Les lois de police et dispositions impératives dans le Règlement Rome I
TABLE DES MATIERES
I. Le dispositif européen destiné à assurer l'autorité des lois A. Un dispositif à trois branches
D. Les dispositions impératives
II. La nouvelle définition communautaire des lois de police A. D'une définition purement fonctionnelle à une définition incorporant un aspect substantiel
B. Les origines et la portée de la définition
C. Le sort des lois de police protectrices d'une partie faible
III. Les lois de police étrangères A. Un régime plus restrictif d'application des lois de police étrangères
B. Première restriction: des lois qui rendent l'exécution du contrat illégale
C. Seconde restriction: des lois du lieu d'exécution du contrat
IV. Les dispositions impératives de droit communautaire A. Extension au contexte européen du mécanisme de sauvegarde des dispositions impératives internes
B. Origine et portée du mécanisme des dispositions impératives de droit communautaire
C. Relation avec le mécanisme des lois de police de l'article 9
Introduction |
1.Cette étude a pour objet l'examen du nouveau régime des lois de police et dispositions impératives dans le règlement n° 593/2008 du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles, dit “Rome I” (ci-après, “le règlement”) [2].
Après une description générale des divers mécanismes à travers lesquels le règlement assure l'autorité des lois, qui comprennent non seulement les lois de police et dispositions impératives mais aussi l'ordre public (I), on examinera les trois principales innovations introduites par le règlement dans cette matière, à savoir respectivement l'introduction d'une définition substantielle des lois de police (II), le renforcement des conditions d'application des lois de police étrangères (III), et le nouveau régime des dispositions impératives de droit communautaire (IV).
I. | Le dispositif européen destiné à assurer l'autorité des lois |
A. | Un dispositif à trois branches |
2.Si la liberté des parties de choisir la loi applicable constitue l'une des “pierres angulaires” du système de conflit de lois en matière d'obligations contractuelles organisé par le règlement [3], cette liberté connaît, comme dans la Convention de Rome [4] à laquelle il succède, des limitations destinées à préserver le respect de certaines dispositions ou principes. La ratio legis de ces limitations est fournie par le considérant n° 37 du préambule du règlement, qui souligne que “des considérations d'intérêt public justifient, dans des circonstances exceptionnelles, le recours par les tribunaux des États membres aux mécanismes que sont l'exception d'ordre public et les lois de police. La notion de 'loi de police' devrait être distinguée de celle de 'dispositions auxquelles il ne peut être dérogé par accord' et devrait être interprétée de façon plus restrictive”.
Ainsi qu'il ressort de ce considérant, le règlement fait appel à trois mécanismes distincts pour encadrer l'autonomie de la volonté des parties: ordre public, lois de police et dispositions impératives. Chacun de ces mécanismes obéit à un régime qui lui est propre, dans des dispositions distinctes du règlement. Les trois mécanismes sont les mêmes que dans la Convention de Rome, mais ils subissent dans le nouveau texte certaines retouches, plus ou moins importantes.
B. | L'ordre public |
3.L'intervention de l'ordre public est prévue à l'article 21 du règlement. Le mécanisme fonctionne, de manière classique, sous une forme négative, celle d'une exception à la loi normalement désignée par le règlement: cette loi est écartée lorsque son application est “manifestement incompatible avec l'ordre public du for”.
Par rapport à la disposition équivalente de la Convention de Rome (art. 16), la seule modification est que, dans l'intitulé de la disposition, le règlement souligne qu'il s'agit de l'ordre public “du for”. Si la précision figurait déjà dans le texte même de la disposition dans la Convention de Rome, la nouvelle insistance mise par le législateur communautaire sur le “lex forisme” de l'ordre public n'est peut-être pas anodin au moment où le domaine d'application des lois de police étrangères se trouve sérieusement restreint. Cette restriction mise à l'application des lois de police étrangères ne pourra être compensée par un contrôle indirect du respect de ces lois par le détour de la clause d'ordre public, comme il avait parfois été suggéré sous l'empire de la Convention de Rome, en particulier dans les États membres où l'application des lois de police étrangères n'était pas possible [5], [6].
C. | Les lois de police |
4.Le mécanisme des lois de police fait l'objet de l'article 9 du règlement, qui constitue le pendant du célèbre article 7 de la Convention de Rome, qui a inspiré plusieurs codifications nationales, y compris en Belgique [7].
Le mécanisme subit, dans le règlement, des modifications relativement profondes. On passera rapidement sur un changement formel: suivant une séquence plus logique que dans la Convention de Rome où la règle prévoyant l'intervention des lois de police étrangères précède celle relative aux lois de police du for (respectivement aux 1. et 2. de l'art. 7) [8], le règlement inverse l'ordre des paragraphes en traitant d'abord des lois de police du juge saisi du litige.
Les changements substantiels sont de deux ordres. Premièrement, le texte introduit au paragraphe 1er une définition communautaire de la notion de loi de police, axée sur le concept d'intérêts publics. Deuxièmement, les conditions d'application des lois de police étrangères sont redéfinies de manière beaucoup plus stricte que dans la Convention. On reviendra de manière plus approfondie ci-dessous sur ces deux changements majeurs, qui sont au coeur de cette étude.
D. | Les dispositions impératives |
5.À la différence de l'ordre public (art. 21) et des lois de police (art. 9), le régime des dispositions impératives ne fait pas l'objet d'une disposition particulière et unique, mais est éclaté à travers diverses dispositions du règlement.
Certes, formellement, l'expression “disposition impérative” n'apparaît qu'une seule fois dans le règlement, comme un élément de la définition des lois de police (au § 1er de l'art. 9: voy. infra, II). Sur ce point, le règlement se distingue de la convention, qui définissait la notion de “dispositions impératives” à l'article 3, 3. comme les “dispositions auxquelles la loi ne permet pas de déroger par contrat”, pour ensuite reprendre l'expression “dispositions impératives” dans diverses autres dispositions de la Convention. Ceci avait donné lieu à des confusions dans certaines versions linguistiques, où la notion de “lois de police” n'était pas distinguée de celle de “disposition impérative” (par exemple, la version anglaise de la convention utilisait la notion de “mandatory rules” pour viser les deux notions, qui avaient pourtant une signification différente).
À présent, le considérant n° 37 du règlement, précité, insiste sur la distinction entre les deux notions. Par ailleurs, sous réserve de sa mention (comme élément de la notion de loi de police) à l'article 9, 1., la notion de “disposition impérative” n'est plus utilisée par le règlement, celle-ci étant à chaque fois remplacée par le bout de phrase “disposition à laquelle il n'est pas permis de déroger par accord”. On n'aperçoit pas vraiment l'utilité de cette nouvelle approche qui alourdit le texte, car la solution à la confusion précitée trouvait sa solution, outre dans la précision figurant dans le préambule, dans une modification de la terminologie dans les versions linguistiques qui confondaient les notions de lois de police et de disposition impérative (ainsi, dans la version anglaise du règlement, la notion de loi de police est à présent traduite par l'expression “overriding mandatory provisions”, qui se distingue de celle de “mandatory rules”). Quoi qu'il en soit, à notre avis, il ressort de la combinaison de l'article 9, 1. et du considérant n° 37 du règlement [9] que, comme dans la Convention de Rome, c'est bien la notion de “disposition impérative” qui est visée par l'expression “disposition à laquelle il n'est pas permis de déroger par accord” [10].
6.L'intervention des dispositions impératives, au sens de cette dernière définition, est prévue par le règlement dans trois types de circonstances. Premièrement, le concept joue un rôle important dans les contrats purement internes à un ordre juridique: lorsque tous les éléments de la situation sont localisés dans un pays, les dispositions impératives de ce pays s'appliquent nécessairement, même si les parties ont choisi la loi d'un autre pays (art. 3, 3.). Cette règle est reprise telle quelle de la Convention de Rome. L'innovation apportée par le règlement est que ladite règle ne vaut plus uniquement dans le contexte d'un ordre juridique national, mais aussi dans celui de l'ordre juridique communautaire: dans les situations qui se localisent uniquement dans un ou plusieurs États membres, le choix par les parties de la loi d'un état tiers ne porte pas atteinte aux dispositions impératives du droit communautaire (art. 3, 4. du règlement). On reviendra plus bas sur le domaine d'application et la portée de cette disposition très novatrice.
Deuxièmement, l'intervention des dispositions impératives est prévue dans deux catégories de contrats où le règlement instaure des règles protectrices d'une partie réputée faible: les contrats de consommation et les contrats individuels de travail. Dans ces deux matières, le choix par les parties de la loi applicable ne peut avoir pour effet de priver la partie réputée faible (consommateur ou travailleur) de la protection que lui assure les dispositions impératives de la loi qui aurait été applicable en l'absence de choix (art. 6, 2. et 8, 2.).
Troisièmement, le règlement prévoit l'intervention des règles impératives de forme du lieu de situation de l'immeuble, pour les contrats ayant pour objet un droit réel immobilier ou un bail d'immeuble (art. 11, 5.) [11].
Par ailleurs, il faut aussi tenir compte des dispositions impératives dont l'application s'impose en raison d'autres textes du droit communautaire qui règlent les conflits de lois, dont la primauté est reconnue par l'article 23 du règlement [12]. Pour ne prendre qu'un exemple à ce stade [13], les dispositions de la directive sur les contrats de timesharing, qui assurent la protection des acquéreurs de droit d'utilisation à temps partiel de biens immobiliers, doivent s'appliquer dès que le bien est situé sur le territoire d'un État membre [14].
En dehors des cas précités, le juge d'un État membre ne peut écarter la loi applicable au contrat (loi choisie par les parties ou applicable à défaut de choix) au seul motif qu'elle serait contraire à une disposition impérative d'un autre pays, même du for. Le principe d'autonomie de la volonté ne cède que devant l'intervention de normes qui présentent un degré d'impérativité supérieur à celui des dispositions “simplement impératives”, à savoir celles qui répondent à la qualification d'ordre public ou de lois de police [15].
