Article

Observations, R.D.C.-T.B.H., 2009/1, p. 14-16

BANQUE ET CRÉDIT
Opérations bancaires - Virement - Article 1239 du Code civil
Lorsqu'il est démontré qu'un virement est faux ou falsifié, il appartient à la banque, sur la base de l'article 1239 du Code civil, de supporter les conséquences du paiement réalisé entre les mains de quelqu'un qui n'avait pas qualité pour recevoir ce paiement. Les parties peuvent néanmoins déroger à cette disposition et mettre à charge du client les conséquences de ce virement. Une telle dérogation est indépendante de toute faute et n'a pas pour effet de vider le contrat de sa substance.
Il est de même permis aux parties de moduler l'obligation de restitution sans toutefois de la sorte exonérer le banquier de sa faute lourde ou de son dol ou pouvoir vider le contrat de sa substance.
BANK- EN KREDIETWEZEN
Bankverrichtingen - Overschrijvingen - Artikel 1239 B.W.
Wanneer wordt aangetoond dat een overschrijving vals of vervalst is, dient de bank op grond van artikel 1239 B.W. alle gevolgen te dragen van de betaling die gebeurde aan iemand die niet bevoegd was om die betaling te ontvangen. Partijen kunnen niettemin van die regel afwijken en overeenkomen dat de klant alle gevolgen moet dragen. Dergelijke afwijking is niet afhankelijk van enige fout en heeft niet tot gevolg dat het contract inhoudelijk uitgehold wordt.
Zo is het partijen eveneens toegelaten om de verplichting tot teruggave te moduleren, zonder echter dat de bankier zich van zware fout of opzet mag ontheffen of het contract daardoor inhoudelijk mag uithollen.

1.Le jugement est frappé d'appel.

2.Les faits ayant donné lieu au jugement du tribunal de première instance de Bruxelles du 29 janvier 2007 sont classiques: la banque exécute trois ordres de virement papier, dont il apparaît ultérieurement qu'ils étaient faux. Confronté au refus de sa banque de lui rembourser les montants ainsi débités de son compte, le titulaire du compte saisit le tribunal de première instance et fonde sa demande à titre principal sur l'article 1239 du Code civil et à titre subsidiaire, sur l'obligation de restitution.

En l'espèce, après avoir constaté l'opposabilité des conditions générales de la banque au client, le tribunal a déclaré non fondée la demande aux motifs que ces conditions contenaient d'une part une dérogation à l'article 1239 du Code civil et d'autre part, une clause exonératoire de responsabilité.

3.Dans son jugement, le tribunal détermine d'abord, de manière incidente même s'il s'agissait d'un préambule à sa décision, quelles étaient les conditions générales applicables aux relations contractuelles unissant la banque et son client.

Pour qu'elles puissent gouverner les relations entre ces parties, les conditions doivent avoir été acceptées par elles.

Ceci ne suppose en soi pas de difficultés dans le chef de la banque, dans la mesure où elle en est la rédactrice.

Lors de l'ouverture de son compte, le client signe soit les conditions générales de la banque soit un document - distinct ou non du document d'ouverture de compte lui-même - dans lequel il reconnaît avoir reçu lesdites conditions et qu'il les accepte [1]. Par là, il manifeste son consentement sur celles-ci.

Lorsque la banque, comme elle y est autorisée [2], modifie ses conditions générales, il est bien entendu impossible pour elle d'obtenir de tous ses clients qu'ils signent, le cas échéant, à nouveau ces conditions générales. Il est en règle admis que la preuve de l'adhésion du client à ces nouvelles conditions sera apportée par l'absence de réaction à l'extrait de compte l'informant de leur modification [3].

Le jugement commenté retient cette solution. Cela lui était d'autant plus facile que le client lui-même se prévalait des nouvelles conditions générales.

4.Même si les cours et tribunaux semblent aujourd'hui admettre majoritairement [4] que ce soit le cas, l'application de la maxime de Loysel Qui doit à Luc et paye à François, Paye une autre fois reprise à l'article 1239 du Code civil, à la matière du faux virement ou du virement falsifié [5] ne convainc pas [6].

Suivant cette jurisprudence, la dette qui serait mal payée semble être celle - mais laquelle - que la banque a envers son client. Ce paiement serait inopposable au client qui pourrait, en conséquence, le demander une seconde fois.

