Article

La réorganisation judiciaire aux mains des juges: premières récoltes, R.D.C.-T.B.H., 2009/7, p. 637-648

La réorganisation judiciaire aux mains des juges:
premières récoltes

Michèle Grégoire [1]

TABLE DES MATIERES

I. Introduction

II. Analyse de la jurisprudence § 2. Les effets du dépôt de la requête

§ 3. L'examen de la recevabilité de la demande

§ 4. L'examen de la recevabilité de l'intervention volontaire d'un tiers

§ 5. Examen du fondement des demandes

§ 6. Les effets du sursis sur les droits des créanciers

III. Conclusion

RESUME
L'un des axes importants autour duquel s'organisent les innovations apportées par la loi du 31 janvier 2009 relative à la continuité des entreprises par rapport à celle du 17 juillet 1997 relative au concordat judiciaire, consiste à placer les diverses activités de l'entreprise en tant que telles, et non le patrimoine dont elles relèvent, au centre des efforts curatifs déployés sous l'autorité, la protection et le contrôle du tribunal de commerce.
La caractéristique essentielle de la loi nouvelle réside dans la reconnaissance de l'effet de portail de la procédure de réorganisation, conçue essentiellement comme une voie d'assainissement - et non de liquidation - avec toutes les conséquences qu'une telle qualification entraîne, quel que soit l'état, avancé ou non, de délabrement de l'entreprise en difficulté qui en sollicite le bénéfice.
Les premières applications jurisprudentielles de la loi du 31 janvier 2009 touchent naturellement aux conditions d'ouverture de la procédure.
Il ressort de l'examen de ces décisions que le dépôt de la requête emporte des effets automatiques, au point que le président du tribunal doit se limiter à en prendre acte et procéder immédiatement à la désignation d'un juge délégué. Sur ce point, les décisions sont unanimes. Elles appliquent en cela correctement l'article 18 de la loi qui déclare que “[d]ans tous les cas”, un juge délégué se trouve désigné dès le dépôt de la requête, avec la mission notamment de faire rapport au tribunal “sur la recevabilité et le fondement de la demande”.
Pour que la demande soit recevable, il suffit qu'elle soit intégrée formellement dans une requête correspondant à la description de l'article 17 § 2 de la loi, qu'elle émane bien du débiteur ou de ses représentants et qu'il n'y ait pas eu de précédent dans les trois années antérieures. Il suffit ensuite qu'elle formule la demande d'ouverture de la procédure, quelle qu'en soit la forme, et déclare qu'à l'estime du débiteur, la continuité de son entreprise est menacée. Le tribunal se trouve, à ce stade, totalement dépourvu de tout pouvoir d'appréciation concernant la réalité ou la pertinence de ces affirmations.
Pour ce qui concerne le fondement de la demande et donc l'ouverture de la procédure ainsi que l'octroi du sursis, le tribunal de commerce dispose d'un pouvoir d'appréciation très marginal, mais qui ne le cantonne pas à un rôle purement passif.
SAMENVATTING
Eén van de belangrijke grondbeginselen waarop de nieuwigheden worden gebaseerd die, t.o.v. de wet van 17 juli 1997 betreffende het gerechtelijk akkoord, door de wet van 31 januari 2009 betreffende de continuïteit van de ondernemingen zijn ingevoerd, bestaat erin om, bij de curatieve inspanningen die onder het gezag, de bescherming en het toezicht van de rechtbank van koophandel worden geleverd, de nadruk te leggen op de verschillende activiteiten van de ondernemingen liever dan op het vermogen waartoe die activiteiten behoren.
De essentiële karakteristiek van de nieuwe wet ligt in de erkenning van het portaaleffect van de procedure van reorganisatie, die in wezen, ongeacht de graad van belabberdheid van de onderneming die om toepassing van de wet verzoekt, als een saneringsmiddel - en niet als een aanleiding tot vereffening - werd ontworpen, met alle gevolgen die uit zo een benadering voortvloeien.
De eerste gerechtelijke beslissingen die de wet van 31 januari 2009 toepassen slaan uiteraard op de voorwaarden waaraan de opening van de procedure wordt onderworpen.
Uit het onderzoek van die beslissingen blijkt dat de neerlegging van het verzoekschrift automatische gevolgen met zich meebrengt, dermate dat de voorzitter van de rechtbank zich ertoe moet beperken om van die neerlegging akte te nemen en om onmiddellijk over te gaan tot aanstelling van een gedelegeerd rechter. Op dat punt zijn de beslissingen unaniem. Hierbij passen zij op correcte wijze artikel 18 van de wet toe die bepaalt dat er “[i]n elk geval” een gedelegeerd rechter wordt aangewezen zodra het verzoekschrift is neergelegd, met als opdracht om bij de rechtbank onder meer verslag uit te brengen “over de ontvankelijkheid en de gegrondheid van het verzoek”.
Om ontvankelijk te zijn, is het voldoende dat de vordering formeel wordt opgenomen in een verzoekschrift dat overeenstemt met de omschrijving van artikel 17 § 2 van de wet, dat zij wel van de schuldenaar of van zijn vertegenwoordigers uitgaat en dat er geen ander gelijkaardig verzoek is ingediend binnen de drie jaar die aan de neerlegging voorafgaan. Het volstaat dan dat het verzoekschrift om de opening van de procedure verzoekt, ongeacht de vorm ervan, en dat er wordt verklaard dat, naar het oordeel van de schuldenaar, de continuïteit van zijn onderneming bedreigd wordt. De rechtbank heeft op dat ogenblik geen enkele appreciatiemarge over de werkelijkheid of de pertinentie van de door de schuldenaar gemaakte verklaringen.
Wat de gegrondheid van de vordering en dus de opening van de procedure evenals de toekenning van de opschorting betreft, kan de rechtbank slechts tot een zeer marginale toetsing overgaan, maar wordt zij daarom nog niet tot een louter passieve rol gedwongen.
I. Introduction

1.L'un des axes importants autour duquel s'organisent les innovations apportées par la loi du 31 janvier 2009 relative à la continuité des entreprises par rapport à celle du 17 juillet 1997 relative au concordat judiciaire, consiste à placer les diverses activités de l'entreprise en tant que telles, et non le patrimoine dont elles relèvent, au centre des efforts curatifs déployés sous l'autorité, la protection et le contrôle du tribunal de commerce (J. Windey, “La loi du 31 janvier 2009 relative à la continuité des entreprises”, JT 2009, p. 241, n° 18).

Là où la procédure concordataire oeuvrait, dans le respect de la trilogie classique formée par le débiteur, la personnalité juridique dont il jouit et le patrimoine dont il est titulaire, pour vérifier, avant tout, si demeurait ouverte, pour ces trois éléments indissociables, la voie de la rentabilité, sans défaire le tissage de leurs liens juridiques et économiques, la réorganisation judiciaire, au contraire, sort de ce cadre et, se délestant des exigences qu'il impose, poursuit simplement un objectif concret: s'attacher à examiner s'il est possible de préserver la continuité de “tout ou partie de l'entreprise en difficulté ou de ses activités”, c'est-à-dire s'il subsiste quelque chose à sauver, sans s'encombrer de l'ambition de remettre sur pied le débiteur lui-même, avec la structure historique de son patrimoine (M. Vanmeenen, “De wet van 31 januari 2009 betreffende de continuïteit van ondernemingen”, RW 2008-09, p. 1285).

2.Mais ce n'est pas véritablement en se donnant cet objectif que le législateur brise (volontairement) l'équilibre du droit de l'insolvabilité organisé par les réformes de 1997-1998, jugées, en définitive, insatisfaisantes. En effet, la liquidation, la cession ou l'apport de branche d'activité, la réorganisation conventionnelle et toutes autres formes de restructuration, bien connues du droit positif, autorisent déjà et permettent de modaliser efficacement, chacune en fonction du régime juridique applicable, le recentrage d'une activité mercantile sur ses éléments les plus fructueux tout en en transférant d'autres vers des structures plus adaptées à leur exploitation.

