Cour de cassation 8 décembre 2008
DROITS INTELLECTUELS
Droits intellectuels - Marque - Marque Benelux - Signes susceptibles de constituer une marque - Nullité - Étendue de la protection - Signe similaire - Confusion - Nom d'un personnage appartenant à la légende
Le nom d'un personnage appartenant à la légende populaire peut constituer un élément distinctif ou dominant d'une marque.
DROITS INTELLECTUELS
Droits intellectuels - Droit d'auteur et droits voisins - Droit d'auteur - Titulaire du droit d'auteur - Présomption
En droit d'auteur, l'application de la règle selon laquelle est présumé auteur, sauf preuve du contraire, quiconque apparaît comme tel sur une oeuvre du fait de la mention de son nom ou d'un sigle permettant de l'identifier, n'est pas subordonnée à la condition que la reproduction de l'oeuvre qui comporte cette mention ou ce sigle soit datée.
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INTELLECTUELE RECHTEN
Intellectuele rechten - Merk - Beneluxmerk - Tekens die een merk kunnen vormen - Nietigheid - Beschermingsomvang - Overeenstemmend teken - Verwarring - Naam van een personage uit een legende
De naam van een personage, dat behoort tot de volkslegende, kan een onderscheidend of dominant element van een merk zijn.
INTELLECTUELE RECHTEN
Intellectuele rechten - Auteursrecht en naburige rechten - Auteursrecht - Titularis auteursrecht - Vermoeden
De toepassing van het principe in het auteursrecht dat een ieder wiens naam of letterwoord waarmee hij te identificeren is als dusdanig op het werk, op een reproductie van het werk, of bij een mededeling aan het publiek ervan wordt vermeld, vermoed wordt auteur te zijn, is niet onderworpen aan de voorwaarde dat de reproductie van het werk die deze vermelding of dit letterwoord draagt, gedateerd is.
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D.H. et D.F. / Confrérie Tchantchès
Siég.: Ch. Storck (président), D. Plas, Ch. Matray, S. Velu et A. Simon (conseillers) |
M.P.: Ph. de Koster (avocat général délégué) |
Pl.: Mes C. Draps et P. Lefèbvre |
I. | La procédure devant la Cour |
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 23 février 2006 par la cour d'appel de Liège.
Par ordonnance du 19 novembre 2008, le premier président a renvoyé la cause devant la troisième chambre.
Le conseiller Sylviane Velu a fait rapport.
L'avocat général délégué Philippe de Koster a conclu.
II. | Les moyens de cassation |
Les demandeurs présentent deux moyens libellés dans les termes suivants:
Premier moyen |
Dispositions légales violées |
- articles 2, 3.2, 6, B et C et 14, B de la loi uniforme Benelux sur les marques, annexée à la Convention Benelux en matière de produits approuvée par la loi du 30 juin 1969, cette loi uniforme ayant été modifiée par le protocole du 10 novembre 1983 approuvé par la loi du 8 août 1986, par le protocole du 2 décembre 1992 approuvé par la loi du 11 mai 1995, par le protocole du 7 août 1996 approuvé par la loi du 3 juin 1999 et par le protocole du 11 décembre 2001 approuvé par la loi du 24 décembre 2002 (ci-après, la loi Benelux sur les marques);
- article 4 § 1er, début et sous b) de la Première Directive n° 89/104/CEE du Conseil des Communautés européennes du 21 décembre 1988 rapprochant les législations des États membres sur les marques (en abrégé, la directive sur les marques);
- article 11 du Code judiciaire.
