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Les avatars du passage à l'euro et les retards dans l'exécution d'un transfert électronique de fonds, R.D.C.-T.B.H., 2009/1, p. 19-22

BANQUE ET CRÉDIT
Opérations bancaires - Carte bancaire - Transfert électronique de fonds - Délai d'exécution - Obligation de moyens - Preuve
L'émetteur d'une carte bancaire ne peut être tenu pour responsable d'un retard dans l'inscription et la comptabilisation d'opérations sur le compte bancaire du titulaire de l'instrument de transfert électronique de fonds, si aucune faute ne peut être démontrée dans son chef. L'émetteur, tenu à une obligation de moyens, ne peut être tenu pour responsable d'un retard auquel la banque correspondante a été confrontée et qui est justifié par des perturbations momentanées dues à un événement historique et exceptionnel, à savoir le passage à l'euro.
L'émetteur de cartes, confronté à une contestation, apporte valablement la preuve de l'enregistrement correct d'une opération, en produisant le journal des instructions du réseau (loggin), conformément à l'article 6, 8° de la loi du 17 juillet 2002.
BANK- EN KREDIETWEZEN
Bankverrichtingen - Bankkaart - Elektronische overschrijving van gelden - Termijn van uitvoering - Middelenverbintenis - Bewijs
De uitgever van een bankkaart is niet aansprakelijk voor de vertraging, die opgelopen wordt bij de verwerking van de gegevens op de rekening van titularis bij een elektronische overdracht van gelden, wanneer geen enkele fout in zijn hoofde kan worden weerhouden. De uitgever is gehouden tot een middelenverbintenis en kan niet aansprakelijk gesteld worden voor een vertraging die haar oorsprong vindt bij de corresponderende bank, te wijten aan een uitzonderlijke en historische gebeurtenis, m.n. de overgang naar de euro.
De uitgever van een bankkaart brengt op geldige wijze het bewijs bij van de correcte verwerking van de verrichting, door de overlegging van het journaal van de instructies van het netwerk (loggin) overeenkomstig artikel 6, 8° van de wet van 17 juli 2002.
Les avatars du passage à l'euro et les retards dans l'exécution d'un transfert électronique de fonds

1.Les faits: en déplacement à l'étranger, un client effectue divers retraits d'espèces à des guichets automatiques, à l'intermédiaire d'une carte. Certains retraits ne sont comptabilisés que deux mois plus tard. Le compte du client se retrouve débiteur. La banque bloque aussitôt le compte et invite le client à procéder au remboursement du découvert.

En réalité, la banque étrangère auprès de laquelle les retraits avaient été effectués avait tardé à comptabiliser ces opérations en raison de perturbations liées au passage à l'euro, au début de l'année 2002. Dans l'ignorance de ces débits non comptabilisés avec diligence, la banque belge avait continué à satisfaire les demandes de retraits suivants, malgré l'absence de provision suffisante sur le compte lié.

2.La procédure: de retour en Belgique, le client recherche la responsabilité de sa banque au motif que les retraits avaient été comptabilisés avec grand retard. Le client estimait que cette faute lui avait causé un préjudice, étant le découvert de son compte.

En première et seconde instances, le client est débouté de sa demande, aux motifs que l'obligation de l'émetteur de la carte avec laquelle les retraits ont été effectués est une obligation de moyen et que le client ne démontre pas que la banque a violé la loi du 17 juillet 2002 relative aux opérations effectuées au moyen d'instruments de transfert électronique de fonds.

3.Le droit applicable: les faits remontent au mois de février 2002. Or, la loi du 17 juillet 2002 n'est entrée en vigueur que le 1er février 2003.

Le principe de non-rétroactivité des lois nouvelles est énoncé par l'article 2 du Code civil. Une loi ne peut, en principe, pas régler des situations passées définitivement accomplies. Ce principe est, en général, du droit, garant des intérêts individuels et de la sécurité juridiques [1].

De même, en matière contractuelle, le contrat reste régi par la loi sous l'empire de laquelle le contrat a été conclu.

C'est donc à tort que la cour d'appel examine les moyens de l'appelant en se basant sur la loi du 17 juillet 2002.

Elle aurait dû appliquer le régime de responsabilité de droit commun, ainsi que faire application de la loi du 12 juin 1991 sur le crédit à la consommation.

Examinons cependant la situation telle qu'elle aurait pu être si la loi du 17 juillet 2002 était applicable.

4.Le délai de comptabilisation, obligation de moyen: l'article 4 de la loi du 17 juillet 2002 dispose qu'avant la conclusion du contrat relatif à la mise à la disposition et à l'utilisation de l'instrument de transfert électronique de fonds, l'émetteur doit communiquer les conditions contractuelles qui régissent cette mise à disposition et cette utilisation. Parmi ces conditions, l'émetteur doit faire “mention du délai de débit ou de crédit du compte du titulaire ainsi que de la date de valeur (...)” [2].

La cour examine une clause des conditions particulières de la banque émettrice, auxquelles le titulaire a adhéré en souscrivant une demande d'instrument de transfert électronique de fonds. Cette clause, en parfaite application de la loi du 17 juillet 2002, dispose que le montant des opérations effectuées à l'étranger est, en principe, débité du compte dans un délai de 1 à 10 jours après l'opération.