Il en est de même, d'ailleurs, lorsque, irrémédiablement non rentable, un patrimoine a sombré dans un état persistant de cessation de payements et d'ébranlement de crédit, de la procédure de faillite, laquelle n'a jamais interdit - on pourrait même considérer qu'elle peut faciliter - la reprise (et donc le maintien) des morceaux choisis d'une entreprise défaillante.

Là où gît davantage la caractéristique essentielle de la loi nouvelle, c'est dans la reconnaissance de l'effet “portail” de la procédure de réorganisation, conçue essentiellement comme une voie d'assainissement - et non de liquidation -, avec toutes les conséquences juridiques qu'une telle qualification entraîne, quel que soit l'état, avancé ou non, de délabrement de l'entreprise en difficulté qui en sollicite le bénéfice (P. Coussement, “De wet op de continuïteit van de ondernemingen van 31 januari 2009”, TBH 2009, p. 287 et seq., nos 6 et seq.).

3.Pour servir l'objectif promu par la loi, ses inspirateurs ont été attentifs à ce que l'ouverture de la procédure ne soit guère entravée, afin d'éviter les dérives antérieurement provoquées par de fortes divergences d'interprétation de la loi relative au concordat judicaire, subjectivement retenues par les tribunaux de commerce (A. Zenner, La nouvelle loi sur la continuité des entreprises, Louvain-la-Neuve, Anthemis, 2009, n° 47, p. 82; J.-Ph. Lebeau, “La nouvelle procédure de réorganisation judiciaire et l'accord amiable”, La continuité des entreprises: la réforme, Séminaire Vanham & Vanham du 29 janvier 2009, p. 12-13, n° 22).

Les premières applications jurisprudentielles de la loi du 31 janvier 2009 touchent naturellement aux conditions d'ouverture de la procédure.

Les décisions ici publiées sont variées et intéressantes. Elles témoignent globalement, malgré d'apparentes divergences, d'une lecture cohérente et jusqu'ici assez uniforme de la loi, mais sans doute légèrement moins radicale que ce que ses auteurs et premiers commentateurs anticipaient.

II. Analyse de la jurisprudence
§ 1. Fondements légaux

4.L'analyse de ces décisions doit prendre appui sur les textes suivants.

L'article 16, alinéa 1er de la loi relative à la continuité des entreprises énonce: “La procédure de réorganisation judiciaire a pour but de préserver, sous le contrôle du juge, la continuité de tout ou partie de l'entreprise en difficulté ou de ses activités.

L'article 17 décrit le mode introductif de la procédure de réorganisation judiciaire, prenant la forme d'une requête unilatérale, adressée au tribunal de commerce, accompagnée d'un dossier composé des pièces utiles à un premier examen de la situation du requérant, pouvant être complété, sur certains points, dans les quatorze jours du dépôt.

L'article 18, alinéa 1er, indique que “[d]ans tous les cas, le président du tribunal désigne dès le dépôt de la requête, un juge délégué”, lequel fera rapport au tribunal tant sur la recevabilité que sur le fondement de la demande.

Dès le dépôt de la requête, et donc avant même que le tribunal ait statué sur sa recevabilité et, a fortiori, son fondement, le débiteur ne pourrait, en vertu de l'article 22, être déclaré en faillite et, dans le cas d'une société, ne pourrait non plus subir une dissolution judiciaire. Dès le dépôt de la requête également, aucune réalisation de biens meubles ou immeubles ne peut plus intervenir à la suite de l'exercice d'une voie d'exécution.

Ensuite, l'article 23 expose quelles sont les conditions d'ouverture de la procédure de réorganisation judiciaire. Celle-ci “est ouverte dès que la continuité de l'entreprise est menacée, à bref délai ou à terme, et qu'a été déposée la requête visée à l'article 17 § 1er” (al. 1er). La première de ces conditions est présumée satisfaite, lorsque le débiteur est une personne morale, “si les pertes ont réduit l'actif net à moins de la moitié du capital social” (al. 3).

Enfin, - et là gît la véritable nouveauté par rapport au concordat dans sa version née de la loi du 17 juillet 1997 - “L'état de faillite du débiteur ne fait pas obstacle en soi à l'ouverture ou à la poursuite de la procédure de réorganisation judiciaire.” (al. 5).

En vertu de l'article 24 § 1er, l'instruction de la requête s'effectue de manière diligente, “dans les dix jours de son dépôt au greffe” (al. 1er) et le tribunal statue “dans les huit jours de l'examen de la demande” (al. 4). Selon l'article 24 § 2, c'est après avoir vérifié que “les conditions visées à l'article 23 paraissent remplies”, que le tribunal déclare ouverte la procédure de réorganisation judiciaire. À défaut, il rejette la demande, tout simplement, sans passerelle automatique vers une autre procédure.

5.Les dispositions spécifiques de la loi du 31 janvier 2009 viennent évidemment s'insérer dans le droit commun judiciaire, dans la mesure où elles n'y dérogent pas. En effet, le principe posé par l'article 7 de la loi du 31 janvier 2009 s'énonce comme suit: “Sauf lorsqu'une modification ou une dérogation résulte d'un texte exprès de la présente loi, celle-ci n'a pas pour objet de modifier des lois antérieures ni d'y apporter une dérogation.” [2].

S'agissant de la question de l'ouverture de la procédure et de ses conditions, l'on relève, au titre 7 comportant les dispositions modificatives, notamment le changement apporté à l'article 9 de la loi du 8 août 1997 sur les faillites, complété par un aliéna rédigé comme suit: “L'obligation de faire (l'aveu de l'état de cessation de payement) est suspendue à compter du dépôt d'une requête en réorganisation judiciaire et aussi longtemps que dure le sursis accordé en vertu de l'article 16 de la loi du 31 janvier 2009 relative à la continuité des entreprises.

Pour le surplus, la loi nouvelle vient s'arrimer aux règles habituelles du droit de la procédure.

§ 2. Les effets du dépôt de la requête

6.Il est utile de rappeler que les effets produits par le dépôt de la requête sont détach.és de l'examen de la recevabilité de la demande. Ils adviennent en amont d'un tel examen. Cette considération découle nécessairement de l'article 18 de la loi qui déclare que “dans tous les cas”, un juge délégué se trouve désigné par le président du tribunal, “dès le dépôt de la requête”, avec la mission notamment de faire rapport au tribunal “sur la recevabilité et le fondement de la demande”.

Il en résulte qu'avant même qu'une décision soit prise sur la recevabilité de la demande, son introduction seule peut produire plusieurs effets automatiques.

Ceux qui sont prévus à l'article 22 portent une atteinte importante aux prérogatives des créanciers en les désarmant, puisqu'ils empêchent, “que l'action ait été introduite ou la voie d'exécution entamée avant ou après le dépôt de la requête”, que le débiteur soit déclaré en faillite ou, le cas échéant, dissout judiciairement et qu'une réalisation de biens meubles ou immeubles intervienne à la suite de l'exercice d'une voie d'exécution.

Il faut y ajouter l'une des améliorations du sort des créanciers: il suffira du dépôt d'un titre constatant une créance au dossier de la réorganisation judiciaire tenu au greffe pour interrompre la prescription. Cette formalité vaut également mise en demeure (art. 20, al. 3).

Les effets qui ressortent de la section 2 du titre 4 de la loi, contenant les articles 17 et suivants, relèvent de l'organisation procédurale: dans les vingt-quatre heures du dépôt de la requête, le greffier en avise le procureur du Roi (art. 17 § 3, al. 3); un dossier est constitué au greffe, où figurent tous les éléments relatifs à la procédure et au fond de l'affaire, auquel peut être joint le rapport établi par la chambre d'enquêtes commerciales (art. 12 § 4, 17 § 3, al. 3, et 20, al. 1er), et dont tout créancier ou, sur autorisation du juge délégué, toute personne pouvant justifier d'un intérêt légitime, peut prendre connaissance et obtenir copie (art. 20, al. 2 et 4); le tribunal peut ordonner, à la demande de tout intéressé, que soit joint au dossier de la réorganisation judiciaire tenu au greffe, “un document contenant la preuve de ce que sont réunies les conditions pour obtenir l'ouverture d'une procédure de réorganisation judiciaire ou d'autres décisions susceptibles d'être prises au cours [de celle-ci]” (art. 21); dans les dix jours du dépôt de la requête, l'instruction de la demande commence, y compris sur la recevabilité, et s'organise de la manière suivante: le débiteur est convoqué par le greffier pour être entendu en chambre du conseil, sauf s'il a renoncé à être convoqué et sauf s'il a expressément manifesté sa volonté d'être entendu en audience publique; le tribunal statue par jugement à la fois sur la recevabilité et le fondement de la demande dans les huit jours de l'examen de la demande (art. 24 § 1er).