Décisions et motifs critiqués |
L'arrêt déboute les demandeurs de leur demande d'annulation de l'enregistrement de la marque complexe “Jus de la Confrérie Tchantchès” déposée par la défenderesse, en tant que cette demande était fondée sur l'antériorité de la marque verbale “Bière Tchantchès”, aux motifs:
“Qu'il n'apparaît pas de la comparaison entre la marque figurative déposée le 30 octobre 2003 par (la défenderesse) et la marque verbale antérieure appartenant (aux demandeurs) une ressemblance fondant l'action en annulation visée par les dispositions précitées de la loi uniforme Benelux sur les marques;
Que ces marques sont distinctes, l'une étant verbale et l'autre complexe: soit verbale et figurative, le seul élément commun étant Tchantchès, nom sur lequel aucun monopole ne peut être exercé, celui-ci appartenant à la légende populaire;
Qu'à cet égard, la recherche d'antériorité par le Bureau Benelux des Marques, pour ce qui concerne la marque n° 1042974, a abouti à la conclusion d'absence d'antériorité pertinente;
Que les termes 'Jus de la Confrérie Tchantchès' imprimés sur l'image stylisée du pot à figure humaine sont suffisamment distinctifs par rapport à la marque verbale 'Bière Tchanchès' pour empêcher, dans l'esprit du public, le risque de confusion entre les deux marques et l'association avec la marque verbale antérieure.”
Griefs |
Première branche |
En vertu des articles 3.2. et 14, B de la loi Benelux sur les marques, transposant dans l'ordre juridique belge l'article 4 § 1er, début et sous b) de la directive sur les marques, doit être annulé, à la requête notamment du titulaire de l'enregistrement antérieur, l'enregistrement de la marque qui prend rang après celui d'une marque identique ou ressemblante déposée pour des produits identiques ou similaires lorsqu'il existe, dans l'esprit du public, un risque de confusion qui comprend le risque d'association avec la marque antérieure.
Le risque de confusion est le risque que le public puisse croire que les produits ou services en cause proviennent de la même entreprise ou, le cas échéant, d'entreprises liées économiquement. L'existence d'un risque de confusion dans l'esprit du public doit être appréciée globalement en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d'espèce.
Cette appréciation globale implique une certaine interdépendance entre les facteurs pris en compte; un faible degré de similitude entre les marques peut ainsi être compensé par un degré élevé de similitude entre les produits ou services couverts. Par ailleurs, comme le risque de confusion est d'autant plus élevé que le caractère distinctif de la marque antérieure s'avère important, les marques qui ont un caractère distinctif élevé jouissent d'une protection plus étendue que celles dont le caractère distinctif est moindre. Lors de l'appréciation du caractère distinctif, il convient notamment de prendre en considération les qualités intrinsèques de la marque, y compris le fait qu'elle est ou non dénuée de tout élément descriptif des produits ou services pour lesquels elle a été enregistrée.
En outre, l'appréciation globale du risque de confusion doit, en ce qui concerne la similitude visuelle, auditive ou conceptuelle des marques en cause, être fondée sur l'impression d'ensemble produite par celles-ci, en tenant compte en particulier de leurs éléments distinctifs et dominants. En effet, le consommateur moyen perçoit normalement une marque comme un tout et ne se livre pas à un examen de ses différents détails; il n'a que rarement la possibilité de procéder à une comparaison directe des différentes marques mais doit se fier à l'image non parfaite qu'il en a gardée en mémoire. Afin d'apprécier le degré de similitude existant entre les marques concernées, le juge doit déterminer leur degré de similitude visuelle, auditive et conceptuelle.
Par aucun de ses motifs, l'arrêt ne justifie légalement sa décision qu'il n'existe pas, dans l'esprit du public, un risque de confusion, au sens précisé ci-dessus, entre la marque complexe “Jus de la Confrérie Tchantchès” et la marque verbale “Bière Tchantchès”.
En premier lieu, la circonstance, relevée par l'arrêt, que les marques litigieuses “sont distinctes, l'une étant verbale et l'autre complexe: soit verbale et figurative (...)” n'exclut en aucune manière l'existence d'un risque de confusion dès lors qu'il convient d'avoir égard, non aux seules similitudes visuelles entre les marques, mais également aux similitudes auditives et conceptuelles, lesquelles, comme le soutenaient les demandeurs, peuvent parfaitement exister entre une marque verbale et une marque complexe.
