Article

Cour d'appel Liège, 16/11/2007, R.D.C.-T.B.H., 2008/9, p. 814-815

Cour d'appel de Liège 16 novembre 2007

OBLIGATIONS CONVENTIONNELLES
Effets des conventions à l'égard des tiers - Tierce complicité ruputre contrat - Leasing - Vente de voitures leasées - Pas de tierce complicité à la rupture contractuelle
Pour qu'il y ait tierce complicité à la rupture contractuelle, il est requis qu'un tiers conclue un contrat avec un débiteur, et que ce dernier viole par là une convention antérieure qui le lie. Il ne suffit pas qu'un tiers (A) tire parti de la rupture contractuelle que le débiteur B a commis en contractant avec un autre tiers (C) (grâce à quoi B viole son contrat avec D), pour que le tiers A puisse être réputé complice de la rupture contractuelle commise par B.
VERBINTENISSEN UIT OVEREENKOMSTEN
Gevolgen van overeenkomsten t.a.v. derden - Derde medeplichtigheid aan contractbreuk - Leasing - Verkoop geleasde wagen - Geen derdemedeplichtigheid aan contractbreuk
Opdat van derdemedeplichtigheid aan contractbreuk sprake kan zijn is vereist dat een derde een contract sluit met een schuldenaar waardoor die laatste een eerdere overeenkomst die hem verbindt, schendt. Het volstaat niet dat een derde (A) voordeel haalt uit de contractbreuk die de schuldenaar (B) gepleegd heeft door met een andere derde (C) te contracteren (waardoor B zijn contract met D schendt), opdat de derde A medeplichtig aan contractbreuk door B zou kunnen geacht worden.

SA Siminvest / SA ING Lease Belgium

Siég.: M. Ligot (président), A. Jacquemin et J.-L. Wenric (conseillers)
Pl.: Mes J.-Y. Gyselinx loco P. Haubursin et P. Dellieu

(…)

La SA Siminvest, anciennement SA Renault Namur, a interjeté appel le 7 octobre 2002 du jugement rendu le 18 juin 2002 par le tribunal de commerce de Namur qui l'a dite “coupable de tierce complicité dans la rupture du contrat de location-financement avenu le 11 décembre 1991 entre Sofilease et Sotrelec” et l'a condamnée à payer à la SA Sofilease 10.278,11 EUR avec les intérêts judiciaires depuis le 12 juin 1998 et les dépens.

Par conclusions du 26 mars 2007, la SA ING Lease Belgium, “autrefois dénommée SA Sofilease”, forme appel incident du jugement aux fins d'obtenir la condamnation de la SA Siminvest à lui payer 14.873,61 EUR à majorer des intérêts judiciaires.

(…)

Les faits de la cause sont les suivants:

- Le 11 décembre 1991, ING Lease Belgium conclut un contrat de location-financement avec la SA Sotrelec portant sur une Renault Espace RXE. Le loyer convenu est de 108.243 FB HTVA par trimestre, pendant 12 trimestres.

- Le 12 décembre 1991, Sotrelec atteste avoir pris livraison du matériel reçu de ING Lease Belgium par l'intermédiaire du fournisseur.

- À cette date, Siminvest facture en effet à ING Lease Belgium le véhicule neuf pour le prix de 1.422.158 FB. La facture est acquittée par la remise d'un chèque.

- Le 17 mai 1994, ING Lease Belgium invite Sotrelec à régulariser son compte qui présente un loyer de retard.

- Le 26 juillet 1994, Sotrelec est déclarée en faillite.

- Le 9 août 1994, ING Lease Belgium résilie le contrat de location-financement et réclame à Sotrelec la restitution de la Renault.

- ING Lease Belgium ne récupère pas le véhicule et déclare une créance de 405.238 FB à la faillite de Sotrelec.

- Le 17 septembre 1999, le curateur à la faillite de Sotrelec transmet à ING Lease Belgium une attestation d'irrécouvrabilité pour la totalité de ladite créance admise telle quelle au passif chirographaire par jugement du tribunal de commerce de Namur du 21 novembre 1996.

- En réalité, Sotrelec a vendu la Renault Espace au “Dépannage Gérard Gabriel” quelques mois seulement après la conclusion du contrat de leasing. La date précise de cette vente et son prix ne sont pas précisés.

- Le 30 avril 1992, Siminvest a racheté le véhicule au “Dépannage Gérard Gabriel” pour le prix de 600.000 FB HTVA.

- Le 22 octobre 1992, Siminvest a revendu le véhicule à D.Q. pour le prix de 600.000 FB.

- Le 12 juin 1998, ING Lease Belgium assigne Siminvest, sur base de la tierce complicité, et lui réclame 405.238 FB.