Toutes les décisions publiées ci-après ont reconnu le caractère automatique attaché aux effets du dépôt de la requête dans la loi relative à la continuité des entreprises. Elles indiquent généralement, dans l'exposé des rétroactes de la procédure, que le jour même ou le lendemain du dépôt de la requête, une ordonnance a été rendue prenant acte de ce dépôt et désignant un juge délégué (voir Comm. Nivelles 20 avril 2009; Comm. Nivelles 27 avril 2009 - 4 décisions; Comm. Nivelles 12 mai 2009, inédit; Comm. Nivelles 9 juillet 2009; Comm. Liège 11 mai 2009; Comm. Turnhout 5 mai 2009; Comm. Turnhout 7 mai 2009, B/09/123, inédit; Comm. Turnhout 19 mai 2009; Comm. Anvers 28 avril 2009; Comm. Anvers 5 mai 2009; Comm. Mons 19 mai 2009; Comm. Namur 4 mai 2009; Comm. Namur 18 mai 2009; Comm. Liège 23 avril 2009; Comm. Liège 28 avril 2009; Comm. Liège 29 avril 2009; Comm. Liège 6 mai 2009; Comm. Bruxelles 21 avril 2009; Comm. Bruxelles 3 juillet 2009).

§ 3. L'examen de la recevabilité de la demande

7.Les conditions de recevabilité, quant à la qualité du demandeur, apparaissent à l'article 3, selon lequel la loi est applicable aux débiteurs suivants: les commerçants visés à l'article 1er du Code de commerce, la société agricole visée à l'article 2 § 3 du Code des sociétés et les sociétés civiles à forme commerciale visées à l'article 3 § 4 du même code, à l'exclusion, précise l'article 4, des sociétés civiles à forme commerciale qui ont la qualité de titulaire d'une profession libérale.

Quant à la forme de l'acte introductif, c'est l'article 17 qu'il convient d'observer, étant entendu que selon l'article 5, 7ème alinéa, “[p]ar dérogation aux articles 1025, 1026, 1027 et 1029 du Code judiciaire, les requêtes visées dans la présente loi peuvent être signées par le débiteur seul ou par son avocat (…)”; cette tolérance de forme étant répétée à l'article 17 § 3, 1er alinéa.

Demeure la question délicate de l'intérêt à agir.

L'on sait que “L'intérêt requis pour l'introduction d'une demande en justice consiste en tout avantage, matériel ou moral, effectif mais non théorique que le demandeur peut retirer de la demande au moment où il la forme.” (G. de Leval, Éléments de procédure civile, 2ème éd., Collection de la faculté de droit de l'Université de Liège, 2005, n° 7, p. 17).

8.Cette dernière condition est satisfaite, selon nous, dès que le requérant fait apparaître qu'il sollicite pour lui-même l'ouverture d'une procédure de réorganisation judiciaire et qu'il s'aperçoit, sans formalisme ni expression sacramentale, qu'il cherche à préserver la continuité de tout ou partie de son entreprise ou de ses activités, pour reprendre l'objectif affirmé par l'article 16. Peu importe au stade de l'examen de la recevabilité, que cette déclaration soit exacte, ou que son ambition soit crédible. Ce débat-là ne prendra place qu'au fond, il est vrai, de manière concomitante (M. Vanmeenen, “De wet van 31 januari 2009 betreffende de continuïteit van ondernemingen”, RW 2009, p. 1297, n° 30). En effet, l'exception, y compris la fin de non-recevoir, tend à faire écarter ou à suspendre une demande sans que soient examinés le principe du droit en litige et son soutènement éventuel, ni abordé le fond du débat (G. de Leval, o.c., 2ème éd., 2005, n° 32, p. 51). L'exception s'attaque dès lors à la présentation de la prétention et ne s'attache qu'à l'appréciation de sa formulation, sans en vérifier les allégations ou en contrôler la justesse de raisonnement, ce qui relèverait déjà de l'exploration du fondement (M. Grégoire, “Géométrie de l'instance” (note sous Cass. 24 mars 2006), RCJB 2008, p. 17, n° 14).

9.Cette thèse semble partagée par la plupart des jugements publiés, qui distinguent, explicitement ou implicitement, recevabilité et fondement.

Le tribunal de commerce d'Anvers, après avoir relevé que la requête tend à “het bekomen van een gerechtelijke reorganisatie door collectief akkoord”, déclare que “De vordering is toelaatbaar nu blijkt dat de beslissing tot aanvraag van de gerechtelijke reorganisatie bekrachtigd werd door het daartoe bevoegde orgaan van de vennootschap en alle stukken, zoals voorzien in artikel 17 § 2 van de wet van 31 januari 2009 bij het dossier werden gevoegd” (Comm. Anvers 28 avril 2009; Comm. Anvers 5 mai 2009; Comm. Anvers 26 mai 2009).

Le tribunal de commerce de Turnhout relève, quant à lui, également que la demande tend à “het bekomen van een gerechtelijke reorganisatie (collectief akkoord) overeenkomstig artikel 17 van de wet op de continuïteit van de onderneming d.d. 31 januari 2009”, et y ajoute simplement que la requête déposée est “regelmatig naar de vorm en de termijn” (Comm. Turnhout 5 mai 2009; Comm. Turnhout 7 mai 2009, B/09/123, inédit).

Recevant la demande, le tribunal de commerce de Mons note que la requête déposée par les débiteurs avec les annexes qui y sont jointes conformément à l'article 17 § 2 de la loi du 31 janvier 2009 sur la continuité des entreprises tend à entendre déclarer ouverte la procédure de réorganisation judiciaire, à entendre fixer la durée du sursis visé à l'article 16 de la loi du 31 janvier 2009 à une période de six mois, ainsi qu'à entendre désigner un mandataire de justice avec pour mission “de les accompagner soit afin d'obtenir un plan de réorganisation, soit en vue de procéder au transfert, sous autorité judiciaire, de tout ou partie de leur entreprise” (Comm. Mons 19 mai 2009).

Il en va de même du tribunal de commerce de Namur qui constate, dans un premier jugement, que la requérante “demande l'ouverture d'une procédure de réorganisation judiciaire par accord collectif” et sur le plan de la recevabilité, que “les pièces requises à l'article 17 § 2 de la loi ont été déposées”, ainsi que “[l]a liste des créanciers a été complétée, sur invitation du juge délégué” (Comm. Namur 4 mai 2009), et, dans un second jugement, que la requérante demande “l'ouverture d'une procédure de réorganisation judiciaire par accord amiable soit, dans un second temps, par accord collectif” et que “sur le plan de la recevabilité, les pièces requises à l'article 17 § 2 de la loi ont été déposées” (Comm. Namur 18 mai 2009; voir également Comm. Bruxelles 21 avril 2009; Comm. Bruxelles 3 juillet 2009).

Dans les affaires soumises au tribunal de commerce de Liège, le tribunal note qu'“aux termes de sa requête, la (requérante) sollicite l'ouverture d'une procédure de réorganisation judiciaire par accord collectif et ce en application des articles 44 à 58 de la loi”, ainsi que, dans certains cas, l'assistance d'un mandataire de justice, et, sur la base de ces simples constatations, reçoit ces demandes (Comm. Liège 23 avril 2009; Comm. Liège 28 avril 2009; Comm. Liège 29 avril 2009; Comm. Liège 6 mai 2009; Comm. Liège 12 mai 2009; Comm. Liège 14 mai 2009).

