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Actualité : Cour de justice des Communautés européennes, 11/09/2008, R.D.C.-T.B.H., 2008/9, p. 836-837

Cour de justice des Communautés européennes 11 septembre 2008

TRANSACTIONS COMMERCIALES
Retard de paiement dans les transactions commerciales - Procédure d'exécution forcée - Délais
Aff. C265/07, Caffaro Srl

L'arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE ) dans l'affaire Caffaro est intéressant à un double titre [1]. Tout d'abord, d'un point de vue juridique, la Cour précise, par une interprétation textuelle, le champ d'application de l'article 5 de la directive 2000/35 concernant la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales [2]. Ensuite, de manière incidente, en contredisant explicitement les conclusions de son avocat général [3], elle envoie un message rassurant aux États membres à l'heure où son interprétation extensive des compétences communautaires est remise en cause [4]. Par contre, pour les créanciers, ce jugement ne favorise certainement pas la lutte contre les retards de paiement de l'administration, pourtant pointés du doigt dans certains pays [5].

Les faits de la cause peuvent se résumer comme suit. M. Caffaro, créancier d'une entreprise publique communale italienne, a lancé une procédure d'exécution forcée de sa créance contre ladite entreprise sur base d'un titre exécutoire obtenu conformément à la loi italienne transposant la directive 2000/35. Lors de l'audience devant le Tribunale civile di Roma, l'illégalité de la procédure fut soulevée. En effet, une loi italienne prévoit, dans le cas de l'existence de créances à l'encontre d'une administration, qu'un délai de 120 jours doit s'écouler entre la notification du titre exécutoire et toute mise en oeuvre de la procédure d'exécution, délai qui n'a pas été respecté ici [6]. La question préjudicielle posée par la juridiction italienne à la CJCE peut donc se résumer, en substance, à savoir si ce délai de 120 jours est compatible ou pas avec la directive 2000/35 et plus particulièrement son article 5.

La Cour de justice se fonde sur une interprétation textuelle du texte pour conclure à la conformité de cette législation avec la directive. En effet, ainsi que le note la CJCE, la directive fixe un délai obligatoire uniquement en ce qui concerne l'obtention d'un titre exécutoire. Tout ce qui touche à la procédure d'exécution forcée, par contre, demeure de la seule compétence du droit national [7]. Pour être précis, l'article 5 de la directive n'exige qu'une seule chose: que les États membres veillent à ce qu'un titre exécutoire, quel que soit le montant de la dette, puisse être obtenu normalement dans les 90 jours civils après que le créancier a formé un recours ou introduit une demande auprès d'une juridiction ou d'une autre autorité compétente, lorsqu'il n'y a pas de contestation portant sur la dette ou des points de procédure. Il est muet sur le délai éventuel touchant à la procédure d'exécution forcée [8]. La Cour considère donc, en conclusion, que la directive ne s'oppose pas à une loi qui, comme la loi italienne, prévoit un tel délai.

Ce jugement, postulant une interprétation textuelle, très respectueuse de la répartition effectuée par la directive entre domaine harmonisé et domaine ressortant de la compétence des États membres, contraste avec les conclusions de l'avocat général rendues dans cette affaire. Ce dernier, se basant quant à lui sur une interprétation téléologique de la directive [9], était en effet parvenu à une solution diamétralement opposée.

Il note tout d'abord que l'objectif de la directive est de prévenir les retards de paiement dans les transactions commerciales afin d'éliminer ainsi les obstacles au fonctionnement correct du marché intérieur découlant de tels retards [10]. Afin de préserver “l'effet utile” de la directive, l'avocat général considère donc qu'on ne peut admettre une législation qui, de facto, fait passer le délai minimum d'exécution d'un titre de 90 jours à 210 jours [11]. Même si les États membres demeurent compétents pour régir la matière de la procédure d'exécution forcée, ceci ne doit pas mener à vider la directive de toute effectivité [12].

De plus, la faveur accordée aux débiteurs publics va également à l'encontre de l'esprit de la directive qui vise précisément à lutter contre les retards de paiement et ce quelque soit le débiteur en cause, même s'il s'agit d'un marché public [13]. Il note également, pour terminer, que l'Italie a sans doute agi de mauvaise foi puisqu'elle a doublé le délai - le faisant passer de 60 jours à 120 jours - par une loi adoptée six mois après l'adoption de la directive et avant la date limite de transposition.

Il est surprenant que la Cour n'use pas de son large pouvoir d'interprétation, comme elle le fait assez habituellement [14], pour suivre le raisonnement de son avocat général. Même si, politiquement, dans le contexte actuel rappelé en introduction de cette note, il n'est peut-être pas étonnant que la Cour cherche à rassurer les États membres quant à l'extension du champ d'application du droit communautaire; du point de vue des créanciers, la décision de la Cour est très certainement dommageable. À la lecture de la loi italienne, et en gardant à l'esprit les conditions de son adoption, il est en effet difficile de ne pas penser que celle-ci a été modifiée explicitement en vue de contrecarrer les effets de la directive, et ce en faveur de l'administration.

[1] CJCE 11 septembre 2008, C265/07, Caffaro Srl, non encore publié au Recueil.
[2] Directive 2000/35/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 juin 2000 concernant la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales, J.O. L. 200 du 8 août 2000, pp. 35-38.
[3] Conclusions de l'avocat général Trstenjak sous Caffaro, précité.
[4] Voy. notamment, dans l'actualité récente, la contestation, devant la Cour constitutionnelle allemande de sa jurisprudence Mangold (CJCE 22 novembre 2005, C-144/04, Mangold, Rec., p. I-09981, obs. E. Dubout, RAE 2005, pp. 723-733 et obs. L. Idot, Europe janvier 2006, pp. 19-20). R. Herzog et L. Gerken, “Stop the European Court of Justice”, EUObserver.com, visité le 16 septembre 2008.
[5] Voy. le rapport cité par l'avocat général dans ses conclusions, précité, à la note 41.
[6] Decreto-Legge 31 décembre 1996, n° 669, Journal officiel de la République italienne n° 305 du 31 décembre 1996, loi modifiée plusieurs fois.
[7] Considérant n° 15 de la directive 2000/35, précité.
[8] Arrêt Caffaro, précité, point 18.
[9] Conclusions, précité, point 34.
[10] Ibid., point 35.
[11] Pour être précis, notons que les procédures en vue de l'exécution peuvent avoir lieu pendant la période de 120 jours. C'est l'exécution proprement dite qui est interdite.
[12] Conclusions, précité, point 39.
[13] Ibid., points 37 et 41.
[14] Sur ce point, voy. T.C. Hartley, The foundations of European Community Law, 6ème éd., Oxford OUP, 2007, pp. 73 et 74 et A. Arnull, The European Union and its Court of Justice, 2ème éd., Oxford, OUP, 2006, pp. 620 et 621.