Article

Tribunal de première instance Bruxelles, 29/01/2007, R.D.C.-T.B.H., 2009/1, p. 11-14

Tribunal de première instance de Bruxelles 29 janvier 2007

BANQUE ET CRÉDIT
Opérations bancaires - Virement - Article 1239 du Code civil
Lorsqu'il est démontré qu'un virement est faux ou falsifié, il appartient à la banque, sur la base de l'article 1239 du Code civil, de supporter les conséquences du paiement réalisé entre les mains de quelqu'un qui n'avait pas qualité pour recevoir ce paiement. Les parties peuvent néanmoins déroger à cette disposition et mettre à charge du client les conséquences de ce virement. Une telle dérogation est indépendante de toute faute et n'a pas pour effet de vider le contrat de sa substance.
Il est de même permis aux parties de moduler l'obligation de restitution sans toutefois de la sorte exonérer le banquier de sa faute lourde ou de son dol ou pouvoir vider le contrat de sa substance.
BANK- EN KREDIETWEZEN
Bankverrichtingen - Overschrijvingen - Artikel 1239 B.W.
Wanneer wordt aangetoond dat een overschrijving vals of vervalst is, dient de bank op grond van artikel 1239 B.W. alle gevolgen te dragen van de betaling die gebeurde aan iemand die niet bevoegd was om die betaling te ontvangen. Partijen kunnen niettemin van die regel afwijken en overeenkomen dat de klant alle gevolgen moet dragen. Dergelijke afwijking is niet afhankelijk van enige fout en heeft niet tot gevolg dat het contract inhoudelijk uitgehold wordt.
Zo is het partijen eveneens toegelaten om de verplichting tot teruggave te moduleren, zonder echter dat de bankier zich van zware fout of opzet mag ontheffen of het contract daardoor inhoudelijk mag uithollen.

de Beir / SA Fortis Banque - N. Brancart

Siég.: Clavie (juge)
Pl.: Mes P. Herbiniat loco F. Steghers et O. Feltgen loco J.-P. Mahaux, P.-Ph. Rons

(…)

I. Objet des actions

M. de Beir poursuit, par un jugement exécutoire par provision nonobstant tout recours et sans caution ni offre de cantonnement ou de consignation avec affectation spéciale, la condamnation de la SA Fortis Banque à lui payer 26.696,25 EUR, à majorer des intérêts moratoires au taux légal de 7% à partir du 22 avril 2002, des intérêts judiciaires et des dépens.

La SA Fortis Banque conclut au non-fondement de la demande de M. de Beir. À titre subsidiaire, elle sollicite la condamnation de Mme Brancart à la garantir du chef de toute condamnation qui serait prononcée à sa charge (en principal, intérêts et frais).

Mme Brancart conclut au non-fondement de la demande de la SA Fortis Banque.

II. Le cadre du litige

Le litige s'inscrit dans le cadre suivant:

- M. de Beir est titulaire d'un compte 210-0301223-90 auprès de la SA Fortis Banque;

- le 23 avril 2002, il constatera que ce compte avait été débité des sommes suivantes: 9.390,55 EUR le 19 avril 2002, 8.810,14 EUR, le 19 avril 2002 et 8.495,56 EUR, le 22 avril 2002, transférées au compte 260-0060382-20 de Mme Brancart;

- le 24 avril 2002, il déposera plainte à la police pour escroquerie et faux en écritures contre cette dernière et se constituera partie civile entre les mains d'un juge d'instruction le 28 mai 2002;

- dans son audition du 24 avril 2002, M. de Beir déclare: “Je désire porter plainte pour escroquerie et faux en écritures contre la nommée Brancart Nadine demeurant à Dampremy, rue Jean Jaurès, n° ignoré laquelle s'est présentée avec un virement à mon nom propre à sa banque, je pense Fortis. Je vous explique de quelle façon, j'ai obtenu les renseignements. J'étais parti à l'étranger accompagné de mon épouse entre le 13 et le 23 avril 2002. À mon retour hier soir, le 23 avril 2002, j'ai retrouvé dans ma boîte aux lettres mes extraits bancaires. Je pouvais remarquer qu'à trois reprises, un grand montant a été enlevé de mon compte courant, c'est-à-dire le compte n° 210-0301223-90 de la banque Fortis. Je suis client au Fortis centre ville, bd Anspach. J'ai avant de venir en vos services fait bloquer mes comptes. Je vous remets une copie du premier virement dont la signature a été falsifiée et le nom du bénéficiaire ajouté. J'ai, à titre de comparaison, rajouté ma signature laquelle comme vous pouvez le constater est totalement identique. Je ne peux pour l'instant vous remettre les copies des autres virements. Ma banque n'a pas encore réceptionné les originaux. Je ne sais vous dire de quelle façon mes virements ont été copiés. Ceux-ci se trouvent toujours dans ma mallette laquelle est pourvue d'un loquet avec secret et à mon retour, celle-ci se trouvait au même endroit et toujours bien fermée. Les virements s'y trouvaient toujours. Je ne sais vous dire comment les virements ont pu arriver dans les mains de l'escroc. Je fournirai dès que possible les autres renseignements. À titre d'information, je ne connais nullement la dame dont question de son nom sur le virement”;

