Tribunal de commerce de Nivelles 9 juillet 2009
INSOLVABILITE - CONTINUITE DES ENTREPRISES
Réorganisation judiciaire - Généralités - Recevabilité - Pièces à produire - Deux derniers comptes annuels
Les deux derniers comptes annuels doivent être impérativement déposés en annexe à la requête sollicitant l'ouverture d'une procédure de réorganisation judiciaire.
S'il est évident qu'il ne s'agit pas de sanctionner un débiteur aux abois dont le désordre des affaires l'empêche de produire des éléments très fiables, le but de la réorganisation est cependant de donner une solution aux problèmes de l'entreprise.
L'absence de comptes annuels ne représente en l'espèce ni une négligence ni un oubli car il est clairement établi que ces comptes ne pourront pas, en l'état actuel, être rédigés, en manière telle qu'une solution aux problèmes de l'entreprise dans le cadre d'une réorganisation, est illusoire et qu'il convient d'opter pour d'autres voies. La requête est dès lors irrecevable.
En outre, étant donné la désignation préalable d'administrateurs provisoires sur le fondement de l'article 8 de la loi sur les faillites, le tribunal constate que la procédure en réorganisation judiciaire apparaît avoir été diligentée à des fins dilatoires ou à tout le moins superfétatoires.
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INSOLVENTIE - CONTINUÏTEIT VAN DE ONDERMENINGEN
Gerechtelijke reorganisatie - Algemeen - Ontvankelijkheid - Over te leggen stukken - Twee recentste jaarrekeningen
De twee recentste jaarrekeningen moeten imperatief worden neergelegd als bijlage bij het verzoekschrift tot opening van een procedure van gerechtelijke reorganisatie.
Hoewel het niet de bedoeling is om een schuldenaar af te straffen die ten einde raad is en die, gelet op de wanorde in zijn zaken, niet in de mogelijkheid verkeert om zeer betrouwbare elementen over te leggen, strekt de reorganisatie er desondanks toe een oplossing te bieden aan de problemen van de onderneming.
In onderhavig geval is het niet zo dat de schuldenaar zou hebben verzuimd of vergeten de jaarrekeningen over te leggen, nu het duidelijk vaststaat dat die jaarrekeningen, in de huidige stand van zaken, niet zullen kunnen worden opgesteld, zodat het nastreven van een oplossing voor de problemen van de onderneming in het raam van een reorganisatie illusoir is en dat het aangewezen is om andere middelen aan te wenden. Het verzoekschrift is dus niet ontvankelijk.
Bovendien, gelet op de voorafgaande aanstelling van voorlopige bewindvoerders op basis van artikel 8 van de Faillissementswet, stelt de rechtbank vast dat de procedure tot gerechtelijke reorganisatie blijkt te zijn aangewend als een vertragingsmanoeuvre of op zijn minst overbodig is.
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SPRL JPS Finances / SA ING Belgique
Siég.: D. Babette (président de la chambre), M. Vulhopp et J.-P. Jaucot (juges consulaires) |
Pl.: Mes Ph. Lienard et V. de Francquen |
Vu:
- la requête en réorganisation judiciaire déposée au greffe du tribunal le 26 juin 2009;
- l'ordonnance du 30 juin 2009 prononcée en application de l'article 18 de la loi du 31 janvier 2009 relative à la continuité des entreprises.
- la requête en intervention volontaire déposée le 7 juillet 2009;
- le rapport du juge délégué déposé et lu à l'audience du 9 juillet 2009;
- la loi du 15 juin 1935 sur l'emploi des langues en matière judiciaire.
Entendu en chambre du conseil le 9 juillet 2009 monsieur le juge délégué en son premier rapport, le conseil de la requérante ainsi que le gérant de celle-ci et le conseil de l'intervenante volontaire,
Entendu à la même audience madame le procureur du Roi en son avis oral défavorable à la requête;
Après délibéré, le jugement suivant est prononcé.
1. | La demande soumise au tribunal |
La SPRL JPS Finances a, par requête déposée le 26 juin 2009, sollicité l'ouverture d'une procédure de réorganisation judiciaire par accord amiable en vue d'obtenir que soit préservée, sous le contrôle d'un juge délégué, la continuité de son entreprise.