Outre qu'une telle analyse méconnaît la nature juridique du virement [7], elle entraîne nécessairement une lecture différenciée du virement selon qu'il soit initié sur la base d'un ordre faux ou vrai alors que s'agissant d'une même opération, même si elle est complexe, on est en droit de penser qu'une lecture uniforme de celle-ci devrait prévaloir.

La transposition [8] de cette lecture du virement (la banque paie sa dette envers le titulaire du compte) conduit à une solution juridiquement inacceptable lorsqu'elle est appliquée au vrai virement.

Il faut en effet constater que, dans le cadre d'un vrai virement, ce n'est pas entre les mains du titulaire lui-même que, par hypothèse, la banque effectue ce paiement mais bien entre les mains d'un tiers. Celui-ci, pour que le paiement soit valable, doit donc avoir reçu pouvoir de recevoir pour le titulaire du compte. Dans cette analyse, le bénéficiaire du virement est le mandataire [9] du créancier.

Transposée au vrai virement, l'analyse du faux virement conduit alors à faire naître un contrat (le mandat) en l'absence même de volonté du mandant (le donneur d'ordre) et - surtout - du mandataire (le bénéficiaire).

Cette solution ne saurait dès lors être admise et montre qu'en réalité, l'usage de l'article 1239 du Code civil n'est, dans l'hypothèse envisagée, pas pertinent.

Il s'agit en effet, en cas de faux virement ou de virement falsifié, d'une question de répartition des risques liés à cette opération, question qui est étrangère à l'article 1239 du Code civil [10].

5.L'article 1239 du Code civil ne relève pas de l'ordre public. Les parties peuvent en conséquence organiser un régime différent applicable au paiement fait au mauvais accipiens [11] et déterminer pleinement les obligations qui pèsent sur chacune d'elles en cas de virement faux ou falsifié.

Cette détermination conventionnelle de la répartition du risque lié à un tel virement, peut être expresse mais ne doit pas l'être.

Au-delà de la lettre, il convient de donner aux clauses contractuelles leur effet utile, dans la limite de la volonté des parties lorsqu'elles les ont adoptées [12]. On ne saurait dès lors considérer, d'une manière générale, qu'une clause ne peut avoir un impact sur l'application de l'article 1239 du Code civil, au seul motif qu'elle contient les mots dol, faute lourde ou encore responsabilité [13].

Tel a pourtant été la décision du tribunal dans la décision annotée. Il a en effet décidé d'écarter notamment l'article 3 des conditions générales de la banque qui prévoyait que la responsabilité de la banque serait engagée si elle commettait un dol ou une faute lourde dans la vérification de la conformité des signatures avec le spécimen aux motifs qu'il concernait la responsabilité de la banque et qu'il ne pouvait en conséquence avoir d'incidence sur le paiement qui est un mode d'extinction d'une obligation.

Or, si la banque n'entend être responsable que si elle commet un dol ou une faute lourde dans la vérification de la conformité des signatures avec le spécimen, c'est qu'elle n'entend pas l'être dans tous les autres cas et donc qu'elle n'entend supporter aucun dommage quelconque. Les parties ont ainsi convenu que, sauf le cas d'une discordance flagrante entre le spécimen de signature et celle apposée sur l'ordre de virement, les conséquences du virement, même faux ou falsifié, sont supportés par le client. Du reste, quel est encore l'effet utile de cette clause si la banque, qui ne pouvait détecter la contrefaçon de la signature en sorte qu'elle n'est pas responsable et, de la volonté des parties, ne supporte partant pas le dommage, se voit pas ailleurs imposer de supporter ce même dommage sur la base de l'article 1239 du Code civil?

C'est du reste cette recherche de l'effet utile de la clause qui a conduit, dans cette même décision, le tribunal à faire usage d'une autre disposition des conditions générales de la banque, alors même que cette disposition contenait aussi les mots dol et faute lourde qui tous deux renvoient à l'idée de responsabilité, pour écarter la demande formulée par le client.

6.S'il peut sans doute être admis que le contrat de compte - qui est un contrat-cadre - fait naître à charge du banquier une obligation de restitution, force est de constater que tant la nature de cette obligation que son assiette sont laissées à la discrétion des parties.