Par son jugement du 9 juillet 2009, le tribunal de commerce de Nivelles expose, avec une remarquable clarté, sur le rapport en ce sens du juge délégué et l'avis conforme du Ministère public, que “[s]'il est évident qu'il ne s'agit pas de sanctionner un débiteur aux abois dont le désordre des affaires l'empêche de produire des éléments très fiables, le but de la réorganisation est cependant de donner une solution aux problèmes de l'entreprise” et que l'absence en annexe à la requête des deux derniers comptes annuels, “véritable miroir de la société [qui] font partie des pièces indispensables à joindre au dépôt de la requête” doit entraîner son irrecevabilité (Comm. Nivelles 9 juillet 2009) [3].

La question de la recevabilité ne soulève, on l'aperçoit, aucune difficulté, sauf dans une affaire particulière qui retient l'attention et se trouve examinée ci-dessous.

10.Dans l'une des affaires soumises au tribunal de commerce de Liège, une requête avait été déposée, accompagnée de ses annexes, par une commerçante personne physique, énonçant que la continuité de son activité est menacée et sollicitant dès lors le bénéfice de la réorganisation judiciaire par accord collectif.

Le rapport du juge délégué concluait “au caractère contestable de la légitimité de l'intérêt de la requérante (…)”.

Prolongeant cet avis, le tribunal décrit la demande comme suit: “[La débitrice] exploite à l'heure actuelle deux débits de boissons… [et antérieurement] une activité de restaurant 'cabaret' à Jemeppe. Elle fait état de difficultés financières importantes résultant notamment du déficit conséquent lié à cette dernière activité. Elle a fait l'objet d'une citation en faillite à l'initiative du procureur du Roi. Elle ne conteste pas que les conditions de la faillite sont réunies. Elle estime que la continuité de son activité est menacée de sorte qu'elle demande le bénéfice de la réorganisation judiciaire par accord collectif de ses créanciers”, et dit ensuite la demande non recevable aux motifs qu'“[i]l ne suffit pas pour qu'une demande en justice soit recevable, que la requérante dispose d'un intérêt à agir (art. 17 C.jud.) encore faut-il que celui-ci soit légitime (…). En l'espèce, les circonstances qui entourent les difficultés dénoncées par [la débitrice] permettent de conclure que tel n'est pas le cas. Ainsi, la débitrice s'est abstenue pendant plusieurs mois de respecter son obligation de dépôt des déclarations TVA. De la même manière, n'a-t-elle pas procédé à temps au dépôt des déclarations fiscales à l'impôt des personnes physiques pour les années 2006 et 2007, à telle enseigne qu'elle a fait l'objet, pour cette dernière, d'une imposition d'office lui notifiée le 24 février 2009 par l'administration fiscale. Enfin, la débitrice a déclaré à l'audience que son époux, (…) émargeant au chômage, lui assure une aide régulière dans la tenue d'un des deux débits de boissons qu'elle exploite. Cette pratique contrevient aux dispositions applicables en matière de lois sociales. Il résulte de la conjonction de ces trois éléments de fait que [la débitrice] ne peut justifier du caractère légitime de sa demande de réorganisation judiciaire qui tend à faire supporter par ses créanciers les conséquences financières de ses propres défaillances dans le respect des obligations les plus élémentaires qui s'imposent à tout commerçant” (Comm. Liège 11 mai 2009).

Sur les conséquences qu'elle attache à ces constatations, cette décision est contestable.

En effet, quelle que soit la justesse de l'appréciation ainsi portée par le tribunal sur le comportement de la requérante, la décision, en tant qu'elle repose sur une véritable instruction du dossier, procède de l'examen du fondement, et non de la vérification de la recevabilité de la demande.

La requérante n'a évidement pu invoquer, littéralement ou de manière grossièrement dissimulée et démystifiable à première lecture de l'acte introductif de la procédure ou des pièces, comme objectif poursuivi par sa demande, tel que visé par l'article 17 § 2, 2° de la loi, qu'elle cherchait “à faire supporter par ses créanciers les conséquences financières de ses propres défaillances dans le respect des obligations les plus élémentaires qui s'imposent à tout commerçant”. C'est, ayant étudié les actes de procédure, les documents déposés et entendu les parties, le tribunal lui-même qui est conduit à cette conclusion, après une réflexion propre, sur le rapport conforme du juge délégué.

L'intérêt présenté par la demanderesse, à savoir rechercher “le bénéfice de la réorganisation judiciaire par accord collectif de ses créanciers”, parce que celle-ci “estime que la continuité de son activité est menacée” est, en soi, légitime. Il convient ensuite de se prononcer sur l'existence du droit invoqué à pouvoir en obtenir le bénéfice. Or, cette existence n'est pas une condition de recevabilité de l'action mais de son succès (Cass. 26 février 2004, RG n° C010402N, Pas. 2004, n° 106, p. 335, RAGB 2004, p. 612 et obs.; Cass. fr. 17 mai 1993, Bull.civ. 1993, I, n° 169; Cass. fr. 27 janvier 1999, JCP 1999, IV, 548; Anvers 11 décembre 2000, JPA 2000, p. 135; Anvers 13 janvier 2003, JPA 2003, p. 341).

11.Sur l'appel de la requérante, la cour d'appel de Liège, par son arrêt du 18 juin 2009, réforme le jugement précité entrepris, dit recevable la requête en réorganisation judiciaire, et ensuite la déclare fondée.

Sur la question circonscrite de la recevabilité, il est intéressant de relever qu'après avoir décrit succinctement la demande, l'arrêt estime que la condition de la bonne ou mauvaise foi manifeste ne constitue plus une condition de recevabilité de la requête, contrairement à la règle qui prévalait sous l'empire de la loi relative au concordat judiciaire et décide, en conséquence, que “[l]es premiers juges ne pouvaient donc, sous le couvert d'une prétendue appréciation de la légitimité de l'intérêt, réintroduire une condition tenant à l'absence de mauvaise foi qui n'est plus présente dans la loi nouvelle pour l'ouverture de la procédure”.

Certes, la notion de mauvaise foi ne tient plus, dans le cadre de la loi sur la réorganisation judiciaire, le rôle qui était le sien dans celui de la loi relative au concordat judiciaire. Il se comprend dès lors, dans l'espèce tranchée par la cour d'appel, que la demande ait été déclarée recevable. Il n'en demeure pas moins que l'illégalité ou l'illégitimité d'une demande peut faire obstacle, selon le droit commun, à ce qu'elle soit accueillie. Mais cette éventualité relève généralement d'une analyse au fond, parfois au travers (pour ce qui concerne l'illégitimité, en tous cas) de la notion d'abus de droit, évoquée plus loin [4].

§ 4. L'examen de la recevabilité de l'intervention volontaire d'un tiers

12.L'article 5, alinéa 5 de la loi prévoit que “[t]out intéressé peut intervenir dans les procédures prévues par la présente loi, conformément aux articles 812 à 814 du Code judiciaire”.

Par ailleurs, l'article 14 déclare que “[l]orsque des manquements graves et caractérisés du débiteur ou de ses organes menacent la continuité de l'entreprise en difficulté et que la mesure sollicitée est de nature à préserver cette continuité, le président du tribunal, saisi par tout intéressé selon les formes du référé, peut désigner à cet effet un ou plusieurs mandataires de justice (…)”.

13.Dans plusieurs affaires tranchées par les décisions publiées, le Ministère public est intervenu à la cause, parfois pour obtenir la désignation d'un administrateur provisoire, selon les formes du référé (devant le tribunal lui-même, cependant, et non son président), conformément à ce que prévoit l'article 28 § 1er de la loi (Liège 18 juin 2009; Comm. Anvers 28 avril 2009; Comm. Turnhout 5 mai 2009; Comm. Turnhout 7 mai 2009, B/09/123, inédit; Comm. Turnhout 19 mai 2009; Comm. Liège 11 mai 2009).