La SPRL JPS Finances propose, en cas d'ouverture de la procédure, que la durée du sursis soit portée à six mois, en application de l'article 24 § 2 de la loi du 31 janvier 2009 relative à la continuité des entreprises (ci-après “la loi”).
2. | Les antécédents |
La SPRL JPS Finances, dénommée au moment de sa constitution, SPRL Govaere, est une société holding; son actif essentiel est constitué du capital de la SA Graphinvest dont la faillite a été déclarée ouverte par jugement du tribunal de commerce de Bruxelles du 8 juillet 2008; le seul actif de la SA Graphinvest est constitué d'un immeuble situé à Bruxelles.
Les actionnaires de la société sont messieurs J. P. Ortmans et S. Huyghebaert; ils ont exercé ensemble les fonctions de gérants jusqu'au 9 décembre 2005, date de la démission de monsieur Ortmans, monsieur Huyghebaert assumant désormais seul la gérance conformément aux statuts de la société.
Le 14 avril 2004, la SA ING Belgique a consenti à JPS Finances un crédit d'investissement de 250.000 EUR.
Les 14 et 17 mai 2004, deux versements ont été effectués à partir du compte de la SPRL JPS Finances vers le compte de monsieur Ortmans pour des sommes de 100.000 EUR et 300.000 EUR.
Par courrier du 22 mai 2006, ING a dénoncé les crédits consentis à JPS Finances, considérant que les obligations de remboursement et de payement d'intérêts n'étaient pas rencontrées.
Par citation de monsieur Ortmans du 12 mars 2007, un administrateur provisoire pour JPS Finances a été désigné par le tribunal de commerce de Bruxelles; il a été mis fin à sa mission par ordonnance prononcée le 29 avril 2008.
Par citation du 19 mars 2007 devant le tribunal de première instance de Nivelles, la SPRL JPS Finances demande la condamnation de monsieur Ortmans au remboursement des deux versements effectués à son bénéfice pour un montant total de 400.000 EUR. Cette affaire est fixée pour plaidoirie le 15 septembre 2009.
Le 13 mai 2009, ING a déposé une requête en dessaisissement provisoire fondée sur l'article 8 de la loi sur les faillites.
Par ordonnance prononcée le 13 mai 2009, le président de ce tribunal a désigné deux administrateurs provisoires de JPS Finances.
Le 13 mai 2009 également, une citation en liquidation judiciaire était signifiée à la SPRL JPS Finances par monsieur Ortmans en vue de voir désigner un liquidateur judiciaire.
Le 27 mai 2009, ING a cité la SPRL JPS Finances en faillite suite au rapport déposé par les administrateurs provisoires.
Ces deux dernières procédures (liquidation et faillite) ont fait l'objet d'une mise en état et doivent être plaidées devant ce tribunal le 26 octobre 2009.
Le 26 juin 2009, la SPRL JPS Finances représentée par son conseil maître Ph. Lienard, à déposé une requête en réorganisation judiciaire, et ce en vue d'assurer son redressement.
Par ordonnance du 30 juin 2009 prononcée en application de l'article 18 de la loi, le président du tribunal a appelé aux fonctions de juge délégué monsieur Philippe Remy, juge consulaire près la juridiction.
Le 7 juillet 2009, la SA ING a déposé une requête en intervention volontaire dans la procédure de réorganisation judiciaire de JPS, conformément à l'article 5 de la loi du 31 janvier 2009 relative à la continuité des entreprises, par laquelle elle entend voir déclarer la requête irrecevable ou à tout le moins, non fondée.
Le juge délégué a rencontré le gérant de la société et son conseil, de même que les administrateurs provisoires et fait rapport au tribunal ce 9 juillet 2009.
3. | Rapport du juge délégué |
Le juge délégué rapporte au tribunal les éléments suivants:
- le versement de la somme de 400.000 EUR de la SPRL JPS sur le compte de monsieur Ortmans en mai 2004 a provoqué un conflit entre les deux co-actionnaires qui rend la société ingérable avec pour conséquence: désignation d'un administrateur provisoire par le tribunal de commerce de Bruxelles le 16 mars 2007 - désignation de deux administrateurs provisoires par le tribunal de commerce de Nivelles le 13 mai 2009 - impossibilité de tenir régulièrement les assemblées générales depuis 2004 et par conséquent, impossibilité d'approuver et de déposer les comptes annuels depuis au moins 2004;
- les administrateurs provisoires actuels de la société ont conclu le 25 mai 2009: “la SPRL JPS Finances se trouve en état de faillite” par un courrier du 2 juillet 2007, un administrateur provisoire indiquait également: “si la procédure de réorganisation judiciaire était engagée, je me réserverais éventuellement le droit de solliciter la révocation de cette réorganisation à dater du 30ème jour du dépôt de la requête” (art. 41 § 1 de la loi).