II. | La nouvelle définition communautaire des lois de police |
A. | D'une définition purement fonctionnelle à une définition incorporant un aspect substantiel |
7.Dans la Convention de Rome, les lois de police avaient été définies comme étant celles “qui régissent impérativement la situation quelle que soit la loi applicable au contrat” (art. 7, 2.; comp. 7, 1.). La définition était à la fois fonctionnelle et neutre: elle se bornait à décrire l'effet des lois en cause, sans prendre parti sur les motifs qui peuvent inciter un état à conférer un domaine d'application nécessaire à l'une de ses règles [16]. En d'autres termes, la Convention de Rome laissait a priori un libre champ aux États membres pour décider dans quelles matières, et pour quels motifs, une règle doit avoir un caractère internationalement impératif, justifiant d'écarter le principe d'autonomie de la volonté.
L'article 9, 1. du règlement instaure une autre approche: tout en maintenant (en fin de disposition) l'élément fonctionnel dans la définition, il incorpore aussi une description substantielle: “une loi de police est une disposition impérative dont le respect est jugé crucial par un pays pour la sauvegarde de ses intérêts publics, tels que son organisation politique, sociale ou économique, au point d'en exiger l'application à toute situation entrant dans son champ d'application, quelle que soit par ailleurs la loi applicable au contrat d'après le présent règlement”.
On déduit de ce texte que, désormais, la notion de lois de police, traditionnellement laissée au champ national, se trouve encadrée par le droit communautaire, et que la Cour de justice pourra exercer un droit de regard sur la qualification par un État membre de dispositions de son droit national comme loi de police [17].
B. | Les origines et la portée de la définition |
8.Selon l'Exposé des Motifs de la proposition de règlement préparée par la Commission [18], la définition des lois de police retenue à l'article 9, 1. “s'inspire” de la jurisprudence Arblade [19] de la Cour de justice. Cette jurisprudence ne concerne pas en tant que telle la matière des conflits de lois en matière contractuelle, ni celle du mécanisme des lois de police en droit international privé. L'arrêt Arblade se rapporte au droit du marché intérieur, et rappelle, de manière classique, que les réglementations nationales susceptibles d'entraver les échanges - en l'espèce, dans le domaine de la réglementation du travail - doivent être justifiées par des raisons impérieuses d'intérêt national et répondre au test de proportionnalité. C'est au titre d'observations liminaires que la Cour de justice a souligné que cette analyse n'était pas modifiée par la circonstance que la réglementation en cause était qualifiée, en droit belge, de “lois de police et de sûreté” au sens de l'article 3, 1° du Code civil belge. Cette dernière notion n'étant pas connue de tous les États membres, c'est pour des raisons apparemment pédagogiques que la Cour a jugé utile d'expliquer ce qu'il “convient d'entendre” par cette expression, à savoir “des dispositions nationales dont l'observation a été jugée cruciale pour la sauvegarde de l'organisation politique, sociale ou économique de l'État membre concerné” [20].
Ainsi qu'on l'a relevé, cette explication trouvait elle-même ses racines dans les travaux de Ph. Francescakis sur les lois d'application immédiate. Dans l'étude fondatrice sur ce sujet [21] publiée en 1962, l'auteur avait insisté sur le lien entre l'essor de ces lois et l'interventionnisme croissant de l'État sur les relations individuelles. Selon l'auteur, le domaine des lois d'application immédiate “correspond d'un mot à la croissance… des objectifs politiques, culturels, sociaux, économiques, que l'état met en oeuvre au moyen de structures organisées par lui” [22]. Dans une étude publiée deux années plus tard, l'auteur ramassait ses idées pour formuler une définition générale, qui a souvent été reprise et discutée depuis lors: les lois d'application immédiate sont celles “dont l'observation est nécessaire pour la sauvegarde de l'organisation politique, sociale et économique du pays” [23].
9.Si la formule forgée par Ph. Francescakis se trouve manifestement à l'origine de l'article 9, 1. du règlement, on relèvera cependant trois différences, d'incidence inégale, entre les deux définitions.
Tout d'abord, le règlement vise des lois dont le respect est jugé “crucial”, plutôt que “essentiel”, pour la sauvegarde des intérêts mentionnés. Cette modification avait déjà été effectuée par l'arrêt Arblade, et paraît, à la marge, emporter une exigence supérieure d'implication des intérêts en cause. On peut comprendre la fonction d'un tel renforcement dans l'arrêt Arblade, où la notion de loi de police, telle que définie, est mise en parallèle avec celle de “raison impérieuse d'intérêt général” propre au droit communautaire [24]. Le renforcement est plus étonnant dans une définition générale des lois de police en droit international privé. Dans la théorie générale de cette discipline, on considère en effet généralement de nos jours qu'une disposition doit être qualifiée de loi de police dès que les raisons de les appliquer sont “plus fortes” que celle de la loi normalement applicable, sans aller jusqu'à exiger qu'elles soient vitales [25]. L'exigence du caractère “crucial” des intérêts dont la sauvegarde est recherchée peut cependant peut-être s'expliquer comme la transposition, dans le texte de l'article 9, 1., de la précision figurant au considérant n° 37 selon laquelle les lois de police doivent être interprétées “de façon plus restrictive” que les lois impératives, et ne doivent intervenir que dans des “circonstances exceptionnelles”. En d'autres termes, il s'agit d'insister sur le fait que le respect de la loi d'autonomie est la norme, et que le législateur ou le juge ne doivent pas conclure trop rapidement à l'existence d'intérêts plus fondamentaux justifiant d'écarter la loi normalement applicable [26].
Ensuite, l'article 9,1. ajoute une précision en ce qui concerne la nature des intérêts qui justifient d'écarter la loi d'autonomie. Dans la proposition initiale de la Commission [27], le texte reprenait tels quels sur ce point les éléments de la définition de Ph. Francescakis (et de l'arrêt Arblade): pour pouvoir être qualifiées de police, les lois en cause devaient toucher “à l'organisation politique, sociale ou économique”. Lors de l'examen du texte au Parlement, la disposition a été amendée pour viser, de manière plus générale, les “intérêts publics” [28]. La référence à l'organisation politique, sociale ou économique est maintenue, mais uniquement au titre d'illustrations (“tels que”) d'intérêts publics. C'est donc ici un élargissement, à la marge, de la définition qui est introduit: il n'est plus exigé que la loi touche à l'organisation du pays dans les trois domaines considérés pour pouvoir être qualifiée de loi de police. Le concept très étroit d'“organisation étatique”, qui chez Francescakis était l'élément central de la définition des lois de police [29], passe à l'arrière-plan, au profit de celui d'intérêt public. On aura l'occasion de revenir ci-dessous sur le point de savoir s'il faut en déduire une exclusion du champ de l'article 9 des lois de police dites protectrices.
Enfin, une dernière retouche a été apportée par le législateur communautaire à la définition de Francescakis: l'article 9, 1. stipule qu'une loi de police est une disposition impérative dont le respect “est jugé” crucial “par un pays” pour la sauvegarde de ses intérêts publics. La précision est importante, car elle met en évidence le côté subjectif de l'appréciation des intérêts publics [30]: c'est à l' état lui-même qui édicte une loi qu'il appartient de juger si le respect de cette loi est crucial pour la sauvegarde des intérêts en cause. En outre, la fin du texte ajoute: “au point d'en exiger l'application à toute situation entrant dans son champ d'application, quelle que soit par ailleurs la loi applicable au contrat”. À la limite, on pourrait considérer qu'il faut en déduire que lorsque le législateur - ou le juge - décide qu'une disposition s'applique quelle que soit la loi normalement applicable, il en ressort que, pour cet état, d'un point de vue subjectif, le respect de cette disposition doit être considéré comme crucial pour la sauvegarde des intérêts publics dudit État [31]. Bref, à suivre cette interprétation, la définition des lois de police reste fonctionnelle, comme sous l'empire de la Convention de Rome, et la qualification de loi de police continue à relever du pouvoir de chaque État.
10.Cette approche ne peut cependant aller jusqu'à soustraire la qualification de loi de police à tout contrôle de la Cour de justice. L'expérience de l'interprétation de la Convention de Bruxelles par la Cour de justice montre que, même si la définition du contenu d'un concept dérogatoire, comme celui d'ordre public, relève du droit national, les limites dans lesquelles cette notion peut être utilisée sont déterminées de manière autonome et communautaire, sous le contrôle de la Cour de justice [32]. Il devrait a fortiori en être ainsi du concept de loi de police puisque, à la différence de celui d'ordre public, il fait à présent l'objet, lui, d'une définition dans le règlement. Ainsi, si les États membres restent en principe libres d'apprécier si le respect d'une règle est crucial pour la sauvegarde d'intérêts publics, de sorte qu'elle doit être appliquée quelle que soit la loi applicable au contrat, cette qualification ne devrait pouvoir être retenue - ou en tout cas, l'effet de dérogation à la loi normalement applicable ne devrait pouvoir être admis - qu'à la condition de respecter certaines limites communautaires. Si celles-ci doivent encore être affinées, il ressort en tout cas déjà de la combinaison de l'article 9 et du considérant n° 37 que celles-ci devraient comprendre l'exigence de préserver le caractère dérogatoire du mécanisme: toute disposition impérative ne peut être considérée comme de police, cette dernière qualification ne pouvant être retenue qu'au cas par cas, en fonction d'une démonstration in concreto de la nécessité de lui reconnaître une application internationalement impérative.
En tout cas, compte tenu du caractère subjectif de la définition, lié au maintien d'un élément fonctionnel à la fin de l'article 9, 1., le contrôle ne devrait pas aller aussi loin que celui qui s'impose au regard du droit du marché intérieur. Comme on le sait, pour vérifier si l'application d'une réglementation nationale n'emporte pas une entrave injustifiée à la libre circulation, la Cour de justice requiert une justification objective de l'existence d'une raison impérieuse d'intérêt général [33], ainsi que la vérification du point de savoir si elle ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre la réalisation de l'objectif en cause [34]. Ce contrôle étendu, de type constitutionnel, devrait rester confiné, à notre avis, aux cas où le droit du marché intérieur impose de vérifier s'il n'existe pas une entrave injustifiée, sans devenir le standard général de l'application des lois de police en droit international privé en vertu de l'article 9 du Règlement Rome I [35].