Il est dès lors insuffisant pour le titulaire d'un compte de soutenir, sans analyser les conventions éventuellement intervenues entre parties, qu'il pèserait sur le banquier une obligation de restitution et de qualifier celle-ci d'obligation de résultat pour obtenir la condamnation du banquier à lui rembourser les sommes virées sur la base d'un ordre faux ou falsifié.

C'est dès lors à juste titre que le tribunal a effectué cette analyse et a décidé que, compte tenu des dispositions contractuelles, l'action fondée sur l'obligation de restitution ne pouvait être accueillie.

7.Le contentieux des virements faux ou falsifiés se déploie dans un environnement juridique qui demeure incertain, du moins lorsqu'il s'agit d'un virement papier.

Pour les virements électroniques réalisés par des personnes physiques, le législateur a en effet réalisé un partage des risques entre l'émetteur de l'instrument et le titulaire du compte. Avant la déclaration de la perte ou du vol de l'instrument de transfert de fonds, le risque pèse sur le titulaire de la carte mais avec un plafond - qui peut disparaître dans certaines circonstances - de 150 EUR. Après cette déclaration, le risque pèse en règle entièrement sur l'émetteur, sauf pour lui à démontrer que le titulaire de l'instrument a agi frauduleusement [14].

André-Pierre André Dumont

Avocat

[1] De telles clauses contractuelles sont licites et ont pour effet que le client ne peut plus contester ne pas avoir reçu ces documents et ne pas en avoir accepté les dispositions (Liège 29 octobre 2002, J.T. 2003, p. 342 ; Comm. Liège 18 décembre 1996, R.D.C. 1997, p. 755; Comm. Bruxelles 6 décembre 1996, R.D.C. 1997, p. 61; Civ. Bruxelles 15 mai 1997, J.T. 1997, p. 618 ; L. Cornelis et I. Claeys, “De tegenstelbaarheid van algemene bankvoorwaarden en hun eenzijdige wijziging”, in Les conditions générales bancaires, Bruxelles, Bruylant, 2005, p. 86, n° 13). Certains estiment qu'il s'agit bien souvent d'une clause de style (R. Smits, S. Stijns et K., Vanderschot, “Algemene bankvoorwaarden”, in Bankcontracten, Bruges, die Keure, 2004, p. 12, n° 24). Néanmoins, faute pour le client de fournir un quelconque élément - autre que ses propres allégations - permettant de considérer que cette clause ne serait que de style, il convient, à peine de méconnaître la foi due à l'acte, de lui donner ses pleins et entiers effets (Comm. Bruxelles 5 septembre 2007, inédit).
[2] La plupart des conditions générales bancaires aussi appelées règlement général des opérations donnent à la banque le droit de modifier unilatéralement lesdites conditions. Sur une telle clause, voy. notamment R. Smits, S. Stijns et K. Vanderschot, “Algemene bankvoorwaarden”, Bankcontracten, die Keure, 2004, p. 24, nos 49 et s.
[3] J. Linsmeau, “Points délicats des règlements généraux”, in Droit bancaire, cambiaire et financier, CUP, 1998, p. 113, n° 13.
[4] Voy. notamment Bruxelles 7 février 1992, D.C.C.R. 1992-93, p. 73; Bruxelles 18 novembre 1999, A.J.T. 2001-02, p. 68 ; Bruxelles 19 novembre 2002, R.W. 2005-06, p. 1626; Bruxelles 18 mars 2004, R.D.C. 2005, p. 152.
[5] Il est enseigné qu'en droit français, la jurisprudence opère habituellement une distinction entre le faux virement (l'ordre n'émane pas du titulaire du compte) et le virement falsifié (l'ordre de virement émane à l'origine du titulaire du compte mais a été ultérieurement altéré ou modifié). Dans le premier cas, la responsabilité du banquier serait toujours engagée même en l'absence de faute de sa part tandis que dans la seconde hypothèse, sa responsabilité ne serait engagée que s'il a commis une faute (Th. Bonneau, Droit bancaire, Paris, Domat, 2007, p. 345, n° 457). Cette distinction est néanmoins contestée par divers auteurs qui sont en faveur d'une solution uniforme, à savoir une application exclusive du droit de la responsabilité (Th. Bonneau, Droit bancaire, Paris, Domat, 2007, p. 345, n° 457; M. Romnicianu, “La libération du banquier dépositaire de fonds qui s'en dessaisit sur un ordre de paiement n'émanant pas de son client”, Dr. banc. fin. 1997, n° 89, p. 9, n° 3).
