Cour de cassation 2 octobre 2008
OBLIGATIONS CONVENTIONNELLES
Exécution de l'obligation - Exception de non-exécution - Intérêt moratoire - Non dû
Lorsque l'exécution de l'obligation est suspendue suite à un recours à bon droit à l'exception d'inexécution, la partie qui suspend l'exécution de l'obligation n'est pas redevable des intérêts moratoires.
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VERBINTENISSEN UIT OVEREENKOMST
Nakoming verbintenis - Exceptie van niet-uitvoering - Moratoire interest - Niet verschuldigd
Wanneer de uitvoering van de verbintenis is opgeschort door een terecht beroep op de niet-uitvoeringsexceptie, is de partij die de uitvoering van de verbintenis opschort geen moratoire interesten verschuldigd.
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SA en liquidation Service Center N° 1 / SA Honda Belgium
Siég.: C. Parmentier (président de section), D. Batselé, A. Fettweis, D. Plas et Ch. Matray (conseillers) |
M.P.: Th. Werquin (avocat général) |
Pl.: Mes I. Heenen et C. Draps |
I. | La procédure devant la Cour |
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 12 juin 2006 par la cour d'appel de Liège, statuant comme juridiction de renvoi ensuite de l'arrêt de la Cour du 15 mai 2003.
Le conseiller Christine Matray a fait rapport.
L'avocat général Thierry Werquin a conclu.
II. | Le moyen de cassation |
La demanderesse présente un moyen libellé dans les termes suivants:
Dispositions légales violées |
- principe général du droit relatif à l'exception d'inexécution en matière de contrats synallagmatiques;
Décisions et motifs critiqués |
L'arrêt condamne la demanderesse au paiement des intérêts moratoires sur les factures dues à la défenderesse et fait courir ces intérêts moratoires, qu'elle qualifie de judiciaires, depuis le 3 novembre 1992, date de la citation introductive d'instance aux motifs que:
“Il est donc jugé que [la demanderesse] s'est prévalue à bon droit le 5 août 1992 de l'exception d'inexécution.
[La défenderesse] soutient que 'le mécanisme de l'exception d'inexécution invoqué par [la demanderesse] en raison du blocage des livraisons cesse de produire ses effets au moment de la résiliation du contrat de distribution dès lors qu'à compter de cette (date), la livraison des véhicules a été définitivement interrompue'.
Cette position ne peut être suivie.
L'effet primitif de cette exception est simplement suspensif: elle permet à une partie de suspendre l'exécution de son obligation (de retenir sa prestation) aussi longtemps que son cocontractant ne s'est pas acquitté de la sienne. Ce moyen de défense a donc un caractère temporaire; dès que la partie défaillante honorera ses obligations, le contrat reprendra son cours normal.
De l'arrêt de la Cour de cassation du 13 septembre 1973 (RCJB 1974, p. 352), il ressort toutefois que l'exception d'inexécution peut se transformer en un moyen de défense permanent. Elle peut jouer un rôle de garantie puisque, selon la Cour, 'la circonstance que la défaillance du cocontractant est devenue définitive en raison de sa faillite ne prive pas l'autre partie du bénéfice de l'exception' (P. Wéry, “Les sanctions de l'inexécution des obligations contractuelles” in Le droit des obligations contractuelles et le bicentenaire du Code civil, n° 61, p. 345).
Il en va de même lorsque la défaillance du cocontractant devient définitive parce que celui-ci a résilié unilatéralement et fautivement le contrat qui liait les parties.
Cette solution se justifie par le fondement même de l'exception d'inexécution qui doit être trouvé dans la connexité des obligations contractuelles (M. Grégoire, “L'exception d'inexécution et le droit de rétention” in Les obligations contractuelles, Editions du Jeune Barreau, 2000, n° 23, p. 551).
L'exception d'inexécution prend donc fin lorsque le cocontractant a remédié à ses manquements ou lorsque les conséquences de ceux-ci ont été réparées par l'octroi d'une indemnité couvrant le préjudice subi par l'excipiens.
Il reste que si l'exception d'inexécution a pour effet de suspendre l'exécution du rapport obligatoire, elle n'en éteint aucune des composantes.
L'accroissement éventuel des obligations du débiteur en période couverte par l'exception d'inexécution sera nécessairement compensé par la charge des dommages et intérêts dus par son cocontractant coupable du manquement contractuel ayant justifié l'exception d'inexécution.