C. | Le sort des lois de police protectrices d'une partie faible |
11.Une controverse est née dès l'adoption du règlement sur le point de savoir si la nouvelle définition des lois de police à l'article 9, 1. permettait encore l'intervention des lois de police dites “protectrices”. Par cette expression, on vise les dispositions qui visent à rétablir l'équilibre contractuel en faveur d'une partie réputée faible au contrat, comme le consommateur, le travailleur, le concessionnaire, le franchisé, l'agent commercial, etc.
Selon une première thèse, la définition des lois de police par référence aux “intérêts publics” a pour effet d'exclure cette qualification pour les dispositions protectrices, car celles-ci ne poursuivent que des intérêts particuliers [36]. Ainsi, il a été soutenu que “la notion se 'publicise' et se rétrécit ainsi considérablement; elle devient presque peau de chagrin, de nature à remettre en cause les pratiques nationales préexistantes, qui se servent de l'échappatoire des lois de police pour la protection catégorielle des intérêts privés particuliers d'une partie jugée faible” [37].
À suivre cette interprétation, le nouvel article 9 serait un “dispositif européen anti-lois de police” [38] qui aurait pour effet que des dispositions qui, de manière traditionnelle, étaient considérées en Belgique comme revêtant le caractère de police, comme celles qui protègent le concessionnaire (loi du 27 juillet 1961), l'agent commercial (loi du 13 avril 1995) ou le franchisé (loi du 19 décembre 2005), perdraient cette qualification, et ne pourraient par conséquent plus s'appliquer que lorsque le droit belge est applicable au contrat. Il ne serait donc plus possible, pour le juge belge, d'écarter la loi étrangère choisie par les parties pour faire application des dispositions protectrices du droit belge contenues dans les législations précitées.
12.Selon une deuxième thèse, la nouvelle définition des lois de police à l'article 9, 1. n'est pas incompatible avec la qualification des dispositions protectrices d'une partie faible comme lois de police [39]. Ainsi, “le règlement ne remet pas en cause les pratiques nationales soucieuses de protéger certaines catégories de justiciables par le biais de lois internationalement impératives” [40].
Cette deuxième thèse doit, à notre sens, être préférée. Plusieurs raisons peuvent être invoquées en ce sens.
Tout d'abord, comme on l'a vu, la définition des lois de police donnée à l'article 9, 1. est d'essence subjective, et paraît lier l'appréciation de l'existence d'intérêts publics à la conception fonctionnelle des lois de police, c'est-à-dire à la constatation que ladite loi a été conçue comme devant s'appliquer quelle que soit la loi applicable au contrat. Ainsi, lorsque le droit national prévoit, à propos d'une disposition protectrice particulière et spécifique, qu'elle doit revêtir un caractère internationalement impératif, en s'appliquant quelle que soit la loi applicable au contrat, cela signifie que, de manière subjective, cet État a estimé que l'application de cette loi était cruciale pour la sauvegarde d'intérêts publics.
Ensuite, comme on l'a aussi vu, le législateur européen n'a pas retenu telle quelle la version la plus restrictive de la notion de lois de police, axée sur la notion “d'organisation étatique” chère à Ph. Francescakis. Pour cet auteur, qui visait des réglementations telles que l'interdiction d'exporter des grains ou la réglementation des poids et mesures [41], la notion de loi de police était limitée aux cas “dans lesquels il n'y va pas seulement des intérêts particuliers, ni même de l'intérêt commun en tant que somme des intérêts particuliers, mais bien de l'ensemble de ces intérêts quand ils sont pris en charge par l'organisation étatique” [42]. Comme on l'a vu, la définition retenue par le législateur européen n'est pas aussi étroite, l'accent étant mis sur la notion d'intérêt public, concept plus souple et n'impliquant pas nécessairement l'intervention d'une structure ou organisation étatique. Or, les dispositions protectrices, si elles ne touchent pas à la structure de l'État ou à l'organisation administrative [43], peuvent le cas échéant servir indirectement l'intérêt public au détour de la protection d'une catégorie bien définie de personnes: “n'est-il pas dans l'intérêt général que les consommateurs ou les travailleurs bénéficient d'un cadre juridique équilibré?” [44]. Cela ne veut pas dire, bien entendu, que toute disposition impérative protectrice peut être qualifiée de loi de police au sens de l'article 9, 1.: comme il a été indiqué, la deuxième notion est plus étroite que la première, et c'est à l'État en cause de déterminer, de manière spécifique et particulière, parmi les dispositions protectrices qu'il édicte, celles qui doivent recevoir un caractère internationalement impératif.
Enfin, le bien-fondé de cette seconde thèse trouve une confirmation explicite dans l'arrêt Arblade lui-même [45]. En effet, les dispositions nationales que la Cour a qualifié de loi de police dans cette affaire se rapportaient à la réglementation du travail, et comprenaient non seulement des dispositions touchant à l'organisation étatique (comme la tenue des documents sociaux et de travail), mais aussi des dispositions qui sont généralement considérées comme protectrices du travailleur (comme le versement d'une rémunération minimale) [46]. Ainsi qu'on l'a relevé [47], il serait assez paradoxal que la définition des lois de police figurant à l'article 9, 1., tirée de la jurisprudence Arblade, soit interprétée comme ne couvrant pas des dispositions nationales du type de celles qui ont précisément été qualifiées de police au sens de ladite définition dans cette jurisprudence.
13.Il faut donc en conclure à notre avis que la notion de loi de police au sens de l'article 9, 1. peut encore comprendre des dispositions protectrices d'une partie faible, lorsqu'elles reçoivent un caractère internationalement impératif selon le droit national. Concrètement, lorsque le législateur d'un État prévoit, de manière explicite, qu'une disposition protectrice doit s'appliquer quelle que soit la loi applicable au contrat, le juge ne pourrait, à notre avis, invalider cette qualification sur pied de l'article 7, 1. du règlement (car dans ce cas, le prescrit communautaire est respecté: la loi a été jugée par l'État en cause comme cruciale pour la préservation de ses intérêts). Ainsi, s'agissant du droit belge, les législations précitées relatives à la protection du concessionnaire, de l'agent ou du franchisé, dans la mesure où elles prévoient de manière explicite le caractère internationalement impératif de certaines règles protectrices, relèvent du mécanisme de l'article 9 du règlement. Si le juge belge est saisi du litige, elles doivent être appliquées quelle que soit la lex contractus [48].
En cas de silence du législateur sur le caractère internationalement impératif, la situation est plus délicate. De manière traditionnelle, on considère que dans cette hypothèse, c'est au juge qu'il appartient de déterminer si une disposition revêt un caractère de police, au regard de son but, identifié à la lumière du contenu et de l'économie de la norme en cause [49]. C'est ici que la nouvelle définition des lois de police introduite par le législateur européen pourrait avoir le plus grand impact, le juge devant veiller à respecter l'impératif communautaire de réserver au mécanisme des lois de police son caractère dérogatoire et d'exception. En d'autres termes, en l'absence d'une indication explicite du législateur, le juge ou l'interprète ne devrait pouvoir retenir le qualificatif de loi de police qu'avec beaucoup de prudence et au cas par cas, après une analyse minutieuse du point de savoir si, concrètement, la norme en cause protège des intérêts publics dont la sauvegarde est cruciale dans l'État en cause.
III. | Les lois de police étrangères |
A. | Un régime plus restrictif d'application des lois de police étrangères |
14.Sous réserve de la nouvelle définition des lois de police examinée ci-avant, le régime d'application des lois de police du for n'est pas modifié: comme la Convention de Rome avant lui (art. 7, 2.), le règlement (art. 9, 2.) prévoit que les règles de conflits uniformes “ne pourront porter atteinte” à l'application des lois de police “du juge saisi”. Bref, l'application des lois de police du for était et reste obligatoire pour le juge, sans autre condition que celle de la constatation que la norme en cause présente le caractère de loi de police.
Par contraste, le règlement introduit une modification assez substantielle du régime des lois de police étrangères, en introduisant de nouvelles conditions d'application.
Commençons par relever ce qui n'a pas changé: l'application des lois de police étrangères n'est pas obligatoire pour le juge: le règlement, comme la convention avant lui, prévoit qu'il “pourra également être donné effet” aux lois de police d'un autre État que celui dont la loi est normalement applicable. Il s'agit d'une faculté pour le juge, qui est encadrée par certaines directives qui, à nouveau, sont inchangées: “pour décider si effet doit être donné à ces lois de police, il est tenu compte de leur nature et de leur objet, ainsi que des conséquences de leur application ou de leur non-application”. Ainsi qu'on l'a relevé, l'approche présente certaines analogies avec la méthode dite des intérêts gouvernementaux, le juge ou l'interprète du contrat étant appelé à peser les intérêts en présence, compte tenu de leur nature et de leur objet, pour privilégier la loi qui a le plus d'intérêt à s'appliquer [50].
Considérée dans certains États membres comme une menace pour la sécurité juridique et la liberté contractuelle, la Convention de Rome avait prévu une possibilité de réserve à l'application de cette disposition. Celle-ci a été exercée par sept États membres (à l'origine, le Royaume-Uni, l'Irlande, l'Allemagne, le Luxembourg et le Portugal, et plus récemment, la Lettonie et la Slovénie). Dans ces états, les juges n'avaient donc pas la possibilité de faire application des lois de police qui ne seraient ni celles du for ni celles de la loi applicable normalement au contrat [51].
Compte tenu du fait que contrairement aux conventions, les règlements communautaires n'autorisent pas de réserve, les États membres ont dû se mettre d'accord sur un régime uniforme de la question. Dans un premier temps, la Commission avait proposé de maintenir tel quel l'article 7, 1. de la Convention, justifiant cette solution comme suit: “les réponses au Livre vert ayant permis d'identifier des décisions qui ont eu recours à la notion de lois de police étrangère, y compris dans les États membres qui ont exprimé une réserve concernant l'article 7 § 1er de la convention, l'utilité de cette règle paraît confirmée, d'autant que le règlement 'Bruxelles I' prévoit parfois des compétences alternatives; la possibilité pour le juge saisi de prendre en compte les lois de police d'un autre État membre qui présente des liens étroits et dont les tribunaux auraient également pu être saisis par le demandeur paraît alors essentielle dans un véritable espace de justice européen” [52].
