Article

Cour d'appel Liège, 30/04/2007, R.D.C.-T.B.H., 2009/1, p. 17-19

Cour d'appel de Liège 30 avril 2007

BANQUE ET CRÉDIT
Opérations bancaires - Carte bancaire - Transfert électronique de fonds - Délai d'exécution - Obligation de moyens - Preuve
L'émetteur d'une carte bancaire ne peut être tenu pour responsable d'un retard dans l'inscription et la comptabilisation d'opérations sur le compte bancaire du titulaire de l'instrument de transfert électronique de fonds, si aucune faute ne peut être démontrée dans son chef. L'émetteur, tenu à une obligation de moyens, ne peut être tenu pour responsable d'un retard auquel la banque correspondante a été confrontée et qui est justifié par des perturbations momentanées dues à un événement historique et exceptionnel, à savoir le passage à l'euro.
L'émetteur de cartes, confronté à une contestation, apporte valablement la preuve de l'enregistrement correct d'une opération, en produisant le journal des instructions du réseau (loggin), conformément à l'article 6, 8° de la loi du 17 juillet 2002.
BANK- EN KREDIETWEZEN
Bankverrichtingen - Bankkaart - Elektronische overschrijving van gelden - Termijn van uitvoering - Middelenverbintenis - Bewijs
De uitgever van een bankkaart is niet aansprakelijk voor de vertraging, die opgelopen wordt bij de verwerking van de gegevens op de rekening van titularis bij een elektronische overdracht van gelden, wanneer geen enkele fout in zijn hoofde kan worden weerhouden. De uitgever is gehouden tot een middelenverbintenis en kan niet aansprakelijk gesteld worden voor een vertraging die haar oorsprong vindt bij de corresponderende bank, te wijten aan een uitzonderlijke en historische gebeurtenis, m.n. de overgang naar de euro.
De uitgever van een bankkaart brengt op geldige wijze het bewijs bij van de correcte verwerking van de verrichting, door de overlegging van het journaal van de instructies van het netwerk (loggin) overeenkomstig artikel 6, 8° van de wet van 17 juli 2002.

C. Lazzara / SA Banque de La Poste

Siég.: M. Ligot, F. Royaux et A. Jacquemin (conseillers)
Pl.: Mes M. Jeddi loco E. Agliata et B. Merckx loco L.-P. Maréchal

(…)

Les faits et l'objet des actions ont été exactement relatés par le jugement rendu en la cause par le même tribunal le 13 décembre 2005. Il sera simplement rappelé que suite à de très nombreux retraits d'argent réalisés à Santa Caterina en Italie, entre le 30 octobre 2001 et le 11 mars 2002, au moyen des cartes Postomat dont disposent Calogero Lazzara et son épouse, le compte de ce dernier a été débité d'une somme globale de 9.780,13 EUR et a affiché un solde négatif de 4.786,92 EUR.

L'appelant a assigné la Banque de La Poste aux fins d'obtenir sa condamnation à remettre le compte en l'état où il était avant ces retraits, qu'il conteste, et donc à le rendre à nouveau créditeur d'un solde de 4.993,21 EUR, et à lui payer 2.500 EUR de préjudice professionnel et 750 EUR de frais de défense. En appel, il limite son premier chef de demande au total des retraits effectués entre le 28 décembre et le 19 février 2002, qu'il chiffre tantôt à 7.278,23 EUR, tantôt à 7.536,46 EUR.

Celle-ci a postulé reconventionnellement la condamnation de C. Lazzara à rembourser le découvert de son compte courant pour un montant, intérêts conventionnels compris jusqu'au 25 janvier 2004, de 6.055,75 EUR, à majorer des mêmes intérêts au taux de 15,40% l'an sur 4.786,92 EUR depuis le 26 janvier 2004, et à l'indemniser de ses frais de défense à concurrence de 650,47 EUR, en sus de l'indemnité de procédure.

Le dossier est particulier en ce que C. Lazzara soutient qu'il n'a jamais perdu les cartes qui ont servi aux retraits litigieux mais qu'il conteste avoir fait ceux-ci. Il explique “qu'il n'a pas déposé de plainte au pénal puisqu'[il] ignore si ces retraits litigieux sont l'oeuvre de malfaiteurs ou d'une erreur technique de la partie intimée” (ses conclusions, p. 10).

La banque a transmis le dossier de l'appelant pour enquête, suite à sa plainte, au service compétent auprès de Banksys (son courrier du 2 avril 2002), puis a communiqué le résultat de cette enquête le 22 avril 2002. Tous les détails des opérations litigieuses sont désormais connus. Les retraits ont tous été effectués avec l'une ou l'autre des cartes dont disposaient l'appelant et son épouse, chaque fois avec communication du bon code secret, à Santa Caterina, lieu de séjour habituel des intéressés en Italie, au même point de retrait. La Banque de La Poste en conclut que C. Lazzara et son épouse ont soit exécuté les retraits, soit communiqué le code secret de celles-ci à des tiers, sous leur responsabilité, en sorte que l'appelant ne peut échapper au remboursement du découvert de son compte causé par ces retraits.

