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Observations, R.D.C.-T.B.H., 2009/1, p. 61-63

BANK- EN KREDIETWEZEN
Bedrijfsuitoefeningsvoorwaarden - Gebrek aan vergunning als kredietinstelling - Lening - Onontvankelijkheidsvorderingen tot terugbetaling
Het feit dat een vennootschap die kredietinstellingenactiviteiten uitvoert niet beschikt over de nodige vergunning maakt dat ze zich bevindt in een onwettelijke toestand die de openbare orde raakt en die haar de legitieme belang ontneemt om vorderingen die voortspruiten uit overeenkomsten die werden aangegaan zonder de vereiste vergunning in te stellen.
BANQUE ET CRÉDIT
Conditions d'exercice de l'activité - Défaut d'agrément comme établissement de crédit - Contrat de prêt - Irrecevabilité de la demande - Nullité
Le fait qu'une entreprise exerçant des activités d'établissement de crédit ne dispose pas de l'agrément nécessaire la met dans une situation illégale qui touche à l'ordre public et lui enlève l'intérêt légitime à introduire toute demande relative à des contrats conclus sans agrément.

Ce jugement est frappé d'appel.

1. Introduction

Les faits soumis au tribunal de première instance d'Anvers sont d'une grande simplicité: la SA BWM a consenti un prêt d'un montant de 42.290 EUR à Madame VV [1]. Cette dernière ne paiera jamais aucune somme (ni paiement d'intérêt, ni remboursement de capital). La SA BWM demande le remboursement du capital, ainsi que le paiement des intérêts et de dommages et intérêts.

Après avoir constaté que la SA BWM exerce des activités d'établissement de crédit (au sens de la loi du 22 mars 1993 relative au statut et au contrôle des établissements de crédit) sans avoir obtenu l'agrément nécessaire, le tribunal conclut que la SA BWM “se trouve dans une situation illégale qui touche à l'ordre public et lui enlève l'intérêt légitime à introduire toute demande relative à des contrats conclus sans agrément” (nous traduisons).

Pour rappel, l'établissement de crédit est défini comme une entreprise belge ou étrangère “dont l'activité consiste à recevoir du public des dépôts d'argent ou d'autres fonds remboursables et à octroyer des crédits pour (son) propre compte” [2].

Vu l'absence de détails dans le jugement à cet égard, nous n'approfondirons pas l'analyse du tribunal selon laquelle l'activité de réception de dépôts d'argent et d'autres fonds remboursables du public (au sens de la loi du 22 mars 1993) par la SA BWM est prouvée à suffisance par l'émission d'obligations convertibles. Il faut cependant rappeler que les conditions du caractère public de la sollicitation de tels dépôts sont fixées par l'article 8 de l'arrêté royal du 7 juillet 1999 relatif au caractère public des opérations financières.

La question centrale posée par ce jugement est donc celle de l'impact de l'absence de l'agrément exigé pour l'exercice d'une activité bancaire sur les contrats de prêt conclus dans ce cadre. Cette question n'a, à notre connaissance, pas encore été abordée par la jurisprudence et la doctrine en Belgique.

2. Impact de l'absence d'agrément comme établissement de crédit sur la convention de prêt
2.1. Irrecevabilité - Absence d'intérêt légitime à agir

La décision annotée est critiquable à plusieurs égards.

D'abord, en invoquant l'absence d'intérêt légitime à agir, le tribunal se place uniquement sur le terrain de la recevabilité. Il nous semble pourtant que l'impact de l'absence d'agrément sur le contrat de prêt est une question de fond. Il est intéressant de noter que le caractère légitime de l'intérêt à agir (en plus de son caractère né et actuel) n'est pas exigé par l'article 18 du Code judiciaire. Cette notion semble avoir été introduite par une jurisprudence en matière de responsabilité aquilienne, basée sur une confusion entre l'intérêt légitime à agir et le caractère légitime de l'avantage perdu dont on demande réparation au fond [3]. Quelle que soit l'origine de cette jurisprudence, elle participe à un déplacement anormal de l'examen du fond du litige vers celui de la recevabilité de la demande largement critiqué en doctrine [4].

Ensuite, même au cas où on devrait se poser la question du caractère légitime de l'intérêt à agir du demandeur/prêteur, le simple fait qu'il n'ait pas l'agrément nécessaire ne devrait pas rendre son intérêt illégitime. S'il est contraire à l'ordre public d'exercer sans agrément l'activité d'établissement de crédit, encore convient-il de distinguer les deux composantes de cette activité rappelées ci-dessus. L'élément qui crée un risque pour la société et justifie l'exigence de l'agrément (et du contrôle qui y est lié), c'est la collecte de fonds remboursables auprès du public, dans la mesure où ces fonds sont ensuite prêtés à des tiers, créant un risque particulier pour le déposant. C'est d'ailleurs cette activité qui fait l'objet du monopole des établissements de crédit [5]. L'activité de prêt n'est, par contre, pas réglementée (sauf les cas spécifiques du crédit à la consommation et du crédit hypothécaire aux particuliers). Elle ne crée en elle-même pas de risque pour l'emprunteur. On ne voit donc pas quel intérêt d'ordre public peut justifier de permettre à l'emprunteur de ne pas honorer ses obligations envers le prêteur. Bien au contraire, le non-remboursement accroît le risque du déposant puisque le prêteur se voit privé des moyens de le rembourser à son tour [6].

