc. B.9. et 10., p. 17).
[50] Comm. Bruxelles (réf.) 26 octobre 1999, RPS 2001, pp. 142 et s. Voy. également Comm. Bruxelles (réf.) 7 septembre 2000, RPS 2001, pp. 159 et s.
[51] Bruxelles 19 janvier 2001, RPS 2001, pp. 93 et s.; Dr.banc.fin. 2001/2, note D. Willermain.
[52] B. Feron et P. della Faille, l.c., p. 74, nos 61 et s.; M. Tison, l.c., p. 704, n° 33.
[53] L'art. 5, intitulé “Protection des actionnaires minoritaires, offre obligatoire et prix équitable”, prévoit en son point 1.: “Lorsqu'une personne physique ou morale détient, à la suite d'une acquisition faite par elle-même ou par des personnes agissant de concert avec elle, des titres d'une société au sens de l'article 1er, paragraphe 1, qui, additionnés à toutes les participations en ces titres qu'elle détient déjà et à celles des personnes agissant de concert avec elle, lui confèrent directement ou indirectement un pourcentage déterminé de droits de vote dans cette société lui donnant le contrôle de cette société, les Etats membres veillent à ce que cette personne soit obligée de faire une offre en vue de protéger les actionnaires minoritaires de cette société. Cette offre est adressée dans les plus brefs délais à tous les détenteurs de ces titres et porte sur la totalité de leurs participations, au prix équitable défini au paragraphe 4.”
[54] MB 26 avril 2007.
[55] MB 23 mai 2007.
[56] Ces orientations générales sont reprises à l'art. 9 de la loi du 1er avril 2007. Elles ne sont pas de nature à créer des droits dans le chef de parties spécifiques, comme le précise expressément l'exposé des motifs, p. 21.
[57] Art. 5.2 de la directive.
[58] X. Dieux et D. Willermain, Les OPA en droit belge et européen après la directive du 21 avril 2004 et la loi du 1er avril 2007”, RPS 2007, p. 76. Voy. également X. Dieux, “Examen de jurisprudence. Droit financier (1990-2003)”, RCJB 2005, p. 385, n° 39 et les réf. citées.
[59] X. Dieux et D. Willermain, l.c., p. 76.
[60] Ibid., pp. 77 et 78.
[61] Art. 52, § 1er, 2°, de l'arrêté royal.
[62] Art. 52, § 1er, 3°, de l'arrêté royal.
[63] Conclusions de l'avocat général, point 120.
[64] CJCE 6 juin 2000, C-281/98, Angonese / Cassa di Risparmio di Bolzano, Rec., 2000, p. I-4139; voy. également les références citées par l'avocat général en note (94) de ses conclusions.
[65] M. Tison, l.c., p. 701, n° 19.
[66] X. Dieux et D. Willermain, l.c., p. 78, note (130).
[67] A ce sujet, voy. M. Fyon, l.c., nos 186 et s.; A. Bruyneel, l.c., Rev.banque 1994, p. 256; X. Dieux, l.c., RCJB 2005, pp. 398-400, n° 48; H. Laga, l.c.., pp. 187-188.
[68] CBFA, Rapport annuel 1995-96, pp. 106-109.
[69] M. Fyon, l.c., nos 186 et s.
[70] L'arrêt 'Mangold', par lequel la Cour de justice reconnaissait l'existence d'un principe général de droit communautaire d'interdiction des discriminations fondées sur l'âge, avait été férocement critiqué (CJCE 22 novembre 2005, JO C. 146, 11 février 2006). A ce sujet, voy. notamment D. Martin, Egalité et non-discrimination dans la jurisprudence communautaire - Etude critique à la lumière d'une approche comparatiste, Bruxelles, Bruylant, 2006, p. 113; D. Martin, “L'arrêt Mangold. Vers une hiérarchie inversée du droit à l'égalité en droit communautaire?”, JTT 2006 pp. 109 et s.; R. Herzog et L. Gerken, Stop the European Court of Justice 10 septembre 2008, www.EUobseverver.com . La Cour semble depuis lors avoir fait marche arrière en abandonnant l'idée de l'existence d'un tel principe général. Voy. notamment C. Canazza, “Arrêt Palacios: la Cour tempère l'interdiction des discriminations fondées sur l'âge”, JTDE 2008, pp. 79 et s.
[71] Voy. notamment M. Tison, l.c., p. 701, n° 19.
[72] C'est en ce sens que doivent être comprises les références aux principes généraux notamment dans l'alinéa 2 du 6ème considérant de la directive, selon lequel “Toutefois, en appliquant toute règle ou exception établie ou en accordant toute dérogation, il convient que les autorités de contrôle se conforment à certains principes généraux” et l'art. 3 de la directive. Comme le confirme la Cour de justice, “il s'agit seulement de principes directeurs pour l'application de la directive par les Etats membres”.