Deuxièmement, en relevant que “le seul élément commun (est) Tchantchès” et en ajoutant qu' “aucun monopole ne peut être exercé” sur ce nom, “celui-ci appartenant à la légende populaire”, l'arrêt viole tant l'article 2 de la loi Benelux sur les marques, qui dispose expressément qu'un patronyme peut servir de marque, que l'article 3.2. de la même loi, dès lors que c'est précisément la réputation du terme Tchantchès dans le folklore populaire et son absence de tout caractère descriptif en ce qui concerne la bière qui confèrent à ce terme son caractère dominant dans les marques concernées, ce caractère dominant induisant à son tour, dans le chef du public concerné, le risque de confusion quant à l'origine des produits des demandeurs et de la défenderesse.
Enfin, en n'ayant aucun égard au caractère identique, ou à tout le moins étroitement similaire, des produits pour lesquels les marques des demandeurs et de la défenderesse sont déposées, ou à tout le moins en ne portant aucune appréciation quant à la similitude entre les produits couverts, l'arrêt porte une appréciation incomplète sur l'existence du risque de confusion.
De tout quoi il résulte que l'arrêt méconnaît la notion légale de risque de confusion (violation des art. 2, 3.2. de la loi Benelux sur les marques et 4 § 1er, début et sous b) de la directive sur les marques) et rejette, partant, illégalement la demande d'annulation formée par les demandeurs (violation de l'art. 14, B de la loi Benelux sur les marques).
Seconde branche |
Il résulte notamment de l'article 6, sous B et C de la loi Benelux sur les marques que le déposant apprécie librement les résultats de l'examen d'antériorité, le Bureau Benelux des Marques étant tenu de procéder à l'enregistrement de la marque quel que soit le résultat dudit examen si le requérant confirme sa volonté de maintenir le dépôt.
Partant, en fondant sur la considération que “la recherche d'antériorité par le Bureau Benelux des Marques, pour ce qui concerne la marque n° 1042974, a abouti à la conclusion de l'absence d'antériorité pertinente”, la décision de rejeter la demande des demandeurs, l'arrêt viole l'article 6, B et C de la loi Benelux sur les marques. En outre, en conférant à l'examen auquel ce bureau a procédé un caractère contraignant à l'égard du juge ultérieurement saisi d'une action en nullité ou en contrefaçon, l'arrêt délègue sa juridiction en violation de l'article 11 du Code judiciaire.
Second moyen |
Dispositions légales violées |
- articles 1319, 1320 et 1322 du Code civil;
- articles 4.6. et 14 de la loi uniforme Benelux sur les marques telle qu'elle est identifiée au premier moyen;
- article 93 de la loi sur les pratiques du commerce et la protection du consommateur;
- articles 1er § 1er, 3 § 1er et 6, alinéa 2 de la loi du 30 juin 1994 relative au droit d'auteur et aux droits voisins (ci-après, “la loi relative au droit d'auteur”);
- principe général du droit selon lequel la renonciation à un droit ne se présume pas et ne peut se déduire que de faits non susceptibles d'une autre interprétation.