La question posée est de savoir si l'obligation de la banque émettrice contenue dans les conditions particulières est une obligation de moyen ou de résultat.

Il est notoire qu'une obligation de résultat consiste en l'obligation d'atteindre un résultat déterminé. Le seul fait que ce résultat ne soit pas atteint fait peser sur le débiteur une présomption de faute, dont il ne peut se dégager que s'il peut prouver, avec succès, qu'il a été empêché d'atteindre le résultat promis par une cause étrangère libératoire.

Une obligation de moyen est une obligation par laquelle le débiteur s'engage à fournir les efforts requis ou à utiliser des moyens déterminés dans le but d'obtenir un résultat déterminé, sans en promettre la réalisation. La preuve d'une faute dans le chef du débiteur, et donc que les efforts requis n'ont pas été fournis, ou pas fournis correctement, incombe au créancier de l'obligation en question.

L'insertion des mots “en principe” dans les conditions bancaires fait de l'obligation de la banque émettrice une obligation de moyen.

Cette approche est confirmée par les travaux préparatoires de la loi. Reprenant l'esprit de la recommandation 97/489/CE [3], ceux-ci exposent que “les délais de débit ou crédit du compte et la date de valeur doivent être mentionnés si le titulaire dispose d'un compte chez l'émetteur. Dans le cas contraire, l'émetteur doit indiquer le délai normal dans lequel la facturation lui sera adressée” [4]. La présence des termes “délai normal” implique l'inexistence de délai impératif. C'est donc bien face à un délai “de principe” que la banque émettrice et le titulaire de l'instrument de transfert se trouvent.

En l'espèce, la cour juge que le non-respect du délai prévu pour débiter le compte n'est pas en soi constitutif de faute, et n'est d'ailleurs assorti d'aucune sanction contractuelle de plein droit. Il incombe, dès lors, au client d'apporter la preuve de ce que le retard résulte d'un manquement de la banque.

En l'espèce, le retard dans la comptabilisation des opérations de retrait résultait de difficultés rencontrées par la banque italienne dans le cadre du passage à l'euro, passage obligé et effectué non sans heurt. Le passage à la monnaie unique était certes un événement prévisible, mais dont les conséquences étaient, à l'époque, difficiles à mesurer et à prévoir dans la pratique, particulièrement dans les systèmes informatiques, un peu à la manière du passage à l'an 2000.

Un événement aussi exceptionnel rend encore plus facile la démonstration de l'absence de faute dans le chef de la banque.

Cependant, le régime de responsabilité instauré par la loi du 17 juillet 2002 opte pour un régime de protection particulier, protégeant plus particulièrement le titulaire de l'instrument de transfert électronique de fonds, tant dans les cas où ce dernier est victime d'une perte ou d'un vol de sa carte, que dans ceux où il est victime d'une erreur ou d'une défaillance [5]. L'objectif de la loi de 2002 est de “parvenir à une confiance totale des utilisateurs en leur assurant un degré élevé de protection” [6]. Il va sans dire que cette réglementation est de la sorte plus contraignante pour les banques [7].

5.L'inexécution incorrecte, une erreur, un incident technique ou autre défaillance: le client aurait-il pu argumenter que le retard dans la comptabilisation des retraits constituait, en réalité, en un “incident technique ou autre défaillance”, conformément aux termes de l'article 6, 8° de la loi du 17 juillet 2002? Si l'on admet que les perturbations constatées lors du passage à l'euro sont assimilables à une “défaillance”, l'émetteur de l'instrument de transfert électronique de fonds peut voir sa responsabilité engagée à l'égard du titulaire, à condition toutefois que ce dernier conteste les opérations de retrait dans les trois mois à dater de la communication à celui-ci des informations relatives à ces opérations.

Que faut-il entendre par “incident technique ou autre défaillance”? Certains avancent que la notification contestant les opérations doit avoir lieu dans les cas suivants [8]:

    • perte ou vol de l'instrument électronique;
    • imputation sur un relevé ou des extraits de toute opération effectuée sans l'accord du titulaire;
    • erreur ou irrégularité constatée sur les relevés ou extraits de compte.

    Il faut considérer qu'un incident technique ou une défaillance survient lorsqu'est effectuée une opération que le titulaire de l'instrument financier n'a pas voulu faire, ou pour laquelle il n'a pas donné son accord exprès, préalablement ou concomitamment à l'opération.

    En informatique, cependant, une défaillance peut être définie comme la cessation de l'aptitude d'une unité fonctionnelle à accomplir une fonction requise, temporairement ou définitivement. Ou encore comme un “affaiblissement, déclin, venant à manquer” [9].

    La lenteur et le retard dans la transmission et la comptabilisation des retraits sur le compte du client pourraient-ils être considérés, au regard de cette définition, comme une défaillance momentanée du système? En se basant sur cette acception, la responsabilité de la banque émettrice pourrait-elle être engagée vis-à-vis du titulaire de la carte? Nous répondons par la négative à cette question.