[La défenderesse] réclame la condamnation de [la demanderesse] au paiement d'une clause pénale de 15% ainsi que des intérêts conventionnels au taux de 8% à compter de l'échéance des factures jusqu'au 2 novembre 1992 et des intérêts judiciaires à partir de la citation du 3 novembre 1992.
Ses prétentions sont fondées sur l'article 7 des conditions de vente, de service et de garantie à la clientèle figurant à l'annexe C du contrat de distribution du 23 janvier 1981, qui prévoit que les factures sont payables dans le délai de trente jours fin de mois de livraison et que toute somme non payée dans ce délai emporte la débition d'une indemnité de 15% du principal restant dû et d'un intérêt calculé 'aux taux en vigueur'.
Il ne saurait être question d'allouer à [la défenderesse] le bénéfice d'une clause pénale dans la mesure où il [a été] jugé que le défaut de paiement des factures est la conséquence de ses fautes.
Il faut préciser qu'au jour où les relations entre parties ont pris fin, [la défenderesse] n'avait pas plus réclamé le paiement des intérêts de retard que [celui] d'une indemnité conventionnelle. Il existait en effet entre parties depuis de nombreuses années un encours que [la demanderesse] avait entrepris de résorber suivant un plan de paiement convenu le 21 mai 1991.
[La défenderesse] ne se prévaut pas de la clause spéciale de non-renonciation figurant à l'article 16 du contrat du 23 janvier 1981, ce qui permet d'exclure toute réclamation des intérêts de retard pour les factures impayées avant la date de la citation introductive d'instance.
Le taux d'intérêt de 8% réclamé par [la défenderesse] correspond au taux de l'intérêt légal en vigueur en 1992. C'est donc le taux de l'intérêt légal qui sera retenu avec sa modification intervenue en 1996.
Il s'observe ainsi que la charge des intérêts produits par les factures impayées se compense avec les intérêts alloués par la cour d'appel de Bruxelles (arrêt du 6 mai 2004) à partir du 20 octobre 1992 sur les indemnités allouées à [la demanderesse] en application de la loi du 27 juillet 1961 relative à la résiliation unilatérale des concessions de vente exclusive.”
Griefs |
La demanderesse concluait devant la cour [d'appel] qu'il avait été définitivement jugé qu'elle avait à bon droit suspendu le paiement des factures qui lui étaient réclamées et à ce qu'il soit, en conséquence, dit pour droit qu'aucun intérêt ne pourrait être dû sur la créance de factures impayées invoquée à son encontre par la défenderesse.
L'arrêt attaqué, après avoir admis qu'il était définitivement jugé que la demanderesse avait invoqué légitimement l'exceptio non adimpleti contractus [du contrat non exécuté] pour suspendre le paiement des factures qui lui était réclamé par la défenderesse aux termes de son exploit introductif d'instance, condamne néanmoins la demanderesse aux intérêts judiciaires depuis la date de cette citation, soit le 3 novembre 1992.
Or, puisqu'il avait été constaté judiciairement que la demanderesse était ainsi en droit de suspendre le paiement de ces factures, elle ne pouvait être condamnée au paiement d'intérêts judiciaires depuis la date de la citation.
Les intérêts judiciaires, qu'ils soient compensatoires ou moratoires, ont pour objet de réparer un préjudice imputable à la partie adverse.
Les intérêts moratoires, plus particulièrement, sanctionnent le retard fautif du débiteur à s'acquitter de son obligation. Ceci résulte directement du texte de l'article 1153 du Code civil (Ph. Laconte, “Les intérêts compensatoires et moratoires en matière contractuelle”, JT 2005, p. 529; J.-L. Fagnart, “Les intérêts ou le prix de la patience”, RGDC 2006, p. 191).
La Cour décide d'ailleurs que n'est pas légalement justifiée la décision qui condamne une partie au paiement d'intérêts moratoires sans rechercher si son retard à s'exécuter lui est imputable (Cass. 17 octobre 2002, Pas. 2002, I, p. 549).
Autrement dit, le débiteur ne peut être condamné au paiement d'intérêts moratoires que s'il est en défaut de payer une dette exigible.
Or, tel ne peut être le cas du débiteur qui refuse de payer sous le couvert de l'exception d'inexécution invoquée légitimement.