Décisions et motifs critiqués |
L'arrêt déboute les demandeurs de leur demande d'annulation de l'enregistrement de la marque complexe “Jus de la Confrérie Tchantchès”, en tant qu'elle était fondée sur la mauvaise foi de la défenderesse lors du dépôt, ainsi que de leur demande tendant à entendre interdire à la défenderesse de faire usage de cette marque, de l'image de la chope à deux anses, de la dénomination et marque “Bière Tchantchès”, de l'expression “A vos santé... à deux mains” ou de toute autre référence à la légende du pot Tchantchès, en tant que ces demandes étaient fondées sur le droit à l'enseigne des demandeurs et sur les droits d'auteur [du premier demandeur] sur la légende du pot Tchantchès et sur un modèle de chope à deux anses, aux motifs
“Que le dessin tel qu'il figure sur la marque complexe 'Jus de la Confrérie Tchantchès' ne correspond ni à l'enseigne de la taverne ni au pot utilisé par (les demandeurs) dans leur taverne;
Que, par contre, l'image telle qu'elle figure sur la marque déposée par (la défenderesse) figure sur le papier à en-tête de la confrérie qui s'appelait avant les dissensions entre parties, en 2003, la Confrérie de la bière Tchantchès;
Qu'il n'apparaît d'aucun élément des dossiers soumis à l'appréciation de la cour [d'appel] que [le premier demandeur], qui avait autorisé (la défenderesse) à utiliser à des fins folkloriques le nom de la bière Tchantchès et qui a retiré cette tolérance après sa démission de (la défenderesse), se soit opposé à un quelconque moment à l'utilisation de ce logo par la confrérie de la bière Tchanchès et par (la défenderesse);
(...) Que, s'il apparaît de manière incontestable des débats et des dossiers soumis à l'appréciation de la [cour d'appel] que [le premier demandeur] a été pendant des décennies une des chevilles ouvrières du folklore autour de Tchanchès, en Outremeuse, dans la taverne qui lui appartient ainsi qu'à sa famille, ni la figuration du nom de “H. D. às Tchantchès” sur l'affiche non datée en forme de parchemin illustrant, en plusieurs langues, la légende précitée ni la relation, en des termes différents, de cette légende non signée [qui est] produite, ne sont de nature à établir la propriété intellectuelle de la légende et de ses composantes dans le chef [du premier demandeur];
Que le fait d'avoir scellé des peintures illustrant cette légende (à une date qui n'est pas déterminée), le fait d'utiliser une enseigne telle qu'elle figure en pièce 12 de son dossier qui comprend un pot à double face avec les inscriptions Tchanchès Charlemagne et ce, depuis 1963, ainsi que le fait de commander depuis 1960 des pots à bière à deux anses Tchanchès n'établissent ni la propriété intellectuelle revendiquée par [le premier demandeur] ni l'utilisation par lui ou son fils d'une marque ou d'un signe ressemblant, antérieurement au dépôt du 30 octobre 2003 par (la défenderesse).”
Griefs |
Première branche |
Celui qui exploite un commerce sous une enseigne peut légalement s'opposer au dépôt de mauvaise foi, ou à tout le moins à l'utilisation, non seulement d'une marque identique mais également d'une marque qui présente avec cette enseigne des ressemblances telles qu'il en résulte un risque de confusion.
En déboutant les demandeurs de leurs demandes fondées sur leur droit à l'enseigne au seul motif que la marque de la défenderesse ne “correspond” pas à l'enseigne des demandeurs, sans rechercher s'il n'existe pas entre l'une et l'autre une ressemblance entraînant un risque de confusion, l'arrêt restreint illégalement la protection légale résultant du droit à l'enseigne des demandeurs (violation des art. 4.6. et 14 de la loi Benelux sur les marques et de l'art. 93 de la loi sur les pratiques du commerce et la protection du consommateur).
Deuxième branche |
La renonciation à un droit ne pouvant se présumer, la circonstance que l'exploitant d'un commerce sous une enseigne ne se soit pas opposé à l'utilisation d'un signe ressemblant, par un tiers, autrement qu'à titre de marque de commerce, en particulier comme signe distinctif d'une association sans but lucratif active dans le domaine du folklore, ne suffit pas à exclure que le dépôt de ce signe par ce tiers à titre de marque soit effectué de mauvaise foi.
En déboutant les demandeurs de leurs demandes fondées sur leur droit à l'enseigne au motif que [le premier demandeur] ne s'est opposé à aucun moment à l'utilisation de ce logo par la défenderesse, alors que la procédure diligentée par les demandeurs tendait précisément à entendre interdire à la défenderesse cette utilisation, l'arrêt, d'une part, méconnaît la foi due à l'ensemble des actes de procédure des demandeurs (violation des art. 1319, 1320 et 1322 du Code civil) et, d'autre part, viole le principe général du droit selon lequel la renonciation à un droit ne se présume pas et ne peut se déduire que de faits non susceptibles d'une autre interprétation.