- ING Lease Belgium expose que Gérard Gabriel a été déclaré en faillite par jugement du 26 septembre 1991 mais les pièces produites concernent une “Station service Gérard” exploitée à Coursière, Chaussée du Luxembourg, n° 8 tandis que la facture du 30 avril 1992 émane du “Dépannage Gérard Gabriel” sis à Sart-Bernard, Nationale 4, n° 1.

- En cours d'instance, ING Lease Belgium porte sa demande contre Siminvest à 600.000 FB, estimant être “en droit d'obtenir (sa) condamnation à des dommages et intérêts équivalents à la valeur du véhicule au moment de la revente de celui-ci par cette partie”.

Le jugement entrepris a estimé qu'il y avait eu tierce complicité et a condamné Siminvest à payer 414.618 FB, montant critiqué en tout état de cause par les parties.

Discussion

ING Lease Belgium ne soutient pas que Siminvest aurait agi en concert frauduleux avec Gérard Gabriel pour l'achat du véhicule à Sotrelec. Aucun élément du dossier ne le donne d'ailleurs à penser.

Elle reproche à Siminvest de s'être rendue coupable de tierce complicité pour avoir acquis le véhicule des mains de Gérard Gabriel sans prendre la précaution de se faire exhiber la facture initiale d'achat, sans vérifier dans ses fichiers que le véhicule avait été vendu par ses soins quelque quatre mois plus tôt à une société de leasing et sans avoir demandé à celle-ci si le contrat de location-financement était toujours en cours.

Siminvest se défend des fautes qui lui sont imputées. Elle objecte qu'en achetant la Renault à un autre professionnel de la vente de voitures, elle n'avait pas l'obligation de réitérer le contrôle que ce dernier avait déjà dû réaliser en l'achetant lui-même. Elle oppose encore qu'on ne peut raisonnablement imposer aux tiers des investigations pour rechercher si “l'acte juridique qu'il se propose d'accomplir le serait en violation de l'obligation d'autrui” (Fagnart, “La tierce complicité et les usages honnêtes en matière commerciale”, R.D.C. 1989, p. 461; Parmentier, “La connaissance du contrat par le tiers complice” (obs. sous Bruxelles 7 mai 1991), J.L.M.B. 1992, p. 296).

Elle conclut surtout qu'en l'espèce, il ne peut y avoir eu tierce complicité dans son chef dès lors que Sotrelec avait déjà vendu le véhicule, en violation de ses obligations contractuelles, à Gérard Gabriel avant toute intervention de sa part.

Le moyen est fondé.

La tierce complicité requiert en effet la réunion d'un créancier lésé, d'un débiteur en faute et d'un tiers complice.

“L'acte juridique incriminé est nécessairement une convention formée entre le débiteur et le tiers complice, par laquelle l'obligé viole ses obligations contractuelles. Autrement dit, pour qu'il y ait tierce complicité, il faut que le tiers contracte avec le débiteur, au mépris de la convention préalable qui le lie. La notion de 'complicité' du tiers implique forcément une participation à l'acte fautif d'un comparse: le débiteur” (Banmeyer, “L'action paulienne et la tierce complicité: points de contact”, in La théorie générale des obligations, C.U.P., décembre 1998, p. 264).

Ce n'est pas Siminvest qui a contracté avec Sotrelec mais Gérard Gabriel. C'est en vendant la Renault à Gérard Gabriel que Sotrelec a violé ses obligations contractuelles et c'est Gérard Gabriel qui, en contractant avec Sotrelec, a participé à l'acte fautif du débiteur. C'est à propos de Gérard Gabriel que pourrait se poser la question de tierce complicité lorsqu'il a contracté avec Sotrelec.

Il convient d'ajouter qu'“il n'y a pas davantage de complicité ou de participation à la faute du débiteur, lorsque le tiers profite d'une faute qui a été commise” (Fagnart, o.c., p. 461).

La demande principale de ING Lease Belgium n'est pas fondée. Ses demandes incidentes non plus: l'appel n'est ni téméraire ni vexatoire; ING Lease Belgium ne peut réclamer à Siminvest l'indemnisation des frais de défense qu'elle a engagés pour une procédure dont elle est déboutée.

Pour autant, la demande incidente de Siminvest en répétibilité de ses propres frais de défense n'est pas non plus fondée car cette demande supposerait que soit établie l'existence d'une faute commise par ING Lease Belgium à l'occasion de l'intentement de son action. Or, le rejet d'une demande n'implique pas nécessairement qu'une faute ait été commise par l'adversaire. Siminvest ne cherche même pas à démontrer que la demande aurait été introduite de manière téméraire ou aurait procédé d'une erreur grossière d'appréciation.

(…)