Le premier juge a donné entièrement gain de cause à la Banque de La Poste.

Calogero Lazzara postule en appel la complète réformation de la décision.

La Banque de La Poste demande 1.000 EUR de dommages et intérêts pour appel téméraire et vexatoire.

Discussion

L'appelant recherche la responsabilité de l'organisme bancaire du chef des fautes qu'il aurait commises et qui auraient “permis de descendre en négatif sur le compte (…) alors que cela n'était pas autorisé” (requête d'appel, p. 2).

Il reproche à la Banque de La Poste d'avoir admis des retraits supérieurs à la limite maximale de 1.250 EUR par tranche de 7 jours.

Le grief a été dit non fondé par le jugement du 13 décembre 2005 dont Calogero Lazzara n'a pas relevé appel. Le premier juge avait relevé qu'il procédait d'une lecture erronée des pièces du dossier, ce dont l'intéressé s'était rendu compte puisqu'il avait rectifié ses conclusions d'instance en conséquence.

Il demeure que C. Lazzara reproduit le moyen en termes de requête d'appel, en s'appuyant à nouveau sur la même erreur. Même s'il ne le maintient pas en termes de conclusions d'appel, il convient de relever que le moyen est irrecevable en ce qu'il se heurte à l'autorité de chose jugée et qu'il est par ailleurs révélateur d'une mauvaise foi certaine puisqu'il a été réintroduit alors que l'appelant avait convenu de son inanité en instance.

L'appelant oppose ensuite à la banque qu'elle a satisfait à des demandes de retrait qu'elle aurait pourtant dû refuser dès lors que le compte était en découvert.

En réalité, les pièces démontrent que le problème est d'une autre nature. La banque n'a pas permis que des retraits se fassent alors que le compte était en négatif mais les retraits effectués du 28 décembre 2001 au 20 février 2002 n'ont pas été comptabilisés par l'organisme bancaire italien à leurs dates, en sorte que les retraits ont continué à être satisfaits malgré l'absence de provision suffisante, à défaut pour le système électronique d'avoir pu le détecter.

Tous les retraits opérés durant cette période ont été débités du compte le 12 mars 2002. Dès le 13 mars 2002, la banque a notifié à l'appelant que son compte présentait un découvert non autorisé et que toutes opérations de débit étaient désormais bloquées tant qu'il n'y avait pas apurement.

Il n'est certes pas normal que les opérations de retrait n'aient pas été comptabilisées durant 60 jours.

L'article 5 de la loi du 17 juillet 2002 relative aux opérations effectuées au moyen d'instruments de transfert électronique de fonds fait obligation à l'émetteur de l'instrument de fournir périodiquement au titulaire des informations relatives aux opérations réalisées, de façon à lui permettre de suivre raisonnablement l'état de ses dépenses.

L'article 6 des conditions particulières de la Banque de La Poste, relatives à l'utilisation de la carte PostomatPlus, dispose, conformément au texte légal quoique de manière encore plus précise, que le montant de l'opération effectuée en Belgique est en principe débité du compte soit le jour-même, soit le jour bancaire ouvrable suivant et que les opérations effectuées à l'étranger sont en principe débitées du compte dans un délai de 1 à 10 jours après l'opération.

S'agit-il toutefois là d'une obligation de résultat ou de moyen pour la banque?

L'obligation de résultat est une obligation par laquelle le débiteur s'engage à obtenir un résultat déterminé. L'obligation de moyen constitue au contraire une obligation par laquelle le débiteur s'engage à fournir les efforts requis ou à utiliser des moyens déterminés dans le but d'obtenir un résultat déterminé, sans en promettre la réalisation.

L'insertion, dans la clause, des termes “en principe” établit que la banque a contracté une obligation de moyen. Ainsi que l'a relevé à bon droit le premier juge, le non-respect du délai prévu n'est pas en soi constitutif de faute et n'est d'ailleurs assorti d'aucune sanction contractuelle de plein droit.

L'interprétation contraire soutenue par l'appelant méconnaît la volonté des parties révélée par le contenu de la clause à laquelle l'appelant ne conteste pas avoir adhéré en demandant à pouvoir utiliser la carte PostomatPlus (Cass. 3 mai 1984, Pas. 1984, I, 1081). Il aurait été inutile d'insérer ces termes s'ils avaient seulement fait référence aux causes étrangères libératoires qui sont de droit dans l'hypothèse d'une obligation de résultat. Le fait que la banque se soit engagée “en principe” à obtenir tel résultat contredit précisément qu'elle ait souscrit l'obligation d'y parvenir nécessairement.

La banque n'est pas en faute du seul fait que le délai a été dépassé. Il incombe à l'appelant d'apporter la preuve du fait que le retard résulte d'un manquement de la banque.

Or, cette preuve fait en l'occurrence défaut.