14.Les créanciers disposent également de la possibilité d'intervenir volontairement à la cause. Leur intervention est considérée recevable, notamment s'ils sont “de niet betwiste schuldeisers van de verzoekster tot gerechtelijke reorganisatie” (Comm. Anvers 5 mai 2009; voir également: Comm. Bruxelles 21 avril 2009; Comm. Mons 19 mai 2009; Comm. Nivelles 9 juillet 2009).

§ 5. Examen du fondement des demandes

15.C'est évidemment sur la question du fondement des demandes soumises au tribunal de commerce que l'analyse devient plus intéressante.

Reprenant l'article 16, alinéa 1er et l'article 23 de la loi, l'on se souviendra que son but étant de préserver sous le contrôle du juge, la continuité de tout ou partie de l'entreprise en difficulté ou de ses activités, la procédure est ouverte dès que la continuité de l'entreprise est menacée, à bref délai ou à terme, la réalité d'une telle situation étant en tout cas présumée, pour les personnes morales, si les pertes ont réduit l'actif net à moins de la moitié du capital social.

Il est précisé littéralement que “[l]'état de faillite ne fait pas obstacle en soi à l'ouverture ou à la poursuite de la procédure de réorganisation judiciaire” (art. 23, al. 5).

La volonté du législateur de rendre non pertinent l'état de faillite est incontestable (voir notamment: A. Zenner, La nouvelle loi sur la continuité des entreprises, Louvain-la-Neuve, Anthemis, 2009, n° 47, p. 82; J.-Ph. Lebeau, “La nouvelle procédure de réorganisation judiciaire et l'accord amiable”, La continuité des entreprises: la réforme, Séminaire Vanham & Vanham du 29 janvier 2009, p. 14, n° 26), même s'il est permis, d'une part, de regretter cette option générale et, d'autre part, de souligner une imperfection du libellé de l'article 23 qui se limite à indiquer textuellement que l'état de faillite ne fait pas obstacle à “l'ouverture ou à la poursuite de la procédure de réorganisation judiciaire”, sans allusion au dépôt de la requête sollicitant une telle ouverture. Cette présentation ne peut éliminer totalement la discussion sur la question de savoir si l'état de faillite virtuel clairement avéré dès avant le dépôt de la requête en réorganisation judiciaire ne serait pas de nature à en entraver l'ouverture (M. Grégoire, “Le sort des créanciers et leurs garanties”, La continuité des entreprises: la réforme, Séminaire Vanham & Vanham du 29 janvier 2009, nos 18 et seq.; voy. cep. P. Coussement, “De wet op de continuïteit van de ondernemingen van 31 januari 2009”, TBH 2009, p. 288-290, nos 13-16, p. 296-297, n° 39, p. 300, n° 51, p. 301, n° 53, spécialement la note infrapaginale n° 100), étant entendu qu'il va de soi que l'apparition de cet état après le dépôt de la requête ou en cours de procédure ne constitue aucunement une barrière à la réorganisation.

16.Quoi qu'il en soit, les conditions ainsi exposées sont minimalistes et traduisent clairement la volonté du législateur de favoriser dans la plus large mesure possible l'ouverture de la procédure en réorganisation judiciaire (voir notamment: J.-Ph. Lebeau, “La nouvelle procédure de réorganisation judiciaire et l'accord amiable”, La continuité des entreprises: la réforme, Séminaire Vanham & Vanham du 29 janvier 2009, p. 12 et seq., nos 20 et seq.).

Selon nous, la loi laisse une place, néanmoins, pour une appréciation, certes très marginale, du fondement de la demande par le juge. Le libellé de l'article 23, alinéa 1er de la loi montre, en effet, que l'ouverture de la procédure dépend à tout le moins de ce que la continuité de l'entreprise soit menacée, à bref délai ou à terme, ce qui ne peut relever que de l'appréciation du tribunal (et pas seulement, au stade de l'examen du fondement et non de la recevabilité, de celle du requérant). En outre, il est difficile, si l'on se fonde sur les textes eux-mêmes et non sur les commentaires qui en sont faits, de soutenir radicalement que l'existence de cette condition ne devrait pas être démontrée, puisque c'est un mode de preuve, celui de la présomption légale, qui est utilisé par l'article 23, alinéa 3, lorsque le demandeur est une personne morale dont les pertes ont réduit l'actif net à moins de la moitié du capital social.

Enfin, si l'état de faillite du débiteur ne fait pas obstacle “en soi” à l'ouverture de la procédure, il faut en déduire qu'accompagné d'autres circonstances, il pourrait avoir cet effet. Il en serait ainsi sans doute s'il se révélait radicalement exclu que la procédure puisse mener au maintien d'une activité, fût-elle minime.

Tout cela amène à penser que si le tribunal de commerce, lors de l'exercice de cette mission, se trouve assurément limité à l'extrême dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, il n'en devient pas pour autant entièrement contraint à se borner à agir comme une simple chambre d'entérinement et de prise d'acte.

Ceci étant dit, comment les tribunaux de commerce eux-mêmes, dans les décisions publiées, ont-ils conçu leurs propres pouvoirs?

17.Plusieurs tribunaux ne retiennent qu'un seul critère: celui de la menace sur la continuité de l'entreprise, à bref délai ou à terme (Comm. Namur 4 mai 2009; Comm. Turnhout 5 mai 2009; Comm. Turnhout 7 mai 2009, B/09/123, inédit; Comm. Namur 19 mai 2009), mais d'autres y ajoutent toutefois qu'accorder le sursis suppose nécessairement qu'il existe un minimum d'activité économique à maintenir, que la possibilité de survie repose sur des éléments concrets (Comm. Anvers 5 mai 2009; Comm. Anvers 26 mai 2009) et que la procédure de réorganisation judiciaire puisse apporter une partie de la solution au problème du maintien total ou partiel de l'activité économique (Comm. Liège 23 avril 2009; Comm. Liège 28 avril 2009; Comm. Liège 29 avril 2009; Comm. Liège 6 mai 2009; Comm. Liège 12 mai 2009; Comm. Liège 14 mai 2009; voir également les motifs de Comm. Nivelles 9 juillet 2009), impliquant au moins deux créanciers - et non un seul - lorsque le débiteur a limité sa demande à la réorganisation par accord amiable exclusivement (Comm. Bruxelles 3 juillet 2009) [5].

Souvent, le tribunal ou la cour d'appel procède néanmoins à une appréciation des éléments de fait concrets qui lui sont soumis et des propositions formulées en vue de vérifier malgré tout si celles-ci sont susceptibles d'apporter un élément de solution aux problèmes rencontrés par l'entreprise pour maintenir totalement ou partiellement l'activité économique (Comm. Liège 23 avril 209; Comm. Liège 28 avril 2009; Comm. Liège 29 avril 2009; Comm. Liège 6 mai 2009; Comm. Liège 12 mai 2009; Comm. Liège, 14 mai 2009; Comm. Mons 19 mai 2009). Il advient que la durée du sursis soit déterminée en fonction de la complexité de l'affaire (Comm. Bruxelles 21 avril 2009), ou des caractéristiques propres au secteur dont relève l'entreprise et aux conditions particulières, en fonction du type de clientèle dont elle jouit, qui entourent son redressement potentiel (Anvers 31 juillet 2009).

18.L'ouverture de la procédure pourrait-elle être refusée pour la raison qu'en tentant de recourir à la procédure de réorganisation judiciaire, le demandeur commettrait un abus de droit?

À cet égard, il a été jugé qu'“il ne peut y avoir abus de droit quand les requérants font une ultime tentative de sauver ce qui peut l'être en faisant application d'une loi nouvelle, qui leur offre de nouvelles options” (Comm. Mons 19 mai 2009).

Rien ne permet toutefois d'écarter totalement une réponse positive à cette question, quand les circonstances l'imposent.