Cette proposition n'a pas convaincu les opposants de la disposition, en particulier au Royaume-Uni où l'on craignait que l'introduction d'une telle possibilité ruinerait la sécurité des transactions internationales, notamment dans le domaine financier, certains allant même jusqu'à suggérer qu'elle pourrait menacer la position de Londres comme place financière internationale [53]. La controverse sur le sujet n'est probablement pas étrangère à la décision initiale du Royaume-Uni de ne pas exercer son droit au opt-in et donc de rester en dehors du nouveau régime, décision sur laquelle cet État est finalement revenu (en ce sens que le Royaume-Uni est lié par le Règlement Rome I, comme d'ailleurs par le Règlement Rome II).
Dans l'intervalle, à la suite de propositions formulées dans la doctrine anglaise [54], il a finalement été décidé de maintenir une disposition permettant l'application des lois de police étrangères, tout en définissant de manière beaucoup plus restrictive les conditions de son application: selon l'article 9, 3., il ne peut être donné effet qu'aux lois de police “du pays dans lequel les obligations découlant du contrat doivent être ou ont été exécutées, dans la mesure où lesdites lois de police rendent l'exécution du contrat illégale”. Ainsi, par rapport à l'article 7, 1. de la Convention de Rome, deux limitations ont été introduites, qui seront examinées dans les paragraphes qui suivent: la première restreint le domaine d'intervention des lois de police étrangères, et la seconde définit plus strictement le lien qui doit exister avec l'ordre juridique dont proviennent ces lois.
B. | Première restriction: des lois qui rendent l'exécution du contrat illégale |
15.Aux termes de l'article 9, 3. du règlement, il ne pourra être donné effet aux lois de police d'un autre pays que celui régissant le contrat que “dans la mesure où lesdites lois de police rendent l'exécution du contrat illégale”. Ainsi, toutes les lois de police étrangères ne peuvent plus être prises en considération par les juges: parmi celles-ci, seules celles qui ont pour effet d'entraîner l'illégalité de l'exécution du contrat peuvent conduire à déroger à la lex contractus.
Ce mécanisme trouve son origine dans un principe exprimé au début du XXe siècle par la doctrine anglaise, dans le Traité du Professeur Dicey [55]. Selon cet auteur, “un contrat est, en général, nul dans la mesure où … l'exécution (du contrat) est illégale selon le droit du pays du lieu d'exécution du contrat” [56]. La formule a été citée avec approbation dans une affaire célèbre jugée par la cour d'appel de Londres en 1920, Ralli Brothers [57]. En l'espèce, dans un contrat de transport maritime soumis au droit anglais, le transporteur avait saisi les tribunaux anglais d'une action en paiement d'un complément du prix de transport alors que, selon le droit espagnol du lieu du paiement, le prix total du voyage était plafonné de manière impérative à un montant inférieur au prix prévu au contrat. Appliquant le principe précité de Dicey, la cour a rejeté l'action en considérant que l'exécution du contrat était illégale selon la loi espagnole du lieu d'exécution. La doctrine anglaise hésite sur le point de savoir s'il faut voir dans cette décision la consécration d'une véritable règle de conflit désignant la loi du lieu d'exécution, ou seulement d'un principe de droit anglais des contrats (applicable en l'espèce au titre de lex contractus) selon lequel une obligation contractuelle est suspendue en cas d'impossibilité d'exécution due à l'illégalité de ladite exécution selon la loi locale. Sous cet angle, la loi étrangère du lieu d'exécution est prise en compte comme un fait dans la mise en oeuvre de la lex contractus [58].
Si cette dernière approche l'avait emporté dans le Règlement Rome I, on aurait probablement inséré dans le texte une disposition du type de l'article 17 du Règlement Rome II sur la loi applicable en matière non contractuelle, qui prévoit qu'“il est tenu compte, en tant qu'élément de fait et pour autant que de besoin”, des “règles de sécurité et de comportement” (ici, on dirait “des règles qui rendent l'exécution du contrat illégale”) en vigueur au lieu du fait qui a entraîné la responsabilité [59].
Ce n'est pas le choix qu'a fait le législateur européen dans le Règlement Rome I, qui comporte à l'article 9, 3. une véritable règle de conflit, prévoyant qu'il peut être “donné effet” aux lois de police étrangères qui rendent l'exécution du contrat illégale. Si la méthode implique que le juge peut appliquer les règles concernées en tant que normes juridiques - et non seulement en tenir compte comme élément de fait - on relèvera que paradoxalement, le Règlement Rome I laisse une simple faculté au juge d'appliquer lesdites règles, tandis que le Règlement Rome II paraît emporter une obligation pour le juge de tenir compte de ces règles, en tant que fait.
16.Quelle est la portée exacte de l'exigence introduite par l'article 9, 3. que les normes en cause “rendent l'exécution du contrat illégale”? Contrairement à ce que l'on a pu suggérer, ce n'est pas au regard de l'objet des normes considérées que l'on peut les identifier, mais de leur effet (“qui rendent”). Peu importe, donc, que l'objet de la norme étrangère soit en tant que tel d'invalider une transaction (par exemple, la prohibition du commerce ou de l'importation/exportation de certains produits ou marchandises, ou la nullité d'un accord contraire au droit de la concurrence), ou seulement de restreindre la liberté des parties dans la détermination de leurs droits et obligations, en imposant par exemple le respect d'une obligation déterminée à l'une des parties. Ce qui est pertinent, c'est le point de savoir ce qui est prévu comme sanction: dès que la sanction porte sur l'illégalité de l'exécution du contrat, il peut être donné effet à la loi de police en cause. On observera qu'il n'est pas exigé que la norme rende la transaction en tant que telle illégale, mais uniquement son exécution. Il n'est pas non plus requis, semble-t-il, que l'exécution soit illégale ab initio, au moment de la conclusion du contrat, mais uniquement au moment où se pose la question d'exécution.
Le concept d'“illégalité” n'est pas défini. Selon le sens commun du terme, il vise le “caractère de ce qui est contraire à la loi” [60]. Rien n'indique que le législateur communautaire aurait voulu entendre ce terme de manière plus restrictive, au sens de contrariété à l'ordre public, même si en pratique les législations qui rendent l'exécution d'un contrat illégale auront souvent, mais pas toujours, un tel caractère d'ordre public (on pense par exemples aux dispositions qui instaurent un embargo, celles relatives à la contrebande ou aux trafics [61]). S'il n'est pas exigé que la disposition soit d'ordre public, de sorte que des dispositions protectrices d'une partie faible devraient pouvoir être visées [62], elles doivent bien évidemment avoir le caractère de police, au sens du paragraphe 1er (voy. supra, II). Ainsi, l'article 9, 3. devrait s'appliquer lorsqu'il est établi que l'exécution du contrat serait contraire à une loi de police étrangère ou, en d'autres termes, lorsqu'une telle loi prévoit comme sanction l'inexécution du contrat.
Pour prendre un exemple, il nous paraît que des dispositions telles que celles de la loi du 19 décembre 2005 sur l'information précontractuelle dans le cadre d'accords de partenariat commercial, pourraient le cas échéant être appliquées au titre de l'article 9, 3. du règlement. Cette loi prévoit, en effet, qu'en cas de non-respect des dispositions relatives à l'information précontractuelle, la personne qui obtient le droit “peut invoquer la nullité de l'accord de partenariat commercial dans les deux ans de la conclusion de l'accord” (art. 5). Dès lors que la sanction prévue est celle de la nullité de l'accord, qui entraîne nécessairement l'inexécution du contrat, et que les dispositions en cause paraissant avoir le caractère de loi de police [63], les conditions paraissent réunies pour une application par le juge d'un autre État membre saisi du litige, au titre de l'article 9, 3. [64].
Par contre, les lois de police (protectrices ou non) qui soumettent leur non-respect à une sanction autre que l'inexécution du contrat, ne devraient pas pouvoir être appliquées par le biais de l'article 9, 3.. Par exemple, des législations nationales telles que la loi belge de 1961 en matière de concession de vente exclusive, dans la mesure où elles sanctionnent le non-respect des dispositions qu'elles instaurent par l'obligation de paiement de sommes, et non par l'inexécution du contrat, ne devraient plus pouvoir être appliquées au titre de loi de police étrangère (mais elles pourront - ou devront - continuer à s'appliquer comme loi de police du for, comme il a été indiqué ci-avant, II).
C. | Seconde restriction: des lois du lieu d'exécution du contrat |
17.Il ne suffit pas d'établir qu'une norme de police rend l'exécution du contrat illégale pour pouvoir être appliquée en vertu de l'article 9, 3. du règlement. Il faut encore que la norme provienne d'un pays “dans lequel les obligations découlant du contrat doivent être ou ont été exécutées”. Cette condition remplace celle, moins stricte, de l'article 7, 1. de la Convention de Rome, qui exigeait seulement l'existence d'un “lien étroit” avec la situation, lequel pouvait ressortir non seulement du lieu d'exécution du contrat, mais aussi d'autres rattachements tels que la résidence ou le centre d'affaire de l'une des parties [65]. Désormais ces rattachements ne suffisent plus: seul le lieu d'exécution des obligations contractuelles caractérise un lien suffisant avec le pays dont les lois de police sont appliquées.
La restriction paraît tirée, à nouveau, de la pratique anglaise précitée, qui prend en compte l'illégalité de l'exécution du contrat “selon le droit du pays du lieu d'exécution”. On peut donc uniquement avoir égard à ce que l'on appelle la lex loci solutionis [66].
18.Le règlement ne précise pas comment doit être déterminé le lieu d'exécution des obligations découlant du contrat. L'expérience de l'application de l'article 5, 1. de la Convention de Bruxelles, qui attribue une compétence judiciaire en matière contractuelle au lieu d'exécution de “l'obligation qui sert de base à la demande” (disposition reprise au point (a) de l'article 5, 1. du règlement), nous enseigne que le concept n'est pas d'application aisée. Mais les interprétations dégagées pour déterminer le tribunal compétent dans l'interprétation de l'article 5, 1. ne seront pas nécessairement adaptées au régime des lois de police étrangères. En particulier, on peut douter que le lieu d'exécution doive être déterminé au regard du droit régissant le fond du contrat selon les règles de conflit du juge (jurisprudence Tessili [67]). En effet, une telle approche reviendrait à faire dépendre l'intervention des lois de police d'un état du contenu du droit matériel de la loi d'un autre état, celui de la lex contractus (dans laquelle on rechercherait où se trouve le lieu d'exécution), ce qui paraît contraire à la méthode unilatérale de définition du domaine des lois de police.
