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Cour d'appel Liège, 18/06/2009, R.D.C.-T.B.H., 2009/7, p. 652-654

Cour d'appel de Liège 18 juin 2009

INSOLVABILITE - CONTINUITE DES ENTREPRISES
Réorganisation judiciaire - Généralités - Intérêt à agir
Le tribunal de commerce, saisi d'une requête en réorganisation judiciaire, ne peut, sous le couvert d'une prétendue appréciation de la légitimité de l'intérêt à agir, réintroduire une condition tenant à l'absence de mauvaise foi, dès lors que cette condition n'est plus exigée par la loi du 31 janvier 2009 relative à la continuité des entreprises.
INSOLVENTIE - CONTINUÏTEIT VAN DE ONDERNEMINGEN
Gerechtelijke reorganisatie - Algemeen - Belang om de vordering in te leiden
De rechtbank die zich over een verzoekschrift tot gerechtelijke reorganisatie moet uitspreken, mag niet, onder de schijn van een beweerde beoordeling van de rechtmatigheid van het belang tot het instellen van de vordering, opnieuw een voorwaarde invoeren met betrekking tot de afwezigheid van enige kwade trouw, nu die voorwaarde niet meer vereist wordt in de wet betreffende de continuïteit van de ondernemingen.

Mme Ch. Maquet

Siég.: R. de Francquen (président), X. Ghuysen et M.-Cl. Ernotte (conseillers)
Pl.: Me R. Swennen

Après en avoir délibéré:

Par requête déposée au greffe le 14 mai 2009, Chantal Maquet interjette appel du jugement du tribunal de commerce de Liège du 11 mai 2009 qui lui a été notifié par pli judiciaire du 12 mai 2009.

Comme, aux termes de l'article 29, alinéa 2 de la loi du 31 janvier 2009 relative à la continuité des entreprises, l'appel d'un jugement statuant sur une demande d'ouverture de procédure de réorganisation judiciaire est formé par requête dans les 8 jours de la notification du jugement, le recours de l'appelante a été formé dans le délai légal et est donc recevable.

La requête en réorganisation judiciaire a été déposée par l'appelante le 17 avril 2009. Il y est exposé que la requérante exploite 2 débits de boissons à Ans et à Bassenge, que le parquet du procureur du Roi l'a citée en faillite le 9 janvier 2009 et que, s'il existe un passif de l'ordre de 148.527,95 EUR (voir liste des créanciers - annexe 4), un plan prévisionnel pour les 9 premiers mois de l'année 2009 laisse espérer un bénéfice brut de 27.728,96 EUR ce qui, selon elle, permettrait de désintéresser progressivement les créanciers à raison de versements mensuels de 1.500 EUR.

À cette requête, sont annexés des documents: exposé des événements, état comptable au 31 décembre 2008, plan prévisionnel d'exploitation pour les 3 premiers trimestres 2009, liste des créanciers, proposition de désintéressement des créanciers, objectif de la réorganisation et copie des déclarations à l'IPP pour les exercices 2006 et 2007.

Par ordonnance du 21 avril, le président du tribunal de commerce de Liège a désigné un juge délégué (Guy Bernard) et fixé l'audition de la requérante par ce dernier le 23 avril 2009. Le rapport détaillé du juge délégué est déposé au dossier de la procédure le 28 avril 2009. Il stigmatise plusieurs faits de mauvaise gestion et conclut que “la proposition de désintéressement des créanciers (...) peut être qualifiée d'irréaliste”.

Alors qu'à l'audience du 4 mai 2009, il est justifié de la régularisation en matière de dépôt des déclarations TVA pour les 4 trimestres de 2008 et le premier trimestre 2009, le comptable de la requérante signalant par ailleurs qu'une imposition d'office est intervenue en matière d'impôt des personnes physiques le 24 février 2009 “et pour laquelle nous sommes hors délai pour y répondre”, le tribunal dit la demande “irrecevable” au motif que la demande tend à voir perdurer une situation illégale (manquements persistants en matière de comptabilité et de déclarations fiscales, assistance habituelle du mari émargeant au chômage) et donc que la requérante ne justifie pas d'un intérêt légitime; l'avis du Ministère public d'instance étant défavorable à la demande et suggérant, à titre subsidiaire, la désignation d'un administrateur provisoire.