Le fait d'agir en justice constitue l'exercice d'un droit, qui peut dégénérer en acte illicite s'il est accompli avec témérité, malice ou mauvaise foi (Cass. 29 novembre 1962, Pas. 1963, I, p. 406; G. de Leval, Éléments de procédure civile, 2ème éd., o.c., n° 4, p. 15).

Encore faut-il certes que le comportement reprochable du demandeur soit en rapport avec les conditions d'ouverture de la procédure de réorganisation judiciaire. Partant, aussi critiquables soient-ils, les éléments fautifs relevés par le jugement du tribunal de commerce de Liège du 11 mai 2009 (à savoir l'omission de déposer les déclarations de TVA ou à l'impôt des personnes physiques, le recours à une pratique contrevenant aux dispositions applicables en matière de lois sociales) sont certes très répréhensibles mais ne peuvent être considérés comme constitutifs d'une utilisation téméraire, malicieuse ou de mauvaise foi de la requête en réorganisation judiciaire. Tel n'est pas davantage le cas même lorsque l'attitude du requérant peut être interprétée, ainsi que le fait le tribunal, comme une tentative de faire “supporter par ses créanciers les conséquences financières de ses propres défaillances dans le respect des obligations les plus élémentaires qui s'imposent à tout commerçant”, pour reprendre les termes du jugement précité. En soi, cela n'est ni abusif ni même répréhensible, puisque tel est, en définitive, précisément l'objectif de toute procédure collective d'insolvabilité: répartir de manière structurée, entre tous les créanciers, la charge des défaillances d'un débiteur.

Par contre, présenteraient effectivement un caractère abusif, la volonté de nuire à un créancier, par exemple, ou celle de rechercher la protection du sursis pour créer une distorsion de concurrence (Comm. Anvers 26 mai 2009).

19.Relevons que les malversations et négligences pointées par le jugement précité, ou encore la dissimulation d'un avoir ou d'un gain important, auraient été de nature à justifier la désignation d'un administrateur provisoire sur la base de l'article 28 de la loi.

Cet article 28 § 1er, dispose qu'“[e]n cas de faute grave et caractérisée ou de mauvaise foi manifeste du débiteur ou d'un de ses organes, le tribunal peut, à la demande de tout intéressé ou du Ministère public et dans le jugement qui ouvre la procédure de réorganisation judiciaire ou dans un jugement ultérieur, le débiteur entendu et le juge délégué entendu dans son rapport, leur substituer pour la durée du sursis un administrateur provisoire chargé d'administrer l'entreprise de la personne physique ou de la personne morale. A tout moment pendant la période de sursis, le tribunal, saisi de la même manière et après avoir entendu le débiteur en ses dires, le juge délégué en son rapport, et l'administrateur provisoire, peut retirer la décision (…) ou modifier les pouvoirs de l'administrateur provisoire. Ces décisions sont publiées [au Moniteur belge et notifiées aux créanciers individuellement]”.

Le jugement du tribunal de commerce d'Anvers du 28 avril 2009 fait judicieusement application de cette disposition, statuant sur l'intervention volontaire du Ministère public, en raison notamment de la disparition de fonds gigantesques apportés dans l'entreprise par des investisseurs, sans guère d'espoir de récupération, eu égard aux paramètres très négatifs enregistrés par la société (Comm. Anvers 28 avril 2009).

20.La flexibilité et le spectre extrêmement large de la loi, qui permet d'accueillir, à la faveur de son effet “portail”, à peu près toutes les entreprises qui rencontrent des difficultés, quel qu'en soit le degré, trouvent malgré tout des limites, posées par l'article 41 § 1er, qui énonce que: “[l]orsque le débiteur n'est manifestement plus en mesure d'assurer la continuité de tout ou partie de son entreprise ou de ses activités au regard de l'objectif de la procédure, le tribunal peut, à compter du trentième jour du dépôt de la requête et jusqu'au dépôt du plan de réorganisation au dossier de la procédure, ordonner la fin anticipée de la procédure de réorganisation judiciaire par un jugement qui la clôture. Le tribunal statue sur requête du débiteur ou sur citation du Ministère public ou de tout intéressé dirigé contre le débiteur, le juge délégué entendu en son rapport. Le tribunal qui ordonne la fin anticipée de la procédure de réorganisation judiciaire peut prononcer par le même jugement la faillite du débiteur ou, s'agissant d'une société, la liquidation judiciaire, lorsque la citation tend également à cette fin et que les conditions en sont réunies”.

Le tribunal peut aussi se contenter de ne pas prolonger le sursis initial octroyé avec les mêmes conséquences, décrites à l'article 42: “Dès le prononcé du jugement qui ordonne la fin anticipée de la procédure en réorganisation judiciaire ou qui la clôture, le sursis prend fin et les créanciers retrouvent l'exercice intégral de leurs droits et actions. Il en est de même si le sursis expire sans avoir été prorogé (…)”.

Le tribunal de commerce de Turnhout, par son jugement du 19 mai 2009, fait application de cette possibilité. Après avoir accordé un sursis très court, afin de permettre au débiteur de présenter un projet crédible de restructuration, le tribunal constate, sur le rapport conforme du juge délégué, que “de schuldenaar niet aantoont dat hij kennelijk niet meer in staat is de continuïteit van het geheel of een gedeelte van zijn onderneming te verzekeren overeenkomstig het doel van de procedure” et décide dès lors que “de opschorting zoals toegekend (…) niet wordt verlengd (…)”.

À la demande du Ministère public, intervenu volontairement à la cause, il prononce ensuite la faillite et désigne un curateur. Il s'agit du seul lien conservé dans la nouvelle législation entre la procédure de réorganisation et la faillite, cette dernière ne pouvant toutefois plus, à quelque stade que ce soit, être prononcée d'office par le tribunal.

21.Dans le même ordre d'idées, la cour d'appel de Mons souligne explicitement l'intérêt que présentent les articles 41 et 42 de la loi, dans son arrêt du 2 juin 2009 réformant un jugement du tribunal de commerce de Charleroi qui avait estimé que la requérante ne l'avait pas mis en mesure d'apercevoir l'avantage que présenterait la procédure de réorganisation judiciaire par rapport à la faillite. La cour d'appel, tout en ayant relevé de manière surabondante, qu'“[e]n l'espèce, les 'propositions de redressement' jointes à la requête originaire détaillaient les 'mesures à prendre' [par le débiteur], relevant de sa politique financière et économique et de nature à rétablir ainsi sa rentabilité ce qui est de nature à procurer à ses créanciers, notamment chirographaires, un avantage évident par rapport à la situation de faillite en permettant la production d'une valeur ajoutée afin de réduire le passif exigible et désintéresser ainsi les créanciers”, accorde le sursis en se fondant sur le motif notamment que le législateur n'exige pas que le demandeur démontre que la procédure de réorganisation judiciaire dont il sollicite l'ouverture est plus avantageuse que la faillite (Mons 2 juin 2009).

§ 6. Les effets du sursis sur les droits des créanciers

22.L'octroi du sursis emporte d'importantes conséquences sur les prérogatives des créanciers, ce qui constitue évidemment tout son intérêt. La principale entrave consiste en la prohibition, exprimée par les articles 30 et 31, de toute saisie et voie d'exécution, de biens meubles ou immeubles, pour une créance-cause sursitaire, qu'elle soit ordinaire ou extraordinaire.

Toutefois, bien qu'ils se rapprochent quant à leurs conséquences économiques concrètes d'une voie d'exécution forcée, les effets engendrés par un gage sur créances ne sont pas entravés par la procédure de réorganisation judiciaire (art. 32), au même titre que ceux de l'action directe instituée par l'article 1798 du Code civil (art. 33, al. 3), ou de toutes les conventions conclues sous le couvert de la loi du 15 décembre 2004 relative aux sûretés financières (art. 34).