    Le législateur a plutôt eu à l'esprit que le terme “défaillance” devait être interprété comme une “erreur” dans les opérations, comme par exemple une erreur de montant.

    De même, l'appelant aurait-il pu rechercher la responsabilité de la banque émettrice sur base de l'article 7 de la loi? Cet article dispose que: “L'émetteur est responsable de:

      • l'inexécution ou de l'exécution incorrecte des opérations effectuées à l'aide d'un instrument de transfert électronique de fonds, à partir de dispositifs, terminaux, ou au moyen d'équipements agréés par l'émetteur, que ceux-ci soient placés sous contrôle ou non;
      • des opérations effectuées sans l'autorisation du titulaire ou de toute erreur ou irrégularité commise dans la gestion de son compte et imputable à l'émetteur.”

      Peut-on considérer qu'un ordre de retrait exécuté malgré l'absence de provision suffisante rentre dans la définition ou l'exécution incorrecte des opérations effectuées, engageant la responsabilité de l'émetteur?

      La comptabilisation tardive d'une opération sur un compte peut être considérée comme étant une exécution incorrecte [10]. Le donneur d'ordre pourrait être tenté de rechercher la responsabilité de l'institution émettrice sur base de fait qu'il y a eu une exécution incorrecte des opérations litigieuses. À cet égard, il convient de souligner que la banque émettrice répond, vis-à-vis du titulaire de l'instrument des erreurs et fautes de l'organisme à qui un ordre de retrait a été donné [11]. L'émetteur ne peut se décharger de sa responsabilité au motif de la faute d'un autre établissement de crédit [12], comme cela pourrait être le cas ici.

      L'institution émettrice de l'instrument ne peut également pas se décharger de sa responsabilité, en tout ou en partie, conformément au prescrit de l'article 12 de la loi.

      Enfin, peut-on considérer qu'une erreur ou une irrégularité a été commise dans la gestion du compte de l'appelant? Le simple retard dans la comptabilisation de l'opération peut-il en lui-même constituer en une erreur? Nous ne le pensons pas. Une erreur ou une irrégularité ne devrait constituer en une erreur de la banque émettrice, que si cela se traduit par une contrepartie ne correspondant pas à ce que le titulaire de l'instrument a réellement demandé. Par exemple, la comptabilisation d'un retrait pour lequel le titulaire n'a en réalité pas reçu d'argent (en dehors des cas de perte ou de vol de l'instrument et des règles et conditions qui s'y attachent [13]), ou un montant erroné par rapport à celui que le titulaire de l'instrument a réellement reçu.

      6.La force probante du loggin: la juridiction principautaire précise, par ailleurs, qu'en cas de contestation, l'émetteur de la carte apporte valablement la preuve de l'enregistrement correct d'une opération, en produisant le journal des instructions du réseau (loggin), conformément à l'article 6, 8° de la loi du 17 juillet 2002.

      Si la cour d'appel avait appliqué la réglementation existant avant la loi du 17 juillet 2002, elle serait sans doute arrivée à la même conclusion. Il a en effet été jugé à plusieurs reprises qu'un établissement apporte la preuve suffisante de ses créances par les enregistrements produits par la machine (historique et bande journal [14]).

      Jean-Pierre Buyle et Martine Delierneux
      [1] Cass. 22 octobre 1970, et concl. du min. publ., Pas. 1971, I, p. 144.
      [2] Loi du 17 juillet 2002 relative aux opérations effectuées au moyen d'instruments de transfert électronique de fonds, art. 4 § 2, 7°.
      [3] Recommandation 97/489/CE de la Commission du 30 juillet 1997 concernant les opérations effectuées au moyen d'instruments de paiement électronique, en particulier la relation entre émetteur et titulaire, J.O.C.E. L 208, 2 août 1997.
      [4] Doc. parl. Chambre, 50/1389, 2002.
      [5] R. Steennot, “De wet betreffende de transacties uitgevoerd met instruments voor de elektronische overmaking van gemiddelen”, Forum Financier/Dr. banc. fin. 2002, n° 22.
      [6] Doc. parl. Chambre, 50/1389, 2002.
      [7] Du moins dans la matière qui est envisagée ici. Voy. a contrario l'art. 5 § 4 de la loi permettant de déroger à l'art. 32, 9. de la loi sur les pratiques du commerce.
      [8] A. Salaün, “Une nouvelle pierre à l'édifice de protection des consommateurs: la loi sur les instruments de transfert électronique de fonds”, J.T. 15 mars 2003, pp. 205-211.
      [9] Le Robert Micro 1992.
      [10] Voy. à ce sujet R. Steennot, “De wet betreffende de transacties uitgevoerd met instruments voor de elektronische overmaking van gemiddelen”, Forum Financier/Dr. banc. fin. 2002, n° 20.
      [11] R. Steennot, ibid.
      [12] R. Steennot, ibid.
      [13] R. Steennot, ibid., p. 255.
      [14] Montpellier 9 avril 1987, J.C.P. 1988, p. 20984 et note M. Boizard; Civ. Namur 30 mai 1988, D.I.T. 1990/2, p. 60 et note J.-P. Buyle.