À défaut de pouvoir déterminer le lieu d'exécution du contrat de manière factuelle (ce qui devrait être possible pour les obligations qui “ont été exécutées”), on devrait avoir égard (en tout cas pour les obligations qui n'ont pas encore été exécutées) au lieu d'exécution prévu dans les clauses du contrat. En cas d'impossibilité de déterminer le lieu d'exécution réel ou contractuel, on devrait avoir égard, à notre sens, à ce que prévoit la norme de police, qui peut le cas échéant fixer elle-même, à l'occasion de la définition de son domaine spatial, les critères de localisation de l'exécution du contrat.
Par ailleurs, la préoccupation, dans le domaine de la compétence judiciaire au regard du Règlement Bruxelles I, de limiter le nombre de lieux d'exécution, de manière à éviter une multiplication des tribunaux compétents, ne peut être transposée à notre matière. Ceci est d'ailleurs confirmé implicitement par la référence, à l'article 9, 3. du règlement, non au lieu d'exécution du contrat, mais au lieu d'exécution des “obligations découlant du contrat”.
Ainsi, si plusieurs obligations découlent du contrat, ayant été ou devant être exécutées en divers lieux, ces différents lieux (qu'il s'agisse des lieux effectifs d'exécution, des lieux d'exécution prévus au contrat, ou des lieux fixés selon les critères de la norme de police applicable) devraient pouvoir être pris en compte pour déterminer l'applicabilité des lois de police [68]. Concrètement, la condition de proximité entre la loi de police et le lieu d'exécution introduite par le règlement devrait être réputée remplie dès que l'exécution du contrat est illégale au regard d'une loi de police d'un quelconque des lieux précités. Il ne nous paraît donc pas opportun de renforcer encore l'exigence de proximité en déduisant de l'article 9, 3. que ne peut être prise en compte que la loi du lieu d'exécution de l'obligation dont le non-respect entraîne l'illégalité du contrat [69].
Cela ne signifie pas nécessairement que le juge invalidera l'exécution du contrat dès que l'exécution est illégale dans n'importe lequel de ces différents lieux d'exécution: en effet, une norme de police ne s'applique qu'aux situations qui entrent dans son champ d'application spatial, et il est donc tout à fait possible que fasse défaut le lien de rattachement voulu par le législateur national pour déclencher son intervention. Ainsi, c'est à la norme de police elle-même qu'il convient de laisser le soin de déterminer son domaine territorial, conformément au mécanisme qui sous-tend cette technique dérogatoire de la règle de conflit bilatérale. Le règlement, quand à lui, se borne à fixer les limites extérieures de cette applicabilité, en exigeant que la situation se rattache à l'ordre juridique concerné par l'exécution de l'une quelconque des obligations contractuelles.
IV. | Les dispositions impératives de droit communautaire |
A. | Extension au contexte européen du mécanisme de sauvegarde des dispositions impératives internes |
19.La troisième innovation majeure du règlement dans notre matière porte sur l'introduction d'une disposition, à l'article 3, 4., consacrant un nouveau mécanisme en droit international privé, celui des dispositions impératives de droit communautaire.
Selon l'article 3, 4., “lorsque tous les autres éléments de la situation sont localisés, au moment de ce choix, dans un ou plusieurs États membres, le choix par les parties d'une autre loi applicable que celle d'un État membre ne porte pas atteinte, le cas échéant, à l'application des dispositions du droit communautaire auxquelles il n'est pas permis de déroger par accord, et telles que mises en oeuvre par l'État membre du for”.
Cette règle constitue l'exacte réplique, à l'échelle de l'ordre juridique communautaire, de l'article 3, 3., qui se rapporte à l'ordre juridique national. De la même manière que cette dernière disposition vise les situations purement internes à un État membre, pour prévoir qu'elles ne peuvent être soustraites aux dispositions impératives dudit état, la première disposition prévoit que dans les situations purement internes à l'Union européenne, il ne peut être dérogé aux dispositions impératives du droit de cette Union par le choix d'un état tiers.
Dans un cas comme dans l'autre, la règle vise, selon la Commission, “l'hypothèse de la fraude à la loi” [70], en paralysant toute tentative des parties de se soustraire au socle impératif de l'ordre juridique où se localisent tous les éléments objectifs de la situation. Selon l'explication de P. Mayer, qui peut être transposée mutatis mutandis au contexte communautaire, “on conçoit qu'un État tolère que les contrats qui ne s'inscrivent que partiellement dans son espace géographique échappent à ses lois, mêmes impératives, dans la mesure où ils ne représentent qu'une part à la fois marginale (quantitativement) et périphérique (puisqu'il s'agit de contrats liés à d'autres ordres juridiques) de l'ensemble des contrats liés à la société qu'il régit. En revanche, un État ne pourrait pas, sans remettre en cause l'impérativité de son droit, autoriser les parties aux contrats internes à échapper, par leur seule volonté, à ses lois” [71].
On commencera par s'interroger sur l'origine et la portée du nouveau mécanisme des dispositions impératives communautaires, pour examiner ensuite la relation qu'il entretient avec celui des lois de police prévu à l'article 9.
B. | Origine et portée du mécanisme des dispositions impératives de droit communautaire |
20.L'inspiration initiale de la nouvelle disposition se trouve dans la jurisprudence Ingmar de la Cour de justice [72], rendue à propos de la réglementation harmonisée communautaire de l'agence commerciale [73]. La Cour a jugé, dans cette affaire, que les dispositions de la directive qui garantissent certains droits à l'agent commercial après la cessation du contrat “doivent trouver à s'appliquer dès lors que l'agent commercial a exercé son activité dans un État membre et alors même que le commettant est établi dans un pays tiers et que, en vertu d'une clause du contrat, ce dernier est régi par la loi de ce pays” (dispositif).
En d'autres termes, le choix du droit d'un état tiers (en l'espèce, la loi californienne) ne peut avoir pour effet d'écarter les dispositions impératives de droit communautaire protégeant l'agent commercial dès lors que la situation se rattache au territoire de l'Union européenne par un rattachement pertinent, à savoir en l'espèce l'exercice d'activités par l'agent commercial dans un État membre (ici, au Royaume-Uni).
À l'origine, la Commission avait proposé d'inscrire tel quel ce mécanisme dans le règlement, en le transformant en une règle générale de conflit de droit communautaire: la proposition de règlement prévoyait que “le choix des parties de la loi d'un État non membre ne peut pas porter atteinte à l'application des dispositions impératives du droit communautaire lorsqu'elles seraient applicables au cas d'espèce” [74].
Cette proposition a soulevé de vives critiques, au motif principalement qu'elle avait pour effet, en substance, de transformer l'ensemble du droit impératif communautaire en loi de police, évinçant d'office l'application de toute disposition du droit d'un État tiers qui y porterait atteinte. Comme l'a relevé P. Lagarde dans son commentaire de la proposition de règlement, “cette disposition revient à ériger toute disposition simplement impérative du droit communautaire, dès lors qu'elle serait objectivement applicable, en une disposition internationalement impérative, autrement dit une loi de police” [75]. Critiquant cette extension, l'auteur proposait une alternative: “autant il est légitime, dans un contrat intracommunautaire, d'imposer aux parties l'application de règles impératives du droit communautaire, par extension de la règle posée à l'article 3, § 3 de la Convention de Rome, car un contrat intracommunautaire est un contrat interne au regard du droit matériel communautaire, autant il est contestable, dans les relations extracommunautaires, de refuser toute coordination avec le droit des États tiers en imposant unilatéralement l'application du droit communautaire” [76].
Le message a été entendu par le législateur communautaire, puisque le texte a été amendé de manière à prévoir, comme le suggérait le Professeur Lagarde, une disposition qui se borne à préserver l'application du droit communautaire impératif dans les situations internes à l'espace communautaire, qui sont définies comme celles où, en dehors du choix de la loi d'un état tiers, “tous les autres éléments de la situation sont localisés, au moment de ce choix, dans un ou plusieurs États membres”. Concrètement, cela signifie que, dès que l'un des rattachements objectifs [77] de la situation (comme le domicile ou la résidence de l'une des parties, ou l'exécution de l'une des obligations du contrat) se localise dans un état tiers, le dispositif de l'article 3, 4. ne s'appliquera pas.
21.En revanche, lorsque tous les éléments de la situation sont situés dans un seul État membre, ou éclaté entre le territoire de plusieurs États membres, les tribunaux des États membres (qu'il s'agisse ou non de ceux de l'un des lieux où se localisent ces éléments) devront [78] écarter le choix du droit d'un état tiers dans la mesure où ce droit “porte atteinte” à l'application de dispositions impératives de droit communautaire. Le mécanisme utilisé implique, à tout le moins dans le domaine des normes impératives protectrices d'une partie réputée faible, de n'écarter le droit de l'État tiers que s'il n'assure pas une protection équivalente des intérêts protégés par la législation communautaire. Le juge doit donc procéder à une comparaison des législations en présence, et ne peut interférer avec le choix des parties dans la mesure où le droit choisi ne porte pas atteinte aux intérêts protégés par le droit communautaire [79].
22.Lorsque l'application de dispositions impératives de droit communautaire s'impose au détriment de la loi d'un État tiers, il convient, précise l'article 3, 4., in fine, d'avoir égard à ces dispositions “telles que mises en oeuvre par l'État membre du for”. C'est donc la loi de transposition nationale qui revêt, dans cette mesure, un caractère internationalement impératif et qui doit partant être respectée, et non la directive communautaire dans laquelle elle trouve sa source [80].