L'exception d'inexécution est en effet un moyen de défense qui permet au créancier insatisfait de suspendre l'exécution de ses obligations jusqu'à ce que son cocontractant s'exécute ou offre de s'exécuter (P. Wéry, “L'exception d'inexécution dans la jurisprudence de la Cour de cassation”, RGDC 2006, 40; C. Man, “L'exception d'inexécution comme instrument de prévention: vers un principe général de sanction de l'inexécution anticipée”, JLMB 2005, p. 1066).
L'exception a ainsi pour effet de suspendre l'exécution des obligations de celui qui l'oppose. Ces obligations ne sont par conséquent pas exigibles dans le chef de celui-ci pendant la durée de cette suspension.
Il en résulte nécessairement que celui qui invoque légitimement l'exception d'inexécution ne peut se voir reprocher un retard de paiement et être condamné à des intérêts moratoires pour la période durant laquelle il a pu suspendre l'exécution de ses obligations.
L'arrêt admet que, par l'effet de l'exception d'inexécution, la défenderesse ne pouvait se voir allouer la clause pénale figurant dans le contrat de concession litigieux, ni les intérêts au taux conventionnel depuis l'échéance des factures. Ces montants ne pouvaient en effet être dus qu'en cas de retard fautif dans l'exécution.
La cour [d'appel] devait étendre ce raisonnement, juridiquement exact pour les raisons précitées, aux intérêts judiciaires réclamés en outre par la défenderesse, puisque ceux-ci, également, ne pouvaient être dus qu'en cas de retard fautif à s'exécuter.
La cour [d'appel] tente de justifier son raisonnement par le fait que “la charge d'intérêts produits par les factures impayées se compense avec les intérêts alloués par la cour d'appel (...) sur les indemnités allouées à [la demanderesse] en application de la loi du 27 juillet 1961 relative à la résiliation unilatérale des concessions exclusives de vente”.
Cette considération, qui ne serait que de pure équité, n'est évidemment pas de nature à déroger aux principes juridiques bien établis résultant de la nature des intérêts judiciaires et de l'effet de l'exception d'inexécution sur leur débition.
En outre, le raisonnement de la cour [d'appel] aboutit en réalité à des conséquences tout à fait inéquitables. Par l'effet de la compensation, le bénéficiaire de l'indemnité, même si celle-ci est augmentée d'intérêts moratoires ou compensatoires, se voit privé de celle-ci en tout ou en partie, à concurrence d'intérêts de retard qui, pourtant, ne sont pas dus.
En mettant ainsi à charge de la demanderesse les intérêts judiciaires depuis la date de la citation, l'arrêt méconnaît le principe général du droit relatif à l'exception d'inexécution et l'article 1153 du Code civil.
III. | La décision de la Cour |
Sur la fin de non-recevoir opposée par la défenderesse au moyen et déduite du défaut d'intérêt |
La défenderesse fait valoir que les motifs de l'arrêt que critique le moyen justifiaient que la cour d'appel opérât la compensation des dettes des parties au 20 octobre 1992, ce qui eût placé la demanderesse dans la même situation que celle qui résulte de l'arrêt attaqué.
S'il est en son pouvoir de substituer à un motif erroné de la décision attaquée un motif de droit par lequel cette décision se trouve légalement justifiée, la Cour ne saurait, en revanche, sans excéder ses pouvoirs, modifier cette décision elle-même.
La fin de non-recevoir ne peut être accueillie.
Sur le moyen |
Après avoir considéré que la demanderesse s'était prévalue à bon droit de l'exception d'inexécution et avait, dès lors pu différer le paiement des factures établies par la défenderesse, l'arrêt ne justifie pas légalement sa décision d'accorder à la défenderesse des intérêts moratoires à partir de la citation introductive d'instance, alors que l'exigibilité de la dette de la demanderesse était suspendue.
Le moyen est fondé.
Par ces motifs,
La Cour
Casse l'arrêt attaqué en tant qu'il majore la condamnation qu'il prononce à charge de la demanderesse des intérêts judiciaires au taux légal depuis le 3 novembre 1992 et en tant qu'il statue sur les dépens;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l'arrêt partiellement cassé;
Réserve les dépens pour qu'il soit statué sur ceux-ci par le juge du fond;
Renvoie la cause, ainsi limitée, devant la cour d'appel de Mons.
(…)