- réentendu le 15 juillet 2002, M. de Beir exposera: “Je confirme en tous points la teneur de ma lettre de plainte avec constitution de partie civile transmise à monsieur le juge d'instruction. Depuis ma précédente déclaration, je peux vous préciser que j'ai contrôlé tous les virements que j'ai reçus de la banque et je suis certain que je les possède tous. Aucun virement n'a donc pu m'être volé. Il s'agit plus que probablement de faux virements. Je confirme que je connais pas du tout de personne répondant au nom de Brancart Nadine. J'ignore sur quelle base les faux virements ont pu être rédigés mais je suppose qu'au moins un d'entre eux a dû être intercepté à la banque. Je n'ai pu obtenir les originaux jusqu'à présent, il semble qu'ils ne soient pas conservés à la banque. J'ai demandé une intervention de la banque pour rembourser les montants retirés illégalement mais la banque refuse d'indemniser estimant qu'il n'y a pas assez d'éléments pour déterminer qu'il s'agit de faux. Ils me renvoient à la personne de Nadine Brancart pour obtenir des explications. Je n'ai pas osé la contacter jusqu'à ce jour. Je n'ai pu collecter d'autres renseignements que ceux que j'ai déjà transmis lors de mes deux premières auditions. Je marque mon accord pour effectuer un spécimen de mon écriture que je réalise en votre compagnie”;

- Mme Brancart sera entendue à plusieurs reprises par les services de police et expliquera: “Je suis veuve de mon époux Botteman Jacques depuis le 31 mai 2000. Je n'ai pas de profession. Je suis handicapée à 66% et je perçois une rente de la Vierge Noire d'un nominal de 22.640 FB. Je réside seule à l'adresse et j'ai cinq enfants qui sont en ménage. Dans le courant du mois de janvier 2002, je me suis rendue au dancing à l'enseigne “Le carrousel” sis à Anderlues, route de Mons. J'ai fait la connaissance d'une personne masculine de type arabe. Il m'a dit se prénommer 'Alain' et nous avons sympathisé à l'occasion de cette rencontre. 'Alain' m'a expliqué qu'il était en instance de divorce et qu'il cherchait quelqu'un pour refaire sa vie. Nous nous sommes revus par la suite et nous avons eu une liaison. Il venait rarement à la maison car il craignait de se faire prendre en adultère. (...) Voici une quinzaine de jours, alors que mon ami Alain venait me rendre visite, il m'a narré que sa femme et lui disposaient d'une somme d'argent imprécisée et qu'il ne savait pas comment s'y prendre pour pouvoir jouir de cet argent. Il m'a demandé si j'étais titulaire d'un numéro de compte. J'ai répondu par l'affirmative. Alain m'a demandé l'autorisation de pouvoir créditer ses 'sous' sur mon compte. J'ai marqué mon accord. Cet argent devait rester caché du moins par Alain car il espérait acquérir un immeuble après la liquidation des biens de lui-même et de son épouse. Fin de la semaine dernière, un vendredi, Alain m'a informé que l'argent allait arriver sur mon compte début de cette semaine. Effectivement, mon compte a été crédité en trois opérations sur un nominal de 26.696,25 EUR. (...) Mardi 23 avril 2002, l'argent se trouvait sur mon compte. J'ai effectué divers retraits à l'agence Fortis de 6020 Dampremy et une agence de Charleroi. Je ne saurais plus préciser les différents montants des retraits. Alain me pilotait avec sa voiture (...). Je lui ai remis l'argent en sa totalité, mais en deux jours. Je lui ai même remis les extraits de mon compte relatifs à ces opérations de débit (...)”. Mme Brancart précisera encore avoir effectué un retrait, le 22 avril 2002, auprès de l'agence Fortis de Charleroi et, le 23 avril 2002, deux retraits auprès de l'agence Fortis de Dampremy;

- le prénommé “Alain” ne sera jamais identifié et la plainte de M. de Beir fera l'objet d'une ordonnance de non-lieu, aucune charge n'étant retenue contre Mme Brancart;