La référence à la loi du for peut paraître curieuse, car elle pourrait conduire à un forum shopping résiduel [81] dans le cas où les lois de transposition présentent des divergences (ce qui est possible dans le cas de directives d'harmonisation minimale [82] ou permettant aux États membres d'effectuer un choix entre plusieurs options de législation). La solution alternative aurait consisté, s'agissant d'une hypothèse où le choix du droit d'un état tiers présente par hypothèse un caractère artificiel, d'avoir égard à la loi qui aurait été applicable à défaut de choix. Mais cette solution aurait été assez complexe, tandis que celle qui a été retenue dans le texte pourrait signifier “que le législateur européen a voulu tenir les divergences de transposition pour négligeables, voire - la Cour de justice le dira peut-être - inciter les parties à jouer sur les divergences de transposition pour, latéralement et de manière informelle, aboutir à leur atténuation” [83], [84].
23.On soulignera encore que l'article 3, 4. instaure un mécanisme par défaut, qui ne joue qu'à l'égard des législations communautaires qui ne prévoient pas elles-mêmes de règle d'applicabilité particulière. Ainsi, lorsque le législateur communautaire prévoit, dans un instrument sectoriel, une disposition spécifique qui règle le champ d'application dans l'espace des règles harmonisées, c'est à cette disposition qu'il faut avoir égard, à l'exclusion de l'article 3, 4. Cette solution ressort de manière explicite de l'article 23 du règlement, qui dispose que le règlement “n'affecte pas l'application des dispositions de droit communautaire qui, dans des domaines particuliers, règlent les conflits de lois en matière d'obligations contractuelles”.
Outre l'exemple déjà cité des contrats de timesharing, qui relèvent de la législation communautaire harmonisée dès que l'immeuble est situé sur le territoire d'un État membre [85], on peut citer le cas de la directive sur certains aspects de la vente et des garanties des biens de consommation, qui prévoit que les États membres doivent prendre les mesures nécessaires pour limiter l'impact du choix de la loi d'un État tiers “lorsque le contrat présente un lien étroit avec le territoire des États membres” [86]. Il n'est donc pas exigé, ici, que le contrat soit purement intra-communautaire; il suffit qu'il présente un lien étroit avec l'Union, sans exclure l'existence de rattachements objectifs aussi avec un État tiers.
C. | Relation avec le mécanisme des lois de police de l'article 9 |
24.Plus délicate est la question de savoir s'il y a encore une place, dans le domaine des législations communautaires harmonisées qui ne prévoient pas de règle de conflit spéciale, pour le mécanisme des lois de police de l'article 9. Le dispositif de l'article 3, 4. épuise-t-il dans cette matière le régime de dérogation à la loi d'autonomie prévu par le règlement?
Cette thèse a été soutenue par certains commentateurs, qui considèrent que l'article 9 du règlement ne vise que les “textes d'origine purement nationale, puisque les dispositions impératives issues du droit communautaire sont spécialement traitées par l'article 3, [4.]” [87].
Dans le même sens, on a invoqué que l'introduction du nouvel article 3, 4. avait pour effet de condamner la solution retenue par l'arrêt Ingmar. Ainsi, il a été soutenu que “c'est une petite défaite pour la Cour de Luxembourg dont la jurisprudence Ingmar, qui imposait le respect au droit communautaire impératif même aux contrats débordant les frontières de l'Europe, se trouve endiguée” [88].
Cette thèse nous paraît devoir être nuancée. Ce que le législateur communautaire a abandonné en amendant, comme il l'a fait, la proposition initiale de la Commission, c'est l'approche qui aurait consisté à généraliser la solution qui avait été retenue, dans un cas particulier, par l'arrêt Ingmar. En d'autres termes, se trouve écartée la formule qui aurait eu pour effet d'ériger toute législation communautaire impérative en loi de police communautaire. Il serait excessif d'en déduire, à notre avis, qu'aucune disposition communautaire d'harmonisation des législations ne peut revêtir le caractère de loi de police au sens de l'article 9 du règlement.
Contrairement à l'opinion exprimée ci-dessus, il nous paraît en tout cas que la notion de loi de police, telle que définie à l'article 9, 1., ne peut être comprise comme visant exclusivement les législations purement nationales à l'exclusion de celles qui trouvent leur origine dans une source communautaire ou internationale. Le texte de l'article 9 ne comporte aucune restriction de ce type. À notre avis, les États membres restent par conséquent libres, à l'occasion de la transposition dans leur droit national de directives communautaires, de décider, de manière individuelle et spécifique, que le respect de certaines règles de transposition est crucial par l'État membre en cause pour assurer la sauvegarde d'intérêts publics. Ainsi, concrètement, il nous paraît que dans le domaine de l'agence commerciale, les dispositions de la loi belge de transposition de 1995 n'ont pas perdu leur caractère de loi de police en raison de l'adoption du Règlement Rome I. En d'autres termes, dans le cas d'un contrat d'agence commerciale conclu entre un commettant établi dans un état tiers et un agent exerçant ses activités en Belgique (soit une situation extracommunautaire au sens de l'article 3, 4. du règlement), les tribunaux belges devront à notre avis, comme avant, appliquer les normes de police de la loi de 1995 lorsque la loi de l'État tiers désignée par le contrat ne prévoit pas une protection équivalente à celle qui ressort de ces normes.
25.Plus difficile est la question de savoir si cette solution trouve seulement son fondement dans la loi belge de transposition, ou si elle peut également s'appuyer sur la directive communautaire d'harmonisation. Cette question est d'une grande importance pratique dans les États membres qui, à la différence de la Belgique, n'ont pas prévu d'attribuer le caractère de police à leur loi de transposition de la directive de 1986 (elle pourra aussi se poser en Belgique à propos d'autres directives, qui sont transposées par le législateur belge sans règle spéciale d'applicabilité). En d'autres termes, il s'agit de s'interroger sur le point de savoir s'il existe encore, après l'adoption du Règlement Rome I, des lois de police communautaires dans les domaines où le législateur européen n'a pas lui-même défini le domaine spatial minimum de la réglementation. Ainsi, dans le domaine de l'agence commerciale, l'interprétation donnée par l'arrêt Ingmar de la directive sur l'agence commerciale, comme s'appliquant nécessairement dès lors que l'agent commercial exerce son activité dans un État membre, et alors même que le contrat est soumis à la loi de l'état tiers où le commettant est établi, cesse-t-elle d'être obligatoire dans toute la Communauté?
On serait tenté de répondre par la négative, pour deux raisons, l'une formelle, l'autre de fond. Formellement, tout d'abord, on observera que l'arrêt Ingmar ne repose pas sur une interprétation de la Convention de Rome, qui, si c'était le cas, devrait être remplacée par celle du Règlement Rome I pour les contrats conclus après le 17 décembre 2009. L'arrêt se rapporte à l'interprétation de la directive sur les agents commerciaux elle-même, dégagée à la lumière de principes de base du droit communautaire relatifs à la liberté d'établissement et à l'uniformisation des conditions de concurrence au sein de la Communauté [89]. On n'aperçoit pas comment l'entrée en vigueur d'un nouveau régime général de règles de conflit en matière contractuelle (le Règlement Rome I) pourrait avoir pour effet de modifier la portée d'un instrument sectoriel de droit communautaire, dont l'interprétation par la Cour de justice n'est pas fondée sur des règles générales de conflit de lois.
Ensuite, quant au fond, il est admis que la qualification d'une règle comme loi de police ne doit pas seulement se déduire d'une disposition explicite prévue par le législateur, mais peut aussi ressortir de l'objet et du but des dispositions en cause. Ceci ne paraît pas avoir été remis en cause par l'article 9 du règlement. Or, dans l'appréciation de l'objet et du but de la disposition en cause, il serait étonnant de devoir faire abstraction de l'interprétation retenue par une juridiction supérieure qui est précisément compétente pour assurer l'uniformisation dans la manière dont la réglementation en cause est appliquée dans les États membres. Certes, l'article 9, 1. du règlement vise la qualification de loi de police donnée à la disposition par un pays, ce qui fait référence au premier chef à des considérations d'intérêt public nationales. Mais quand la disposition nationale en cause trouve son origine dans une disposition de droit communautaire, l'appréciation des intérêts en cause devrait logiquement pouvoir s'appuyer sur les directives d'interprétation fournies par la Cour de justice.
En l'espèce, dès lors que l'interprétation des dispositions protectrices concernées de la directive sur les agents commerciaux est liée, dans l'arrêt Ingmar, à des considérations d'intérêt public telles que la liberté d'établissement et l'uniformisation des conditions de concurrence au sein de la Communauté, on doit nécessairement en déduire, à notre sens, que le respect de ces dispositions a été jugé crucial pour la sauvegarde d'intérêts publics au sens de l'article 9 du Règlement Rome I. Ainsi, tant que le législateur communautaire ou la Cour de justice n'auront pas modifié cette interprétation, les tribunaux des États membres sont tenus, à notre sens, de considérer que le minimum de protection prévu par les dispositions en cause (art. 17 à 19 de la directive) doit être respecté même lorsque le contrat est soumis par les parties au droit d'un état tiers.
26.À nouveau, il faut souligner que l'analyse proposée ci-avant n'implique pas que toute législation harmonisée impérative doive être considérée comme relevant de la catégorie des lois de police au sens de l'article 9. L'examen de la nature des dispositions de droit communautaires en cause doit se faire au cas par cas, en fonction de l'objet et du but des dispositions en cause. En vue de respecter le caractère dérogatoire et d'exception du mécanisme des lois de police, et le principe selon lequel la notion de loi de police est plus étroite que celle de disposition impérative (considérant n° 37 du règlement), seules certaines dispositions impératives de droit communautaire devraient pouvoir être considérées comme applicables dans l'Espace communautaire aux contrats qui présentent un rattachement objectif avec un état tiers.
Conclusions |
27.Par rapport à la Convention de Rome, le Règlement Rome I apporte trois retouches principales aux règles qui restreignent le libre choix des parties de la loi applicable.
Premièrement, le règlement introduit une nouvelle définition communautaire des lois de police, axée sur la notion d'intérêts publics. Contrairement à ce qui a été suggéré, cette définition ne devrait cependant pas emporter un bouleversement majeur, car la définition est de nature essentiellement subjective, les États membres restant compétents pour déterminer, concrètement, quand sont affectés des intérêts publics justifiant d'assurer aux normes en cause un caractère internationalement impératif.
