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Tribunal de première instance Bruxelles, 11/05/2007, R.D.C.-T.B.H., 2009/1, p. 73-74

Tribunal de première instance de Bruxelles
11 mai 2007

CBFA
Compétences - Émission d'obligations - Faillite de l'émetteur - Non-remboursement - Agrément ministériel - Apparence de crédibilité - Responsabilité aquilienne
Le fait de ne pas avoir pris des mesures pour empêcher l'émetteur d'une obligation, soumis à un agrément ministériel, d'exercer une activité illégale au moment de la souscription de l'obligation, n'entraîne pas la responsabilité aquilienne de la CBFA pour avoir maintenu une apparence de crédibilité, l'agrément ministériel étant étranger à l'action de la CBFA.
Le lien de causalité entre l'acte ou l'abstention reprochée à la CBFA et le dommage allégué n'est pas démontré lorsque le dommage a exclusivement pour cause la légèreté dont le souscripteur a fait preuve en décidant de souscrire une obligation sans procéder à la moindre vérification relative à la société émettrice.
CBFA
Bevoegdheden - Uitgifte van obligaties - Faillissement van de uitgever - Niet-terugbetaling - Ministeriële vergunning - Schijnbare kredietwaardigheid - Verbintenis uit onrechtmatige daad
Het niet nemen van maatregelen om de uitgever van een obligatie, die onderworpen is aan een ministeriële vergunning, te verhinderen een illegale activiteit uit te oefenen op het ogenblik van de inschrijving op de obligatie, leidt niet tot de aansprakelijkheid van de CBFA wegens het in stand houden van een schijn van kredietwaardigheid, nu de ministeriële vergunning vreemd is aan de CBFA.
Het oorzakelijk verband tussen de handeling of de nalatigheid die aan de CBFA wordt verweten en de aangevoerde schade is niet bewezen wanneer de schade uitsluitend de lichtzinnigheid van de inschrijver als oorzaak heeft door te beslissen in te schrijven op een obligatie zonder enig onderzoek te doen aangaande de uitgevende vennootschap.

Ph. Nibelle / CBFA

Siég.: I. Jacquemin (juge)
Pl.: Mes G. Kelder loco Ch. Mahieux et D. Torbeyns

(…)

I. Objet de la demande

Attendu que la demande mue par le demandeur tend à entendre condamner la défenderesse à lui payer la contre-valeur en euros de 100.167 USD, au taux de change le plus élevé ayant existé entre le 19 janvier 1996 et le jour du paiement effectif, à majorer des intérêts au taux légal depuis le 19 janvier 1996, des intérêts judiciaires et des dépens de l'instance.

II. Les faits

Attendu que les faits utiles à la solution du litige peuvent être synthétisés comme suit:

- le demandeur a souscrit, le 19 janvier 1996, une obligation privée émise par la “Caisse de change et de crédit M. Kitoskis de Boutselis-Warlet et Cie” d'une valeur de 100.167 USD; cette obligation était remboursable douze mois plus tard, soit le 18 janvier 1997, et devait rapporter un intérêt de 5,75%; le demandeur expose qu'il s'est laissé convaincre par l'apparente crédibilité dont se prévalait la société précitée en faisant usage de son agrément ministériel en tant que préteur à la consommation et de sa dénomination de caisse de change;

- en novembre 1996, le demandeur, alerté par la parution d'articles de presse faisant état de poursuites pénales à charge de dirigeants de la société en question, a, à l'intervention de son conseil, invité ladite société à effectuer le remboursement anticipé du montant de l'obligation;

- le 28 novembre 1998, le demandeur a obtenu l'autorisation de saisir conservatoirement les objets mobiliers de la Caisse de change et de crédit M. Kitoskis de Boutselis-Warlet et Cie, au siège de la société, et les objets mobiliers de son associé commandité, M. Valéry Kitoskis de Boutselis, au domicile de ce dernier; aucune indication n'est donnée quant aux saisies qui auraient été pratiquées sur base des autorisations obtenues;

- le 16 décembre 1996, le demandeur a cité la société litigieuse et M. Valéry Kitoskis de Boutselis aux fins d'obtenir leur condamnation au paiement de la contre-valeur de 100.167 USD; le tribunal de commerce de Bruxelles a prononcé la condamnation demandée par jugement rendu par défaut, le 20 janvier 1997;