- parallèlement à cette procédure, M. de Beir tentera de trouver une solution avec la SA Fortis Banque, qui refusera de restituer les fonds transférés exposant que: “De l'examen du dossier, il s'avère que les signatures apposées sur les trois virements présentent de fortes similitudes avec le spécimen de votre signature que la banque possède. Dans ce contexte et conformément aux articles 3 et 12 des conditions générales de Fortis Banque, la banque ne peut être tenue responsable du dommage que vous avez subi.”;

- le 23 mai 2002, M. de Beir précisera encore: “Je vous accuse réception de votre lettre du 17 mai 2002. Le vol des bulletins de virement, dont j'ai été la victime et que je vous ai dénoncé aussitôt, a dû se produire dans les installations de votre agence dénommée “Centre”, boulevard Anspach à Bruxelles. La série de bulletins de virement au nombre de 13 a été utilisée par moi à concurrence de 12 et j'en ai encore un seul en réserve; ce qui exclut que le vol des bulletins de virement ait eu lieu à mon domicile. Celui qui a dérobé en vos installations les bulletins de virement en mon nom, a lui-même et/ou son coauteur ou complice falsifié ma signature ayant eu accès au dossier contenant le spécimen de ma signature et qui repose également dans les installations de l'agence “Centre”, boulevard Anspach à Bruxelles. J'ai déposé plainte avec constitution de partie civile entre les mains d'un juge d'instruction. Je me réserve le droit d'intenter ultérieurement une action en justice en responsabilité de votre banque.”;

- le 6 juin 2002, la SA Fortis Banque lui répondra qu'il était peu vraisemblable que les virements aient pu être dérobés à l'agence Centre, dans la mesure où ce genre de documents sont disponibles à la zone accueil de l'agence. À défaut d'élément nouveau, elle confirmera sa position;

- M. de Beir lancera citation le 2 mai 2003 et, le 8 août 2003, la SA Fortis Banque fera intervenir Mme Brancart à la cause.

III. Discussion

M. de Beir sollicite la condamnation de la SA Fortis Banque à lui payer 26.696,25 EUR, à majorer des intérêts moratoires.

Il fonde sa demande principalement sur l'article 1239 du Code civil, selon lequel: “Le paiement doit être fait au créancier ou à quelqu'un ayant pouvoir de lui, ou qui soit autorisé par justice ou par la loi à recevoir pour lui. Le paiement fait à celui qui n'aurait pouvoir de recevoir pour le créancier est valable, si celui-ci le ratifie, ou s'il en a profité.”

La SA Fortis Banque ne conteste ni la fausseté des trois virements litigieux ni l'application de l'article 1239 du Code civil, mais estime que M. de Beir est tenu de supporter les conséquences d'ordres de virements litigieux, et ce essentiellement, en vertu des clauses contractuelles (elle invoque également la théorie de l'apparence) qui prévoient que:

- “Le client dépose, lors de son entrée en relation avec la banque, un spécimen de sa signature et, le cas échéant, de celle de son ou ses mandataires. S'il modifie ultérieurement sa signature, il en donne un nouveau spécimen à la banque. (...) La responsabilité de la banque serait engagée si elle commettait un dol ou une faute lourde dans la vérification de la conformité des signatures avec le spécimen déposé.” (art. 3);

- “Lorsque la banque reçoit ou délivre, pour compte d'un client, des documents quelconques, elle les vérifie soigneusement mais n'est tenue que de son dol ou de sa faute lourde dans l'examen de leur authenticité, validité, traduction ou interprétation.” (art. 12, al. 6);

- “Le client doit conserver avec le plus grand soin les documents et formulaires qu'il a reçus dans le cadre de sa relation bancaire et supporte toutes les conséquences pouvant résulter de leur perte, de leur vol ou de l'usage abusif qui en serait fait, sauf dol ou faute lourde de la banque.” (art. 16, al. 1er).

Contrairement à ce qu'allègue M. de Beir, il ne peut être sérieusement contesté que ces conditions générales lui sont opposables, dès lors qu'il a par écrit reconnu en avoir reçu un exemplaire le 20 décembre 1984 et qu'il a été avisé par ses extraits de compte de 1999 que de nouvelles conditions entraient en vigueur le 1er septembre 1999 et qu'il pouvait les obtenir auprès de son agence. Pour autant que de besoin, le tribunal relève que M. de Beir s'est prévalu explicitement des conditions générales de 1999 dès l'introduction de la présente action (ainsi, dans sa citation introductive d'instance, M. de Beir invoquait-il expressément l'art. 3 des conditions générales) et qu'il n'a pas contesté le courrier de la SA Fortis Banque du 17 mai 2002 y faisant expressément référence.

Une fois réglé le problème de l'opposabilité, se pose celui de l'applicabilité des clauses invoquées.