Deuxièmement, le règlement définit les conditions d'application des lois de police étrangères de manière plus restrictive, sous un double angle. Tout d'abord, sont seules prises en compte les lois de police étrangères qui rendent l'exécution du contrat illégale, cette notion devant être comprise à notre sens comme visant toute réglementation qui prévoit comme sanction l'inexécution du contrat. Ensuite, les lois de police étrangères ne peuvent recevoir effet que si elles proviennent de l'État du lieu d'exécution du contrat, cette notion pouvant désigner non seulement le lieu effectif d'exécution d'une obligation contractuelle, mais aussi le cas échéant le lieu d'exécution prévu par une clause contractuelle, ou le lieu d'exécution éventuellement fixé par des critères de rattachement de la norme de police en cause.
Troisièmement, le règlement introduit un nouveau mécanisme, celui des dispositions impératives de droit communautaire. Transposant au contexte de l'ordre juridique communautaire la notion de disposition impérative interne, ce mécanisme prévoit que dans les situations internes à l'Espace communautaire, qui sont définies comme celles où tous les éléments de la situation sont localisés dans un ou plusieurs États membres, le choix du droit d'un état tiers ne peut porter atteinte aux dispositions impératives du droit communautaire, telles que mise en oeuvre par l'État membre du for. Ce mécanisme ne remplace pas nécessairement celui des lois de police communautaires, qui devraient continuer à s'appliquer de manière obligatoire, même dans les situations extracommunautaires, pour autant qu'elles revêtent effectivement le caractère de police (et non seulement impératif) et qu'elles présentent le rattachement exigé avec le territoire européen.
[1] | Professeur à l'ULB. Avocat au barreau de Bruxelles. |
[2] | Depuis l'adoption du règlement, cette question a déjà fait l'objet de trois études spécifiques: voy. A. Bonomi, “Overriding Mandatory Provisions in the Rome I Regulation on the Law Applicable to Contracts”, Yearbook of Private International Law, vol. 10, 2008, pp. 285 et s.; L. d'Avout, “Le sort des règles impératives dans le Règlement Rome I”, Rec. Dalloz 2008, n° 31, pp. 2165 et s.; C. Montfort, “Article 9 - Lois de police Article 21 - Ordre public du for”, in C. Nourissat (dir.), “Le nouveau droit des contrats internationaux: le règlement (CE) n° 593/2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles”, Revue Lamy Droit des affaires, n° 29, 2008, pp. 61 et s., spéc. pp. 82-83. La question a aussi fait l'objet d'observations dans des commentaires plus généraux sur le règlement: voy. not. P. Wautelet, “Le nouveau droit européen des contrats internationaux”, Anthemis 2009, pp. 1 et s., spéc. pp. 27-29 et 43-49; P. Lagarde et A. Tenenbaum, “De la Convention de Rome au règlement Rome I”, R.C.D.I.P. 2008, pp. 727 et s., spéc. p. 777; M. Wilderspin, “The Rome I Regulation: Communautarisation and modernization of the Rome Convention”, ERA Forum, 2008, pp. 259 et s.; M.-E. Ancel, “Le Règlement Rome I sur la loi applicable aux obligations contractuelles est enfin adopté”, Communication - Commerce électronique, Revue mensuelle LexisNexis Juris-Classeur, juillet-août 2008, n° 83, p. 2; J. de Meyer, “Verbintenissen uit grensoverschrijdende overeenkomsten”, NjW 2008, pp. 854 et s. Voy. aussi les commentaires de la proposition de règlement de la Commission: A. Dickinson, “Third-Country Mandatory Rules in the Law Applicable to Contractual Obligations: So Long, Farewell, Auf Wiedersehen, Adien?”, Journal of Private International Law 2007, pp. 53 et s. |
[3] | Considérant n° 11 du règlement. |
[4] | Convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles. |
[5] | Pour une telle suggestion (avec une critique), voy. Dicey, Morris et Collins, Conflict of Laws, 14ème éd., par. 32-150. |
[6] | En raison de la possibilité de réserve à l'art. 7, 1. de la Convention de Rome, sur laquelle on reviendra infra, n° 14. |
[7] | Voy. l'art. 20, spécialement al. 2 du Code de droit international privé. |
[8] | Cet ordre pouvait cependant s'expliquer en considérant que le paragraphe 1er de l'art. 7 posait une règle générale sur les lois de police, sans établir de distinction entre les lois de police étrangères et celles du for, tandis que le paragraphe 2 renforçait le caractère obligatoire des lois de police du for. Voy. A. Nuyts, “L'application des lois de police dans l'espace”, R.C.D.I.P. 1999, pp. 31 et s., spéc. p. 49. Dans le nouveau système résultant du règlement, la fonction respective des différents paragraphes de l'art. 9 apparaît nettement: le paragraphe 1er édicte une règle générale applicable à l'ensemble des lois de police (sous la forme d'une définition qui vaut tant pour les lois de police du for qu'étrangères: voy. infra, II), le paragraphe 2 vise les lois de police du for, en rendant leur application obligatoire, et le paragraphe 3 concerne seulement les lois de police étrangères, en les soumettant à des conditions d'application plus strictes. |
[9] | Contrairement à ce qui a pu être soutenu (C. Montfort, o.c. (note 1), p. 82), la référence dans ce considérant aux “dispositions auxquelles il ne peut être dérogé par accord” ne peut bien entendu être comprise comme une définition de l'ordre public, sous peine de confiner l'intervention des dispositions protectrices dans les contrats purement internes (art. 3-3°), dans les contrats de consommation (art. 6) et dans les contrats de travail (art. 8) aux cas où ces dispositions sont d'ordre public. C'est bien évidemment la notion de disposition impérative qui est visée par l'expression précitée. |
[10] | La légère différence de terminologie entre la convention et le règlement quant à la définition des dispositions impératives (en particulier en tant que le second texte vise les dispositions auxquelles il n'est pas permis de déroger par “accord”, plutôt que par “convention”) n'implique aucun changement de fond, mais s'inspire de la volonté d'aligner le texte du Règlement Rome I sur celui du Règlement Rome II, adopté antérieurement: voy. considérant n° 15 du Règlement Rome I. |
[11] | On peut se demander si les règles dont l'application est ainsi réservée ne répondent pas plutôt à la notion traditionnelle de lois de police dès lors que leur intervention n'est prévue que si selon la loi en cause ces règles s'appliquent quels que soient le lieu de conclusion du contrat et la loi le régissant au fond (art. 11, 5., a)). |
[12] | Selon cette disposition, le règlement “n'affecte pas l'application des dispositions de droit communautaire qui, dans des domaines particuliers, règlent les conflits de lois en matière d'obligations contractuelles”. |
[13] | On reviendra sur cette règle infra, n° 23. |
[14] | Voy. l'art. 9 de la directive 94/47/CE du 26 octobre 1994. |
[15] | Comp. P. Mayer, “Le phénomène de la coordination des ordres juridiques en droit privé”, Rec. des Cours, T. 327, 2007, nos 72-77. |
[16] | Voy. P. Mayer, “Les lois de police étrangères”, J.D.I. 1981, pp. 277 et s., spéc. pp. 287-288. |
[17] | P. Wautelet, o.c. (note 1), p. 44; A. Bonomi, o.c. (note 1), p. 290. |
[18] | Proposition du 15 décembre 2005, Com.(2005) 650 final, commentaire de l'art. 8. |
[19] | CJCE 23 novembre 1999, R.C.D.I.P. 2000, p. 710, note M. Fallon. |
[20] | Point 30 de l'arrêt. |
[21] | “Quelques précisions sur les 'lois d'application immédiate' et leurs rapports avec les règles de conflits de lois”, R.C.D.I.P. 1966, pp. 1 et s. |
[22] | O.c., p. 13. |
[23] | Rép. Dalloz dr. int. (1ère ed., 1968), v° Conflits de lois (principes généraux), n° 137. |
[24] | Point 31 de l'arrêt. |
[25] | Voy. P. Mayer, “Les lois de police étrangères”, o.c., p. 289, qui souligne qu'“il est difficile de fixer un seuil minimum en deçà duquel les raisons d'appliquer une règle seraient jugées insuffisamment pressantes pour forcer la compétence de l'ordre juridique. D'un côté, il faut éviter que la loi normalement compétente soit écartée trop facilement au profit de la loi du for; ce danger est fréquemment, et à juste titre, dénoncé. De l'autre, on ne doit pas exiger que les raisons soient d'importance 'vitale'; il suffit qu'elles soient plus fortes que les raisons d'appliquer la loi désignée par la règle de conflit”. |
[26] | En ce sens, voy. A. Bonomi, “Overriding Mandatory Provisions …”, o.c. (note 1), p. 289. |
[27] | Proposition du 15 décembre 2005, précitée, art. 8. |
[28] | Voy. rapport du 21 novembre 2007, Com.(2005)0650, amendement 48, art. 8. L'amendement est justifié par la volonté de “clarifier la signification des lois de police”. |
[29] | Voy. “Quelques précisions …”, o.c., pp. 12-13, qui estimait que “l'on confie à cette catégorie tous les cas dans lesquels il n'y va pas seulement des intérêts particuliers, ni même de l'intérêt commun en tant que somme des intérêts particuliers, mais bien de l'ensemble de ces intérêts quand ils sont pris en charge par l'organisation étatique”. |
[30] | Voy. A. Dickinson, o.c. (note 1), p. 67. |
[31] | Comp. A. Dickinson, o.c. (note 1), p. 67. |
[32] | Voy. en particulier les arrêts Krombach (C.J.C.E. 28 mars 2000, C-7/98, Rec., p. I-1935) et Gambazzi (C.J.C.E. 2 avril 2009, C-394/07, par. 26). |
[33] | Voy. not. l'arrêt Gouda, 25 juillet 1991, C-288/89, Rec. 1991, p. I-4007, par. 25. |
[34] | Voy. l'arrêt Arblade, précité. |
[35] | Dans le même sens, A. Dickinson, o.c. (note 1), p. 67. |
[36] | M.-E. Ancel, o.c. (note 1), p. 2, 1ère col.; L. d'Avout, o.c. (note 1), p. 2167; M. Wilderspin, o.c. (note 1), p. 272. |