Le juge délégué s'interroge sur la validité de la requête déposée par le gérant de la société (un des deux coactionnaires en litige) dès lors qu'aucune assemblée générale n'a pu se tenir régulièrement depuis plus de 5 ans et que la société est sous administration provisoire; en outre, dit-il, la recherche d'un accord amiable concerne essentiellement le créancier ING qui vient de citer la société en faillite.
Enfin le juge délégué constate que les deux comptes annuels joints à la requête datent de 2001 et 2004, ces derniers étant contestés et non approuvés. Depuis lors plus aucuns comptes annuels n'ont été approuvés ni forcément déposés.
In fine, le juge délégué rappelle que la société n'emploie pas de personnel.
Le juge délégué conclut dès lors en ces termes: “En fonction des éléments que j'évoque ci-dessus et sur base des éléments qui m'ont été communiqués, j'estime que la demande n'est ni recevable ni fondée et je propose au tribunal la poursuite de l'administration provisoire de la SPRL JPS Finances en attendant le jugement du tribunal de première instance de Nivelles sur le litige en cours.”
4. | Décision du tribunal |
La procédure de réorganisation judiciaire peut être sollicitée dès que la continuité de l'entreprise est menacée à bref délai ou à terme et lorsque tout ou partie de l'activité est susceptible d'être maintenue.
L'article 23, alinéa 1er de la loi fixe deux conditions à l'ouverture de la procédure:
- le dépôt de la requête par le débiteur;
- le constat par le tribunal que la continuité est menacée.
Cependant, la requête déposée le 26 juin 2009 par la SPRL JPS Finances ne comporte pas l'annexe prévue à l'article 17 de la loi; l'article 17 § 2, 4° prévoit en effet que la requérante doit joindre à sa requête “les deux derniers comptes annuels”.
La requérante n'a plus déposé de comptes depuis ceux arrêtés au 31 décembre 2004, lesquels sont contestés; les seuls comptes joints à sa requête étant ceux de 2001 et 2004.
S'il est vrai qu'à ce stade de la procédure, le rôle du tribunal est un contrôle purement formel, il n'en demeure pas moins que ce contrôle, fût-il minime, est nécessairement “réduit à la vérification du caractère complet des pièces annexées à la requête (art. 23, al. 1er) ou communiquées dans les quatorze jours (art. 17 § 4) et à l'absence d'introduction d'une procédure similaire dans les trois années précédentes (...)” (J. Windey, “La loi du 31 janvier 2009 relative à la continuité des entreprises”, JT, 4 avril 2009, p. 241, n° 20).
“Deux conditions donc:
-1- Le débiteur doit déposer la requête et les pièces visées à l'article 17 § 1e; (...)
(..) Avec sa requête sollicitant l'ouverture de la procédure de réorganisation, le débiteur n'est pas tenu de déposer toutes les pièces prévues à l'article 17 § 2; il pourra compléter son dossier dans le courant de la procédure. (...)
Les pièces qu'il doit impérativement [c'est le tribunal qui souligne] déposer sont limitées à celles qu'il a nécessairement en sa possession ([proposition de loi relative à la continuité des entreprises, amendement n° 1 du gouvernement, Doc.parl. Ch. 2007-08, doc. n° 52-0160/02,] p. 55), c'est-à-dire les 4 premières pièces de l'article 17 § 4, (...)
(…)
Lorsqu'il est en possession de la requête, des pièces indispensables [c'est le tribunal qui souligne] et que la continuité de l'entreprise est menacée, le tribunal n'a plus le choix: l'article 23 impose l'ouverture de la procédure” (J.-Ph. Lebeau, “La nouvelle procédure de réorganisation judiciaire et l'accord amiable” in La continuité des entreprises. La réforme, Séminaire Vanham & Vanham du 29 janvier 2009, p. 12, nos 20-22).