L'article 1239 du Code civil qui prévoit que le paiement (au sens de l'exécution d'une obligation de donner, de faire ou de ne pas faire) n'est libératoire que s'il est fait au créancier, met à charge du débiteur les conséquences d'un mauvais paiement. Appliqué aux virements bancaires, il fait supporter par le banquier la charge de l'exécution d'un faux ordre de paiement (voy. O. Poelmans et A. Deome, “Les relations entre le banquier et son client titulaire d'un compte en banque après l'arrêt de la Cour de cassation du 16 septembre 1993”, Rev. Banq. 1994, pp. 411 et s.).

Les parties peuvent cependant déroger à cette disposition qui ne touche pas l'ordre public et prévoir que le titulaire du compte aura à supporter les conséquences d'un faux ordre de virement. Pareille dérogation, à l'instar de la règle elle-même contenue dans l'article 1239 du Code civil, est indépendante de toute faute (raison pour laquelle, en cas de faute du créancier, une demande reconventionnelle en dommages et intérêts peut être intentée par le débiteur, dont le montant pourra éventuellement atteindre le montant du paiement auquel il est tenu par application de l'art. 1239 du Code civil (voy. De Page, Traité élémentaire de droit civil, Livre III, Titre Ier, p. 425, n° 425; J.-P. Buyle et O. Creplet, Responsabilités. Traité théorique et pratique, Éd. Kluwer, 2001, Dossier 22bis, “La responsabilité bancaire”, Vol. 2, p. 17, note 2)) et n'a pas pour effet de vider le contrat de sa substance.

Il ressort incontestablement des termes utilisés dans les clauses 3 et 12 dont la SA Fortis se prévaut ici (“responsabilité de la banque, dol, faute lourde,...”) qu'elles concernent la responsabilité de la banque, laquelle est évidemment fondée sur l'idée de faute. Elles ne peuvent, partant, avoir d'incidence sur le paiement au sens large du terme, étant le mode d'extinction d'une obligation (tout autre aurait été le raisonnement si le débat avait été placé sur plan de la responsabilité).

En revanche, le tribunal considère que l'article 16, alinéa 1er des conditions générales (dont les termes ont été rappelés supra) contient bel et bien une dérogation à l'article 1239 du Code civil puisqu'il prévoit expressément que c'est le client qui supportera les conséquences pouvant résulter de l'usage abusif de documents et formulaires reçus par le client, sauf dol ou faute lourde de la banque.

En l'espèce, il est incontestable, et d'ailleurs incontesté, que les signatures apposées sur les virements sont tout à fait semblables au spécimen de la signature de M. de Beir et que les ordres de virement, effectués au moyen de formulaires préimprimés au nom de M. de Beir avaient toutes les apparences d'ordres réguliers. Il n'est pas établi par ailleurs que la banque aurait commis une faute lourde dans la distribution ou la conservation de ces virements. L'exception contenue dans l'article 16, alinéa 1er ne peut donc prévaloir sur la règle édictée par cette disposition.

Puisqu'il est constant que les virements ont été effectués au moyen de formulaires préimprimés au nom de M. de Beir, celui-ci doit donc supporter les conséquences de l'utilisation abusive qui en a été faite.

Sa demande, en tant qu'elle se fonde sur l'article 1239 du Code civil, sera par conséquent déclarée non fondée.

M. de Beir invoque également, comme fondement subsidiaire, l'obligation de restitution du banquier analogue à celle que fait peser l'article 1937 du Code civil (“le dépositaire ne doit restituer la chose déposée qu'à celui qui la lui a confiée, ou à celui au nom duquel le dépôt a été fait, ou à celui qui a été indiqué pour la recevoir”) sur le dépositaire.

Cette obligation est, elle aussi, modulable pour peu qu'il n'y ait pas exonération en raison d'une faute lourde ou d'un dol ou que ladite exonération ne conduise pas à vider le contrat de sa substance. En l'espèce, il a été convenu que la banque n'engagerait sa responsabilité qu'en cas de faute lourde ou de dol, ce qui est parfaitement licite. Compte tenu de ce qui a été décidé ci-avant quant à l'absence de tels comportements dans le chef de la banque, la demande sera donc également déclarée non fondée sur ce fondement et celle formée par la SA Fortis Banque à l'égard de Mme Brancart sans objet.

Par ces motifs,

(…)

Statuant contradictoirement;

Déclare la demande de M. de Beir recevable mais non fondée;

L'en déboute et le condamne aux dépens de la SA Fortis Banque liquidés à 364,40 EUR (IP).

Déclare la demande incidente de la SA Fortis Banque recevable mais sans objet.

(…)