Troisième branche |
Aux termes de l'article 1er § 1er de la loi relative au droit d'auteur, l'auteur d'une oeuvre artistique a seul le droit de la reproduire ou d'en autoriser la reproduction, de quelque manière et sous quelque forme que ce soit. Ce droit, qui s'applique aux oeuvres des arts appliqués, tels les modèles de produits, comporte notamment le droit exclusif d'en autoriser l'adaptation. La contrefaçon de modèle est dès lors établie non seulement en cas de copie servile du modèle, mais également lorsqu'il y a emprunt des éléments originaux de celui-ci.
L'arrêt, qui, pour débouter les demandeurs de leur demande tendant à entendre interdire à la défenderesse de reproduire la chope à deux anses créée par [le premier demandeur] et de faire usage de la marque incluant cette reproduction, se borne à considérer que “le dessin tel qu'il figure sur la marque complexe 'Jus de la confrérie Tchanchès' ne correspond (pas) au pot utilisé par (les demandeurs) dans leur taverne (...)”, sans rechercher si, au-delà des éventuelles différences entre le modèle de pot créé par [le premier demandeur] et le dessin figurant sur la marque de la défenderesse, le second n'emprunte pas au premier ses éléments originaux, ne justifie pas légalement sa décision (violation de l'art. 1er § 1er de la loi relative au droit d'auteur).
Quatrième branche |
Aux termes de l'article 3 § 1er de la loi relative au droit d'auteur, à l'égard de l'auteur, tous les contrats se prouvent par écrit et, pour chaque mode d'exploitation, la rémunération de l'auteur, l'étendue et la durée de la cession doivent être déterminées expressément. Les dispositions contractuelles relatives au droit d'auteur et à ses modes d'exploitation sont en outre de stricte interprétation.
En déboutant les demandeurs de leur demande tendant à entendre interdire à la défenderesse de reproduire la chope à deux anses créée par [le premier demandeur] et de faire usage de la marque incluant cette reproduction au motif que [le premier demandeur] ne s'est opposé à aucun moment à l'utilisation de ce logo par la défenderesse, alors que la procédure diligentée par les demandeurs tendait précisément à entendre interdire à la défenderesse cette utilisation, l'arrêt méconnaît tant la foi due à l'ensemble des actes de procédure des demandeurs (violation des art. 1319, 1320 et 1322 du Code civil) que les principes relatifs à la formation et à l'interprétation des contrats passés par un auteur à propos de ses oeuvres (violation de l'art. 3 § 1er de la loi relative au droit d'auteur et du principe général du droit selon lequel la renonciation à un droit ne se présume pas et ne peut se déduire que de faits non susceptibles d'une autre interprétation).
Cinquième branche |
En vertu de l'article 6 de la loi relative au droit d'auteur, le titulaire originaire du droit d'auteur est la personne physique qui a créé l'oeuvre. Est présumé auteur, sauf preuve contraire, quiconque apparaît comme tel sur l'oeuvre, du fait de la mention de son nom ou d'un sigle permettant de l'identifier.
L'application de cette présomption n'est subordonnée ni à la condition que toutes les reproductions de l'oeuvre soient revêtues du nom de l'auteur, ni à celle que les reproductions qui comportent cette mention soient en outre datées; à tout le moins suffit-il qu'un exemplaire de l'oeuvre soit antérieur à la contrefaçon alléguée, cette antériorité pouvant être établie par toutes voies de droit.