Par rapport aux conditions antérieurement prévues par l'article 9 § 2 de la loi sur le concordat, “les conditions d'ouverture de la procédure et d'homologation d'un plan de réorganisation collectif sont singulièrement réduites par la loi nouvelle, en manière telle que la faculté d'appréciation du tribunal sera beaucoup plus limitée” (A. Zenner, La nouvelle loi sur la continuité des entreprises, p. 81, n° 47). La procédure est ouverte “si les conditions visées à l'article 23 paraissent remplies”, ces conditions se référant à la menace de discontinuité de l'entreprise “à bref délai ou à terme”, et au dépôt de la requête à laquelle sont jointes les annexes prévues par l'article 17 § 2, l'absence de certaines pièces ne faisant même pas obstacle au prononcé de l'ouverture de la procédure (voir art. 17 § 4 et 41 § 2). Le juge doit également vérifier si le requérant n'a déjà pas sollicité et obtenu l'ouverture d'une procédure moins de trois ans plus tôt lorsque la requête ne porte pas sur un transfert sous autorité de justice.

Il est manifeste que “dans le même but de faciliter le recours à la procédure et d'éviter toute discussion, toute condition relative à la bonne ou à la mauvaise foi, manifeste ou non, ou à l'infortune du demandeur a été abandonnée. Il n'est plus non plus fait référence à la notion de probité en la gestion et au remplacement de dirigeants (…)” (A. Zenner, o.c., p. 84, n° 47). En revanche, le législateur a mis en place un mécanisme permettant la substitution au débiteur d'un administrateur provisoire chargé d'administrer l'entreprise “en cas de faute grave et caractérisée ou de mauvaise foi manifeste du débiteur ou d'un de ses organes” (art. 28 § 1er), cette faculté étant permise au juge tant lors de l'ouverture de la procédure qu'ultérieurement, et ce “à la demande de tout intéressé ou du Ministère public”. En l'espèce, une telle demande n'a pas été formalisée devant les premiers juges, le Ministère public émettant uniquement à titre subsidiaire un “avis favorable à la désignation d'un administrateur provisoire” et est en tout cas absente des débats devant la cour, le Ministère public concluant à l'accueil pur et simple de la requête en réorganisation.

Les premiers juges ne pouvaient donc, sous le couvert d'une prétendue appréciation de la légitimité de l'intérêt, réintroduire une condition tenant à l'absence de mauvaise foi qui n'est plus présente dans la loi nouvelle pour l'ouverture de la procédure.

Il n'est pas discutable que l'entreprise de l'appelante connaît des difficultés financières telles que sa continuité peut être mise en péril. En attestent, l'existence d'une citation en faillite (non produite) qui fait état de procédures de saisie ainsi que l'ordonnance du 10 décembre 2008 désignant Me Dewez comme réalisateur du gage sur fonds de commerce (voir rapport du juge délégué, p. 4).

Par ailleurs, les annexes présentées par l'appelante paraissent complètes. Le juge délégué a certes mentionné qu'il n'a “pas l'assurance que le membre du personnel sous contrat d'emploi ait été informé du dépôt de la requête”, mais cette information exigée par l'article 17 § 2, 9° de la loi paraît effective dès lors qu'il s'agit du seul travailleur, en contact journalier avec le mari de la requérante. Au demeurant, cette information est principalement requise quand il est prévu une réorganisation ou une restructuration de l'entreprise impliquant des dérogations aux conventions collectives de travail à négocier avec les représentants des travailleurs (voir proposition de loi, Chambre, session 2007, doc. 52-0160/001, p. 29 et p. 30), alors qu'en l'espèce, l'appelante déclare avoir besoin de maintenir son employé dans l'établissement de Bassenge où il est secondé par son mari.