2.2. Nullité

En France, la jurisprudence a placé le débat sur le terrain de l'éventuelle nullité du contrat de prêt. Par son arrêt rendu le 4 mars 2005 en assemblée plénière, dans une affaire portant également sur un contrat de prêt, la Cour de cassation a clairement affirmé que “la seule méconnaissance par un établissement de crédit de l'exigence d'agrément (...) n'est pas de nature à entraîner la nullité des contrats qu'il a conclus” [7]. La Cour a ainsi mis fin à la controverse existant depuis plusieurs années en la matière, illustrée par des décisions en sens divers de ses chambres civile, commerciale et criminelle [8].

Cette jurisprudence de la Cour de cassation française semble être basée sur une distinction entre les notions d'ordre public de direction (lié à la politique administrative ou économique) et d'ordre public de protection (lié à la protection de l'intérêt général), l'agrément bancaire n'étant lié qu'à l'ordre public de direction dont la violation n'entraîne la nullité des contrats que si la loi le prévoit expressément [9].

La position de la Cour de cassation française doit être approuvée en son principe. D'une part, c'est bien en termes d'éventuelle nullité du contrat que doit se poser la question de l'impact de l'absence d'agrément. D'autre part, quant au fond, les arguments développés ci-avant pour contester l'absence d'intérêt légitime du prêteur vont dans le même sens que l'approche fondée sur l'absence d'ordre public (au sens de l'intérêt général) à défendre par la sanction de nullité du contrat.

Cependant, dans la mesure où la distinction entre ordre public de protection et de direction ne semble pas être retenue en droit belge, la même base juridique ne peut pas nécessairement être retenue dans notre droit. Il nous semble qu'il faut opérer une distinction entre la contrariété à l'ordre public de la situation du prêteur et de la convention de prêt. Il est utile de rappeler que, en droit belge, la nullité ne peut être invoquée que dans les cas particuliers prévus par la loi. En l'espèce, la seule base juridique qui permettrait de déclarer la nullité de la convention de prêt est l'article 1131 du Code civil qui stipule que l'obligation sur une cause illicite ne peut avoir aucun effet. L'article 1133 du Code civil définit la cause illicite comme la cause qui est contraire à la loi, à l'ordre public et aux bonnes moeurs. La cause doit être comprise au sens de la cause objective (raison d'être de l'engagement) et des mobiles déterminants d'au moins une des parties. En l'espèce, le prêt d'argent n'a pas de cause illicite, en ce sens qu'il ne vise pas à permettre l'exercice d'une activité illicite [10]. Il ne suffit pas que le prêteur soit dans une situation administrativement irrégulière, même si la règle administrative touche à l'ordre public, pour que la cause du contrat soit illicite.

En tout état de cause, même si un tribunal devait arriver à la conclusion que l'absence d'agrément doit entraîner la nullité du contrat, la sanction devrait être la remise de la situation entre parties dans son pristin état: l'emprunteur rembourserait le capital, le prêteur les éventuels intérêts. Et, évidemment, le prêteur ne pourrait réclamer ni les intérêts impayés ni la moindre indemnisation [11].

2.3. Cas particulier de l'absence de notification de l'exercice de l'activité bancaire dans le cadre européen

Il est admis que l'exercice, par un établissement de crédit agréé dans un pays de l'Union européenne, d'activités bancaires dans un autre pays membre sans y avoir fait la notification nécessaire ne peut entraîner la nullité des contrats conclus dans ce cadre [12].

Cette situation est en partie différente de celle envisagée dans le jugement annoté, puisque, d'une part, l'établissement de crédit est agréé dans son pays et, d'autre part, la procédure de notification ne comporte aucun contrôle par l'autorité compétente du pays d'accueil. Il n'en reste pas moins que, malgré une violation claire des règles administratives en vigueur, qui doivent également être considérées comme touchant à l'ordre public, il est reconnu que les contrats conclus ne doivent pas être affectés.

2.4. Comparaison avec la loi sur le crédit à la consommation

Il est intéressant de noter que la loi du 12 juin 1991 relative au crédit à la consommation prévoit des sanctions civiles spécifiques au cas où le prêteur ne dispose pas de l'agrément nécessaire, à savoir la réduction des obligations de l'emprunteur au paiement du montant en principal du prêt [13].