La banque expose que le retard accusé par sa partenaire italienne, dont il convient de souligner qu'elle répond à l'égard de l'appelant comme d'elle-même, s'explique par le passage à l'euro, en date du 1er janvier 2002, qui a entraîné des perturbations momentanées dont elle ne peut être tenue responsable.

L'appelant conteste l'explication et lui oppose “un article de la F.E.B. daté du 27 février 2002 confirmant que le passage à l'euro s'est fait sans heurt” (ses conclusions, p. 6). L'article n'est toutefois pas produit. Encore le serait-il, qu'il ne serait pas pertinent à contredire ce qui résulte objectivement des pièces du dossier, d'autant plus que sa portée, vu son origine, semble difficilement exportable à la situation qu'a pu connaître au même moment le secteur bancaire italien.

L'historique du compte établit en effet qu'il n'y a eu aucun problème avant et après la période critique: tous les retraits effectués en Italie entre le 30 octobre 2001 et le 27 décembre 2001 ont été débités dans un délai de 2 à 6 jours et ceux intervenus après le 20 février 2002 ont, à leur tour, été comptabilisés dans un délai de 1 à 5 jours.

Le retard ne s'est donc manifesté, de manière tout à fait ciblée, qu'entre le 28 décembre 2001 et le 20 février 2002. Il ne peut sérieusement être contesté, dans ces conditions, que le système qui a parfaitement fonctionné en temps normal, a été ponctuellement affecté par le passage à l'euro.

Les difficultés éprouvées à cette occasion, qui n'ont tout de même consisté qu'en un retard temporaire, ne font pas la preuve d'un manquement fautif de la banque, confrontée à un événement historique aussi exceptionnel.

L'appelant reproche encore à la banque des contradictions dans l'encodage des opérations qui révéleraient “un incident technique ou une autre défaillance” dont elle devrait répondre sur pied de l'article 6, 8° de la loi du 17 juillet 2002 précitée.

Il n'y a pas de contradictions dans l'encodage des opérations:

- si deux retraits de 250 EUR chacun ont été enregistrés le 19 février 2002 à 12h12 avec la même carte, c'est parce qu'il y a eu deux retraits successifs de 250 EUR avec la même carte, ce jour-là et à cette heure-là, à un intervalle de 44 secondes, comme il résulte du journal des instructions du réseau (loggin) qui fait preuve conformément à l'article 6, 8° de la loi du 17 juillet 2002 et à l'article 12 des conditions particulières relatives à l'utilisation de la carte PostomatPlus;

- l'appelant soutient qu'il “ne se trouvait pas en Italie au moment des faits” (sa requête d'appel, p. 2) et fait valoir qu'il a effectué des retraits en Belgique le 19 janvier 2002 et le 24 janvier 2002 mais les documents émanant de Banksys établissent que les retraits opérés en Italie à ces dates-là l'ont été avec la carte de l'appelant tandis que les deux retraits réalisés en Belgique l'ont été avec la carte de son épouse;

- enfin, le fait que les opérations intervenues durant la période troublée par le passage à l'euro se sont vu attribuer, lors de leur débit du compte le 12 mars 2002, des dates valeur postérieures à la date effective des transactions, le décalage allant en s'amenuisant jusqu'à disparaître, ne révèle aucune contradiction mais témoigne seulement des perturbations connues durant ce laps de temps. Encore faut-il observer à cet égard que comme les dates valeur déterminent le moment à partir duquel les intérêts débiteurs commencent à courir et que, en l'occurrence, elles sont postérieures aux dates réelles de retrait, l'appelant n'a certes pas lieu de s'en plaindre.

C'est encore à l'encontre des pièces du dossier que l'appelant allègue que les conditions générales de l'intimée ne lui seraient pas opposables, à défaut d'avoir été effectivement portées à sa connaissance avant la conclusion du contrat: le contrat d'ouverture de compte établit qu'il a reçu lesdites conditions et qu'il y a adhéré sans réserve avant de signer le contrat pour accord.

Enfin, l'appelant n'établit pas en quoi l'article 8 § 2, alinéa 4 de la loi du 17 juillet 2002 trouverait en l'espèce à s'appliquer d'une quelconque manière.

Le premier juge avait parfaitement analysé les faits de la cause et leur avait apporté une solution qui ne peut qu'être totalement approuvée au terme d'une motivation claire et complète qui rencontrait les moyens de l'appelant.

L'appel interjeté dans ces conditions, sur base de moyens soutenus à l'encontre même des pièces versées aux débats, témoigne d'une mauvaise foi, déjà stigmatisée par le premier juge, qui le rend fautif. Les 1.000 EUR de dommages et intérêts postulés de ce chef avec modération par la banque sont justifiés.

Décision

La cour, statuant contradictoirement,

Reçoit l'appel et la demande incidente,

Confirme le jugement entrepris,

Condamne Calogero Lazzara à payer à la SA Banque de La Poste 1.000 EUR de dommages et intérêts pour appel téméraire et vexatoire et les dépens d'appel, liquidés à 485,87 EUR selon l'état produit non contesté.

(…)