Un chèque est présenté par son bénéficiaire à sa banque.
La banque en question crédite le bénéficiaire sauf bonne fin mais égare le chèque avant de pouvoir le présenter en chambre de compensation. Elle poursuit le tireur sur base de la théorie de l'enrichissement sans cause.
Le tribunal de commerce de Liège [1] rejette l'action de la banque constatant que son action est prescrite en vertu de l'article 52 de la loi sur le chèque et que l'article 52bis de ladite loi ne trouve pas à s'appliquer, parce que cette disposition est basée sur l'enrichissement sans cause et qu'en l'espèce la cause de l'appauvrissement de la banque réside dans une négligence commise par elle ce qui rompt le lien causal de manière telle que le caractère injuste de l'enrichissement du tireur n'est pas établi.
La cour d'appel réforme le jugement en question, considérant que l'action autorisée par l'article 52bis est une action spécifique qui sanctionne celui qui s'est enrichi dans des conditions contraires à l'équité sans qu'il soit nécessaire de vérifier plus avant la réunion en l'espèce des conditions de l'action de in rem verso.
Les circonstances de fait qui ont conduit à l'arrêt annoté y sont relatées de manière très succincte.
Il semble effectivement contraire à l'équité de faire supporter par une banque qui a payé sans intention libérale la dette d'autrui la charge de ladite dette.
Sur le plan juridique toutefois, l'arrêt annoté paraît quelque peu elliptique.
Différents articles de la loi sur le chèque conditionnent les recours qui peuvent être exercés par le porteur en cas de non-paiement:
- l'article 40 qui prévoit que “le porteur peut exercer ses recours contre les endosseurs, le tireur et les autres obligés, si le chèque, présenté en temps utile, n'est pas payé et si le refus de paiement est constaté”;
- l'article 48bis suivant lequel: “dans le cas de déchéance (des recours), il subsiste une action contre le tireur qui n'a pas fait provision ou contre un tireur ou un endosseur qui s'est enrichi injustement”;
- et l'article 52bis dont la cour d'appel fait en l'espèce application: “en cas de prescription, il subsiste une action contre le tireur qui n'a pas fait provision et contre un tireur ou un endosseur qui se serait enrichi injustement”.
Les trois cas supposent cependant une condition préalable qui sur base des faits relatés par la cour d'appel, semble avoir fait défaut en l'espèce: que la banque qui agit contre le tireur soit effectivement en état de présenter - ne serait-ce que tardivement - le chèque au paiement.
Lorsqu'un chèque ne peut être présenté parce qu'il est perdu, la loi prévoit une procédure spéciale dite des chèques adirés [2].
Cette procédure stipule que celui qui a été involontairement dépossédé d'un chèque peut en obtenir le paiement en vertu d'une ordonnance du président du tribunal de commerce en justifiant de sa propriété et en donnant caution. En cas de refus de paiement, le propriétaire du chèque adiré conserve ses droits par un acte de protestation qui doit être fait au plus tard le surlendemain de l'expiration du délai de présentation.
Une telle procédure a peut-être été suivie en l'espèce mais il n'en est pas fait mention dans l'arrêt.
À défaut, on voit mal comment le porteur d'un chèque dépossédé pourrait obtenir après la prescription de l'action cambiaire ce qu'il ne peut obtenir avant à défaut de justifier de sa qualité de porteur légitime.
Si l'action en paiement du chèque a été introduite devant le tribunal de commerce en dehors du respect de la procédure relative aux chèques adirés, n'est-il pas logique que le tribunal ait dans ce cas fondé sa décision sur la seule théorie de l'enrichissement sans cause puisque la banque ne pouvait établir sa qualité de porteur légitime du chèque?
La Cour de cassation a qualifié l'action contre le tireur qui s'est enrichi injustement d'action de droit commun fondé sur le rapport fondamental [3]; on se demande quel pourrait être le rapport fondamental unissant le tireur à une banque qui n'est pas en mesure de justifier sa qualité de porteur du chèque si ce n'est précisément le rapport de celui qui, sans intention libérale a payé la dette d'un débiteur qui se voit ainsi injustement enrichi.
La constatation opérée par le tribunal de commerce de ce que le lien causal entre l'appauvrissement de la banque et l'enrichissement corrélatif du tireur a été rompu par la négligence de la banque de manière telle que le caractère injuste de l'enrichissement n'est pas établi nous semble, par ailleurs, pouvoir être discutée. La négligence de la banque n'affecte en effet en rien le caractère injustifié de l'enrichissement, elle prive simplement la banque du titre matériel lui permettant d'exiger facilement son dû. Si le tireur doit être prémuni contre le risque d'avoir, suite à la faute de la banque à payer le chèque une seconde fois au cas où le cheque adiré lui serait par la suite, présenté par un tiers, ce risque peut être rencontré - et l'est fréquemment en pratique - par une garantie donnée au tireur de ce qu'il sera indemnisé dans tous les cas où le cheque lui serait postérieurement présenté dans des circonstances lui interdisant d'en refuser le paiement.
Par ailleurs, subordonner l'action prévue par l'article 52bis de la loi sur le chèque à la condition de ce que tant l'enrichissement du tireur que l'appauvrissement du porteur soit dépourvu de toute cause aboutirait à priver cette disposition de toute utilité: dans l'hypothèse visée, c'est la prescription légale qui éteint l'action cambiaire et l'enrichissement du tireur consécutif à cette prescription a donc bel et bien une cause [4].
L'arrêt annoté nous paraît équitable quant à sa solution.
Un libellé un peu plus détaillé du raisonnement juridique appliqué aux faits de l'espèce en aurait facilité la lecture en évitant tout risque de malentendu.
[1] | Jugement du 26 mai 2005. |
[2] | Art. 58 à 60 de la loi sur le chèque. |
[3] | Cass. 26 novembre 1992, Pas. 1992, I, p. 1309. |
[4] | P. De Vroede, Le Chèque, Editions des services interbancaires, 1983, p. 149, n° 283; à propos des lettres de change, J. Ronse, Wisselbrief en orderbriefje, 1972, II, p. 660, n° 2185. |