La loi du 22 mars 1993, par contre, ne prévoit que des sanctions pénales en cas d'exercice de l'activité bancaire sans agrément [14].

On peut tirer argument de cette différence pour considérer que, d'une part, le législateur n'a pas estimé le défaut d'agrément dans le cadre de la loi du 22 mars 1993 comme suffisamment grave pour justifier la nullité du contrat de prêt lui-même et, d'autre part, que seule la protection du consommateur justifie une sanction similaire à la nullité.

3. Conclusion

Le jugement annoté nous semble critiquable, tant sur la forme (examen de l'impact de l'absence d'agrément au niveau de la recevabilité de la demande) que sur le fond.

Quelle que soit l'approche adoptée (examen de l'intérêt légitime ou d'une éventuelle nullité), le simple défaut d'agrément ne doit pas empêcher le prêteur d'obtenir l'exécution du contrat. La jurisprudence de la Cour de cassation française est clairement établie en ce sens. Ce n'est que si le contrat de prêt lui-même, indépendamment de la situation réglementaire du prêteur, était affecté d'une cause illicite que la nullité devrait être envisagée. Une telle nullité ne devrait cependant pas, en principe, empêcher le prêteur d'obtenir le remboursement du montant en capital.

Jacques Richelle
[1] Le but du crédit n'apparaît pas clairement de la décision, mais l'application de la loi sur le crédit à la consommation n'est pas invoquée.
[2] Art. 1er de la loi du 22 mars 1993. La notion d'établissement de monnaie électronique (autre type d'établissement de crédit) n'est pas pertinente dans ce cadre.
[3] G. Block, Les fins de non-recevoir en procédure civile, Bruylant, 2002, nos 59 à 63, et les nombreuses références citées.
[4] G. Block, o.c., notamment n° 62; conclusions de l'avocat général J. Spreutels avant Cass. 14 mai 2003, R.G.A.R. 2003, n° 13767, note infrapaginale 7; C. De Boe, “Le défaut d'intérêt né et actuel”, Ann. dr. Louvain 2006, p. 97, not. nos 20 à 22. En tout état de cause, la demande dans l'affaire ayant donné lieu au jugement annoté portait sur l'exécution d'un contrat, et non sur la mise en cause d'une responsabilité aquilienne.
[5] Art. 4 de la loi du 22 mars 1993.
[6] La crise financière actuelle montre que les risques pour les déposants, même auprès d'établissements de crédit agréés et contrôlés, sont bien réels.
[7] Arrêt n° 03-11.725 P: Juris-Data n° 2005-027413; J. Stoufflet, “Le défaut d'agrément bancaire n'entraîne pas la nullité des contrats conclus”, Dr. banc. fin. mai-juin 2005, p. 48; T. Bonneau, “Monopole bancaire. Nullité des contrats”, Banque et droit, n° 101, mai-juin 2005, p. 69.
[8] Voy. les références citées par J. Stoufflet, o.c.; quant à la jurisprudence maintenant bien établie de la Cour de cassation française, voy. Cass. comm. 24 avril 2007, cité par T. Bonneau, Banque et droit, n° 114, juillet-août 2007, p. 16.
[9] J. Stoufflet, o.c., nos 5 à 9.
[10] Pour des exemples de causes illicites de contrat de prêt entraînant la nullité, voy. par exemple Cass. 8 décembre 1967, Pas. 1967, I, p. 434 (prêt permettant à une concubine d'exercer des activités commerciales et ainsi de “favoriser la continuation de relations hors-mariage” contraires aux bonnes moeurs) et Cass. 24 décembre 1976, Pas. 1977, I, p. 101 (financement d'une vente contrevenant à la législation en matière d'approvisionnement en produits textiles).
[11] La jurisprudence de la Cour de cassation citée à la note 10 ci-dessus permet au juge, toujours dans le cas où le contrat lui-même a une cause illicite, de refuser la répétition de ce qui a été payé “soit parce qu'il considère que l'avantage ainsi reconnu à un des contractants compromettrait le rôle préventif de la sanction de nullité absolue (…), soit parce qu'il estime que l'ordre social exige que l'un des contractants soit plus sévèrement frappé”. Outre que, dans le cas d'espèce, le contrat lui-même n'est pas illicite, même si c'était le cas, on ne voit pas comment un tribunal pourrait refuser le remboursement du principal sur une des bases évoquées par la Cour.
[12] M. Tison, De interne markt voor bank- en beleggingsdiensten, Intersentia, 1999, nos 1298 et 1299, et les références citées.
[13] Art. 87 de la loi du 12 juin 1991.
[14] Art. 104 de la loi du 22 mars 1993.