- la société a entretemps été déclarée en faillite et le demandeur a déclaré sa créance au passif de la faillite;

- le 16 septembre 1997, M. Valéry Kitoskis de Boutselis a formé opposition au jugement rendu à son encontre; ce recours a été déclaré irrecevable, par jugement du tribunal de commerce de Bruxelles du 22 octobre 1999;

- il résulte du dossier produit par le demandeur que des poursuites pénales ont été menées, à la suite de la faillite de la société litigieuse; par jugement prononcé le 12 juin 2003 par le tribunal correctionnel de Bruxelles, sur les poursuites diligentées par monsieur le procureur du Roi à charge des responsables et actionnaires de la Caisse de change et de crédit M. Kitoskis de Boutselis et Cie, ceux-ci ont été condamnés notamment au motif “qu'ils escroquèrent un nommé Nibelle (le demandeur) d'obligations du Crédit Communal pour les échanger contre des obligations privées, sans la moindre valeur émises par un de leurs établissements...”.

III. Discussion

Attendu que le demandeur fonde son action sur la responsabilité aquilienne de la défenderesse;

Qu'il lui appartient par conséquent, conformément à l'article 1315 du Code civil, d'établir la réunion des trois éléments que constitue une faute, un dommage et le lien de causalité entre la faute et le dommage;

Qu'en l'absence d'un de ces éléments, la responsabilité du défendeur à l'action en responsabilité ne peut être engagée;

Attendu qu'en l'espèce, le demandeur reproche à la défenderesse de ne pas avoir pris de mesure pour empêcher l'exercice par la Caisse de change et de crédit M. Kitoskis de Boutselis-Warlet et Cie d'une activité illégale de bureau de change, au moment de la souscription de l'obligation litigieuse;

Attendu que la défenderesse conteste avoir commis une faute quelconque et soutient qu'en tout état de cause le comportement fautif qui lui est reproché ne présente pas de lien de causalité avec le dommage dont se plaint le demandeur, à savoir la perte de son investissement;

Attendu en effet qu'il appartient au demandeur d'établir que sans la faute, le dommage ne se serait pas produit tel qu'il s'est réalisé in concreto;

Que le demandeur affirme avoir été convaincu de souscrire à l'obligation litigieuse en raison de l'apparence de crédibilité qu'aurait suscité l'agrément ministériel obtenu pour pratiquer certaines opérations de crédit à la consommation et l'activité de change exercée;

Qu'outre le fait que l'agrément en question est étranger à la défenderesse, il y a lieu de constater que le demandeur ne démontre nullement ses affirmations;

Que le dommage dont il se plaint a pour cause, non un acte ou une abstention de la défenderesse, mais exclusivement la légèreté dont il a fait preuve en décidant d'investir dans la souscription d'une obligation, sans procéder à la moindre vérification relativement à la société émettrice;

Qu'il ressort, d'autre part, de la décision prononcée par le tribunal correctionnel de Bruxelles le 12 juin 2003 que le demandeur ne s'est pas borné à souscrire l'obligation litigieuse, mais qu'il avait auparavant remis à une personne des obligations ou bons de caisse du Crédit Communal, dont la valeur n'est pas précisée;

Que suivant les préventions reprises en tête du jugement, cette remise des bons de caisse du Crédit Communal a été effectuée entre le 1er juin et le 1er septembre 1995;

Qu'il apparaît dès lors que la souscription, au mois de janvier 1996, de l'obligation privée litigieuse n'a pas été faite en raison de “l'apparente crédibilité” dont aurait joui la Caisse de change et de crédit M. Kitoskis de Boutselis-Warlet et Cie, mais fait suite à une autre opération réalisée antérieurement par le demandeur avec ladite société, à propos de laquelle le demandeur ne fournit aucune explication;

Attendu que le lien de causalité entre l'acte ou l'abstention reproché à la défenderesse et le dommage allégué n'est pas démontré;

Que la demande sera par conséquent déclarée recevable mais non fondée.

Par ces motifs,

Le tribunal,

(…)

Déclare la demande recevable mais non fondée; en déboute le demandeur;

(…)