Pour établir que [le premier demandeur] était l'auteur tant de la “légende du pot Tchantchès” que du modèle de la chope à deux anses, les demandeurs, outre de nombreuses présomptions de l'homme, invoquaient la présomption de l'article 6, alinéa 2 de la loi sur le droit d'auteur en faisant valoir:
“Que nombre d'exemplaires de la légende - notamment celui scellé dans les murs de l'établissement - ainsi que de la chope portent les initiales [du premier demandeur];
Qu'il en va de même du 'parchemin' de la légende qui porte le 'sceau'[du premier demandeur];
Que, sur l'enseigne de l'établissement (des demandeurs) où est représenté le pot Tchantchès, figure également le blason [du premier demandeur] avec ses initiales;
Qu'il s'agit ainsi bien de la marque ou du sigle du créateur;
(...) (Que) la façade de l'immeuble qui abrite l'établissement des (demandeurs) (...) [est] ornée d'un pot Tchantchès et du blason aux initiales [du premier demandeur] et que cette ornementation est antérieure à 1963 et donc antérieure à l'existence de la confrérie Tchantchès” et
“Que les tiers (par opposition à l'auteur de l'oeuvre), en l'espèce la (défenderesse), ne peuvent exiger que le bénéficiaire de la présomption la conforte ou l'établisse par des preuves supplémentaires de la création, faute de quoi la présomption légale n'aurait aucun sens;
(...) Que, si la (défenderesse) voulait renverser cette présomption, ne pouvant être titulaire originaire (en effet, l'article 6 § 1er de la loi du 30 juin 1994 sur le droit d'auteur prévoit que 'le titulaire originaire du droit d'auteur est la personne physique qui a créé l'oeuvre'), elle devrait établir son éventuelle titularité dérivée;
Que, pour ce faire, elle devrait produire un acte de cession des droits;
Qu'elle ne le fait pas en l'espèce;
Qu'elle ne peut donc renverser la présomption établie.”
L'arrêt, qui, sans retenir une acquisition dérivée des droits d'auteur par la défenderesse, considère que “ni la figuration du nom de 'H. D. às Tchantchès' sur l'affiche non datée en forme de parchemin illustrant, en plusieurs langues, la légende précitée ni la relation (en des termes différents) de cette légende non signée [qui est] produite ne sont de nature à établir la propriété intellectuelle de la légende et de ses composantes [du premier demandeur]” et qui admet par ailleurs que l'enseigne de l'établissement des demandeurs comprenant un pot à double face est utilisée depuis 1963, sans dénier que cette enseigne comporte également les initiales [du premier demandeur], ajoute implicitement à la loi des conditions qu'elle ne contient pas, néglige d'avoir égard à une reproduction signée du modèle dont l'antériorité était établie par rapport aux contrefaçons alléguées - à savoir celles résultant du dépôt de la marque de la défenderesse le 30 octobre 2003 et de l'utilisation future de cette marque ou, plus généralement, des éléments de la légende du pot Tchantchès - et prive, partant, illégalement les demandeurs du bénéfice de la présomption qu'ils invoquaient (violation de l'art. 6 § 2 de la loi relative au droit d'auteur).
III. | La décision de la Cour |
Sur le premier moyen |
Quant à la première branche |
D'une part, en vertu de l'article 14, B, 1 de la loi uniforme Benelux sur les marques, le titulaire de l'enregistrement antérieur peut invoquer la nullité du dépôt qui prend rang après celui d'une marque ressemblante, dans les conditions prévues à l'article 3, deuxième alinéa.
Suivant l'article 3, 2, b), le rang du dépôt s'apprécie en tenant compte des droits, existants au moment du dépôt et maintenus au moment du litige, à des marques identiques ou ressemblantes déposées pour des produits identiques ou similaires, lorsqu'il existe, dans l'esprit du public, un risque de confusion qui comprend le risque d'association avec la marque antérieure.
Suivant la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes, et notamment l'arrêt C-361/04 du 12 janvier 2006 en cause de Claude Ruiz-Picasso et consorts/l'O.H.M.I., l'appréciation du risque de confusion dépend de nombreux facteurs et notamment de la connaissance de la marque sur le marché, de l'association qui peut en être faite avec le signe utilisé ou enregistré, du degré de similitude entre la marque et le signe et entre les produits ou services désignés. Le risque de confusion doit donc être apprécié globalement en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d'espèce. En outre, cette appréciation globale doit, en ce qui concerne la similitude visuelle, auditive ou conceptuelle des marques en cause, être fondée sur l'impression d'ensemble produite par les marques, en tenant compte, notamment, des éléments distinctifs et dominants de celles-ci.