De plus, l'article 19 § 2, alinéa 2 de la loi précise que le juge délégué “prête particulièrement attention aux formalités prévues aux articles 17, 26 § 2, 44 et 46 § 6”.
En l'espèce, force est de constater que des pièces essentielles, soit les deux derniers comptes annuels, ne sont pas jointes à la requête.
Il est clair qu'à ce stade de la procédure, le législateur ne s'est pas voulu excessivement formaliste et notamment quant aux documents à produire à l'appui de la requête, permettant ainsi au débiteur de compléter certaines annexes dans les quatorze jours du dépôt.
Cependant, et ainsi qu'il vient d'être développé supra, il apparaît que les comptes annuels, véritable miroir de la société, font partie des pièces indispensables à joindre au dépôt de la requête.
Par ailleurs, et selon le commentaire de l'amendement consacré à l'article 17, “[s]i le débiteur ne produit pas tous les éléments requis par la loi, il n'appartiendra pas au greffier d'apprécier cet élément et de refuser le dépôt de la requête. Ce sera au tribunal à tirer les leçons du manquement commis” (proposition de loi relative à la continuité des entreprises, amendement n° 1 du gouvernement, Doc.parl. Ch. 2007-08, doc. n° 52-0160/02, p. 56).
En l'espèce, il y a lieu de tirer les leçons de l'absence du dépôt des deux derniers comptes annuels.
S'il est évident qu'il ne s'agit pas de sanctionner un débiteur aux abois dont le désordre des affaires l'empêche de produire des éléments très fiables, le but de la réorganisation est cependant de donner une solution aux problèmes de l'entreprise (proposition de loi relative à la continuité des entreprises, Développements, Doc.parl. Ch. 2007, doc. n° 52-0160/001, p. 16).
Cette absence de comptes annuels de la part de la requérante ne représente ici ni une négligence ni un oubli; il est clairement établi que ces comptes ne pourront pas, en l'état actuel, être rédigés, en manière telle qu'une solution aux problèmes de l'entreprise dans le cadre d'une réorganisation, est illusoire et qu'il convient d'opter pour d'autres voies.
En outre, il est constant que selon la volonté du législateur, “c'est bien la continuité de l'entreprise, sous l'angle socio-économique, qui est visée, c'est-à-dire, explique l'exposé des motifs (p. 54): 'cet ensemble de moyens humains et matériels rassemblés en vue de la production de biens ou de services'” (J.-Ph. Lebeau, “La nouvelle procédure de réorganisation judiciaire et l'accord amiable”, o.c., p. 11, n° 19).
L'on peut dès lors se poser la question de l'opportunité de déclarer ouverte la réorganisation judiciaire d'une société dont aucune activité économique n'est à sauvegarder, qui n'emploie aucun travailleur et dont l'affectio societatis semble à ce point détruit entre les actionnaires que deux procédures de mise sous administration provisoire n'ont pas permis de tenir la comptabilité d'une activité inexistante, de réunir l'assemblée générale depuis plus de 5 ans et de rédiger les comptes annuels.
Considérant l'ensemble des procédures déjà entamées en l'espèce, notamment la désignation d'administrateurs provisoires sur base de l'article 8 de la loi sur les faillites et l'ensemble des éléments développés ci-avant, le tribunal constate que la présente procédure apparaît avoir été diligentée à des fins dilatoires ou, à tout le moins, superfétatoires.
En l'absence des deux derniers comptes annuels, le tribunal se doit de constater que le dépôt de la requête en réorganisation judiciaire n'est pas recevable; le tribunal se trouve par conséquent dans l'une des hypothèses où il peut écarter la demande en réorganisation judiciaire.
Par ces motifs
Le tribunal
Vu l'avis oral conforme de madame le procureur du Roi,
Déclare la requête en réorganisation judiciaire déposée par la SPRL JPS Finances, irrecevable,
Reçoit la demande en intervention volontaire et la déclare fondée,
Rejette, par conséquent, la demande de réorganisation judiciaire introduite par la SPRL JPS Finances,
Invite le greffe à notifier la présente décision à la requérante par pli judiciaire,
Condamne la requérante aux dépens s'il en est.
Sur ce jugement, voir ci-dessus l'article de madame M. Grégoire, “La réorganisation judiciaire aux mains des juges: premières récoltes”, spécialement nos 6, 9, 14 et 17.