[37] | L. d'Avout, o.c. (note 1), p. 2167. |
[38] | L. d'Avout, o.c. (note 1), p. 2168. |
[39] | P. Wautelet, o.c. (note 1), p. 45; A. Bonomi, o.c. (note 1), pp. 291 et s. |
[40] | P. Wautelet, o.c. (note 1), p. 45. |
[41] | Ph. Francescakis, “Quelques précisions sur les 'lois d'application immédiate' et leurs rapports avec les règles de conflits de lois”, R.C.D.I.P. 1966, pp. 1 et s., spéc. p. 12. |
[42] | O.c., p. 13. |
[43] | Et échappent, par conséquent, à la définition étroite des lois de police donnée par Ph. Francescakis: voy. sous cet angle nos observations sur la distinction entre les lois de police “administratives” et les lois de police “protectrices”: “L'application des lois de police dans l'espace”, R.C.D.I.P. 1999, pp. 31 et s., spéc. pp. 40 et s. |
[44] | P. Wautelet, o.c. (note 1), p. 45. Voy. aussi D. Bureau et H. Muir Watt, Droit international privé, P.U.F., 2007, p. 567, n° 561, qui relèvent que “au-delà de la finalité de protection de la partie faible (droit privé), le droit de la consommation peut être lu comme destiné à donner confiance au consommateur et relancer l'économie toute entière (droit public)”. |
[45] | Étudié supra, n° 8. |
[46] | Sur l'application de la distinction entre lois de police administratives et lois de police protectrice en matière de contrats de travail, voy. A. Nuyts, o.c., p. 43, n° 6. |
[47] | A. Bonomi, o.c. (note 1), p. 294. |
[48] | Du moins si celle-ci n'assure pas une protection au moins équivalente de la partie en cause. Si la lex contractus est plus protectrice, c'est celle-ci qui devrait s'appliquer, et non les lois de police, comme c'était déjà le cas sous l'empire de la Convention de Rome: sur cet aspect du domaine spatial des lois de police protectrices (à la différence des lois de police administratives), voy. A. Nuyts, “L'application des lois de police dans l'espace”, R.C.D.I.P. 1999, pp. 31 et s., spéc. pp. 62 et s. |
[49] | Voy. P. Mayer, “La protection de la partie faible en droit international privé”, in La protection de la partie faible dans les rapports contractuels, L.G.D.J., 1996, p. 522, n° 17. |
[50] | A. Dickinson, o.c. (note 1), p. 57. |
[51] | Du moins en vertu de l'art. 7, 1. de la Convention, car d'autres méthodes ont parfois été utilisées pour parvenir au même résultat: voy. A. Dickinson, o.c. (note 1), pp. 77 et s. |
[52] | Proposition du 15 décembre 2005, précitée, commentaire de l'art. 8. |
[53] | Voy. l'exposé approfondi de ces arguments in A. Dickinson, o.c. (note 1), pp. 56 et s. Pour une thèse opposée, favorable à l'introduction en droit anglais d'une disposition permettant l'application des lois de police étrangères, voy. A. Chong, “The Public Policy and Mandatory Rules of Third Countries in International Contracts”, Journal of Private International Law, 2006, pp. 27 et s. |
[54] | Voy. en particulier la proposition de A. Dickinson, o.c. (note 1), p. 88. |
[55] | Dicey, Conflict of Laws, 2ème éd., 1908, p. 553 (ce Traité est aujourd'hui connu sous le nom de Dicey, Morris and Collins on the Conflict of Laws). |
[56] | “A contract is, in general, invalid in so far as … the performance of it is unlawful by the law of the country where the contract is to be performed”. |
[57] | Ralli Bros/Compania Naviera Sota y Aznar, [1920] 1 KB 287 (CA). |
[58] | En ce sens, Dicey, Morris et Collins, Conflict of Laws, 14ème éd., par. 32-147, p. 1596. |
[59] | Pour une telle suggestion, voy. A. Dickinson, o.c. (note 1), p. 88. |
[60] | Le Petit Larousse illustré, v° Illégalité. |
[61] | Voy. P. Wautelet, o.c. (note 1), p. 47. |
[62] | En ce sens, semble-t-il, P. Wautelet, p. 48, qui admet qu'une législation protectrice du consommateur qui accorderait le bénéfice d'un délai de réflexion ou encore imposerait au professionnel un devoir particulier d'information pourraient relever de l'art. 9, 3. |
[63] | Voy. l'art. 9 de la loi, qui prévoit que : “La phase précontractuelle de l'accord de partenariat commercial relève de la loi belge et de la compétence des tribunaux belges, lorsque la personne qui reçoit le droit exerce l'activité à laquelle se rapporte l'accord principalement en Belgique.” Sur la qualification de loi de police (avant l'adoption du règlement, mais pour les raisons exposées ci-dessus, II, la solution devrait rester valable après l'entrée en vigueur de ce dernier), voy. J. Toro, “L'information précontractuelle dans le cadre d'accords de partenariat commercial en droit international privé”, R.D.C. 2006, pp. 923 et s., spéc. p. 930. |
[64] | Par comparaison, on observera que la législation française analogue sur l'information précontractuelle, dite loi Doubin (aujourd'hui incorporée à l'art. 330-3 du Code de commerce), ne prévoit pas comme sanction l'inexécution du contrat, même si elle instaure des sanctions pénales. |
[65] | Voy. rapport Giuliano-Lagarde, J.O.C.E. C. 282/26 et 27, 31 octobre 1980, qui précise cependant qu'il ne doit pas s'agir d'un lien quelconque, mais d'un “lien réel”. |
[66] | Voy. Dicey, Morris et Collins, Conflict of Laws, 14ème éd., par. 32-145. |
[67] | C.J.C.E. 6 octobre 1976, n° 12/76, Rec., p. 1473. |
[68] | Cf. J. de Meyer, o.c. (note 1), p. 866, n° 66. |
[69] | Cette approche est défendue par P. Wautelet, o.c. (note 1), p. 48, qui propose de distinguer entre le cas où la loi de police touche l'objet même du contrat (invalidant le contrat quant à son objet), où il faudrait avoir égard uniquement au lieu d'exécution de la prestation caractéristique, et le cas où la loi de police concerne seulement une obligation spécifique ou accessoire (par exemple, imposant à une partie un devoir particulier d'information), où il faudrait se reporter au lieu d'exécution de l'obligation individuelle concernée. |
[70] | Proposition de règlement du 15 décembre 2005, précitée, commentaire de l'art. 3. |
[71] | “La délocalisation du contrat”, in La relativité du contrat, Travaux Assoc. H. Capitant, L.G.D.J., 2000, p. 123, spéc. p. 128. |
[72] | C.J.C.E. 9 novembre 2000, C-381/98, Rec., p. I-9305. |
[73] | Directive n° 86/653 du 18 décembre 1986 relative à la coordination des droits des États membres concernant les agents commerciaux indépendants. |
[74] | Proposition du 15 décembre 2005, précitée, art. 3, 5. |
[75] | “Remarques sur la proposition de règlement de la Commission européenne sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I)”, R.C.D.I.P. 2006, p. 337, n° 10. Voy. aussi H. Gaudemet-Tallon, “Le pluralisme en droit international privé - Richesses et faiblesses”, Rec. des Cours, 2005, p. 269, n° 274. |
[76] | P. Lagarde, o.c. |
[77] | Le choix des tribunaux d'un état tiers est un élément subjectif qui, comme le choix de la loi d'un état tiers, ne devrait pas empêcher l'application de l'art. 3, 4. |
[78] | Une lecture formelle de la version française du règlement pourrait laisser penser que la disposition laisse une faculté au juge, car elle prévoit qu'il n'est “le cas échéant” pas porté atteinte aux dispositions en cause. En réalité, comme l'a relevé P. Wautelet (o.c. (note 1), p. 29, note 29), la comparaison avec les autres versions linguistiques du règlement confirme que cette expression se rapporte non pas à la possibilité de tenir compte des dispositions de droit communautaire, mais bien à la possibilité de tenir compte de la façon dont elles ont été transposées dans l'état du for. |
[79] | Sur cette technique, voy. A. Nuyts, “L'application des lois de police dans l'espace”, R.C.D.I.P. 1999, pp. 31 et s., spéc. pp. 62 et s., nos 20 et s. |
[80] | L'arrêt Ingmar, précité, paraissait en revanche avoir érigé les dispositions de la directive elle-même (et non celles de la loi nationale de transposition) en droit internationalement impératif. |
[81] | P. Wautelet, o.c. (note 1), p. 29. |
[82] | On peut cependant s'interroger sur le point de savoir si, dans la mesure où la loi de transposition du for va plus loin que le minimum imposé par le droit communautaire, on est toujours dans la situation visée à l'art. 3, 4. où il est “porté atteinte” à l'application d'une disposition impérative du droit communautaire. Dans cette mesure, la logique voudrait que la loi du for ne soit appliquée au détriment de la loi de l'état tiers que dès lors que la première présente un caractère de police au sens de l'art. 9 du règlement (le caractère impératif de la loi de transposition étant, sous cet angle, insuffisant, sauf dans le cas où s'appliquerait l'art. 3, 3. du règlement c'est-à-dire que tous les éléments objectifs de la situation sont localisés dans un seul État membre). |
[83] | L. d'Avout, o.c. (note 1), p. 2167, n° 8. Comp. les commentaires de D. Bureau et H. Muir Watt sur la “course vers le bas”, Droit international privé, P.U.F., 2007, p. 573, n° 568, et les références. |
[84] | On observera que cette discussion, initiée par le nouveau texte, pourrait nourrir la réflexion sur la question, plus importante en pratique, de savoir si le mécanisme des lois de police du for doit continuer à jouer, et à quelles conditions, dans les domaines harmonisés lorsque la loi désignée est celle d'un autre État membre. Sur cette question, voy. A. Nuyts, “L'application des lois de police dans l'espace”, R.C.D.I.P. 1999, pp. 31 et s. et 245 et s. spéc. p. 257, nos 33 et s. |
[85] | Voy. l'art. 9 de la directive 94/47/CE du 26 octobre 1994. |
[86] | Art. 7 § 2. Voy. P. Wautelet, o.c. (note 1), p. 28, note 110, et les références. |
[87] | C. Montfort, o.c. (note 1), p. 83. |
[88] | M.-E. Ancel, o.c. (note 1), p. 2, 1ère col. |
[89] | Points 23 et 24. |