23.Aux termes de l'article 32 de la loi relative à la continuité des entreprises, “[l]e sursis n'affecte pas le sort des créances spécifiquement gagées au profit de tiers”. Ce sort est déterminé par l'article 3, alinéa 1er, du livre Ier du titre VI du Code de commerce qui édicte que “le créancier gagiste perçoit, aux échéances, les intérêts, les dividendes et les capitaux des valeurs données en gage, et les impute sur sa créance”. Une telle prérogative, qui échappe à l'ordre public et peut dès lors être supprimée ou modalisée par les parties, prive d'intérêt dans une très large mesure le recours à la procédure d'exécution forcée organisée par l'article 4 du même texte (M. Grégoire, Publicité foncière, sûretés réelles et privilèges, Bruxelles, Bruylant, 2006, n° 1140, p. 473). De la même manière, en vertu de l'article 9 de la loi du 15 décembre 2004 relative aux sûretés financières, le créancier gagiste est autorisé, sauf stipulation contraire des parties, en cas de défaut d'exécution, à réaliser, sans mise en demeure ni décision judiciaire préalable, le gage constitué sur des espèces, en imputant, conformément à l'article 1254 du Code civil, les espèces engagées, dans le respect des règles fixées par les parties en ce qui concerne leur évaluation et leur exigibilité, sur sa créance en principal, intérêts et frais (ibid.).

24.La situation ne pourrait être identique pour le créancier gagiste sur fonds de commerce, même lorsque, comme la Cour de cassation l'a admis, l'assiette en inclut les créances, valeurs mobilières et espèces (Cass. 6 novembre 1970, Pas. 1971, I, p. 200, RCJB 1972, p. 320, note M. Fontaine; Cass. 6 novembre 1986, Pas. 1987, I, 301, RDC 1987, p. 723, note Maes, RW 1988-89, p. 57, note E. Dirix; Comm. Hasselt 11 mai 1995, RW 1995-96, p. 26-27; Comm. Ypres 14 décembre 1192, RDC 1994, p. 364-365, note Ph. Colle), aussi longtemps qu'aucune saisie, quelle qu'en soit l'origine, n'est pratiquée sur les éléments composant le fonds de commerce. Avant l'intervention d'une telle mesure, en effet, l'assiette du gage sur fonds de commerce demeure fluctuante et les créances qui y sont intégrées ne s'en trouvent pas “spécifiquement gagées”, au sens de l'article 32 précité. Le créancier gagiste sur fonds de commerce n'est donc pas, en tant que tel, exempté des effets du sursis, même pour ce qui concerne les créances, à tout le moins, en tant que le sursis emporte une suspension des voies d'exécution (M. Grégoire, “Le sort des créanciers et de leurs garanties”, La continuité des entreprises: la réforme, Séminaire Vanham & Vanham du 29 janvier 2009, n° 26). Demeure toutefois applicable le droit commun contractuel qui permet au gagiste sur fonds de commerce de s'opposer à des actes d'appauvrissement frauduleux, par exemple, ou à des aliénations d'actifs, notamment sur le fondement de la responsabilité contractuelle du constituant et la tierce complicité du cocontractant de ce dernier.

25.Dans une espèce soumise en référé à la présidente du tribunal de commerce de Bruxelles, une banque estimait pouvoir se prévaloir - sur le fondement de l'article 9, précité, de la loi du 15 décembre 2004 relative aux sûretés financières (supra, n° 23) - du droit d'obtenir le versement à son profit des sommes inscrites au crédit des comptes ouverts au nom d'un débiteur en sursis. Par ordonnance du 15 juin 2009, ici publiée, l'interdiction, déjà antérieurement prononcée sur requête unilatérale, d'agir de la sorte est confirmée, pour les motifs analysés ci-dessous.

Dans un premier temps, l'ordonnance reconnaît, en théorie, l'absence d'impact de l'ouverture d'une procédure de réorganisation judiciaire sur l'efficacité des garanties soumises à la loi du 15 décembre 2004 relative aux sûretés financières. Cette position est incontestable.

L'ordonnance estime cependant qu'in casu, la volonté du créancier gagiste de rechercher la réalisation définitive et immédiate de son gage, serait entachée d'abus de droit, car cela est de nature à compromettre le succès potentiel de toute autre procédure que la faillite.

Cette décision est à considérer avec circonspection.

En premier lieu, l'on soulignera que l'ordonnance est attentive à rappeler soigneusement et précisément les règles en vigueur, imposant sans conteste la prévalence de la loi du 15 décembre 2004 relative aux sûretés financières sur la loi du 31 janvier 2009 relative à la continuité des entreprises. En deuxième lieu, c'est expressément que la décision insiste sur la circonstance qu'elle fut exclusivement dictée par les données de l'espèce. Enfin, en troisième lieu, ce qui, placé dans la balance des intérêts en présence, apprécié prima facie sous le bénéfice de l'urgence et au provisoire, a fait pencher le juge vers la thèse de l'entreprise en difficulté, c'est la recherche d'une exécution immédiate et définitive par la banque présentée comme intransigeante et isolée, d'un côté, par rapport aux chances crédibles de sauvetage, attestées par le juge délégué, d'une entreprise employant un nombre considérable de travailleurs, de l'autre.

26.Malgré ces précautions, cette ordonnance emporte néanmoins difficilement l'approbation. En effet, comme le rappelle d'ailleurs la décision elle-même, en élaborant la loi relative à la continuité des entreprises, le législateur, tout en restant fidèle à son objectif consistant à favoriser dans la plus large mesure possible la réorganisation de toute entreprise en difficulté, a clairement placé à l'abri du sursis toutes les garanties gouvernées par la loi du 15 décembre 2004 sur les sûretés financières. Cette position repose sur une analyse responsable de l'économie générale du crédit, lequel doit pouvoir compter, dans l'intérêt des entreprises elles-mêmes, en quête de liquidités, sur des conditions contractuelles fiables et stables. Apprécier les chances d'un projet de réorganisation sans prendre en considération l'application rigoureuse de la loi du 15 décembre 2004 relative aux sûretés financières revient, en définitive, à faire entièrement fi du cadre légal dans lequel celui-ci doit se concevoir et se développer.

27.Certes, le droit commun de l'abus de droit n'est pas en soi à exclure, mais son effet limitatif doit satisfaire à des conditions extrêmement exigeantes, bien répertoriées en droit positif (J.-F. Romain, “Le principe de la convention-loi (portée et limites): réflexions au sujet d'un nouveau paradigme contractuel” in Les obligations contractuelles, Bruxelles, Ed. Jeune Barreau, 2000, p. 115-120).

Les critères de l'abus consistent en l'exercice d'un droit contractuel dans le but de nuire à un cocontractant (Cass. 19 novembre 1987, Pas. 1988, I, p. 332), ou, s'il existe un choix entre différentes façons d'exercer un droit, l'utilisation de celle qui sera la plus dommageable pour autrui (Cass. 12 juillet 1917, Pas. 1918, I, p. 65; Cass. 16 novembre 1961, Pas. 1962, I, p. 332); ou encore l'exercice du droit sans intérêt ou motif légitime, raisonnable et suffisant, causant un préjudice disproportionné à autrui (Cass. 19 septembre 1983, Pas. 1984, I, p. 55; Cass. 30 janvier 1992, Pas. 1992, I, n° 283, p. 475, JLMB 1992, p. 650, RW 1993-94, p. 1023, RRD 1992, p. 256); ou enfin, le détournement du droit de sa fonction (Cass. 28 avril 1972, Pas. 1972, I, 797, RW 1972-73, col. 217, note Bützler, RCJB 1976, p. 315, note P. Van Ommeslaghe, “Abus de droit, fraude aux droits des tiers et fraude à la loi”).

Il importe que les constatations de la décision prononçant la déchéance d'un droit pour abus permettent d'apercevoir à quel critère l'exercice qui en est fait serait rattachable.

Ce devoir s'impose au juge du référé comme au juge du fond, puisque l'intervention du premier ne peut conduire à créer, pour l'une des parties, une situation juridique plus favorable que celle dont elle aurait pu demander, devant le second, la consécration à son profit (J. Linsmeau, “Le référé - Fragments d'un discours critique”, Rev.dr.ULB, Bruxelles, Bruylant, 1993, p. 36, n° 50).