Il n'est pour le reste pas allégué que l'appelante aurait précédemment introduit une procédure similaire, la loi du 31 janvier 2009 étant d'ailleurs entrée en vigueur le 1er avril 2009 seulement (AR 27 mars 2009, Mon.b. 31 mars 2009).

Si la procédure doit être accueillie, encore “le tribunal gardera(-t-il) par ailleurs un pouvoir d'orientation de la procédure en appréciant la durée du sursis provisoire, tant lors de l'ouverture de la procédure qu'en cas de demande de prorogation; il pourrait ainsi faire obstacle à des procédures dont l'irréalisme sauterait aux yeux” (A. Zenner, o.c., p. 84, n° 48).

Alors que la mention initiale de créanciers pour un montant total de 91.013,03 EUR a déjà dû être corrigée à la hausse pour atteindre 148.527,95 EUR, la proposition de désintéresser ces créanciers par des versements mensuels de 1.500 EUR, ce plan “s'éta(lant) sur environ 5 années” (requête), est d'ores et déjà dépassée. Par ailleurs, le plan prévisionnel qui table sur un bénéfice brut de 27.729 EUR “n'appréhende toutefois pas certaines charges” (rapport du juge délégué, p. 4) et ne tient pas compte de ce que le mari de l'appelante “gère le Pacifique” alors qu'il est au chômage et que son remplacement éventuel imposé par l'ONEM, par un employé prestant à concurrence ne serait-ce que d'un temps de travail limité à un tiers de temps plein coûterait à l'entreprise un montant équivalent à celui des allocations de chômage perçues annuellement et diminuerait d'autant la marge disponible nécessaire à désintéresser les créanciers” (rapport du juge délégué, p. 4-5). Le juge délégué conclut que “(...) la proposition de désintéressement des créanciers (...) peut être qualifiée d'irréaliste, telle que libellée” (rapport, p. 5).

Dans ces circonstances, la durée du sursis sera limitée à trois mois.

Par ces motifs,

La cour, statuant contradictoirement à l'égard de l'appelante,

de l'avis conforme, donné oralement à l'audience du 4 juin 2009 par Paul Catrice, substitut du procureur général,

Reçoit l'appel,

Réforme le jugement entrepris et dit la requête en réorganisation judiciaire déposée le 17 avril 2009 recevable,

Déclare ouverte la procédure de réorganisation judiciaire et en octroie le bénéfice à Chantal Maquet, née le 1er septembre 1961, exploitant un débit de boissons à 4430 Ans, rue des Français 393/5 sous l'enseigne “Le Pacifique” et à 4690 Bassenge, rue Royale, 6 sous l'enseigne “Le Relais des Houres” domiciliée à 4690 Bassenge, rue de l'État, 6, inscrite à la Banque-Carrefour des Entreprises sous le n° 0757.383.225.

Fixe la durée du sursis à trois mois prenant cours ce jour pour se terminer le 18 septembre 2009.

Renvoie la cause au tribunal de commerce de Liège

Invite le débiteur:

- à communiquer aux créanciers, dans les quatorze jours du prononcé de l'arrêt, les informations visées à l'article 36 § 1er LCE et le montant de la créance pour lequel chacun d'eux est inscrit dans ses livres accompagné, dans la mesure du possible, de la mention du bien grevé par une sûreté réelle ou un privilège particulier garnissant cette créance ou du bien dont le créancier est propriétaire;

- à tenir le juge délégué informé de toute évolution de la procédure;

- à déposer au greffe le plan de réorganisation au moins quatorze jours avant l'audience fixée ci-après ;

Fixe au mardi 8 septembre 2009 à 10 h 15 l'audience de la 3ème chambre du tribunal de commerce, le vote et les débats sur le plan de-réorganisation

Ordonne la publication du présent arrêt par extrait au Moniteur belge dans les cinq jours de sa date et invite le greffe à procéder à cette mesure.

Note / Noot

Cet arrêt réforme le jugement du tribunal de commerce de Liège du 11 mai 2009 publié plus loin, dans ce même numéro.