Article

Cour de cassation, 11/06/2009, R.D.C.-T.B.H., 2009/9, p. 884-886

Cour de cassation 11 juin 2009

DROIT DES OBLIGATIONS - PRINCIPES GENERAUX
Intérêts - Moratoires - Dette de somme - Notion
L'obligation d'un assureur de payer une indemnité constituant la réparation d'un dommage suivant une évaluation intervenue après la survenance d'un sinistre ne constitue pas une dette de somme telle que visée à l'article 1153 C.civ.
VERBINTENISSENRECHT - ALGEMENE BEGINSELEN
Interest - Moratoir - Geldschuld - Begrip
De verbintenis van een verzekeraar tot het vergoeden van schade volgens een begroting die plaatsvindt nadat het schadegeval zich voordeed, is geen geldschuld zoals bedoeld in artikel 1153 BW.

N.R. / SA Fortis Insurance Belgium

Siég.: C. Storck (président), D. Batselé, A. Fettweis, D. Plas et A. Simon (conseillers)
M.P.: Ph. de Koster (avocat général délégué)
Pl.: Mes M. Mahieu et I. Heenen
I. La procédure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 25 juin 2007 par la cour d'appel de Bruxelles.

Le président Christian Storck a fait rapport.

L'avocat général délégué Philippe de Koster a conclu.

II. Les moyens de cassation

Le demandeur présente deux moyens libellés dans les termes suivants:

Premier moyen
Dispositions légales violées

- article 149 de la Constitution;

- article 1138, 3° du Code judiciaire.

Décisions et motifs critiqués

Par tous ses motifs concernant “l'indemnité relative au bâtiment”, qui doivent être considérés comme étant ici expressément reproduits, l'arrêt attaqué rejette implicitement l'action du demandeur en tant que celle-ci tendait à la condamnation de la défenderesse à lui payer la somme de 8.676,27 EUR à titre de chômage immobilier.

Griefs

En vertu de l'article 149 de la Constitution, tout jugement doit être motivé.

L'article 1138, 3° du Code judiciaire dispose que l'on peut se pourvoir en cassation contre les décisions rendues en dernier ressort lorsqu'il a été omis de prononcer sur l'un des chefs de demande.

Comme le reconnaît expressément l'arrêt interlocutoire prononcé le 11 septembre 2006, le demandeur a formé contre le jugement entrepris un appel incident, visant à obtenir le bénéfice de ses prétentions originaires. Parmi celles-ci, le demandeur demandait la condamnation de la défenderesse à lui payer la somme de 8.676,27 EUR à titre de chômage immobilier.

L'arrêt précité du 11 septembre 2006, après avoir rappelé que les experts désignés par les parties avaient conclu comme il suit sur l'importance des dommages:

- montants des dommages réels causés par le sinistre ou résultant de celui-ci et dont la garantie est prévue dans la police

- bâtiment: valeur à neuf: 6.134.000 FB hors tva

valeur réelle: vétusté 20%

- contenu: 6.262.953 FB en valeur réelle

- chômage immobilier: 350.000 FB t.t.c.,

décide de réserver à statuer sur l'ensemble des montants des diverses indemnités revenant en principal et intérêts au demandeur.

L'arrêt attaqué dit l'appel incident du demandeur partiellement fondé et condamne la défenderesse à l'indemniser pour une série de postes. Par aucune de ses considérations, l'arrêt ne répond à ni ne statue sur la demande d'indemnisation relative au chômage immobilier des bâtiments. S'agissant d'un poste du dommage distinct et indépendant du poste relatif au chômage commercial, les motifs de l'arrêt qui sont consacrés à ce poste du dommage ne peuvent être considérés comme une réponse aux moyens du demandeur relatifs au chômage immobilier ou comme une justification d'un refus d'allouer l'indemnité afférente à ce chômage.

L'arrêt attaqué viole ainsi l'article 149 de la Constitution.

En tant qu'il omet de se prononcer sur l'un des chefs de demande exposés par le demandeur, l'arrêt attaqué viole également l'article 1138, 3° du Code judiciaire.

Second moyen
Dispositions légales violées

Articles 1134, 1147 et 1153 du Cod. civil

Décisions et motifs critiqués

L'arrêt attaqué condamne la défenderesse à payer au demandeur, pour le poste “véhicules”, la somme de 98.661,62 EUR, augmentée des intérêts aux taux successifs de l'intérêt légal moratoire depuis le 23 avril 2004 jusqu'au parfait paiement, à titre de réparation du préjudice subi par la perte des véhicules entreposés dans le garage incendié, par tous ses motifs, qui doivent être considérés comme étant expressément reproduits, et particulièrement aux motifs suivants:

“En ce qui concerne l'indemnité due pour les véhicules, elle n'est exigible qu'à dater du dépôt du rapport de l'expert (23 avril 2004); pour le surplus, la citation introductive d'instance du 27 juillet 1993 vaut mise en demeure; la sommation de payer peut être antérieure à la date d'exigibilité de la dette (cf. Cass. 19 juin 1989, Pas., I, pp. 1132 et s.); dans ce cas, les intérêts ne seront dus qu'à partir de la date d'exigibilité de la dette.”