D'autre part, le nom d'un personnage appartenant à la légende populaire peut constituer un élément distinctif ou dominant d'une marque.
En se bornant à énoncer, pour considérer que “les termes 'Jus de la confrérie Tchantchès' imprimés sur l'image stylisée du pot à figure humaine sont suffisamment distinctifs par rapport à la marque verbale 'Bière Tchantchès' pour empêcher, dans l'esprit du public, le risque de confusion entre les deux marques et l'association avec la marque verbale antérieure”, que “ces marques sont distinctes, l'une étant verbale et l'autre complexe, soit verbale et figurative, le seul élément commun étant Tchantchès, nom sur lequel aucun monopole ne peut être exercé, celui-ci appartenant à la légende populaire”, l'arrêt ne justifie pas légalement sa décision.
Le moyen, en cette branche, est fondé.
Sur le second moyen |
Quant à la cinquième branche |
Sur la fin de non-recevoir opposée au moyen, en cette branche, par la défenderesse et déduite du défaut d'intérêt |
L'arrêt ne considère pas que le droit d'auteur invoqué par le premier demandeur est, “en ce qu'il découle du parchemin ou de la pièce n° 1, non ressemblant au logo, objet de la marque figurative de la défenderesse, c'est-à-dire [au] pot à deux anses, et, en ce qui concerne la pièce n° 1, de surcroît, non antérieur”.
La fin de non-recevoir ne peut être accueillie.
Sur le fondement du moyen, en cette branche |
En vertu de l'article 6 de la loi du 30 juin 1994 relative au droit d'auteur et aux droits voisins, le titulaire originaire du droit d'auteur est la personne physique qui a créé l'oeuvre et est présumé auteur, sauf preuve contraire, quiconque apparaît comme tel sur l'oeuvre, du fait de la mention de son nom ou d'un sigle permettant de l'identifier.
L'application de cette présomption n'est pas subordonnée à la condition que la reproduction de l'oeuvre qui comporte cette mention ou ce sigle soit datée.
Pour établir que le premier demandeur était l'auteur de la légende dite du pot Tchantchès, du modèle de la chope à deux anses et des composantes de ladite légende, les demandeurs faisaient notamment valoir que “nombre d'exemplaires de la légende - notamment celui qui est scellé dans les murs de l'établissement - ainsi que de la chope portent les initiales [du premier demandeur], qu'il en va de même du 'parchemin' de la légende qui porte le 'sceau' [de celui-ci], que, sur l'enseigne de l'établissement [des demandeurs], où est représenté le pot Tchantchès, figure également le blason [du premier demandeur] avec ses initiales”.
En considérant que “la figuration du nom de 'H. D. às Tchantchès' sur l'affiche non datée en forme de parchemin illustrant, en plusieurs langues, la légende [n'est pas] de nature à établir la propriété intellectuelle de la légende et de ses composantes” dans le chef du premier demandeur et que “le fait d'avoir scellé des peintures illustrant cette légende (à une date qui n'est pas déterminée), le fait d'utiliser une enseigne [...] qui comprend un pot à double face avec les inscriptions Tchantchès Charlemagne et ce, depuis 1963 [...], ainsi que le fait de commander depuis 1960 des pots à bière à deux anses Tchantchès [...], n'établissent [pas davantage] la propriété intellectuelle revendiquée par le premier demandeur”, l'arrêt viole la disposition légale précitée.
Le moyen, en cette branche, est fondé.
Quant aux autres griefs |
Il n'y a pas lieu d'examiner la seconde branche du premier moyen et les autres branches du second moyen, qui ne sauraient entraîner une cassation plus étendue.
Par ces motifs,
La Cour
Casse l'arrêt attaqué, sauf en tant qu'il reçoit l'appel de la défenderesse et statue sur sa demande reconventionnelle et sur les dépens;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l'arrêt partiellement cassé;
Réserve les dépens pour qu'il soit statué sur ceux-ci par le juge du fond;
Renvoie la cause, ainsi limitée, devant la cour d'appel de Bruxelles.
(…)