Il semble que ce soit le critère de la disproportion qui ait été déterminant dans l'espèce examinée. Les circonstances propres à la cause permettant de caractériser de la sorte le comportement de la banque ne sont toutefois guère explicites dans la motivation de la décision. On aperçoit difficilement lesquelles elles pourraient être au demeurant en présence du simple exercice d'un droit dont le législateur prend expressément la peine de préciser qu'il ne rencontre aucun obstacle en raison de l'ouverture de la procédure.

III. Conclusion

28.Les premières décisions prononcées sous l'égide de la loi du 31 janvier 2009 relative à la continuité des entreprises permettent d'apercevoir les tendances principales qu'adoptera la jurisprudence en la matière, et notamment sur la question des conditions d'ouverture de la procédure de réorganisation judiciaire. Une certaine cohérence semble se dégager, quant à la portée des pouvoirs attribués au tribunal de commerce, interprétée avec modestie mais sans passivité.

29.Il ressort de l'examen de ces décisions que le dépôt de la requête emporte des effets automatiques, au point que le président du tribunal doit se limiter à en prendre acte et procéder immédiatement à la désignation d'un juge délégué. Sur ce point, les décisions sont unanimes. Elles appliquent en cela correctement l'article 18 de la loi qui déclare que “dans tous les cas”, un juge délégué se trouve désigné dès le dépôt de la requête, avec la mission notamment de faire rapport au tribunal “sur la recevabilité et le fondement de la demande”.

30.Ensuite, il s'aperçoit que recevabilité et fondement de la demande se trouvent examinés séparément, de manière expresse ou implicite, par les tribunaux de commerce, éclairés, sur ces deux questions, par le rapport du juge délégué. Cette distinction est conforme, selon nous, à la loi relative à la continuité des entreprises, en particulier à l'article 18 précité, ainsi qu'au droit commun auquel il n'est pas dérogé.

31.Pour que la demande soit recevable, il suffit qu'elle soit intégrée formellement dans une requête correspondant à la description de l'article 17 § 2, qu'elle émane bien du débiteur ou de ses représentants et qu'il n'y ait pas eu de précédent dans les trois années antérieures. Il suffit ensuite qu'elle formule la demande d'ouverture de la procédure, quelle qu'en soit la forme, et déclare qu'à l'estime du débiteur, la continuité de son entreprise est menacée. Le tribunal se trouve, à ce stade, totalement dépourvu de tout pouvoir d'appréciation concernant la réalité ou la pertinence de ces affirmations.

32.Pour ce qui concerne le fondement de la demande et donc l'ouverture de la procédure ainsi que l'octroi du sursis, le tribunal de commerce dispose d'un pouvoir d'appréciation très marginal, mais qui ne le cantonne pas à un rôle purement passif.

La plupart des tribunaux estiment avoir à vérifier prima facie, mais à la lumière du rapport établi par le juge délégué, s'il pèse sur la continuité de l'entreprise une menace à bref délai ou à terme et s'il existe un minimum d'activité économique à sauver. Certaines juridictions s'estiment, cependant, expressément privées de tout pouvoir d'appréciation à cet égard, mais procèdent malgré tout, sans doute à titre surabondant, à de telles vérifications.

Rien ne permet d'exclure la notion de droit commun d'abus du droit procédural, lequel ne pourrait découler que de circonstances totalement exceptionnelles, et non pas seulement de l'absence d'avantages de la procédure en réorganisation judiciaire par rapport à la faillite, ni même de l'existence de fautes graves et manifestes commises par le requérant [6].

Si de telles fautes ont été perpétrées, un administrateur provisoire peut être désigné, éventuellement sur l'intervention volontaire du Ministère public ou d'un tiers intéressé.

33.Demeure, en tous cas, - et cette échappatoire est souvent soulignée - la limite du refus de prorogation du sursis et celle de la fin anticipée de la procédure pouvant être prononcée à compter du trentième jour du dépôt de la requête. Si une demande en ce sens est formée par le Ministère public ou tout intéressé, elle peut s'accompagner d'une déclaration de faillite ou, le cas échéant, d'une dissolution judiciaire.

[1] Avocat à la Cour de cassation, professeur à l'Université Libre de Bruxelles et à l'Université Paris II - Panthéon Assas.
[2] Cette disposition était destinée à protéger le secteur financier. Elle est d'interprétation difficile. Elle était justifiée comme suit dans le cadre de l'amendement gouvernemental n° 1 qui est à l'origine de la loi du 31 janvier 2009 (proposition de loi relative à la continuité des entreprises, Amendement, Doc.parl. Ch. 2007-08, doc. n° 52-0160/02, p. 47-48: “L'effet de la loi sur le concordat sur les législations existantes à l'époque a fait l'objet de controverses. Un principe d'interprétation de la portée de l'amendement était utile. Ceci implique notamment - sans que ceci ne soit limitatif - que la loi du 15 décembre 2004 sur les sûretés financières, la loi du 5 décembre 1968 sur les conventions collectives de travail et comités paritaires et la CCT n° 9 du 19 mars 1972 doivent pouvoir sortir leurs pleins effets, sauf si un texte exprès déroge à ces textes.
[3] On rappellera que la loi elle-même, en son art. 17, fait une distinction entre un certain nombre de pièces absolument essentielles que le débiteur doit joindre à sa requête en réorganisation judiciaire dès le dépôt de celle-ci, et celles pour le dépôt desquelles il dispose d'un délai complémentaire de quatorze jours. À cet égard on peut se référer à l'amendement gouvernemental qui est à l'origine de la loi du 31 janvier 2009: les pièces que le débiteur “doit déposer avec sa requête (§ 2, 1° à 4°) [à savoir: exposé des événements, indication du ou des objectif(s) de la procédure, mention de l'adresse judiciaire électronique et deux derniers comptes annuels] sont celles qu'il a pratiquement nécessairement en sa possession et dont le greffier peut vérifier, sans examen approfondi, qu'elles sont effectivement les pièces exigées. (…) Les données des numéros 5 à 8 [situation comptable, prévision d'encaissements, liste des créanciers sursitaires, proposition(s) éventuelle(s)] peuvent être complétées par après. Pour cela le débiteur dispose d'un délai de quatorze jours pendant lequel il jouit déjà d'un moratoire. Certains éléments peuvent être difficilement directement déposés (…)” (Proposition de loi relative à la continuité des entreprises, Amendement, Doc.parl. Ch. 2007-08, doc. n° 52-0160/02, p. 55).
[4] On rappellera que la présente étude tend uniquement à contribuer à un premier examen des premiers pas jurisprudentiels de la loi nouvelle. Ce serait sortir de ce cadre que de prétendre ré-explorer en profondeur la portée précise de la notion de fin de non-recevoir, spécialement pour absence d'intérêt légitime. On se borne ici, sans en tirer aucune autre conclusion, à renvoyer à la jurisprudence de la Cour de cassation au sujet de la demande reposant sur un intérêt illégitime, notamment Cass. 2 avril 1998, RG n° C.94.0438.N, Pas. 1998, I, n° 188, p. 431, RW 1998-99, p. 502 et Cass. 3 octobre 1997, RG n° C.96.0334.F, Pas. 1997, I, n° 387, p. 965: “…la lésion d'un intérêt ne peut donner ouverture à une action en réparation qu'à la condition qu'il s'agisse d'un intérêt légitime”, où la cassation était cependant sollicitée sur la base des art. 1382 et 1383 du Code civil, et non de l'art. 17 du Code judiciaire, ce qui signale un grief de fond. Voir aussi dans le sens du moyen de fond: G. Block, Les fins de non-recevoir en procédure civile, Bruxelles-Paris, Bruylant/ LGDJ, 2002, p. 102 à 104.
[5] On ne peut exclure que d'autres juridictions adoptent une autre approche, qui ne serait d'ailleurs pas incompatible avec la philosophie générale de la loi.
[6] Sur les abus possibles et la meilleure façon de les appréhender, comp. P. Coussement, “De wet op de continuïteit van de ondernemingen van 31 januari 2009”, TBH 2009, passim.