Griefs

L'article 1153 du Code civil dispose que, “dans les obligations qui se bornent au paiement d'une certaine somme, les dommages et intérêts résultant du retard dans l'exécution ne consistent jamais que dans les intérêts légaux, sauf les exceptions établies par la loi. Ces dommages et intérêts sont dus sans que le créancier soit tenu de justifier d'aucune perte. Ils sont dus à partir du jour de la sommation de payer, excepté dans le cas où la loi les fait courir de plein droit”.

Les intérêts moratoires prévus par cette disposition réparent, dans les conditions qu'elle détermine, le préjudice subi par le créancier en suite du retard de l'exécution par le débiteur de son obligation de payer la somme due.

L'article 1153 du Code civil subordonne la prise de cours des intérêts moratoires à deux conditions, à savoir l'exigibilité de la dette et l'existence d'une sommation de payer. Suivant cette même disposition, une créance est exigible lorsqu'elle est actuellement due, en sorte que son titulaire peut en exiger le paiement immédiat, et ce, même lorsqu'elle n'est pas encore déterminée quant à son montant.

Suivant le contrat d'assurance souscrit par le demandeur auprès de la défenderesse le 11 février 1992 (police n° 03/46.379.753/00), cette dernière est tenue d'assurer les bâtiments du demandeur situés avenue du Port et rue Ulens contre le risque d'incendie. La garantie s'étend aux véhicules entreposés dans lesdits bâtiments.

Le contrat ne contient aucune stipulation spécifique quant au délai de paiement des indemnités dues en vertu de celui-ci, sauf en ce qui concerne l'indemnité réparant le dommage affectant le bâtiment. En vertu de l'article 6 des conditions communes du contrat susvisé, ladite indemnité est payée au fur et à mesure de la reconstruction ou de la reconstitution de l'immeuble.

En l'espèce, l'arrêt attaqué alloue une indemnité de 98.661,62 EUR à titre de réparation du préjudice subi par la perte des véhicules entreposés dans le garage incendié. En ce qui concerne les intérêts, l'arrêt attaqué alloue des intérêts moratoires à partir du 23 avril 2004, étant la date de dépôt du rapport d'expertise judiciaire.

En tant qu'il décide que les intérêts moratoires ne sont pas dus avant le 23 avril 2004 au motif que la créance n'est pas exigible avant cette date, alors que l'obligation de la défenderesse de couvrir le préjudice résultant de la perte des véhicules litigieux est née lors de la réalisation du risque, soit le 27 février 1992, et que le demandeur a mis la défenderesse en demeure de s'exécuter au plus tard le 27 juillet 1993, date de la citation introductive d'instance, l'arrêt attaqué viole les dispositions visées au moyen.

III. La décision de la Cour
Sur le premier moyen

L'arrêt attaqué, qui rejette la demande du demandeur en réparation du chômage immobilier, n'omet pas de statuer sur l'un des chefs de la demande.

Pour le surplus, dès lors que le demandeur déduisait en conclusions ce préjudice “du fait [qu'il] n'a[vait] pu poursuivre, comme il le souhaitait, l'exercice de son activité commerciale dans les locaux pendant dix-huit mois après la signature de l'acte authentique”, l'arrêt, en considérant, par les motifs qu'il énonce, “qu'il n'est pas établi à suffisance que le sinistre a été la cause de l'interruption de l'activité commerciale [du demandeur]”, répond aux conclusions de celui-ci visées au moyen.

Le moyen manque en fait.

Sur le second moyen

Lorsque l'obligation prévue par un contrat d'assurance de payer une indemnité constituant la réparation d'un dommage à des biens doit faire l'objet d'une évaluation après la survenance du sinistre, cette obligation ne constitue pas, avant son évaluation, une dette de somme au sens de l'article 1153 du Code civil.

Le moyen, qui revient à soutenir que les intérêts moratoires sont dus en vertu de l'article 1153 du Code civil, soit depuis la survenance du risque, soit depuis la mise en demeure, manque en droit.

Par ces motifs,

La Cour

Rejette le pourvoi;

Condamne le demandeur aux dépens.

Les dépens taxés à la somme de 503,29 EUR envers la partie demanderesse et à la somme de 165,79 EUR envers la partie défenderesse.

(…)