[6] La doctrine demeure du reste partagée. Sont notamment en faveur de l'application de l'art. 1239 du Code civil à la matière du faux virement: G.L. Ballon, “Le paiement par une banque d'une somme d'argent sur base d'un faux ordre”, D.C.C.R. 1992-93, p. 78; A. Bruyneel, “Le virement”, in La Banque dans la vie quotidienne, Bruxelles, Éd. du Jeune Barreau, 1986, p. 420; R. Steennot, “Vervalste overschrijvingsopdrachten: artikel 1239 B.W., afwijkende bedingen in de bankvoorwaarden en de leer van de onrechtmatige bedingen”, Forum Financier/Dr. banc. fin. 2006, p. 59; R. Steennot, “Risicoverdeling bij de uitvoering van vervalste overschrijvingsopdrachten: moet de afwijking van artikel 1239 B.W. uitdrukkelijk worden bedongen?” (note sous Civ. Bruxelles 29 janvier 2007), R.G.D.C. 2008, p. 387. À l'encontre de l'applicabilité de l'art. 1239 du Code civil à la matière du faux virement, voy. notamment O. Creplet, “Les conséquences juridiques de l'exécution d'un faux virement dans le rapport entre titulaire du compte débité et la banque”, Forum Financier/Dr. banc. fin. 2006, p. 69; S. Rutten, “Het risico bij valse overscrijvingsopdracht: geen vraagstuk op het vlak van de nakoming maar op het vlak van de totstandkoming van de overeenkomst” (note sous Bruxelles 19 novembre 2002), R.W. 2005-06, p. 1627; Ch.-G. Winandy et M. Lafontaine, “Le fonctionnement du compte”, in Les conditions générales bancaires, Bruxelles, Bruylant, 2005, pp. 212 et s.
[7] Sur cette question, voy. O. Creplet, “Les conséquences juridiques de l'exécution d'un faux virement dans le rapport entre titulaire du compte débité et la banque”, Forum Financier/Dr. banc. fin. 2006, p. 74, n° 8.
[8] Monsieur Steennot, qui est favorable à l'application de l'art. 1239 du Code civil à l'hypothèse du faux virement, décrit cette transposition et précise que, dans l'hypothèse d'un “vrai” virement, le bénéficiaire est celui qui a pouvoir de recevoir pour le créancier (le client) (R. Steennot, “Vervalste overschrijvingsopdrachten: artikel 1239 B.W., afwijkende bedingen in de bankvoorwaarden en de leer van de onrechtmatige bedingen”, Forum Financier/Dr. banc. fin. 2006, p. 60, n° 6; R. Steennot, “Risicoverdeling bij de uitvoering van vervalste overschrijvingsopdrachetn: moet de afwijking van artikel 1239 B.W. uitdrukkelijk worden bedongen?” (note sous Civ. Bruxelles 29 janvier 2007), R.G.D.C. 2008, p. 38, n° 2). Il se montre ainsi favorable à une lecture uniforme du virement.
[9] F. Laurent, Principes de droit civil français, Bruxelles, Bruylant, 1875, p. 508, n° 520. Ce mandat peut trouver sa source dans la loi, dans une décision de justice ou enfin dans une convention (P. Van Ommeslaghe, Droit des obligations, T. 4, PUB, 1985, p. 918).
[10] J. Linsmeau, “Les opérations”, Traité pratique de droit commercial, 2007, T. 5, p. 270; F. Grua, Contrats bancaires, T. I. Contrats de services, Paris, Économica, 1990, p. 108.
[11] Bruxelles 18 novembre 1999, R.D.C. 2000, p. 680; Bruxelles 19 juin 2008, inédit.
[12] Dès lors qu'il est admis que l'art. 1239 du Code civil est une disposition supplétive, la “règle” de l'interprétation stricte - traditionnellement invoquée lors de l'interprétation de clauses exonératoires de responsabilité - n'est pas d'application puisque le législateur n'a édicté une règle uniquement pour pallier le silence des parties.
[13] O. Creplet, “Les conséquences juridiques de l'exécution d'un faux virement dans le rapport entre titulaire du compte débité et la banque”, Forum Financier/Dr. banc. fin. 2006, p. 80, n° 16.
[14] Art. 8 de la loi du 17 juillet 2002 relative aux opérations effectuées au moyen d'instruments de transfert électronique de fonds.